Ce n’est donc pas par hasard que les relations entre les pays capitalistes dominants prirent dans les années 1970 un tour nouveau. Ces relations tendirent alors à s’institutionnaliser, au sein de ce qui a vite été appelé le G7 (puis le G8).
I - L’union fait la force des riches, ou ce qu’est le G7/G8.
La relation entre les principaux pays capitalistes a toujours été un complexe mélange de rivalité et de coopération, constamment redéfini au fil des affrontements et alliances. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, s’est cependant affirmée une nouvelle configuration, consacrant la prééminence incontestée des États-Unis parmi les pays capitalistes avancés, dans un monde divisé par la Guerre Froide. La reconstruction de l’Europe de l’Ouest s’est alors faite à l’abri du parapluie américain ; le nouveau Japon fut le produit de l’intervention musclée des États-Unis. Au milieu des années 1970, le rapport entre les États-Unis et ses alliés se transforma pourtant, dans le contexte de l’affirmation économique et politique des pays européens et du Japon, dessinant la configuration tripolaire de la triade.
Ce n’est donc pas par hasard que les relations entre les pays capitalistes dominants prirent dans les années 1970 un tour nouveau. Ces relations tendirent alors à s’institutionnaliser, au sein de ce qui a vite été appelé le G7 (puis le G8 après l’admission de la Russie). Sans se substituer aux contacts multilatéraux antérieurs, il s’agissait de donner un caractère systématique à la coopération économique, notamment par la tenue d’une réunion annuelle au plus haut niveau, celui des chefs d’État. Fait hautement symbolique, elle devait se tenir chaque année dans un pays différent du groupe.
- Les pays du G7 et le G7 comme institution.
On parle souvent du G7 comme d’un ensemble de pays, une entité économique et politique : États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Canada et Italie. On fait ainsi référence, par exemple, à la production des pays du G7 : son volume, son taux de croissance, etc.
Le pouvoir économique et politique du G7 est considérable. En 2000, les 7 pays totalisaient plus de 70% de la production mondiale. Les dépenses militaires de ces pays représentaient quelque 90% % des dépenses totales dans le monde. Dans cet ensemble, la part des États-Unis demeure évidemment prépondérante (en 2000, quelque 35% de la production et une domination écrasante quantitative et qualitative au plan de l’armement).
Mais le G7 est aussi une institution, et encore plus précisément un sommet annuel. On date généralement sa première forme embryonnaire à la réunion tenue par les ministres des finances des États-Unis, de l’Allemagne, du Royaume-Unis et de la France, en mars 1973, dans la bibliothèque de la Maison Blanche. Les ministres des finances, rejoints par le ministre japonais, continuèrent à se réunir pendant quelques années. Ainsi prit forme le G5. Le président Giscard d’Estaing lança ensuite l’idée d’une réunion des chefs d’État des 5 pays, sans que soit posé le principe d’une périodicité annuelle. Elle se tint à Rambouillet, en novembre 1975, à 6 du fait du ralliement de l’Italie. Le président Ford décida de convoquer un autre sommet, l’année suivante, à Porto Rico, en juin 1976. L’arrivée du Canada ouvrit l’ère du G7, et la périodicité annuelle fut respectée depuis lors. A partir de la troisième rencontre, la Communauté Européenne, puis l’Union Européenne, fut représentée comme entité politique. Jusqu’en 1996, les communiqués commencent toujours par la même formule : « Nous, chefs d’État et de Gouvernement des sept pays les plus industrialisés et Président de la Commission européenne, nous sommes réunis... ». Ce n’est qu’en 1997, que la Russie fut véritablement associée au groupe, et que le G8 vit le jour. Apparut ainsi la formule « Nous, participants au Sommet des Huit... ». L’année suivante, le communiqué se référa à « huit démocraties », et, en 2002, la décision fut prise de donner la présidence du G8 à la Russie en 2006 !
Il faut noter que la naissance du G8 ne signa pas l’arrêt de mort du G7. A l’inverse, celui-ci continue à prospérer en marge du G8, en particulier en ce qui concerne les questions économiques et financières. Les programmes des réunions des ministres, lors des sommets annuels, font apparaître des créneaux horaires restreints au G7. Cette situation témoigne de la survivance des limites à l’intégration de la Russie.
On parle également du G10, qui est une institution tout à fait différente des G7 et G8, désignant les pays du G7 plus les Pays-Bas, la Belgique et la Suède-ainsi que la Suisse ce qui porte le nombre de participants à 11 sans que le sigle soit modifié. Il fut créé en 1962, lors de la signature des Accords Généraux d’Emprunt du Fonds Monétaire International (FMI), dont on fera mention ultérieurement.
- Une institution informelle mais sophistiquée.
Le G7/G8 n’est pas une organisation internationale, comme le sont le FMI et la Banque Mondiale. Mais il s’agit néanmoins d’un système assez structuré et relativement sophistiqué.
Le dispositif fondamental est la réunion annuelle, proprement dite, des chefs d’États, qui refusent toute forme de bureaucratisation et souhaitent des entretiens personnels à huis clos (en témoigne l’appel lancé à la fin du communiqué de 1993[1], renouvelé l’année suivante). Le second niveau, immédiatement au-dessous des chefs d’État, est celui des ministres des finances, des affaires étrangères et autres (commerce, emploi, environnement...). A cela s’ajoute le travail des experts de l’entourage des chefs d’États. Il existe également des réunions occasionnelles de chefs d’États ou ministres d’un sous-ensemble de pays. On continue ainsi à parler de G5 ou de G3. Tout problème, ou événement économique ou politique, est a priori susceptible de déboucher sur la formation d’un groupe. Au fil des années de tels groupes ont été créés autour des sujets les plus divers : les sources d’énergies, l’aide à la Russie ou différentes régions d’Afrique, la lutte contre le terrorisme, etc.
- A quoi sert le G7/G8 ?
Ce club des pays riches a pour fonction d’assurer une coordination des politiques économiques et des politiques en général. La dimension purement politique n’a pas cessé de s’affirmer au cours des années. Les toutes premières réunions avaient pour objectif principal la gestion des problèmes économiques des pays du groupe : clairement l’atténuation de leurs rivalités compte tenu des difficultés où ils étaient plongés. Au fil des années, au gré de l’affirmation du néolibéralisme, il s’est agi davantage du contrôle économique et politique du reste de la planète, spécifiquement de la création d’un cadre favorable aux intérêts des pays du centre et de leurs couches les plus favorisées.
Dans ce pilotage de la mondialisation néolibérale, les autres institutions internationales jouent évidemment un rôle majeur. Le premier concerne la libération des échanges commerciaux. La volonté d’accélérer les négociations du GATT, puis de l’OMC, est constamment réaffirmée dans les communiqués. Il en va de même du FMI, dont le potentiel financier doit être accru, et dont les actions doivent être encouragées (voir le salut adressé à cette institution en 1984), tout comme de l’OCDE, dont les actions sont décrites élogieusement[2]. Il faut se souvenir du rôle clef que joua l’OCDE dans l’affirmation de l’ordre néolibéral. Bien avant qu’il soit question de néolibéralisme, les Codes de libéralisation des mouvements de capitaux furent énoncés en 1961 à l’occasion de la création de cet organisme. On peut voir dans ces organismes autant de piliers de la mondialisation de l’ordre néolibéral, et ces appels du G7 sont aisément compréhensibles.
II - De la crise du système monétaire international à la mondialisation néolibérale, ou l’économie du G7.
La situation économique des pays du G7 s’est profondément modifiée depuis sa création, et un certain recul est ici nécessaire.
- Le contexte de la création : la crise du système monétaire international, la crise pétrolière, et la récession de 1974-1975.
Les tout débuts de l’institution datent de la crise, dans la première moitié des années 1970, du système monétaire international mis en place à Bretton Woods en 1944. Cette crise est également désignée comme celle du dollar (qui était au centre du dispositif). Pendant son déroulement, les tensions furent fortes entre les États-Unis et les autres pays capitalistes développés, notamment l’Allemagne, et ces tiraillement jouèrent un rôle clef dans l’émergence du G7.
Dans la pratique du système de Bretton Woods, les parités des monnaies (les taux de change) étaient fixes, mais à des niveaux révisés par chaque pays de manière récurrente. Typiquement, les monnaies autres que le dollar étaient périodiquement dévaluées par rapport au dollar (et à l’or, du fait de la convertibilité du dollar en or à un taux donné). Les capitaux circulaient dans le monde. Les investissements directs étrangers des États-Unis vers l’Europe, par exemple, ne cessèrent de croître au cours des premières décennies de l’après-guerre. Mais il existait un système de contrôle des changes qui permettait de réglementer les flux financiers et notamment de les limiter considérablement lorsque le différentiel d’inflation d’un partenaire des États-Unis laissait supposer l’imminence d’une dévaluation. A l’approche des dévaluations, le contrôle des change était renforcé ; il était postérieurement relâché. Même les États-Unis jouèrent de ces limitations aux mouvements de capitaux (jusqu’en 1974).
Au-début des années 1970, la balance commerciale des États-Unis devint régulièrement déficitaire, alors que des masses de dollars convertibles en or s’accumulaient à l’étranger. Les États-Unis demandèrent à leurs partenaires de réévaluer, ce qu’ils refusèrent. L’Allemagne se jugea particulièrement menacée par ces mouvements, car le mark apparaissait comme une monnaie refuge. Elle craignait un impact inflationniste des arrivées de capitaux. Les États-Unis brisèrent unilatéralement l’ancien système en suspendant la convertibilité en or du dollar, et en le laissant flotter, entraînant ainsi le flottement des autres monnaies. Le dollar se trouva de fait fortement dévalué.
Ces événements témoignent d’un manque de coordination internationale. Il faut noter que cette confrontation eut lieu entre pays et que les chefs d’États y jouèrent un rôle majeur, sans que le FMI y prenne la part qu’il aurait pu ou dû y prendre. L’Europe se trouva placée dans une situation toute nouvelle, et les rapports entre l’Europe et les États-Unis furent profondément modifiés. Le système monétaire évoluait alors rapidement, préparant l’entrée dans le néolibéralisme. C’est dans ce contexte, faisant ressortir la nécessité d’une coordination au plus haut niveau, que se tint la première réunion des ministres des finances, dans la bibliothèque de la Maison Blanche en 1973.
Ces conditions qui entourèrent la naissance du G7 en marquèrent profondément le cours. Dans les années qui suivirent, le contrôle des fluctuations des taux de change demeura une préoccupation centrale. Au-delà de la confiance placée dans les marchés, les États doivent se préoccuper de ces fluctuations (voir, par exemple, le communiqué de 1978 et la référence à l’engagement de Williamsburg de 1983 d’intervenir sur les marchés des changes lorsque ce sera utile ; voir également le communiqué des Ministres des Finances de 1997).
C’est précisément à ce moment que se produisit la crise pétrolière et la hausse soudaine du prix du pétrole en 1973-1974. La nécessité pour les pays développés de serrer les coudes face à l’OPEP se fit sentir de manière particulièrement évidente. Ces pays entrèrent en récessions en 1974, une contraction de l’activité d’ampleur exceptionnelle depuis la Seconde Guerre mondiale, renforçant la nécessité d’agir. La question de l’énergie restera au cúur des préoccupation des sommets, notamment le développement du nucléaire et du charbon, comme substituts du pétrole.
- La crise structurelle des années 1970 et les dernières lueurs du keynésianisme.
On perçoit très bien dans les communiqués du G7, notamment celui de 1978, l’ambiguïté de la transition où se trouvaient engagés les principaux pays capitalistes développés. La détermination-préfigurant le néolibéralisme, dite alors monétariste-à lutter contre l’inflation fut complète au niveau des déclarations dès l’origine. Le dogme qui fait de la stabilité des prix la condition de la croissance était déjà martelé dans les communiqués de l’époque. Pourtant, la nécessité de la relance était encore pleinement admise.
Dans la foulée de la crise du dollar et de la crise pétrolière, le capitalisme entrait, en fait, dans une détérioration de la situation économique à plus long terme : la crise structurelle des années 1970. La croissance et l’investissement se trouvèrent réduit durablement ; les taux de chômage s’envolèrent ; la progression du pouvoir d’achat des salariés perdit son dynamisme de l’après-guerre ; les conditions du changement technique (notamment le progrès de la productivité du travail) et de la rentabilité du capital étaient compromises.
Aux États-Unis comme en Europe, furent poursuivies des politiques keynésiennes de stimulation de l’activité ; les taux d’intérêt restèrent faibles, et, corrigés de l’inflation, ils étaient nuls ou négatifs. Les budgets étaient en déficits. Cette période fut une période de désarroi et de luttes, au cours de laquelle les alliances sociales de l’après-guerre se trouvèrent remises en question. Les pays du centre étaient en difficulté et renforcèrent leur collaboration, sans que la perspective d’une relance concertée, d’un keynésianisme mondial, soit clairement envisagée. A cette époque l’attention du G7 se porta principalement sur cette situation de crise et l’économie était au centre de ses préoccupations.
- L’ordre néolibéral : la preuve par la supériorité américaine.
Le cours des politiques fut complètement transformé par la décision de la Réserve fédérale en 1979 de hausser les taux d’intérêt aussi haut que l’exigeait la lutte contre l’inflation qui ruinait effectivement les créanciers. Cette époque fut aussi celle où Margaret Thatcher entraîna le Royaume-Uni dans l’option financière à outrance. Peu de temps après, la France de la gauche unie créa l’illusion de la poursuite des politiques de relance et de nationalisation, mais elle fut éphémère.
Ce tournant, vite pris, ouvrit une autre époque pour les pays du G7 et ses sommets. Le credo néolibéral fut très clairement formulé à partir de 1981. Après un flottement de peu d’années, au sortir de la récession de 1982 aux États-Unis (communiqué de 1983) et de la crise des institutions financières de ce pays, la croissance rebondit, ouvrant une ère de triomphalisme néolibéral. Curieusement, malgré le rappel du chômage « dans certains de nos pays », de la volonté de faire baisser les taux d’intérêt, et de la nécessité de la vigilance par rapport aux mécanismes monétaires et financiers, l’optimisme américain s’imposa dans les communiqués (voir celui de 1986 : « l’efficacité des politiques que nous nous sommes engagés à appliquer » ou celui de 1988 : « la plus longue période de croissance économique dans l’histoire de l’après-guerre »). Implicitement, selon l’argumentaire des déclarations, les États-Unis avaient fait la démonstration de la supériorité du néolibéralisme. La croissance demeurait beaucoup moins forte en Europe, alors que le Japon faisait encore excellente figure. Pourtant toutes les performances avait diminué par rapport aux premières décennies de l’après-guerre.
Cet optimisme néolibéral qui traverse les communiqués du G7 de l’époque, témoigne de l’extraordinaire emprise des États-Unis sur ses partenaires : une seule voie était clairement tracée vers la prospérité : celle des États-Unis néolibéraux ! Le tournant vers le néolibéralisme pris en Europe, et plus tard au Japon, prouve que la coordination qu’assurait le G7 et les relations prévalant entre pays dominants en général, était très réelle. Elle coïncida avec la mondialisation du nouvel ordre néolibéral, que le G7 allait piloter en pleine euphorie.
En 1991, commença, cependant, une contraction des taux de croissance. De 1991 à 1994, les communiqués réaffirmèrent les principaux dogmes du credo néolibéral, en particulier l’équilibre budgétaire et la rémunération de l’épargne. En 1993, certaines concessions verbales étaient faites à la relance japonaise, mais les déficits devaient s’accompagner d’un engagement à l’équilibre à plus long terme. Les derniers communiqués, de 2001 et 2002, restent muets concernant la récession de 2000-2001 aux États-Unis ou, dans tous les pays, la chute de la bourse.
- Tenir le cap dans la tempête qui secoue les autres.
Le capitalisme néolibéral entraîna derrière lui la chaîne de dégâts extérieurs dont il est un des principaux responsables : notamment la crise de la dette des pays de la périphérie et la succession des crises monétaires et financières en Asie, en Russie, en Turquie et en Amérique Latine. Pour le G7, le message est limpide : les pays de la périphérie doivent continuer, aller plus avant dans la libération des échanges, des mouvements de capitaux, l’équilibre budgétaire et les réformes structurelles. L’enjeu est la mondialisation de l’ordre néolibéral : l’extension à l’ensemble de la planète du terrain de chasse du capital international.
L’exemple de la crise mexicaine de 1994 est limpide. Après un appel au FMI pour intervenir rapidement et promouvoir un contrôle des mécanismes monétaires, les vertus de la mobilité des capitaux sont affirmées sans vergogne : il faut « que les pays soient continuellement encouragés à éliminer les restrictions posées aux marchés des capitaux » (communiqué de 1995). De la même manière, les communiqués applaudissent toujours à la transition des pays de l’ancien bloc soviétique, dont les performances sont cependant décevantes. Il n’y a pas de raison de mettre en doute la sincérité des dirigeants lorsqu’ils parlent et agissent dans ce sens, car ces politiques sont dans la ligne de celles qu’ils ont mises en úuvre dans leur propre pays, et conformes à la vision qu’ils ont des intérêts de leurs pays.
La crise asiatique est analysée dans le communiqué de 1998, sans émotion excessive : « Les perspectives mondiales demeurent dans l’ensemble bonnes. Depuis notre dernière rencontre, toutefois, elles ont été temporairement assombries par la crise financière en Asie ». Le credo néolibéral est alors réaffirmé avec la conviction habituelle : (1) la crise est due au manque de transparence et à la mauvaise gestion des affaires publiques ; (2) le plan du FMI est la solution à court terme ; (3) à plus long terme, il faut renforcer la liberté du commerce et le libre mouvement des capitaux ! La même démarche se poursuit en 1999, avec les crises en Russie et en Amérique Latine. Tout repose sur des faiblesses institutionnelles (dans les pays touchés) et l’« attention insuffisante au risque » de la part des banques et investisseurs internationaux.
- Dénégation et bons sentiments : non-développement, croissance des inégalités, et destruction de la planète.
A l’inverse des exhortations à la poursuite de la marche en avant du néolibéralisme, toutes les recommandations relatives à l’aide au développement, à l’éducation, à la santé et à la préservation de la diversité culturelle et de la planète, auxquelles sont consacrées toujours plus d’espace dans les communiqués (jusqu’à la formation du Nouveau partenariat pour le développement lors du sommet de 1996), ont un caractère différent. Le zèle néolibéral cède ici largement la place à la propagande, même si personne n’a effectivement intérêt à la perpétuation des aspects les plus choquants des déséquilibres économiques et écologiques mondiaux, et si des mesures sont suggérées comme l’allégement de la dette des plus pauvres (l’initiative d’allégement de la dette de Cologne, 1998) puis son éventuelle extension (la liste des pays concernés en 1999 est : Bénin, Bolivie, Burkina Faso, Honduras, Mauritanie, Mozambique, Ouganda, Sénégal et Tanzanie, étendue à 23 pays en 2001).
Le discours reste pourtant le même, celui de l’harmonie universelle : tout le monde profitera du développement de l’Afrique subsaharienne, tout le monde bénéficiera de la préservation de l’atmosphère... (voir le communiqué de 1988 où apparaît le terme développement durable qui devient ensuite un leitmotiv). De la même manière, et réciproquement, le développement de la périphérie est subordonné à la prospérité des pays du centre : notre prospérité doit être assurée, car elle conditionne la vôtre !
Les risques liés au changement climatique sont affirmés vigoureusement en 1995, en référence à la conférence Kyoto, de même que les problèmes de santé, ou le clonage. Ces thèmes seront complétés par ceux des biotechnologie, du génome humain et de la sécurité des aliments.
- La montée des inquiétudes : vers une réforme du néolibéralisme ?
Tous les caractères du néolibéralisme apparaissent avec une netteté extrême dans le fonctionnement et les communiqués du G7. Jusqu’au début des années 1980, seul le prix du pétrole témoignait dans les communiqués d’une agression extérieure mettant en danger la prospérité des pays dominants. Mais le monde extérieur prit graduellement un poids croissant dans les préoccupations des dirigeants du groupe, et le ton change au milieu des années 1995, à la suite de la crise mexicaine de 1994.
La nécessité d’une réforme des institutions financières internationales fit alors son apparition comme une urgente nécessité. Sont visés le FMI et les Banques Multilatérales de Développement, soit le Groupe de la Banque Mondiale et les banques régionales de développement (comme la BERD en Europe). Le tableau des réformes est précédé dans le communiqué de 1995, par la réaffirmation des principes fondamentaux du néolibéralisme, notamment de l’ouverture des frontières commerciales et financières : il ne s’agit pas de remettre en question les règles, mais d’en contrôler le fonctionnement, compte tenu des dégâts. Ces dégâts ont moins trait, dans l’esprit des responsables du G7, à la réduction des taux de croissance de certains pays engagés dans les réformes néolibérales ou la croissance des inégalités et de la misère, mais l’instabilité monétaire et financière susceptible de compromettre la mondialisation du néolibéralisme.
La réforme, telle qu’elle est décrite dans les communiqués, aurait d’abord pour objectif d’accroître l’information et le contrôle exercé par le FMI (dont les avertissements pourraient être doublés, le cas échéant, par les pressions des gouvernements de certains pays), ainsi que le contrôle des marchés financiers. A cela s’ajoute l’augmentation du potentiel d’intervention du FMI, les pays du G10 étant disposés à lui consentir des crédits (selon les Accords Généraux d’Emprunt). Quant aux Banques Multilatérales de développement, il est fait allusion aux critiques qui leur sont adressées et elles sont incitées à accroître leur efficacité. L’ensemble du dispositif est longuement repris et étendu (notamment la notion de contrôle prudentiel s’impose) dans le communiqué de 1996, toujours en référence au Mexique, puis dans celui de 1998, dans la foulée de la crise asiatique. Mais les recommandations restent fondamentalement les mêmes. Apparaît, cependant, la préoccupation d’« aider les pays à se préparer aux mouvements de capitaux », ainsi que la nécessité de renforcer les systèmes financiers nationaux (leurs contrôles) et de promouvoir un gouvernement d’entreprise selon les principes néolibéraux.
Il faut noter que cette réforme s’étend à l’ONU, dans le domaine économique et social (qui fait l’objet d’un long traitement dans le communiqué de 1996).
III - Le meilleur des mondes capitalistes et les forces du mal, ou la politique du G7 puis du G8.
De manière croissante au fil des années, les préoccupations politiques firent leur entrée dans les communiqués du G7/G8. La chronologie des recommandations est évidemment dictée par les faits.
- L’autre empire : l’URSS.
Le thème des pays socialistes, en particulier de l’URSS, était originellement présent dans les communiqués du G7 sous le couvert lénifiant de la coopération économique. Partant du postulat que l’extension des échanges est toujours souhaitable, ces pays étaient spécifiquement nommés : il fallait étendre les échanges, pourvu qu’ils ne mettent pas en danger la sécurité des pays du G7.
La première question spécifiquement politique qui apparaît dans les communiqués (en 1980) est l’occupation de l’Afghanistan par l’URSS. Mais ne s’agit que d’une déclaration d’opposition qui se prolongera dans les années suivantes, jusqu’au début du retrait, salué en 1988.
Les choses changèrent avec le commencement de la perestroïka (voir le communiqué de 1990 : « la renaissance de la démocratie dans la majeure partie du monde »). Les dirigeants des 7 pays saluèrent la volonté de changement, et la porte s’entrouvrit graduellement. En juillet 1989, Mikhaïl Gorbatchev envoya une lettre à François Mitterand, demandant d’être associé aux sommets. Gorbatchev se rendit à Londres en 1991, où il rencontra les présidents. A cette occasion, les derniers obstacles à la réduction des armements stratégiques (START) furent levés avec George Bush. La suite des contacts revint à Boris Yeltsine et des réunions furent tenues avec ce qui était devenu la Russie, en 1992 et 1993. A partir de l’année suivante, on entre dans le processus d’intégration de la Russie.
- Mondialiser en paix : les conflits régionaux.
Sans qu’on sache quelle fut leur importance antérieurement dans les discussions entre chefs d’État, les conflits régionaux, militaires, politiques et sociaux, font leur apparition dans les communiqués à partir du début des années 1980.
Au cours de cette décennie, on peut mentionner : les affrontements au Moyen Orient (Israël, Palestine, Liban), la guerre Iran-Irak, le conflit au Cambodge, l’apartheid en Afrique du Sud, la réunification de l’Allemagne, les réformes en Europe de l’Est, et la répression de la place Tian An Men.
Au cours des années 1990 : la guerre du golfe (avec les coups de chapeau à l’ONU), le conflit Israélo-palestiniens et les autres pays arabes, les divers épisodes des guerres et violences sur de territoire de l’ex-Yougoslavie, le retour de la démocratie au Chili, la tragédie du Bangladesh, la crise de la corne de l’Afrique, Haïti, la Libye, le salut au processus de paix israélo-palestinien, les accords de Belfast, etc.
Les jugements et recommandations formulées en ces occasions sont des déclarations édifiantes de pacifisme et d’attachement aux valeurs démocratiques. Aucune des dictatures bénies par Washington à cette époque ou dans le passé n’est mentionnées comme objet de préoccupation, sauf éventuellement lorsqu’elles disparaissent : la famille Somoza (1936-1979) au Nicaragua, le Shah d’Iran (1941-1979), Marcos (1966-1986) aux Philippines, Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak (1980-1990), Pinochet (1973-1990 et plus) au Chili, Suharto (1967-1998) en Indonésie, Mobutu (1967-1999) au Zaïre.
Une seule illustration suffira à éclairer la teneur des communiqués : à la suite de l’intervention des États-Unis au Panama (décembre 1989-Janvier 1990), de la défaite électorale des Sandinistes au Nicaragua en février 1990 au terme de dix ans de subversion de la part des États-Unis, à la fin du règne de Pinochet au Chili, dont on connaît les liens internationaux et le rôle dans l’établissement du néolibéralisme à échelle mondiale, le communiqué de 1990 salue-nommément dans chacun de ces cas-les efforts tendant au rétablissement de la démocratie ou son retour ! Ces affirmations prennent tout leur sens quand on les relie au long développement sur les « droits de l’homme » du communiqué de l’année précédente.
La menace insidieuse : le terrorisme.
Le thème du terrorisme est ancien, déjà présent dans le communiqué de 1978 qui appelle à suspension de tous les vols vers et depuis les pays qui soutiennent le terrorisme. Dès 1990, il est fait mention de la « résurgence de l’intolérance qui affecte des groupes ethniques et religieux », et les Talibans sont montrés du doigt en 2000. Mais l’indignation explose, comme on peut s’en douter en 2002, après les attentats du 11 septembre 2001.
IV - Un bilan difficile : la parole et l’action.
La grande difficulté dans l’appréciation du rôle du G7/G8 est la confusion possible entre la parole et l’action : ce qui est dit dans les communiqués et le rôle joué par les sommets dans la conduite des affaires du monde. On sait ce que dit le G7/G8 et non ce qu’il fait.
Il faut donc lire derrière les mots.
On enregistre assez clairement un glissement en trois étapes dans le contenu des communiqués. Pendant les premières années, furent abordés les problèmes économiques des pays participants, dans le contexte de la crise monétaire internationale et de la crise structurelle des années 1970. On détecte alors un effort de coordination, la volonté d’éviter les affrontements et le désir de maîtriser de nouveaux mécanismes, comme le flottement des cours des changes. Ce fut une période de relative sincérité. L’affirmation du néolibéralisme devint ensuite le thème central. Une grande autosatisfaction fut affirmée. Les problèmes (comme la poursuite du chômage en Europe) étaient reconnus, mais ils confortaient la détermination à aller de l’avant. A partir du milieu des années 1990, une posture défensive vint se superposer à cette satisfaction, du fait de la multiplication des crises monétaires et financières propres au néolibéralisme (y compris, sans doute, en fin de période, la chute de la bourse pudiquement laissée dans l’ombre). Cette préoccupation se doubla finalement de la prise de conscience de la montée de la contestation et des résistances. Le résultat en fut l’importance grandissante des composantes visant à l’affirmation des bons sentiments dans les communiqués, qui se vidèrent ainsi de réelle substance. Au début des années 2000, on pourrait croire que la préoccupation numéro 1 des gouvernements des principaux pays est la lutte contre la pauvreté, l’amélioration des conditions de vie et la préservation de la planète !
La considération de la montée des résistances apparaît dès le communiqué de 2000 : « Nous devons reconnaître les préoccupations que suscite la mondialisation ». L’indignation est manifeste après les manifestations de Gênes : « nous ne pouvons pas laisser une minorité violente perturber nos discussions sur les graves questions qui se posent dans le monde » (communiqué de 2001). Mais le credo mondialisateur est réaffirmé avec la violence usuelle : « Intégrer les pays pauvres dans l’économie mondiale est le moyen le plus sûr de répondre à leurs aspirations fondamentales » (communiqué de 2001).
La séquence, sincérité face à des problèmes, autosatisfaction face à la prouesse de l’établissement de l’ordre néolibéral, défensive face à certains écueils, est révélatrice de la nature de l’institution, des rapports effectivement établis entre États du G7/G8, et des évolutions du monde capitaliste. La nature de l’institution : à l’image des dominations et compromis sociaux dans chaque pays et reflétant leurs transformations du keynésianisme au néolibéralisme. Les rapports entre États : la domination des États-Unis dans le système de Bretton Woods et lors de sa dissolution, puis l’hégémonie américaine dans l’imposition du nouvel ordre néolibéral qui affecte profondément l’Europe et le Japon. Les évolutions du monde capitaliste : les crises du système monétaire international et la crise structurelle, puis le néolibéralisme et sa mondialisation.
La formule gouvernance mondiale est souvent mise en avant pour caractériser l’action du G7/G8. Cette institution n’est cependant pas un gouvernement mondial, bien qu’on y retrouve toutes les modalités du pouvoir global, tel qu’exercé par les principaux pays capitalistes. Les tensions qui les opposent apparaissent quelque peu dans les premières années, quoique l’ambiance des communiqués soit toujours euphorisante. Elles disparaissent graduellement. La prépondérance des États-Unis est clairement évidente, comme figure de proue de l’ordre néolibéral et la soumission générale va croissant.
S’il n’est pas un gouvernement, le G7/G8 est donc indubitablement une des institutions clefs où se forme ce pouvoir mondial sous hégémonie américaine. Le fait que les réunions rassemblent directement les chefs d’États, qui revendiquent constamment une relation directe, informelle et à huis clos, une sorte de conseil de famille au plus haut niveau, montre bien qu’il s’agit d’un lieu privilégié de la formation du consensus qui unit ces pays, malgré leurs spécificités.
Les communiqués les plus récents révèlent la confirmation d’un front commun face aux contradictions de l’ordre néolibéral et aux résistances qu’il suscite. Mais il faut également comprendre que ce consensus n’est pas sans faille, comme le montre l’opposition actuelle à la guerre à l’Irak. Les enjeux sont évidemment politiques, mais également économiques. Dans le cas de l’Irak, la question du poids relatif des entreprises des différents pays (des États-Unis et de l’Europe) est posé. Cette situation sera évidemment au cúur du prochain sommet en juin 2003. L’union fait la force des riches mais ne les pacifie pas pleinement, même s’il croient habile de nous parler toujours d’une même voix, celle de la vertu et de la sagesse !
* MODEM-CNRS, Université de Paris X-Nanterre, 200, av. de la République, 92000 Nanterre, France. Email : gerard.dumenil@u-paris10.fr.
** CEPREMAP-ENS, 48, bd Jourdan, 75014 Paris, France. Email : dominique.levy@cepremap.ens.fr.
[1] « Cependant, nous croyons que nos Sommets devraient être moins solennels, avec moins de participants, moins de documents et de déclarations, et davantage de temps consacré aux discussions informelles entre nous, de manière à ce qu’ensemble, nous puissions mieux répondre aux grandes questions qui nous préoccupent tous ».
[2] La mention, en 1998, des lignes directrices de l’OCDE en matière de gouvernement d’entreprise est l’occasion de l’unique référence à cet aspect du néolibéralisme