Lettre d’opinion de :
Ève-Lyne Couturier, Chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)
Philippe Hurteau, Chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)
Édition du vendredi 02 octobre 2009 du Devoir
Si l’on en croit le discours tenu cette semaine par les dirigeants politiques, on pourrait penser que le Québec est au bord de la catastrophe budgétaire et que seule une hausse des tarifs d’Hydro-Québec et de l’ensemble des services publics pourrait lui faire éviter le pire. Cette rhétorique cache une volonté de transférer le poids de la fiscalité des contribuables aisés vers la classe moyenne et les plus pauvres.
L’affirmation selon laquelle le gouvernement québécois ne disposerait d’aucune marge de manoeuvre budgétaire s’avère une demi-vérité. Le déficit appréhendé cette année ne provient pas uniquement d’une chute de revenus soudaine causée par la récession. Il provient bien davantage du fait que, depuis l’an 2000, les différents gouvernements à Québec ont renoncé à près de 10 milliards de revenus en accordant des réductions d’impôts aux particuliers les plus aisés.
Fiscalité québécoise
Il est étrange que le gouvernement actuel s’étonne de ne pas disposer des moyens nécessaires pour remplir ses différentes missions sociales. Il est encore plus étrange que celui-ci souhaite récupérer, au moyen de tarifs, ce à quoi il avait renoncé avec ses baisses d’impôt. Ainsi, le gouvernement vise à remplacer l’imposition directe, qui est progressive, par un système régressif de tarification. Le principe de progressivité de l’impôt s’appuie sur l’idée que la contribution fiscale doit augmenter en fonction du niveau des revenus des contribuables. Les tarifs, eux, s’appliquent à tous de la même façon, sans égard à la capacité de payer des agents économiques.
Le gouvernement libéral de Jean Charest, poursuivant l’oeuvre entamée en 1996 par Lucien Bouchard et son projet de déficit zéro, compte démanteler les mécanismes de redistribution de la richesse sous prétexte de stimuler la « compétitivité » économique en créant un « environnement fiscal concurrentiel », c’est-à-dire en réduisant les contributions exigées des grandes industries et des investisseurs nantis. Le gouvernement s’en remet donc aux particuliers, qu’il entend ponctionner à l’aide de tarifs, notamment en augmentant le prix de l’électricité.
Mesure inéquitable
Pour justifier sa décision d’augmenter les tarifs électriques, le gouvernement invoque fallacieusement la justice sociale et l’efficacité énergétique.
Or, en premier lieu, il est faux de prétendre que les bas tarifs sont des subventions aux plus fortunés puisque la consommation d’électricité n’augmente que marginalement avec l’accroissement des revenus des ménages. Ainsi, selon des données fournies par Hydro-Québec à la Régie de l’énergie, une famille gagnant 32 000 $ par année paiera une facture globale d’électricité de 1200 $, ce qui représente près de 4 % de ses revenus. De leur côté, le 10 % des ménages les plus riches consomment à peine plus de 2000 $ d’électricité par année, ce qui ne représente que 1,2 % de leur revenu. Immanquablement, une augmentation des tarifs affecterait plus les ménages à faible revenu ou ceux de la classe moyenne que les ménages aisés.
Environnement
Le deuxième argument pour l’augmentation des tarifs s’avère aussi inexact que le premier. Les tarifs d’électricité de la catégorie domestique sont divisés en deux paliers. Le premier correspond à la consommation de base pour une famille moyenne, et le reste est facturé au deuxième palier à un prix légèrement plus élevé. Or, malgré une augmentation des tarifs, les besoins de base restent les mêmes.
Les estimations de l’élasticité-prix de l’électricité dans un pays nordique indiquent qu’une hausse de 10 % des tarifs n’entraînerait qu’une baisse de 2 à 4 % de la consommation. C’est donc dire que les bénéfices environnementaux marginaux de cette mesure ne sauraient compenser les inégalités socio-économiques qu’elle provoquerait.
Les économies réalisables auprès des consommateurs domestiques sont minimes comparativement à ce qui pourrait être obtenu en mettant l’accent sur les tarifs offerts aux entreprises, notamment à travers les contrats confidentiels signés avec les très grands consommateurs industriels.
Augmenter les impôts plutôt que les tarifs
Pour combler le déficit actuel des finances publiques, l’augmentation des tarifs d’Hydro-Québec s’avère une solution inéquitable sur le plan social, inefficace sur le plan environnemental et inadéquate quant aux finances publiques. Pour augmenter substantiellement les revenus de l’État tout en respectant les principes de justice sociale chers aux Québécois, une révision à la hausse des contributions fiscales exigées des plus fortunés et des grandes entreprises doit être préconisée.
À l’opposé, la motivation profonde du gouvernement semble plutôt être la maximisation de la rentabilité d’Hydro-Québec, un moyen de rendre la société d’État plus attrayante encore dans une éventuelle perspective de privatisation. En prétendant maintenir les services publics grâce à l’augmentation des tarifs, le gouvernement procède en fait à une restructuration pernicieuse de leur mode de financement. Celle-ci mine les principes d’équité et d’universalité qui assurent que les risques inhérents au vivre-ensemble sont assumés collectivement.