Tiré du site PTAG
mardi 29 juin 2010, par Pierre Mouterde
On croit rêver : alors que sur fond de crise et d’allégations de corruption, le budget Bachand a été voté sous le bâillon, avec son cortège de hausses de tarif et de taxes régressives, on apprend que le Front commun vient de signer avec le gouvernement une entente de principe « innovatrice ».
Une entente qui est pourtant à cent lieues de ses demandes initiales, sans parler du fait qu’elle laisse pour l’instant hors jeu les conditions de travail sectorielles des 55 000 infirmières !
Certes, rien de ces ententes –aux tables sectorielles comme à la table centrale—n’a encore été avalisé par les assemblées locales de chaque syndicat. Mais on peut facilement imaginer qu’en cette période estivale, la plupart des votes –tout au moins dans le secteur de l’éducation— ne se passeront qu’à la rentrée et que d’ici là, les grandes centrales auront le temps nécessaire pour convaincre le syndiqué de base isolé ou les syndicats récalcitrants qu’il n’y a pas, par les temps qui courent, de meilleure entente que celle-là.
De toute manière, à y regarder de près, on peut même se demander si plutôt qu’à un véritable Front commun, on n’a pas eu affaire à une sorte de cartel syndical fictif étroitement contrôlé par le haut. En effet chaque fédération a jusqu’à présent travaillé en solo concluant, aux tables sectorielles, des ententes séparées, craignant plus que tout d’être doublée par sa rivale potentielle et pariant implicitement sur la possibilité d’un décret gouvernemental lui commandant de sauver les meubles et par conséquent de signer au plus vite pour limiter les pots cassés.
Quant aux trois chefs syndicaux, ils ont parrainé une entente si loin de ce qui avait été laborieusement entériné par toutes les instances (11,5% sur trois ans) —et cela sans se donner les moyens de sonder véritablement leurs bases respectives sur la valeur d’une telle contre-proposition— qu’on peut légitimement se demander s’ils tiennent en haute estime la démocratie syndicale ! Alors que pendant des mois et des mois, on avait préparé dans les assemblées locales des cahiers de revendication et qu’on avait cherché à les harmoniser avec ceux des autres centrales, voilà qu’en quelques jours, à l’abri des regards et des discussions collectives, loin de toute mobilisation commune, il nous est concocté une entente qui, outre des reculs en termes d’organisation du travail, avalise pour de nombreuses années l’appauvrissement collectif des 475 000 salariés du Front commun. Rien de moins, rien en tous cas pour bonifier l’image, déjà passablement écornée, des syndicats, ni pour redorer celle de la fonction publique québécoise dont le rôle « d’amortisseur des effets de la crise » a pourtant été notoirement reconnu.
Baisse du pouvoir d’achat
Il ne faut pas oublier qu’il y a quelques mois en arrière, le discours syndical se faisait fort de rappeler qu’entre 2005 et 2010, outre le fait d’avoir été soumis à une loi foncièrement anti-démocratique (loi 142), imposant injustement un quasi décret, les salariés de l’État québécois avaient perdu 4 % de leur pouvoir d’achat. De quoi afficher un retard salarial de 8,7% par rapport à l’ensemble des autres salariés, alors que 25% d’entre eux n’avaient même pas la sécurité d’emploi. Or voilà que, si on se fie aux données publiées dans les journaux, non seulement l’entente de principe signée par les 3 chefs pour les 5 prochaines années fait une croix sur un rattrapage possible vis-à-vis des pertes encourues dans le passé, mais encore entérine une sorte de baisse du pouvoir d’achat pour le futur qui ne dit pas son nom, puisque si l’inflation dépasse le 1,2% d’augmentation salariale accordés, il est uniquement prévu un boni de 1% en plus à la fin des 5 ans. Ce qui, s’il y avait par exemple une inflation de 2% (c’est la moyenne historique), pourrait être synonyme d’une probable baisse du pouvoir d’achat de 3% (4% (0,8% (différence entre le 1,2% et le 2%) x 5)-1% de boni). Magnifique, surtout si vous ajoutez à cela toutes les mesures du budget Bachand (hausse de l’électricité, de la TVQ, des frais de scolarité, etc.) ainsi qu’en toile de fond les substantiels profits des grandes banques et minières canadiennes non véritablement taxées, ou la croissance exponentielle des revenus des 5% les plus riches du pays !
Il est vrai que le tout est assorti d’une mesure qui permettrait que dans les 3 dernières années de la convention, on puisse bénéficier de 0,5% puis de 1,5% et de 1,5%, au cas où il y aurait une croissance supérieure du PIB vis-à-vis des estimations gouvernementales. Mais tout cela reste –dans la période de turbulence économique que nous connaissons— fort hypothétique et nous amènerait au mieux à un quasi gel des salaires. Pas de quoi crier victoire !
Syndicalisme de partenariat
En fait, il est probablement en train de se clore la troisième étape d’un long processus historique ayant modifié en profondeur le mouvement syndical québécois et permis à la Belle province d’entrer tranquillement dans ce qu’il faut bien appeler « le moule néolibéral », s’éloignant à petits pas de tous les acquis sociaux de la période précédente.
Après avoir été sous régime péquiste « cassées » en 1983 par une loi spéciale et d’importantes coupures salariales lors du renouvellement des conventions collectives des salariés de la fonction publique, les grandes centrales syndicales sont passées peu à peu d’un « syndicalisme de combat » à un « syndicalisme de partenariat », les amenant en 1995 à soutenir activement les politiques du déficit zéro de Lucien Bouchard ainsi qu’à préférer pour une bonne partie d’entre elles la lucrative gestion de fonds collectifs aux traditionnels principes de la lutte solidaire. Résultats : plutôt que de se voir comme les défenseurs intransigeants des intérêts des salariés subalternes ou des travailleurEs précaires (en majorité des femmes), eux-mêmes plus que jamais malmenés par la crise, elles ont fini en 2010 par baisser la tête et opter pour des politiques d’entente à tout prix avec le gouvernement, fut-il un gouvernement libéral adepte d’un budget résolument anti-populaire.
D’où leur politique de l’autruche d’aujourd’hui et leur stratégie temporisatrice, loin de toute mobilisation commune et démocratique, bien loin pour sûr des espoirs de changement et de justice sociale qu’elles ont pu incarner dans le passé. De quoi sans aucun doute faire retourner Michel Chartrand dans sa tombe !
Pierre Mouterde Professeur de philosophie au Collège Limoilou Auteur de : Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation, Montréal, Écosociété, 2009