Tiré du site PTAG
Réponse à Guy Roy et Ronald Cameron
mardi 13 juillet 2010
L’entente de principe signée le 27 juin dernier par les trois chefs syndicaux serait-elle une bonne chose ? Contrairement au point de vue privilégié jusqu’alors par Presse-toi à gauche !, il s’est récemment levé un certain nombre de voix –et pas seulement du côté gouvernemental—pour en revendiquer le côté positif. Ainsi retrouve-t-on, en ce début d’été, un certain nombre de militants syndicaux et même de membres influents de Québec solidaire pour en défendre le bien-fondé. Mais sur quelle argumentation se fondent-ils ?
C’est le poète René Char qui affirmait au fil d’une belle métaphore que « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil ». Et sans doute peut-on interpréter le sens de cet aphorisme, comme un appel à ne pas avoir peur de la vérité et de ses exigences, fussent-elles cruelles et blessantes. Car même s’il est parfois douloureux de regarder les choses en face, on peut néanmoins aller plus loin, au-delà de ses propres limites et aveuglements, à se rapprocher de ce qui est la source de toute vision, le soleil.
Ce sont quelques-unes de ces images qui me sont venues à l’esprit en lisant, dans le sillage de la récente entente syndicat\gouvernement, les réactions de Guy Roy (syndicaliste à la FTQ ) et de Ronald Cameron (ex président de la FNEEQ ). Contre toute attente, l’un et l’autre, sur la base d’une argumentation relativements semblable, semblent se satisfaire de la démarche entérinée jusqu’à présent par les grandes centrales québécoises.
Pour Guy Roy en effet des « gains minimums » auraient été faits, accompagnés d’une « bonne participation des syndiqués », permettant tout au moins « de préserver les services publics » et de « rendre possible une contre offensive » ultérieure. Même son de cloche de Ronald Cameron qui précise que « délestés du poids de la négociation, les syndicats » pourront « se concentrer sur les aspects plus politiques ». Il ajoutera sur un ton plus savant, en se référant aux analyses de Jean Marc Piotte, « que le mouvement syndical a toujours eu une double dimension, à la fois d’intégration et de contestation. Et que par conséquent il faut « éviter le piège de croire que ça doit invariablement conduire au renversement du gouvernement, même s’il s’agit certainement d’une épreuve pour ce dernier. Toute entente négociée exige le consentement des deux parties ».
À se contenter de peu !
À lire ces deux séries de remarques, on peut néanmoins se demander si c’est de la même négo dont on parle et si à leur insu ces militants ne sont pas en train de se boucher les yeux, refusant de voir ce qui pourtant crève les yeux : la série de reculs –tant aux tables centrales que sectorielles—que cette entente est en passe de cautionner. C’est une chose en effet de ne pas sombrer dans le cynisme ou le pessimisme et d’être capable de saisir avec optimisme les possibles que recèle une conjoncture donnée, c’en est une toute autre de refuser de voir la réalité en face et de se nier à apprécier par exemple la valeur contre-productive de manœuvres syndicales risquant de représenter un handicap non négligeable pour les luttes sociales et politiques à venir.
En fait ces militants reprennent –sans doute à leur insu— le discours syndical dominant qui devant les coups répétés portés par les logiques néolibérales depuis bientôt une trentaine d’années, a fini par faire contre mauvaise fortune bon cœur, se contentant de peu (d’un petit pain dirait-on), choisissant délibérément, pour reprendre la nomenclature de Piotte, « l’intégration » au détriment de « la contestation », au prix cependant de biens des compromissions avec les idéaux syndicaux du passé, notamment ceux de la lutte démocratique et solidaire.
D’où la stratégie actuelle des grandes centrales qui, voulant coûte que coûte éviter un décret en pensant qu’il n’est pas opportun de confronter le gouvernement (pourtant passablement discrédité !) par le biais d’une mobilisation collective, ont préféré signer en catimini une entente à rabais, faisant fi au passage de toutes les promesses faites en la matière à leurs membres.
Mais doit-on quand on est de gauche coller aveuglément à ce point de vue ?
De nouveaux reculs !
Car il ne faut pas oublier que dans cette affaire, la FIQ (avec ses 55 000 infirmières) a été, loin de tout idéal de solidarité, purement et simplement abandonnée sur un dossier pourtant central : la question des heures de travail et du temps supplémentaire ainsi que celle de l’intromission du privé dans le secteur public de la santé.
Il ne faut pas non plus oublier que les 3 chefs ont laissé tombé –sans en référer véritablement à leur base—l’idée autour de laquelle s’était organisé le Front commun, celle d’un rattrapage salarial de 4% pour les années du décret.
Et que dire enfin du fait que les 3 chefs ont bel et bien accepté pour tous les membres qu’ils représentent une nouvelle perte de pouvoir d’achat de près de 4% pour les 4 prochaines années –parce qu’au-delà de ses aspects pseudo novateurs, c’est cela que dans les faits implique l’entente ( voir pour plus de détails mon article dans Presse-toi à gauche et le Devoir).
Le tout, alors que jamais le gouvernement libéral de Jean Charest n’avait été aussi déconsidéré auprès de l’opinion publique (par toutes ces allégations de corruption qui courent à son endroit) et n’avait en même temps –profitant de la conjoncture de la crise et du désarroi de l’opposition sociale et politique—mis de l’avant des mesures budgétaires aussi anti-populaires.
Et si l’on peut admettre avec les 3 chefs que les reculs impliqués par cette entente ne sont pas —pris en eux-mêmes—équivalents à une catastrophe déclarée, ils n’en sont pas moins de « nouveaux reculs » qui mis en perspective (1983, 1996, 2010) et combinés au taxes régressives du budget Bachand finissent, en s’accumulant, par peser lourd et surtout symboliser l’abandon de facto d’un modèle qui a fait pourtant les beaux jours du Québec. Ainsi après les 30 années de la « révolution tranquille », on se trouve en train de sceller le cours de 30 années de « régression tranquille ».
En meilleure position après ?
Reste enfin le dernier argument évoqué, une sorte de cerise sur le sunday : une fois la négociation réglée avec les 475 000 employés de l’État québécois, le mouvement syndical pourra commencer à s’occuper de politique et donc investir ses énergies dans une lutte contre les politiques budgétaires gouvernementales. Comme si les négociations des conventions collectives du secteur public et les mesures du budget Bachand n’étaient pas étroitement reliées, et comme si il n’y avait pas eu là une merveilleuse occasion à saisir, pour obliger un gouvernement –passablement discrédité par des allégations de scandales en série—à refaire ses devoirs ! Une occasion perdue qui inévitablement pesera lourd dans la suite des choses !
Sans doute, on sera bien content si à l’automne les 3 chefs décident de partir quand même en guerre contre le budget Bachand. Mais seront-ils en meilleure position pour arriver à leurs fins ? On peut en douter ! Et avec quel rapport de force à leur disposition ? D’ailleurs qui les prendra vraiment au sérieux, à se rappeler comment ils ont si facilement pactisé avec le gouvernement, loin de toute pratique solidaire et démocratique, leurs bottines ne suivant décidément pas leurs babines ?
Pas de doute, si l’on veut arrêter la machine néolibérale, il faut plus que des petites prudences ou des ententes signées en catimini. Il faut de la lucidité et de l’audace, ce qu’Antonio Gramsci appelait en son temps « le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté »
Saura-t-on, à gauche, le comprendre ?