Tiré du site de la LCR Belge
Par P. de Arruda Sampaio, J.Terrié, G.Brito, V.Nader, E.Herrera le Mardi, 06 Juillet 2010
Les prochaines élections présidentielles au Brésil se tiendront le 3 octobre 2010. Face à la candidature soutenue par l’actuel président Lula Da Silva (Parti des travailleurs, PT), la gauche anticapitaliste apparaît divisée, à l’image des mouvements sociaux et syndicaux contestataires. Or, ces élections, ainsi que l’état des luttes sociales dans ce « pays-continent », constituent un élément important dans l’évolution des rapports de forces dans toute l’Amérique latine. Nous publions ci dessous une série d’entretiens et d’articles qui dressent un bilan des « années Lula » et une analyse de la situation aujourd’hui pour les forces anticapitalistes au Brésil (LCR-Web)
Interview : « Plínio », candidat du PSOL aux présidentielles brésiliennes de 2010Plínio de Arruda Sampaio et Julien Terrié
Plínio de Arruda Sampaio ou « Plínio » est une figure historique de la gauche brésilienne. A partir de 1962, il participe au gouvernement de João Goulart pour mettre en place le projet de réforme agraire. Après le coup d’état militaire de 1964, il fait partie des 100 premiers brésiliens privés de leurs droits civiques, et s’exile au Chili. Il revient au Brésil en 1976 pour participer au mouvement pour la démocratie, et devient l’un des fondateurs du PT en 1980. A la chute de la dictature, il est élu député constituant, et fait inscrire la réforme agraire dans l’article 184 de la constitution brésilienne, utilisé alors par le Mouvement des Sans Terre (MST) dans la luttes pour les expropriations de terres. En 2005, il quitte le PT en déclarant que les programmes du PT et du PSDB (libéraux) sont semblables. Il défend désormais les courants révolutionnaires dans le PSOL. Suite à la décision d’Héloïsa Helena, candidate en 2006 (6,85% et 6, 5 millions de votes), de tenter sa réélection comme sénatrice, Plinio est désigné candidat aux élections présidentielles d’octobre 2010 pour le PSOL.
Plínio mènera donc la campagne face à Dilma Roussef (PT – Parti des Travailleurs), défendant la continuité avec le gouvernement Lula, à José Serra (PSDB – Parti social Démocrate Brésilien) représentant le front libéral et à Marina Silva (Parti Vert) soutenue par les secteurs de l’éco-capitalisme (son candidat à la vice présidence, Guilherme Leal, est PDG de la multinationale NATURA, il est classé 463e fortune mondiale par le magazine Forbes).
Quel a été l’impact de la crise au brésil ?
L’impact de la crise ici est très contradictoire. La crise mondiale a totalement fermé des opportunités d’investissement de capitaux en Europe, aux Etats unis au Japon, et dans les pays dynamiques économiquement. Les capitaux qui ne peuvent plus investir dans ces pays cherchent donc ailleurs. Nous avons, au Brésil, les plus forts taux d’intérêt pour le capital investi, nous avons ainsi eu un afflux d’investissements étrangers. Ceci a certes créé des facilités de change pour le gouvernements brésilien, mais les investissements sont conditionnés selon les besoins des pays impérialistes : les exportations industrielles sont freinées, ce qui entraine la montée du chômage dans l’industrie, et au contraire les exportations agricoles ou de matière première explosent car la demande internationale est énorme.
Donc la crise a finalement aidé à la nouvelle insertion du Brésil dans la division internationale du travail. Elle a fait que le Brésil a enterré le projet de nation industrielle, pour redevenir une nation exportatrice de matière première. On est en train de vivre une néocolonialisme… commandé par les forces du « marché ». C’est une situation très grave.
Quel est le Bilan de huit ans de gouvernement Lula ?
Le gouvernement Lula a une grande valeur symbolique. C’est le premier homme du peuple, un nordestino, pauvre, immigré vers le Sud et avec une enfance et adolescence très difficile, qui est arrivé au pouvoir au Brésil. Ce fait est historique et c’est un paradigme en soi. Maintenant, le rôle qu’il a eu est extrêmement néfaste.
Le fait d’exporter tant de produits agricoles et de matières premières entraine de fortes recettes de capitaux pour l’Etat sous forme de revenus fiscaux. Le gouvernement utilise alors cette manne fiscale pour mener des politiques assistancialistes pour les plus pauvres.
Grâce à cela, il gagne à court terme un énorme soutien populaire, mais il est en train de pourrir la société brésilienne, parce que l’éducation, la santé restent terribles, ainsi que la sécurité sociale. Les pauvres brésiliens peuvent aujourd’hui acheter des frigos, et pensent qu’ils sont en train de changer de classe sociale. La situation est extrêmement sérieuse car on assiste en réalité à la dilution des organisations sociales : comme Lula a un énorme soutien populaire (80% d’opinion favorable), il oblige les leaders de ces organisations – qui sont pour la plupart des organisations socialistes – à accepter, par la pression populaire, une politique qui n’a rien de gauche. Ceci génère d’énormes divisions dans le mouvement social : il n’y a aucun mouvement social ici qui ne soit pas divisé, et ceci est grave.
D’un autre côté, Lula construit une relation populiste d’un autre temps, qui est une relation entre la masse et un leader sans l’intermédiaire d’un parti. Ce gouvernement est profondément néfaste pour la moindre conquête sociale réelle au Brésil. Certains disent que Lula est le « Père des pauvres et la Mère des riches », car ces derniers n’ont jamais autant fait de bénéfice que pendant ces huit dernières années.
Le capitalisme brésilien a changé avec Lula ?
Le capitalisme Brésilien a réellement changé pendant la dictature militaire. Comme le disait Florestan Fernandes [1] le capitalisme brésilien a fait sa révolution bourgeoise à cette époque, une révolution bourgeoise sous domination nord américaine, et depuis ils restent subalternes. On peut dire que l’on a ici une bourgeoisie qui « marche à la commission », qui reçoit essentiellement les retombées sous forme de commissions des énormes bénéfices que les multinationales font dans ce pays. C’est une bourgeoisie sans ambition à l’étranger, ou alors vers quelques secteurs dans d’autres pays d’Amérique Latine, mais toujours dans cette même logique de commissions. Par contre, ici, ils ne cèdent rien, ils se comportent de façon extrêmement caricaturale, violente, ce qui fait de la société brésilienne l’une des plus violentes au monde.
Quels sont les axes principaux de votre campagne ?
Notre campagne est une campagne de contre-feux : les deux candidats des deux partis bourgeois ont fait en sorte que la campagne soit très courte, très restreinte (elle se fera seulement en 3 mois dans un pays-continent), car leur but est de noyer les sujets sociaux. Ils ne veulent pas discuter des problèmes réels du pays parce qu’ils savent qu’indépendamment de leur volonté, la conjoncture internationale va les obliger à remplacer les mesures populistes par des mesures d’austérité. Ils ne veulent pas que le peuple en ait conscience, et ils ne veulent pas que le peuple puisse voir des alternatives.
Nous voulons faire un contre-feux aux trois idées forces de leur consensus : 1.« tout va bien » 2.« cela va encore s’améliorer » et 3.« il n’y a pas d’alternative au capitalisme ».Nous allons dire que « cela ne va pas si bien » ; que « ça ne va pas s’arranger » et qu’« il existe un projet d’un Brésil socialiste ».
Dans cette optique, nous sommes en train de bâtir un programme qui n’est pas un programme socialiste, car nous ne sommes pas en condition de faire une rupture radicale aujourd’hui, mais il avance l’idée d’anticapitalisme, et sert à semer largement les idées socialistes. Par exemple, nous allons défendre des solutions qu’aucun d’eux n’aura le courage d’assumer, pour montrer que leur discours est une arnaque. Nous allons proposer une réforme agraire radicale : toute propriété de plus de 500 hectares sera expropriée pour être rendu à la population rurale, grâce à des propositions simples qui règlent largement certains problèmes structurels du Brésil. Nous voulons faire apparaitre clairement que le bilan de Lula sur cette question-là est très mauvais, et que leurs politiques ne servent qu’à maintenir la situation d’inégalité actuelle. C’est dans cette optique que nous allons mener la campagne.
Il y a des séminaires régionaux de constitution du programme. Qu’en est-il sorti ?
On arrive au même point : nous devons faire un programme extrêmement radical, pour choquer vraiment ! Choquer la bourgeoisie, la classe moyenne, les réactionnaires. Nous devons éviter tout discours doctrinaire mais proposer des mesures qui sont contradictoires avec les bases mêmes du capitalisme ; ce sont celles-là qui conscientisent, et notre principale tâche est conscientiser. Un thème important pour nous est l’éducation : on doit nationaliser toute l’éducation et permettre aux écoles communautaires qui ne font pas de profit de rester indépendantes pour garantir une liberté de pensée.
Les questions environnementales sont fondamentales, par exemple l’eau, une façon pour nous de mener ce combat de contre-feux, sera de parler de l’accès et de l’assainissement de l’eau comme une question de droit de l’Homme.
Outre la réforme agraire, nous luttons aussi pour une réforme urbaine, pour la création d’emplois publics afin d’améliorer le quotidien et surtout les logements. En ce moment, ici à Fortaleza, 1.500 familles occupent un terrain en pleine ville avec le MST et le MCP (Mouvement des Conseils Populaires) pour obtenir cette réforme urbaine.
Les violences ici au Brésil sont dirigées principalement contre les femmes et les adolescents, et contre les noirs, il y a beaucoup de racisme. Les adolescents des favelas sont victimes du crack, de la police et du trafic de drogue, il y a un besoin urgent de justice sociale et pénale au Brésil et des besoins en terme d’infrastructure, d’éducation et de travail culturel pour sortir de la catastrophe humaine que nous vivons.
Les femmes doivent pouvoir disposer de leur corps, la question de l’avortement a toujours été une question délicate au Brésil, mais nous ne devons pas hésiter : je suis catholique et je défends non pas la dépénalisation, mais la légalisation de l’avortement, parce qu’une femme pauvre en meurt et une riche peut le faire sans danger. Je vais aux gay pride, et je pense que les LGBTs peuvent se marier et adopter des enfants. Le conservatisme de ce pays ne sert qu’à oppresser un peu plus notre peuple.
Quel type de soutien peut avoir le PSOL dans les mouvements sociaux ?
Nous sommes dans une phase de reflux du mouvement social, c’est la plus grosse difficulté du PSOL aujourd’hui, car quand on a fondé le PT en 1980, nous étions au sommet d’une grande agitation populaire et il était facile de recruter et d’obtenir des soutiens. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de reflux et de division, et dans cette division, le Psol reçoit le soutien d’une partie seulement du peuple organisé. Il y a deux jours, j’ai été invité pour parler avec 3000 jeunes du MST parce que l’un des dirigeants soutient notre candidature. Nous avons ce type d’appui, même partiel, dans les organisations de masse rurales, et nous avons un soutien de la théologie de la libération dans les communautés ecclésiastiques de base qui existent encore. Nous sommes aussi soutenus par des groupes dans les syndicats combatifs Conlutas et Intersindical. en fait, nous avons un réel soutien d’une partie des mouvements combatifs, mais toujours dans ce contexte de reflux profond des mobilisations.
Peut-on s’inspirer des pratiques du Mouvement des Sans Terre (MST) pour mobiliser les plus démunis pour construire un projet politique socialiste pour le Brésil ?
Il faut ! C’est la meilleure pédagogie que je connaisse, je ne connais aucun autre secteur de la société brésilienne ayant cette capacité à former politiquement en élevant réellement le niveau de conscience sociale et politique des pauvres et des exclus. Je viens de parler de ces 3.000 jeunes Sans Terre : ils ont tous entre 20 et 30 ans, logés dans un gymnase, organisés en petits groupes, tout le monde agit avec beaucoup de discipline, tout fonctionne, il ne manque personne aux cours, alors que rien est obligatoire et qu’il n’y a pas de diplôme à la clé, ou autre chose. Ils ont développé cette capacité extraordinaire en se basant sur le travail volontaire, en redonnant une structure de pensée et une dignité à ces jeunes qui ont connu la violence et la misère des communautés rurales, et même parfois urbaines. Celso Furtado, notre grand économiste, disait qu’après le mouvement contre l’esclavage, le MST est le plus fort mouvement social que l’on ait connu au Brésil.
Aujourd’hui, comment se positionne le MST pour les élections ?
Il est traversé par les contractions dont je parlais précédemment : la forte popularité de Lula dans la base, et aussi le financement de certains programmes du MST par le gouvernement, créént des discussions dans le mouvement, il n’ont pas de position unanime. En ce moment ils disent : « L’important est de battre la droite, peu importe si on vote pour Dilma, Marina ou Plínio, l’important c’est que le PSDB ne revienne pas au pouvoir »
Quel impact peut avoir votre campagne ?
Nous allons avoir beaucoup de difficultés, parce que les grands moyens de communication ici appartiennent à des monopoles privés qui se lient aux grands partis. Donc l’impact médiatique pour l’instant est faible, on devrait commencer avec un faible score dans les premiers sondages. La politique brésilienne se joue malheureusement beaucoup sur les personnalités, et cela fait vingt ans que je n’ai pas mené de campagne. J’ai été deux fois candidat gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, avec notamment une grande campagne dans les années 80, mais cela date un peu, et on ne peut pas dire que je sois une figure populaire.
Pour pallier à ce problème, nous réfléchissons aux nouveaux modes de communication politique, parce que la télévision était le seul moyen jusqu’à maintenant, mais on peut combattre son hégémonie par internet, les réseaux sociaux, les diffuseurs de vidéos en ligne… C’est sur ce type de média que nous pouvons avoir une diffusion importante de nos idées. Et on va surprendre au moment du vote !
[1] Florestan Fernandes est condiséré comme le père de la sociologie brésilienne, il était militant de la gauche du PT, le MST a donné son nom à son école de formation de cadre politique : l’Ecole Nationale Florestan Fernandes (ENFF) à Sao Paulo.
Propos recueillis par Julien Terrié le 25 mai 2010 dans la bibliothèque « Daniel Bensaïd » du siège du PSOL du Céara – Fortaleza – Brésil.
Suivre la campagne de Plínio sur http://pliniopresidente.com
Interview publiée sur le site ESSF : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article17761
Entretien avec Ricardo Antunes : le défi politique auquel la gauche s’affronteGabriel Brito et Valéria Nader
Avec la bataille autour des élections générales qui s’approche [3 octobre 2010] et compte tenu des discussions nationales, le Correio da Cidadania a interviewé le sociologue Ricardo Antunes, professeur à l’UNICAMP [Université de Campinas – Etat de S.P.]. Il se livre à une analyse profonde du cadre qui est en train de se dessiner pour la bataille électorale d’octobre. Pour lui, la tâche fondamentale de la gauche brésilienne démantelée est d’éviter une « nord-américanisation » de nos élections, face à l’évidente polarisation Serra/Dilma qui se dessine [José Serra étant le candidat de la social-démocratie – du PSDB – et Dilma Roussef celle du Parti des Travailleurs – le PT].
En effet, il considère comme un obstacle important la non-formation d’un front unique de gauche, tel que l’on a vu en 2006, qui s’était terminé par un vote surprenant en faveur d’Heloisa Helena [du PSOL, le Parti du Socialisme et de la Liberté ; elle ne se présente pas comme candidate présidentielle et a opté pour une candidature au sénat]. Défenseur d’une candidature unifiée autour de Plínio Arruda Sampaio [l’un des trois précandidats du PSOL], l’’auteur de divers livres sur le monde du travail considère comme un immense recul la « pulvérisation » de la gauche anticapitaliste en trois candidatures.
Une telle situation, explique-t-il, met en évidence la nécessite d’un nouveau mouvement de base, unifiant et apportant de l’ « organicité » aux innombrables mouvements sociaux et de classe qui n’ont pas trouvé leur place dans la conciliation luliste. Organiser en un courant unique les travailleurs et les mouvements sociaux du pays depuis le nord jusqu’au sud, voilà la tâche qui revient aux partis de gauche dans le moment actuel.
Antunes écarte complètement l’hypothèse d’une Marina Silva [ex-ministre de l’environnement de Lula, candidate du Parti Vert à la présidence] offrant un nouveau souffle au débat politique, vu que sa critique environnementale s’est déjà laissé circonscrire dans les limites des intérêts du capital.
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Correio da Cidadania : Comment analysez-vous le scénario politique qui se dessine pour les élections générales de cette année, plus spécifiquement dans la course à la présidence ? Comment le débat politique devra-t-il être mené ?
Ricardo Antunes : D’entrée, le cadre qui se dessine est une espèce de rapprochement entre les élections brésiliennes et les élections nord-américaines. Il y a une nord-américanisation de nos élections. La polarisation entre Dilma et Serra ressemble au dualisme politico-partidaire existant aux Etats-Unis. Une fois ce mouvement accompli, nous serions face au processus suivant : d’un côté Dilma et ses alliés depuis la gauche jusqu’à la droite et de l’autre, Serra et ses alliés depuis le centre jusqu’à la droite.
Notre premier défi est d’avoir une candidature qui fasse le réel contrepoids à la nord-américanisation du processus électoral brésilien. Et cette alternative peut seulement venir de la gauche, sans aucune illusion, mais avec le courage de toucher aux points fondamentaux des maux dont souffre la société brésilienne.
Cela étant, quel rôle devrait revenir aux candidatures de gauche dans cette bataille ? Qu’est-ce que leurs candidats et partis, spécialement dans un espace de temps si exigu, devraient essayer de transmettre à la population ?
Il est évident que le processus électoral ne peut être compris comme un élément décisif qui rendrait les autres non pertinents. Je dirais que le moment électoral sera plus positif et plus prêt à effectuer des changements sociaux de gauche quand il sera stimulé et appuyé par le mouvement populaire, de base, fondé sur les forces sociales du travail, sur les masses laborieuses de la campagne et de la ville. Il est nécessaire de réorienter le mouvement, de fortifier une organisation populaire, de telle façon que celle-ci stimule dans un futur proche un mouvement politique qui puisse avoir plus de poids dans les batailles électorales.
Pour le moment, cette force populaire n’existe pas à l’intérieur de trois partis. La force populaire est aujourd’hui avec le MST [le mouvement des sans-terre]. Mais si nous parvenons, si nous parvenions à constituer un contrepoids, montrant qu’il n’y a aucune possibilité de résoudre les questions responsables du fléau et de la misère au Brésil dans le cadre de l’ordre actuel, alors ce serait déjà une grande avancée.
Et il est possible de mettre en relation des questions immédiates, propres à la vie quotidienne, avec des questions plus générales. Par exemple : lutter, fortement, pour la réduction de la journée de travail, sans réduction de salaire. C’est une question très importante, puisque, à partir de celle-ci, s’insérerait dans le marché du travail une énorme parcelle de la population qui se trouve au chômage. Cela rapprocherait la classe ouvrière sans travail de celle qui a un travail, montrant qu’une revendication peut en tant que telle constituer un fort point d’unité et d’ « agrégation » entre ces deux pôles de la classe ouvrière. Et cela permettrait de demander : « Qui contrôle le temps de ma vie ? Qui doit le contrôler ? » Et cela questionnerait aussi le type de société nous sommes, ce que nous produisons et dans quel but.
En d’autres termes, une seule revendication, celle de la réduction du temps de travail, qui apparemment ne touche pas les piliers du métabolisme social du capital, peut être décisive dans le futur. Ce n’est pas par hasard que Marx, dans le volume III du Capital, a écrit que la lutte pour la réduction de la journée était décisive pour la lutte émancipatrice. Parce qu’il pensait l’ici et maintenant en articulation avec un projet social d’horizon socialiste.
La question agraire est un autre cas ressemblant. A qui bénéficie l’agronégoce, l’agro-industrie, l’éthanol, qui réduisent à l’esclavage ou au semi-esclavage une infinitude de travailleurs qui, dans la coupe de la canne, subissent les conditions d’exploitation les plus dégradantes ? A qui bénéficie une production de commodities [biens de base tels que le soja, mais aussi des minerais] pour l’exportation, qui élimine l’agriculture familiale, tournée vers la subsistance et l’alimentation des classes travailleuses ? On élimine l’agriculture familiale et on introduit les grandes plantations pour des produits voués à l’exportation ou des océans de canne à sucre pour l’éthanol, portant ainsi gravement préjudice au sol et privant les travailleurs d’aliments.
Nous sommes en train de vivre un recul néocolonial, nous sommes en train de retourner à un passé de pays agricole tout en étant le pays de l’agrobusiness : c’est en fait une double soumission et il est important de mettre cette question en avant.
De tels exemples – de lutte pour la déconcentration de la terre, contre l’agronégoce et pour la réduction du temps de travail – montrent qu’une campagne alternative contre l’ordre peut partir de points immédiats.
Quant aux candidatures les plus à gauche, sont-elles bien représentées dans cette élection ? Quels partis ont représenté ou pourront représenter ce débat, à votre avis ?
Je pense que, dans notre camp, la personne la plus préparée, de façon contondante et didactique, pour commencer une telle explication de contrepoids aux candidats de l’ordre, c’est Plínio Arruda Sampaio [candidat du PSOL]. Je n’ai aucun doute sur ce point, malgré tout le grand respect que j’ai pour Zé Maria [du PSTU – le Parti socialiste unifié des travailleurs] ou Ivan Pinheiro [du PCB – le Parti communiste brésilien]. Et je pense qu’eux aussi reconnaissent cela. Plínio a derrière lui 40 ans de militantisme dans les luttes populaires, avec la particularité que, plus il a avancé en maturité et plus consistant est devenu son projet de gauche. C’est une chose très impressionnante et positive pour qui le connaît. J’ai pu le connaître au milieu des années 60, quand j’ai enseigné à la FGV [la fondation Getulio Vargas] et au long des 35 années suivantes, il n’a fait que gagner en conscience, en force et en respect auprès du mouvement populaire.
Il est indéniable que Zé Maria est un des militants syndicaux les meilleurs que le Brésil ait connu depuis les grèves de l’ABC [nom donné à la banlieue industrielle de São Paulo et où la CUT et le PT ont pris leur envol]. Ivan Pinheiro également a toujours été un homme de gauche et un militant dans le milieu des employés de banque, avec une histoire dans le PCB. Je respecte beaucoup les deux. Mais quel nom, par exemple, est reconnu par le MST comme étant le plus qualifié pour penser la question agraire brésilienne ? C’est Plínio. Quelle est l’expression politique de la gauche brésilienne qui ne cesse d’étudier l’insertion destructive du capitalisme brésilien dans cet ordre global ? C’est Plínio.
Il est évident qu’un front de gauche devrait se tenir aux côtés d’un candidat défini à l’avance. Et j’ai la conviction que si un tel débat se produisait, alors il y aurait une tendance naturelle à converger vers la candidature de Plínio. On a besoin d’espaces politiques importants pour une composition de gauche où ce qui serait fondamental ne serait pas « ma charge » [mon poste, ma place], mais plutôt le programme que nous défendrons. Et je pense aussi, malgré toutes nos différences, que nous avons trois regroupements clairement anticapitalistes. Nous sommes les seuls dans le scénario politico-partidaire brésilien qui peuvent faire une campagne profonde, touchant les questions fondamentales de la vie quotidienne des masses et qui avons le courage de dire ce qui doit être dit, au contraire des autres candidatures, qui ne disent pas ce qu’il faut mais disent ce que leurs hommes de marketing leur disent de dire pour gagner les élections.
Et Plínio ne participerait pas à une élection pour gagner et se défigurer, tout au contraire. Je pense que c’est difficile, mais qu’il faut que nous constituions un front. Plínio accepterait seulement d’être candidat s’il pouvait maintenir sa cohérence des 40 dernières années. Et cela pourrait lui rendre une reconnaissance populaire et aussi électorale qui nous sortirait de notre ghetto.
Nous devons savoir qu’une élection de ce type est un espace pour que la gauche puisse débattre quelques questions essentielles, décisives qui, normalement, sont éludées à la télévision. Les médias n’ont pas la moindre ouverture sur les questions cruciales, la TV notamment qui s’adresse à plus de 100 millions de personnes. C’est différent quand nous avons une campagne électorale gratuite.
Je comprends aussi qu’il est très important de ne pas tomber dans une campagne folle pour obtenir des votes en faveur des parlementaires, alors que nous savons que la campagne est consubstantielle de la figure d’une candidature populaire à la présidentielle. Celle-ci peut en effet être un levier pour des avancées dans d’autres dimensions, où le point fondamental, pour moi, c’est de monter d’un degré le niveau de l’organisation et de la conscientisation des masses laborieuses au Brésil.
Qu’imaginez-vous puisse avoir le plus contribué à la non-formation d’un front de gauche, comme on en a eu en 2006, de manière à fortifier une unique candidature de caractère véritablement alternatif ? Ces différentes candidatures qui sont une entrave pour la gauche ne pulvériseront-elles par le débat, de manière à le rendre inoffensif, à force d’être « stérile » ?
Nous, du camp de la gauche, nous n’avons pas réussi jusqu’à présent à construire une composition en direction d’une alternative socialiste qui mettrait ensemble le PSOL, le PSTU et le PCB – et cela paraît difficile. Pour des raisons sans doute bonnes, chacun des trois partis a ses raisons pour apparaître avec un visage et une voix propre. Tous les trois ont cette légitimité. Mais, à mon avis, on est face à un échec pour un projet de gauche plus général. Avec les trois mouvements ensemble, nous réunirions les conditions permettant de dire un peu plus sur les points fondamentaux de la forme destructive du capitalisme brésilien, de nous livrer à des dénonciations et aussi à proposer des alternatives à l’ordre capitaliste, dans la mesure où ces trois partis ont une forte confluence sur des points essentiels.
Par exemple, même avec des différences que nous pouvons avoir à l’interne, principalement au PSOL, avec leurs candidatures respectives [R. Antunes, dans le PSOL, s’est prononcé pour Plinio], les trois groupements ont une claire confluence pour reconnaître que, dans le cadre du capitalisme, il n’existe pas d’alternative durable. Ce serait une campagne où l’on aurait le devoir de formuler des questions concrètes et quotidiennes, en montrant que l’horizon sociétal capable de réaliser pleinement les luttes quotidiennes devra partir d’un mouvement social et politique de grande envergure, qui pourra initier un combat plus osé contre la forme de domination bourgeoise au Brésil. Ces trois partis auraient de quoi élaborer une plateforme minimale d’unité.
C’est clair qu’il existe des différences entre eux. Le PCB a une longue histoire qui a commencé en 1922 ; le PSTU est né d’une dissension au sein du PT dans les années 90 ; le PSOL, plus récent, a aussi ses tensions et ses fortes polémiques internes. Tous ont leurs identités, mais il y a des points de convergence et si nous avons été capables d’une action unitaire en 2006, qu’il y a-t-il qui aurait empiré depuis ce moment empêchant la répétition de cette action ? Le PSOL, dans un certain sens, malgré le fait que le moment soit très difficile, a avancé clairement avec une candidature de gauche, ce qui n’avait pas été le cas en 2006, comme nous le savons tous.
Un grave recul est-il donc en cours, face à la quasi-certitude qu’un tel front de gauche ne sera pas constitué ?
Oui. Comme nous avons aujourd’hui trois petites candidatures, les médias ne les prennent même pas en considération. Imaginez la chose suivante : un front incluant les trois partis et en plus une parcelle importante des mouvements sociaux, comme Conlutas, l’Intersyndicale, le MST, des syndicats importants. Les mouvements populaires aussi, qui existent par centaines et par milliers, comme les victimes des barrages, les sans-toits et différentes expressions localisées qui seraient sensibles à une proposition critique telle que la nôtre (qui jamais ne vendrait le miracle de la félicité générale à partir des élections à une population sachant bien que ce n’est pas le processus électoral qui modifie les structures du pays). Ce serait quelque chose de plus complexe, et les dernières huit années ont été exemplaires.
Lula a été élu en 2002 avec 53 millions de votes, lors d’une élection populaire ayant un appui de masse fort. Malgré cela, aucun pilier de la tragédie brésilienne n’a été touché, même légèrement. Le gouvernement Lula n’a touché à aucun des éléments qui structurent la tragédie brésilienne ! L’unique chose qu’il a faite de manière différente de Fernando Henrique Cardoso [FHC : président de 1995 à 2002, deux mandats] a été d’augmenter quantitativement la politique assistancialiste. La « Bourse-Ecole » atteignait 2 millions de familles, alors que la « Bourse-Famille » atteint 12 millions de familles, ce qui représente 50 à 60 millions de Brésiliens.
Cette augmentation quantitative a fait la différence, puisqu’elle concerne la population la plus pauvre et non la plus organisée. Pour ces gens, Lula est plus généreux et ils n’ont pas tort de penser ainsi. Avec Lula, il existe une différence de 100 reais par mois qui permet de manger au quotidien, ce qui est vrai.
Mais cette population, si on l’ajoute aux autres 40 à 50 millions qui constituent la classe ouvrière organisée, peut en venir à impulser un autre type de politique, de base, fondée sur des positions plus profondes et plus radicales, touchant aux racines de nos maux, aux engrenages responsables de la tragédie brésilienne.
Et Marina Silva ? Réussira-t-elle à remplir un supposé rôle de « troisième voie » dans une élection si polarisée, en aérant, même minimalement, le débat ?
L’alternative qu’est censée représenter Marina Silva n’a pas la plus petite possibilité de faire cela. Même si c’est une femme batailleuse qui dans sa jeunesse s’est courageusement engagée en défense de nombreux leaders populaires [les seringueiros, les forçats de l’extraction du caoutchouc], elle a, au cours de ces dernières années, au Ministère de l’Environnement du gouvernement Lula, montré clairement qu’elle avait fait les concessions qu’il fallait faire. La plus grave étant à mon avis celle faite tout au début de son mandat lorsqu’elle a décidé de libéraliser les transgéniques. Si elle était cohérente avec son passé, elle aurait dit à Lula qu’elle ne pouvait pas continuer à son poste. Mais, lamentablement, elle se trouvait déjà sur une piste qui laissait de côté une analyse environnementaliste à inclination vers la gauche pour entrer dans une analyse environnementaliste à inclination centriste.
Le choix du président de l’entreprise Natura Cosmeticos comme candidat à la vice-présidence, l’expression typique du capitalisme dans sa version la plus forte au Brésil, montre que la critique environnementale de Marina se fera à l’intérieur de l’ordre, c’est la critique de type capitaliste de la question environnementale. Sa proposition environnementaliste est donc très timide et elle vit en flirtant avec le PSDB pour, éventuellement, tirer profit d’un partenariat, sans avoir jamais de fait rompu avec le gouvernement Lula.
J’ai entendu une interview d’elle sur la chaîne de télévision CBN. Quand elle fait des critiques, elle les fait au PT et au PSDB. Quand elle fait des éloges, elle les fait au PT et au PSDB. C’est comme si elle disait qu’elle pourrait dépendre de l’un ou de l’autre selon les circonstances.
Le défi est donc de savoir comment offrir un contrepoids, ce qui est très difficile dans ce processus électoral polarisé entre deux candidatures représentant l’ordre, avec une troisième qui se meut dans le même cadre.
Avec le destin plébiscitaire qui paraît être réellement réservé à cette élection, que peut-on attendre des disputes entre Serra et Dilma ? Pensez-vous que nous n’aurons qu’un tour, comme le prédisent certains sondages, celui publié par l’institut Datafolha parlant d’une ascension de Dilma ?
Pour le moment, tout cela est prématuré. Premièrement, parce que nous ne savons rien encore de la capacité de Dilma à hériter les votes de Lula et de la capacité de celui-ci à les transmettre pleinement à Dilma. Actuellement, les deux oscillent entre 35 et 40 pour cent.
Mais quand les débats publics commenceront, télévisuels notamment, nous verrons le cadre électoral se transformer et il peut se modifier dans n’importe quelle direction. Dilma peut monter plus encore, ou alors Serra peut récupérer une partie de ce qu’il a perdu.
Et pourquoi cela peut-il changer ? Dilma, par exemple, n’a aucune expérience de campagne électorale, elle n’a jamais été candidate à rien. Et quand elle sera dans le débat, elle ne pourra pas demander à Lula de s’asseoir à ses côtés et le garder sur elle en bandoulière. C’est là que le débat commence. Serra, de son côté, s’il a un nom très connu, il est cependant un candidat limité. La population sait qu’il est du PSDB ; elle sait que le PSDB est un parti d’élite ; elle sait que les élites brésiliennes sont nocives, égoïstes, et qu’elles professent même une conception antipopulaire dans ses traits les plus élémentaires.
Mais il est évident que le scénario électoral n’en est qu’à ses débuts. Qui sera le vice-président de Serra ? Si c’est quelqu’un du DEM, plus exactement des Démocrates, il est clair que sa candidature sera jugée plus négativement. S’il parvenait en revanche à avoir Aécio Neves sur son affiche, ce que je ne crois pas, alors il aurait un collège électoral important pour décider, celui de Minas Gerais [un Etat-clé au Brésil, comme celui de São Paulo], que ce soit pro-Dilma ou pro-Serra d’ailleurs. Mais c’est clair que si on regarde aujourd’hui le scénario, il est plus favorable à Dilma, elle se trouve dans un cycle ascendant alors que Serra se trouve dans un cycle descendant.
Quand la campagne commencera, si les partis de gauche parviennent à démontrer que Dilma et Serra constituent les deux faces de la même médaille, avec des différences minuscules, alors ils pourront changer un peu le cadre. Et c’est alors Marina qui saura tirer ses billes de cette dispute. Celle-ci, qui n’a jusqu’ici que mené une campagne très modeste, fait déjà 12% ; avec la télévision, elle va essayer de profiter de tous les espaces.
En somme, la campagne électorale en est à ses prolégomènes. La chose va chauffer vraiment à partir du débat public télévisé, quand l’électorat pourra percevoir les différences. Et cela nous conduit à penser à combien il serait important que les trois groupes de gauche parviennent à figurer sur une même affiche, élargissant ainsi au maximum leur base populaire, de manière à leur donner une densité plus forte dans ce processus électoral.
Malgré cette désarticulation des masses que vous avez mentionnée, malgré le manque de lien entre la gauche et les masses, et également une apathie certaine, des projets d’initiatives populaires comme le Ficha Limpa [la loi « Fiche propre », censée combattre la corruption, a été votée en novembre 2009 et doit être appliquée pour les prochaines élections] montrent que la population est très insatisfaite de la politique et que, d’une certaine manière, elle exprime son aspiration à une authentique réforme politique dans le pays. Que pensez-vous de cette initiative ?
Le projet Ficha Limpa est légitime, parce que le niveau de corruption de l’Etat et du parlement brésilien, de la « classe politique » en général, est tel que la population manifeste sa répulsion.
Mais le projet est polyclassiste, il atteint des individus de classes sociales variées. Plus que de politiques de ce type, qui sur le plan générique sont positives, nous avons besoin de politiques à fort profil classiste.
Nous avons dans le scénario d’aujourd’hui deux conceptions politiques : l’une est la traditionnelle, avec les deux grands partis de toujours, avec la politique du « c’est en donnant qu’on reçoit ». Nous pouvons imaginer combien d’entreprises d’Etat et de ministères sont entrés en jeu pour que le PT reçoive l’appui du PMDB ; et ce que le PT a donné au PMDB pour avoir son vice-président, la raison l’ignore. Cela doit être l’adage selon lequel c’est en donnant qu’on reçoit... Pour le PSDB, c’est la même chose… Ces échanges sont le propre de la politique traditionnelle des dominants au Brésil.
Il existe un autre pôle, opposé, une conception légitime, compréhensible, qui est antipolitique, avec cette idée que la politique, c’est de la poudre aux yeux, qu’elle ne sert à rien, que c’est l’espace de la trahison et de la manœuvre. C’est plus ou moins comme cela que le sens commun populaire voit le Parlement brésilien, comme un espace discret de corruption où les individus trafiquent leurs intérêts à volonté.
Notre défi est de reconstruire, ou même de créer une politique radicale qui s’attache à la tâche fondamentale de discuter des chemins politiques alternatifs et radicaux à trouver pour lutter contre l’ordre existant. Et cela, à mon avis, passe par l’organisation populaire, ensuite seulement par les considérations politico-électorales, qui n’ont de sens que lorsqu’il y a une base sociale qui pousse.
Pensez-vous, dans ce sens, qu’une radicalisation du sentiment que notre démocratie a besoin de changements drastiques soit possible, ou alors sommes nous anesthésiés par l’idée d’un Brésil émergeant, dont les institutions qui sont responsables de la dernière crise du capital font elles-mêmes l’éloge ?
Le gouvernement Lula a clairement réussi dans son second mandat à dessiner le schéma suivant : d’abord, il est l’homme de la conciliation nationale, le Getúlio Vargas numéro deux. L’un venait de la pampa ; l’autre de la métallurgie.
Ainsi, Lula mène une politique de conciliation de classes dans laquelle il est presque un Bonaparte, pas dans le sens dictatorial, mais dans le sens d’être le meilleur gendarme que les capitaux pourraient avoir. Les banques, la grande industrie de la sidérurgie, la métallurgie, la pétrochimie, l’industrie automobile, toutes y ont gagné beaucoup. Comme Lula le dit lui-même, jamais les riches et les banques n’ont gagné tant d’argent dans l’histoire de ce pays.
D’un autre côté, en fonction de sa perte de crédit au cours de son premier mandat, spécialement auprès de la classe des travailleurs organisés, Lula a vu se déplacer sa base sociale vers les couches populaires les plus désorganisées, celles qui reçoivent la « Bourse-Famille ». Le PT a donc perdu une partie de sa base, mais en a récupéré en partie une autre.
Pourtant, il existe beaucoup de secteurs populaires, de mouvements sociaux qui luttent : contre les barrages, celui de Belo Monte [barrage géant en Amazonie] notamment ou contre le projet de transposition des eaux du fleuve São Francisco. Il existe véritablement une résistance et une opposition importantes au sein du mouvement populaire. Peut-être que la campagne électorale pourra, sur certains points du programme alternatif et anticapitaliste, aider à mettre un peu en lien ces innombrables forces moléculaires d’opposition sociale, qui manquent encore singulièrement d’organicité entre elles.
Ce qui serait très important : établir quelques ponts, de façon à initier un processus de refondation par les bases d’une organicité entre les luttes sociales, syndicales, politiques et populaires, des forces qui sont aujourd’hui moléculaires mais qui toutes sont conscientes du fait que le gouvernement Lula a été une tragédie. Différente de FHC, mais une tragédie tout de même.
Dans n’importe quel débat parmi des militants, à la direction du MST par exemple, la polarisation est forte, au point qu’ils n’ont pas pris position. Tel dirigeant pourra soutenir s’il le veut [le PT], mais individuellement et de manière discrète, parce qu’il y a un grand mécontentement. Dans les mouvements sociaux et dans les syndicats qui ne se sont pas institutionnalisés, qui ne se sont pas adaptés, qui ne vivent pas le néo-étatisme et cette nouvelle forme de servitude, il y a du mécontentement.
Mais il est évident qu’un président qui gouverne pour les riches et parle pour les pauvres a du succès. C’est cela l’alchimie de Lula. De plus, quand il parle aux pauvres, il a un certain langage ; mais quand il s’adresse aux classes dominantes, il met sa petite cravate, va avec un discours écrit et utilise un langage plus sophistiqué.
C’est un gouvernement qui pratique la polysémie discursive. Pour chaque public, un discours, de façon que la conciliation nationale entre tous soit maintenue. C’est la force du gouvernement Lula, mais c’est aussi sa tragédie pour la gauche et les mouvements populaires.
Dans les prochaines décennies, quand on tirera les bilans du gouvernement Lula, nous percevrons la monumentale opportunité pour commencer à détruire la tragédie brésilienne que nous avons perdue. Huit années ont passé et aucun point structurel de la tragédie nationale n’a été un minimum touché. Dans un sens, sur certains points, il y a même eu une détérioration. Il suffit de penser aux « héros » de l’agrobusiness qui sortent fortifiés de tout ce drame. Les banques aussi. Et la grande industrie lourde également.
Au vu du scénario électoral qui s’annonce, avec la probable victoire de Dilma ou de Serra, quel serait, selon vous, le moins désastreux pour le pays, particulièrement pour les travailleurs ?
Je ne travaille pas sur cette hypothèse maintenant. Je dirais que Serra et Dilma sont tous les deux néfastes. Serra est plus en faveur des privatisations et que Dilma contrôle mieux les mouvements sociaux et populaires. Serra en reviendra à des politiques plus élitistes et de privatisations et nous stimulera à la réorganisation du camp populaire contre les politiques de type néolibéral travesties de social-libéralisme. Dilma aura un gouvernement comme celui de Lula et ne reviendra sur aucune privatisation. Par-ci par-là, elle donnera un petit signal interventionniste, chose que Serra saura faire aussi.
Il est difficile de savoir qui sera plus généreux avec le capital financier. Le président de la Banque Centrale lui-même, Henrique Mereilles, ex-président mondial de la Fleet Bank of Boston, est pressenti pour rester en place ! Il est donc clair que pour les capitaux mondialisés, il est la tête. Lula est le visage, mais la tête, c’est Meirelles, pour utiliser une expression d’Obama.
En ce moment, nous devons travailler sur une alternative différente : comment empêcher que l’élection de cette année soit une nord-américanisation du processus électoral brésilien. La seule chose que la gauche puisse faire, c’est de jeter un peu de sable dans ce processus. Ensuite, en fonction de ce que nous récolterons dans les premières heures électorales, nous verrons quelle évaluation nous devrons faire.
Mon sentiment c’est que dans ce processus électoral, où la nord-américanisation peut sortir victorieuse, je ne vois pas le moindre changement substantiel.
C’est pourquoi, nous devons maintenant réfléchir à l’idée de jeter du sable dans cet engrenage. Si nous faisons cela, ce sera déjà un bon début.
(Traduction A l’Encontre : www.alencontre.org). Valéria Nader, économiste, est éditrice du Correio da Cidadana, Gabriel Brito est journaliste. (14 juin 2010)
Conclat, un recul que l’on ne peut pas occulterErnesto Herrera *
L’appel au congrès de constitution d’une nouvelle centrale syndicale – le Congrès de la classe travailleuse (Conclat) – suscitait l’enthousiasme. Le Conclat se proposait d’unifier, dans une nouvelle centrale classiste, les courants syndicaux, populaires et étudiants qui résistent à l’offensive du gouvernement Lula et à celle des entrepreneurs. En même temps, cette nouvelle centrale syndicale devait s’affronter aux centrales existantes (CUT, Force Syndicale, etc.) qui se soumettent au gouvernement et à l’ordre capitaliste.
Le Conclat s’est tenu les 5 et 6 juin dans la ville de Santos, à quelque 200 km de São Paulo [1]. La participation massive traduisait les attentes créées par le processus : 4000 participant·e·s et 3200 délégué·e·s ; environ 350 syndicats, fédérations, mouvements et associations qui représentaient, selon les organisateurs, plus de 3 millions de travailleurs.
Au cours des mois précédents, 926 assemblées de militants de base ont été organisées, réunissant quelque 20’000 travailleurs et travailleuses, afin de débattre des différentes thèses en présence, de faire des propositions et d’élire des délégués.
La présence de nombreuses délégations étrangères – venues de 26 pays d’Amérique latine et de la Caraïbe, des Etats-Unis, d’Europe et du Japon – donnait au Conclat une dimension clairement internationaliste. La présence de Sotiris Martalis, syndicaliste grec, membre de la Confédération des syndicats du secteur public (ADEDY), fut particulièrement marquante. Il fit un rapport sur la lutte des travailleuses et travailleurs de Grèce qui font face une brutale offensive capitaliste contre les salaires, l’emploi et les retraites [2].
Rapport de force
Pour les milliers de participants qui se sont engagés dans le processus d’unification, le Conclat représentait une sorte de synthèse de leurs diverses expériences. Plus exactement, il traduisait à un niveau organisationnel et programmatique le début d’une réorganisation syndicale et populaire qui, bien que se situant dans un contexte défensif, se construisait à partir d’une opposition au programme néolibéral d’un gouvernement pro-patronal dirigé par Lula. Le Conclat exprimait, de plus, les efforts visant à unifier les luttes, à donner une perspective aux revendications, à chercher un accord sur des questions qui jusqu’à hier divisaient le camp classiste et anticapitaliste.
Bien que cela reste un phénomène d’avant-garde, minoritaire par rapport à l’ensemble de la classe laborieuse, et bien que ne soit pas présent un secteur décisif parmi les exploité·e·s, soit les paysans sans terre (organisés très majoritairement dans le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre – MST), ce processus d’unification reflétait l’énergie sociale accumulée dans des couches significatives du mouvement populaire.
De fait, le Conclat traduisait à un certain degré l’émergence d’un nouveau syndicalisme. Un syndicalisme qui prend en charge les revendications les plus concrètes des masses laborieuses et conjointement les articule avec les mobilisations diverses des exploité·e·s et des opprimé·e·s, les plaçant dans une perspective anticapitaliste. C’est à partir de cela que le Conclat indiquait la possibilité (ne serait-ce que cela) d’une alternative sur le terrain de la bataille pour une modification des rapports de force d’ensemble.
Car c’est cette question que le Conclat devait prendre en charge. C’est-à-dire construire un instrument pour modifier (ou tenter de le faire) les rapports de force entre le camp syndical classiste et les appareils syndicaux subordonnés, politiquement et matériellement, à l’appareil d’Etat capitaliste [3]. Le jeudi 3 juin, une note dans le quotidien Folha de São Paulo révélait le prix scandaleux de cette subordination. Les centrales syndicales alliées au gouvernement ont reçu du gouvernement depuis 2008 la somme de 228 millions de reales (126,3 millions de dollars) sous la forme d’un « remboursement » de « l’impôt syndical » [4].
Le Conclat faisait face à un défi qu’il fallait relever et cela en faveur des classes laborieuses et opprimées : « l’échec du projet syndical de gauche combatif et indépendant », projet qui avait pris son départ à l’occasion des grandes grèves ouvrières des années 1978-1980 qui débouchèrent sur la création de la CUT (Centrale unique des travailleurs). Dès lors, le défi exigeait une avancée dans la construction d’une alternative classiste ayant un impact effectif dans des secteurs clés de la classe ouvrière. Une déléguée venant de Santa Catarina (Etat du sud dont la capitale est Florianopolis) résumait ainsi le sentiment de la base militante : « Nous recommençons à créer un syndicalisme de classe. »
Pourtant, cet horizon s’effaça au cours même du congrès. Pour les appareils syndicaux de Conlutas et de l’Intersindical pesait beaucoup plus la validité de leurs arguments propres et « la victoire de chacune de leurs propositions ». Chaque appareil haranguait ses troupes. Ils n’écoutaient rien. Ils imposèrent – depuis la tribune et les groupes de discussion – une logique de concurrence. Ils firent prévaloir la bataille pour les relations de force… à l’intérieur du Conclat !
Malheureusement, le Conclat n’a pas réussi à consolider la voie vers l’unité. Au contraire, le Conclat se termina par une grave fracture. Cette « interruption du processus d’unification » – un processus mis en place depuis le Forum social de Belem (janvier 2009) – représente, de tous les points de vue, une forte régression. Elle est impossible à cacher ou à camoufler. Il suffisait de voir les gestes amers, désolés, indignés des travailleurs et des activistes sociaux – venus de tout le pays grâce mille sacrifices – pour percevoir les conséquences de l’échec. D’un coup les espoirs contagieux des jours précédents s’étaient éteints.
Une majorité sans direction
L’appel du Conclat brillait sur les banderoles et les tee-shirts : « Nous allons nous unir pour renforcer la lutte ». Dans ce simple mot d’ordre s’affirmaient les tâches du congrès : dépasser la fragmentation de la gauche syndicale ; faire de la nouvelle centrale un instrument pour organiser la lutte contre le capital.
Dans les diverses thèses présentées, on pouvait repérer des convergences et des divergences importantes [5]. Cela portait sur le fonctionnement de la future centrale syndicale, sur les règles de représentation proportionnelle des courants, sur l’intégration des courants au sein d’une direction et les pouvoirs donnés à cette direction. La même chose peut être dite pour ce qui a trait à l’analyse de la conjoncture nationale : il existait une « tension en arrière-fond » liée à la campagne électorale pour la présidentielle d’octobre. Durant le congrès, la polarisation se fit de manière évidente entre ceux qui optaient pour la candidature de Ze Maria (Parti socialiste unifié des travailleurs – PSTU) et ceux qui soutenaient la candidature de Plinio de Arruda Sampaio (Parti du Socialisme et de la Liberté – PSOL), comme deux chemins différents pour traduire la lutte et les intérêts des travailleurs contre les deux partis de l’ordre bourgeois (PSDB et PT). Le rejet mutuel de la « responsabilité » concernant la non-concrétisation du Front de Gauche fut une constante durant le congrès ; une candidature placée sous le signe du Front de Gauche aurait permis de modifier quelque peu le système de centre gauche / centre droit que Ricardo Antunes présente, dans Correio da Cidadania, comme un danger « d’américanisation » du système politique brésilien actuel.
Néanmoins existait un accord substantiel pour ce qui avait trait à la situation des luttes syndicales et populaires et, avant tout, par rapport au programme. Ce qui créait une possibilité supérieure pour l’unification.
Il y avait un désaccord sur deux questions clés : 1° la nature de la centrale syndicale ; 2° le nom de la nouvelle centrale. Au cours des 11 réunions de la Commission pour la réorganisaltion-coordination en faveur d’une nouvelle centrale, ces divergences n’ont pas pu être résolues. On se mit d’accord pour les résoudre en utilisant le critère de la « démocratie ouvrière », c’est-à-dire au moyen d’une votation lors du congrès. Maintenant on connaît le résultat de cette décision, en apparence très démocratique.
Une claire majorité des délégué·e·s se prononcèrent en faveur de la proposition de Conlutas : une centrale syndicale, populaire et étudiante. Sans doute, une formule pertinente, en syntonie avec la pluralité des secteurs sociaux engagés dans la réorganisation syndicale et populaire. L’Intersindical proposait une centrale syndicale qui se coordonnerait dans le cadre d’un Forum national avec le mouvement étudiant. En accord avec la proposition de Conlutas, la même majorité de délégué·e·s [issus de Conlutas] se prononcèrent en faveur de l’intégration des étudiants dans la direction de la nouvelle centrale [6].
Pour ce qui est du nom, une majorité (impossible à quantifier dans la mesure où les votes ne furent pas comptés) imposa le nom « Conlutas-Intersindical / Centrale syndicale et populaire ». Les délégué·e·s de l’Intersindical (qui avaient empêché l’utilisation du nom Intersindical pour la nouvelle centrale), du MAS et de Unis pour la lutte [7] se rebellèrent face à cette décision brusque. Et ils quittèrent le congrès. Le processus d’unification était « interrompu ».
Le « redémarrage » du congrès – après le retrait des délégué·e·s de l’Intersindical, d’Unis pour la lutte et du MAS – a approfondi la rupture. La majorité qui forma finalement la « nouvelle centrale syndicale » est, pour l’essentiel, issue de Conlutas. D’autres courants s’y sont ralliés : le Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), Terre libre (Mouvement populaire des campagnes et de la ville), le Mouvement populaire pour la réforme agraire (MPRA) et, de manière surprenante, le Mouvement Terre, Travail et Liberté (MTL), organisation qui intègre une fraction opportuniste du PSOL [8].
Du point de vue formel, on peut dire que le congrès décida ; qu’il y eut une majorité (ce que personne ne met en discussion) et une minorité ; qu’il exista une « légitimité démocratique ». Mais cela sans le climat d’enthousiasme et avec un peu moins de la moitié des délégué·e·s dans la salle. C’est dans ce cadre que l’on annonça la constitution de la nouvelle centrale et la mise sur pied d’un « secrétariat exécutif national provisoire » composé de 21 membres, sur la base d’un consensus, mais avec une large primauté donnée à Conlutas [9]. Ce secrétariat est chargé de « concrétiser les résolutions » et de rétablir les relations avec le secteur qui s’est retiré du congrès.
Les principales forces se sont prononcées sur le résultat du Conclat. Pour ce qui est de Conlutas, le jugement se retrouve dans cette formule : « Ce qui allait être une grande victoire du processus de réorganisation, malheureusement, se transforma en une défaite suite à la décision du bloc Intersindical-Unis pour la lutte-MAS de se retirer du congrès après avoir perdu le vote sur le nom de la nouvelle structure. » Pour l’Intersindical, la formulation est la suivante : « Malheureusement, ce que nous ne voulions pas s’est produit. Nous avons dû interrompre le processus de fondation de la centrale. Le débat sur la construction de la nouvelle centrale (nature politique et nom) a révélé le manque absolu de volonté, de la part de la majorité de Conlutas, de construire une synthèse d’opinions divergentes, en choisissant comme méthode, à partir d’une majorité arithmétique (petite et changeante) de délégué·e·s du congrès, de chercher à imposer une orientation unique. » [10]
Presque tous les courants sont d’accord de continuer à explorer les possibilités de l’unité. Toutefois prédomine pour l’heure l’idée que la rupture est « irréversible » si la majorité maintient sa position et les méthodes qui ont conduit à l’échec final. Evidemment, on insiste sur la « responsabilité » de Conlutas et de la forme politique qui hégémonise Conlutas : le PSTU.
On ne découvre rien de nouveau en affirmant que le PSTU dispose d’un poids décisif dans Conlutas. Et aussi dans de nombreuses luttes sociales. Il est impossible de comprendre l’émergence et le développement de Conlutas sans considérer l’initiative et l’engagement actif des militants et des dirigeants syndicaux du PSTU dans un tel processus. Dès lors, la majorité bâtie par le PSTU dans Conlutas dispose d’une légitimité politique incontestable.
Certes, il y a une responsabilité de Conlutas-PSTU dans l’échec du Conclat. Par « abus » de sa position majoritaire ? Par le fait de « brusquer » la minorité ? Ce serait là une explication unilatérale et sectaire. Le drame réside dans l’incapacité d’exercer un rôle dirigeant à partir de cette majorité obtenue dans le Conclat. Un leadership qui transcenderait les frontières de Conlutas / PSTU, c’est-à-dire qui irait au-delà des frontières des adhérents et des influences conquises. Un leadership qui, en définitive, mettrait en valeur et assurerait des accords et des points faisant consensus. Cela est nécessaire dans tout processus d’unification qui intègre des forces, des traditions et des pratiques très différentes ; un processus dans lequel devraient s’affirmer la maturité et la crédibilité d’une direction large dont la capacité est examinée et attendue par des couches plus amples y compris que celles qui devaient se réunir dans le Conclat.
Ce fut une grave erreur de ne pas savoir composer. En effet, depuis le début du congrès, on pressentait un climat de rupture dans les diverses tendances de l’Intersindical (qui correspondent quasi complètement à des fractions politiques au ein du PSOL) qui craignaient d’être annexées par Conlutas et de tomber dans l’orbite d’influence du PSTU (d’ailleurs, lors des votes sur la nature et le nom de la nouvelle centrale, s’est produit un retrait des délégué·e·s de l’Intersindical obligeant sa direction à se retirer). De même, parce qu’il était connu que des secteurs importants de l’Intersindical – qui ne participeront pas au Conclat – maintenaient une position négative face à l’unification avec Conlutas, cela parce que cette unification conduirait à fermer des portes à des courants de la gauche de la CUT qui critiquent la subordination de la CUT au gouvernement.
« Autisme politique », comme l’a dit un délégué de base ? Il est difficile de l’affirmer pour un « observateur étranger ». Néanmoins, reste la perception que « l’état-major » de Conlutas / PSTU n’aurait pas dû forcer un vote sur le nom de la nouvelle centrale. Cela non seulement parce que cette question ne reflétait pas le processus de réorganisation syndicale et populaire, mais parce que cela ne respectait pas les sensibilités et le pluralisme représentés dans le Conclat.
Avant le Conclat (les 3 et 4 juin) a eu lieu le Congrès de Conlutas. C’était le congrès de sa « dissolution ». Mais ce ne le fut pas en réalité. Les 1800 délégué·e·s qui participèrent de manière enthousiaste aussi bien dans les débats que dans les votations ont fini par auto-affirmer une sorte de continuité de Conlutas. Il en résulta un mandat indiscutable en défense de cette « identité ».
Deux jours plus tard, au moment de conduire le Conclat dans l’impasse, il n’y eut dès lors pas de consensus et on ne fit pas de « concessions ». La direction de Conlutas / PSTU se réfugia dans un centralisme hermétique face à un processus de réorganisation qui allait bien au-delà de ses forces militantes et de son champ d’influence.
Les efforts et les négociations de dernier moment furent vains. Au moment des votes, des centaines de délégué·e·s abandonnèrent le congrès. La majorité issue de l’Intersindical, mais aussi de nombreux membres de Conlutas. Cela avec le sentiment que l’on avait perdu une chance énorme, difficile à apprécier. (Traduction A l’Encontre)
Ernesto Herrera est le responsable de la lettre d’information Correspondencia de Prensa et membre du Collectif Militant- Agenda Radical en Uruguay.
Paru dans www.alencontre.org
1. Le Conclat a été convoqué et organisé par Conlutas (Coordination nationale des luttes) ; Intersindical ; MAS (Mouvement progressiste syndical – d’origine stalinienne et animée par le Courant communiste Luis Carlos Prestes, du nom de la figure historique du PC au Brésil) ; MTST (Mouvement des travailleurs sans toit) ; MTL (Mouvement Terre, Travail et Liberté) ; et la Pastorale ouvrière (PO – de la zone métropolitaine de São Paulo).
2. Parmi les délégations syndicales étrangères, on peut citer entre autres : SUD-Solidaires, Unitaires et Démocratiques (France) ; Syndicat national des entreprises ferroviaires (Japon) ; Labor Notes (Etats-Uis) ; le Courant classiste, unitaire, révolutionnaire et autonome (Venezuela). Parmi les organisations politiques étaient présentes : Batay Ouvriye (Haïti), le Nouveau Parti anticapitaliste (France), Courant rouge (Etat espagnol), et le Mouvement pour le socialisme (Suisse). A cela s’ajoutaient de nombreux groupes en provenance de l’Amérique latine et de la Caraïbe. Le lundi 7 juin, les délégations étrangères réalisèrent une rencontre internationale pour coordonner des campagnes de solidarité.
3. Les six centrales syndicales reconnues légalement reçoivent de l’argent de l’Etat. Toutes font campagne pour Dilma Rousseff, candidate présidentielle du PT. La CUT (bras syndical du PT) et Force syndicale (bureaucratie issue du PCB et recyclée au moment de la présidence de Collor de Mello pour freiner le « syndicalisme sauvage de la CUT ») sont les centrales qui comptent le plus de membres.
4. L’« impôt syndical » a été créé par le gouvernement de Getulio Vargas en 1940. Aujourd’hui, il est obligatoire et tous les travailleurs le paient, qu’ils soient syndiqués ou non. Il équivaut au salaire d’un jour et est déduit de la fiche de paie au mois de mars de chaque année. Il est aussi payé par les patrons. Les deux centrales majoritaires, CUT et Force syndicale, ont reçu pour 2010 la somme de 50 millions de reales. L’« impôt syndical » est levé par le gouvernement. Depuis 2008, il le distribue entre les centrales et fédérations syndicales. Actuellement, il est la principale source de revenu des syndicats. La CUT le dénonce comme un revenu impur mais l’encaisse.
5. Toutes les thèses sont disponibles sur les sites de Conlutas et de l’Intersindical.
6. La représentation étudiante au Conclat était celle de l’ANEL (Assemblée nationale des étudiants - Libre). Elle est composée majoritairement par des jeunes militants du PSTU qui ont interrompu avec l’UNE (Union nationale des étudiants) dominée par des forces politiques qui appuient le gouvernement Lula, principalement le PCdoB (Parti communiste du Brésil d’origine maoïste) et le PT.
7. Unidos pro Lutar (Unis pour la lutte) est le front syndical du Courant socialiste des travailleurs (CST), organisation qui intègre le PSOL. Jusqu’au Conclat, il faisait partie de Conlutas. Il défendait ses propres thèses sur certains thèmes qu’il opposait aux propositions majoritaires de Conlutas, avant tout pour ce qui concerne le caractère et le nom de la nouvelle centrale.
8. Cette fraction du PSOL est composée par le Mouvement Terre, Travail et Liberté (MTL), le Mouvement pour la gauche socialiste (MES), et l’ex-sénatrice Heloisa Helena. Cette fraction proposait dans un premier temps que le PSOL appui la candidature présidentielle de l’ex-ministre de l’environnement Marina Silva, candidate du Parti vert à l’élection présidentielle. Elle n’a pas appuyé l’élection de Plinio Arruda Sampaio comme candidat présidentiel du PSOL. Elle défend et accepte « les donations » d’entreprises privées à l’occasion de campagnes électorales.
9. Le Secrétariat exécutif national provisoire intègre trois militants de Terra Livre, trois du MTL, trois du MTST et douze de Conlutas.
10. La version complète des déclarations (en portugais) se trouve sur les sites de Conlutas et de l’Intersindical.