Le lien organique qui liait depuis le début du siècle dernier le Parti travailliste (Labour) et les syndicats ouvriers est aujourd’hui remis en cause par une nouvelle génération de dirigeants syndicaux de gauche.
Depuis que les syndicats ont créé le Parti travailliste (Labour) en 1900, le lien organique entre syndicats et Parti travailliste a été la clé de voûte du mouvement ouvrier britannique. La politique de la direction travailliste a souvent été contestée, notamment quand le parti était aux affaires. Mais les appareils syndicaux ont toujours réussi à obtenir suffisamment de concessions pour convaincre leurs adhérents que le Labour restait "leur" parti. Le lien n’a jamais été remis en cause. Aujourd’hui, il l’est.
C’est évidemment une conséquence de la social-libéralisation structurelle du parti. Reflet de la désaffection des salariés, une nouvelle génération de dirigeants syndicaux de gauche émerge. La plupart d’entre eux sont orphelins d’un parti qu’ils ne reverront jamais. Ils parlent, sans avoir l’air d’y croire eux-mêmes, de "reprendre le Parti travailliste". D’autres, comme l’équipe dirigeante du syndicat RMT (cheminots et autres travailleurs des transports) sont des militants anticapitalistes conséquents. L’année dernière le RMT a autorisé ses sections locales à soutenir des partis autres que le Labour. Cela s’appelle "la démocratisation du fonds politique" et c’est largement discuté dans d’autres syndicats. Par la suite la fédération écossaise du RMT a décidé de s’affilier au Parti socialiste écossais (SSP), parti de la gauche anticapitaliste créé en 1998. C’est pour avoir refusé d’interdire cette affiliation que le RMT, dans le plus pur style bureaucratique, "s’est lui-même mis en dehors du Parti travailliste" à l’expiration d’un ultimatum de la direction du parti. Ironie de l’histoire : c’est le syndicat des cheminots qui a proposé la résolution à l’origine de la creation du Labour en 1900...
Ce n’est pas un cas isolé. La contestation s’étend. En Ecosse, le SSP commence à apparaître comme une alternative. Déjà le syndicat des postiers (CWU) de la région d’Edimbourg s’y est affilié bien que cela soit contraire aux statuts du syndicat national. Mais le débat fait rage et la question sera à l’ordre du jour de son prochain congrès. Dans le Syndicat des pompiers (FBU), dont les membres avaient été traités de "criminels" et de "fascistes" par des ministres blairistes au cours de leur grève l’année dernière, c’est la direction elle-même (pourtant partisane de "reprendre" le Labour) qui propose la démocratisation du fonds politique. Il faut savoir que plusieurs régions du syndicat exigent carrément la désaffiliation.
A l’étape actuelle en Angleterre, faute d’une alternative au Labour, pour de nombreux militants qui craignent une dérive apolitique des syndicats, la démocratisation du fonds politique permet de soutenir ponctuellement d’autres candidats sans se désaffilier du Labour. La nouvelle coalition de la gauche radicale, Respect (lire p. 16), en profite. Dans sa direction se trouvent des responsables de la FBU et du principal syndicat de fonctionnaires. Dans sa campagne pour les élections européennes, Respect a maintenant le soutien d’une dizaine de sections du RMT, ainsi que de postiers, d’enseignants et d’autres.
Signe du nouveau climat, de nombreux syndicats ont considérablement réduit leur soutien financier au Parti travailliste. Ce n’est pas sans importance mais aujourd’hui les syndicats ne comptent que pour 30 % des finances du parti, contre 80 % il y a 30 ans. Le véritable enjeu est politique. L’histoire du mouvement ouvrier britannique fait en sorte qu’aucun parti ne puisse être crédible comme alternative au Labour sans avoir des soutiens dans le mouvement syndical. Si le SSP aujourd’hui, et peut-être un nouveau parti en Angleterre demain, sont capables de briser le monopole travailliste sur l’affiliation syndicale, ce sera un pas décisif vers l’affirmation d’une alternative anticapitaliste à une échelle de masse.
Rouge 2063 06/05/2004