par LCR-web (Belgique)
28 juin 2009
Un coup d’Etat a eu lieu au Honduras mené par les secteurs réactionnaires de la société (l’armée, l’oligarchie, l’Eglise, la Justice...). Le président démocratiquement élu a été séquestré est expulsé du pays par les militaires au moment où devait se tenir une consultation populaire pour savoir si le peuple est favorable ou non à initier en 2010 un processus d’Assemblée Constituante. Dans ce bastion traditionnel de l’impérialisme US, le président Manuel Zelaya, pourtant issu de l’oligarchie et membre du Parti Libéral, a pris un tournant marqué vers la gauche en rejoignant « l’Alliance bolivarienne pour les peuples d’Amérique » (ALBA) créé par Hugo Chavez et Fidel Castro.
La population hondurienne se mobilise dans les rues afin d’exiger le retour de son président tandis que Chavez a mis en alerte l’armée vénézuélienne. Tant ses alliés de l’ALBA que les autres chefs d’Etat du continent - y compris le gouvernement réactionnaire colombien - condamnent le putsch qui ne semble pas jouir jusqu’à présent du moindre soutien international. L’ONU et l’UE se sont également clairement prononcés contre ce putsch tandis que le président US s’est contenté quant à lui d’exprimer sa « préoccupation » ! Nous publions ci-dessous quelques articles pour comprendre la situation et appelons à participer aux actions de protestation et de solidarité avec le peuple hondurien en Belgique. (LCR-Web)
« Nous allons défendre le droit du peuple à s’exprimer ».
Entretien avec le syndicaliste Carlos H. Reyes
Note LCR-Web : cet entretien a été réalisé et publié peu avant le coup d’Etat militaire qui a forcé le président Zelaya à l’exil au Costa Rica
Ces derniers jours, des dizaines de milliers de personnes se sont mobilisées dans tout le pays pour garantir l’ordre démocratique qui a été gravement menacé par une tentative de coup d’Etat contre le président José Manuel Zelaya et par de sombres manoeuvres destinées à boycotter la consultation populaire de ce dimanche. Alors que le pays revient lentement à une situation d’apparente normalité, les organisations sociales et syndicales se préparent à participer activement au processus de distribution du matériel nécessaire à cette consultation populaire afin de garantir qu’elle soit une véritable fête civique pour le peuple hondurien. C’est en effet la première fois de son histoire qu’il pourra exprimer son opinion sur un sujet aussi décisif que le lancement d’un processus qui pourrait changer l’histoire du pays avec l’élection d’une Assemblée Constituante.
Pour analyser la situation actuelle et les événements de ces derniers jours, nous nous sommes entretenus avec Carlos H. Reyes, secrétaire général du Syndicat des Travailleurs de l’Industrie des Boissons et Assimilés (STIBYS) et candidat indépendant aux élections présidentielles de novembre.
Quelle lecture peut-on faire des événements de ces derniers jours ?
Carlos H. Reyes : Lorsqu’en 1981 une réforme de la Constitution a été menée, c’était dans le contexte, dans le pays et dans la région, de la guerre de basse intensité menée par les Etats-Unis et par son ambassadeur John Dimitri Negroponte.
Il y avait alors un gouvernement civil mais les véritables maîtres étaient les militaires, en premier lieu Gustavo Álvarez Martínez, un assassin qui a commandité le meurtre de nombreuses personnes. Dans un tel contexte, les patrons, obéissants aux consignes lancées par l’ambassade US, ont lancé deux mots-d’ordre ; vendre les richesses du Honduras et réduire l’Etat afin, prétendaient-ils, de sortir de la pauvreté. Ces principes ont imprégné la Constitution et cela a servi à impulser le néolibéralisme et tout ce que ce modèle implique.
En 2005, on est arrivé à un moment critique pour le pays avec la signature du Traité de Libre Echange avec les Etats-Unis (DR-CAFTA). Avec les mouvements sociaux nous avons mené une forte mobilisation contre ce Traité. Le DR-CAFTA a donné le coup de grâce à notre Constitution et nous avons affirmé qu’il était nécessaire d’élire une Assemblée Constituante afin de la réformer et de récupérer notre souveraineté.
Aujourd’hui, le président Zelaya a repris cet objectif et malgré le fait que l’actuelle Constitution ne prévoit aucun mécanisme de consultation populaire, il a proposé d’en organiser une, ce qui lui a valu d’être attaqué par différents secteurs, avec une campagne médiatique et psychologique mensongère, avec des calomnies destinées à faire peur aux gens.
On est arrivé au point d’utiliser la violence contre ceux qui se prononcent en faveur de la consultation populaire. Fabio Ochoa, un dirigeant populaire du département de Colomb qui a lutté aux côté des ex-travailleurs des entreprises bananières a été gravement blessé par balles à sa sortie d’une émission télé où il avait publiquement soutenu la nécessité d’une Assemblée Constituante. Aucun média n’a informé sur ce crime.
Dans ce sens, ce qui s’est passé ces derniers jours démontre la claire intention de ne pas laisser le peuple s’exprimer et de décider ce qu’il veut ; pour ou contre une réforme de la Constitution.
Pourquoi es-ce que presque tous les pouvoirs institutionnels de l’Etat se sont prononcés contre la consultation populaire ?
C.H.R : Le fait qu’ils sont contre et que le président se trouve dans un situation d’isolement institutionnel s’explique parce qu’ils ne veulent pas que le peuple s’exprime. Quelle est leur crainte ? Qu’avec une nouvelle Constitution, le peuple puisse avoir la possibilité et le rapport de forces nécessaire au sein de l’Assemblée nationale constituante pour sauvegarder nos ressources naturelles, surtout celles du sous-sol. Je parle ici de la présence confirmée de pétrole ; les grands patrons nationaux et les multinationales ont peur de perdre l’opportunité de faire des profits colossaux avec cela si, dans une nouvelle Constitution, on affirme que ces ressources appartiendront à l’Etat.
Actuellement, 30% du territoire national a été offert en concessions aux entreprises minières étrangères et on constate la même chose avec les ressources hydriques. Une Constitution qui interdit cette exploitation serait quelque chose de terrible pour les patrons nationaux et étrangers.
Mais nous parlons aussi de patrons qui ne veulent pas payer d’impôts. Avant 1970, l’Etat recevait 25% du PIB sous forme de revenus fiscaux et aujourd’hui seulement 14%. Une Constitution qui détermine une politique fiscale redistributive des revenus est un autre sujet de préoccupation pour les patrons, ils ne veulent même pas en entendre parler. Ils ne veulent pas perdre le moindre de leur privilèges alors que 80% de la population vit dans la pauvreté.
Les mouvements sociaux soutiennent-ils le président Zelaya ?
C.H.R : Le président Zelaya a reçu le soutien direct d’une grande partie de son parti tandis que les trois centrales syndicales, réunies dans le Bloc Populaire du Honduras et toute une série d’organisations sociales soutiennent la consultation populaire de dimanche, mais pas le président Zelaya.
Nous soutenons la nécessité d’une nouvelle Constitution mais nous pensons aussi que le président Zelaya doit remettre comme prévu son mandat le 27 janvier 2010. Pour nous, l’important est que nous puissions au Honduras débattre à fond sur la politique, sur le bilan désastreux qu’à laissé le modèle néolibéral. Et cela, ils n’en veulent pas. Ils ne veulent pas que le peuple se politise, qu’il commence à débattre politiquement sur les problèmes nationaux.
Pensez-vous que le processus de vote pourra se dérouler normalement ce dimanche ?
C.H.R : Le fait que l’armée ne va pas participer à la logistique pour le déroulement du vote va certainement créer des problèmes. Cependant, de nombreuses personnes sont disposées à collaborer et à travailler pour cela. Il va y avoir des difficultés, mais je pense que nous allons finalement parvenir à ce que les gens votent massivement. Les gens sont en train de se mobiliser et sont prêt à défendre ce droit.
San José, Costa Rica, 28 juin 2009. Entretien réalisé par Giorgio Trucchi pour Rel-UITA
http://www.rel-uita.org/internacional/con_carlos_reyes-2.htm
Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be
L’oligarque qui a changé de camp
Si quelqu’un aurait dit il y a bien des années au grand propriétaire terrien Manuel Zelaya Ordóñez que son fils, formé dans les meilleurs collèges catholiques, patron de l’agro-business et avec des dizaines d’année d’appartenance au Parti Libéral, finirait par être arrêté et expulsé par l’armée pour avoir flirté avec le « socialisme du XXIe siècle » d’Hugo Chavez, il aurait tout bonnement pensé qu’il s’agissait d’un fou. Et dans le cas improbable où il l’aurait cru, cela lui aurait provoqué une crise cardiaque.
Et pourtant, Manuel Zelaya Rosales, le fils de Don Manuel, 56 ans, a été victime d’un coup d’Etat orchestré par les secteurs qui l’avaient toujours vu comme l’un des leurs, bien que de plus en plus « étranger ».
Lorsque Zelaya a remporté les élections en 2005, alors qu’il était encore un grand propriétaire terrien qui avait fait campagne pour le centre-droit, le Tribunal Suprême Electoral qui vient de le renverser, avait déjà fait des difficultés et tardé un mois avant de proclamer les résultats officiels, malgré que tout le monde savait qui avait gagné.
Dans cette campagne électorale, sa priorité a été la lutte contre la délinquance, l’un de ses slogans était « Le pouvoir citoyen est la sécurité, sans haine ni mort » avec quelques vagues promesses d’impulser la participation citoyenne et de combattre la pauvreté. Le tout dans les marges traditionnelles de la politique hondurienne, bastion de l’orthodoxie néolibérale et du Consensus de Washington en Amérique centrale, qui fut la plus grande base de la « Contra » antisandiniste dans les années 1980.
C’est pour cela que tout le monde a été stupéfait lorsque Zelaya a subitement paru bras dessous, bras dessus avec les leaders de « l’Alliance Bolivarienne pour les peuples de notre Amérique » (ALBA) créée par la vénézuélien Hugo Chavez et le cubain Fidel Castro pour faire contrepoids et comme alternative d’intégration régionale au Traité de Libre Echange impulsé par Washington.
Après la stupeur, l’opposition a haussé le ton et à commencé à dire que le président était devenu fou, à l’insulter et à l’accuser d’opinions honteuses. La décision de Zelaya de rejoindre l’ALBA a été retardée pendant des mois parce que le Parlement à multiplié les entraves pour la bloquer.
Comment est-il possible que cet homme issu du sérail se soit tout d’un coup rebellé et a rejoint l’ALBA ? Zelaya lui-même raconte, puisque cela lui a été demandé plusieurs fois, que cette décision qui a laissé tellement de monde bouche bée a été prise parce qu’il n’avait pas d’autre choix. Il affirme que personne n’a voulu l’aider dans sa lutte contre la pauvreté, sauf l’ALBA, qui lui permet d’obtenir du pétrole vénézuélien et de financer des programmes sociaux. Dans le cas du Honduras, l’argent de l’ALBA a effectivement financé des programmes sociaux et fait changer de camp son président, aujourd’hui aligné sur l’axe de la gauche du continent avec Castro, Chavez, Morales et Ortega.
A partir de ce moment là, le chemin qu’à pris l’oligarque le plus haï par l’oligarchie n’avait plus de retour en arrière. Grâce à l’ALBA, il obtenait du pétrole bon marché, qu’il pouvait payer en 25 ans avec à peine 1% d’intérêts, à condition de mener des programmes sociaux. C’est pour cela que le Département d’Etat de l’ex-président Bush a mis le pays dans la liste noire et mené une intense campagne de dénigrement à l’égard du fils rebelle.
Conversion
Cette attitude à poussé Zelaya à embrasser l’ALBA non plus tactiquement, mais cette fois-ci avec conviction, ce qui lui a valu la haine éternelle de sa classe : il a alors élargi les programmes sociaux, à commencé à protéger des zones à haute valeur écologique de l’appétit des multinationales, à promu la participation politique des plus humbles et à même condamné la dette extérieure.
Que ce soit par la foi du converti ou parce que ses alliances ne lui laissaient plus d’autre recours, ce qui est certain c’est qu’il s’est parfaitement glissé dans la peau de son nouveau personnage et l’a interprété avec toutes ses conséquences.
Peu avant le coup d’Etat, Zelaya, évoquait ainsi sa conversion dans un entretien avec le journal El Pais : « J’ai pensé faire les changements à l’intérieur du système néolibéral lui-même. Mais les riches ne veulent pas céder un kopeck. Les riches ne veulent rien céder de leur argent. Ils veulent tout pour eux. Alors, logiquement, pour faire les changements, il faut incorporer le peuple. »
Pere Rusiñol, Journal Público (Etat espagnol). Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be http://www.publico.es/internacional/235385/oligarca/cambio/bando