Larmes de crocodile, dents de requin
Nous nous réjouissons, avec le mouvement de solidarité qui y a contribué, de la libération d’Ingrid Betancourt. Il faut un certain courage pour tenir six ans dans la jungle, dans des conditions difficiles. Nous profitons de cette occasion pour redire notre rejet du système de prise d’otages civils, comme celui de l’utilisation de la torture, quelle que soit la cause mise en avant pour les justifier. Ces méthodes sont contraires au type de société que nous voulons construire, et ceux qui les utilisent discréditent leur combat. C’est l’une des divergences majeures que nous avons avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc).
En revanche, comment supporter la campagne médiatico-politique sans précédent qui a envahi nos écrans depuis la libération de l’otage franco-colombienne, donnant à chaque leader politique l’occasion d’essayer de se faire mousser, en s’appuyant sur des déclarations malheureuses d’Ingrid Betancourt à la gloire de Dieu, du président de la Colombie, Alvaro Uribe, de l’armée colombienne et de tous les leaders de la droite française. Qu’on ne s’y trompe pas, Uribe et son armée dirigent le pays avec l’aide de milices armées d’extrême droite, qui n’ont pas hésité à liquider des centaines de militants et de paysans. Quant aux otages, il y en a malheureusement des centaines d’autres dans le monde qui n’ont droit qu’à l’anonymat, qu’il s’agisse des Palestiniens emprisonnés en Israël et privés de procès, des prisonniers civils de Guantanamo enlevés et jamais jugés – dont certains, à leur libération, n’ont même plus la force de parler – ou des dizaines de civils tchétchènes enlevés par l’armée russe.
Alors oui, nous sommes heureux de voir Ingrid Betancourt libre et pleine de vie, quelles que soient les conditions de sa libération. Mais nous ne limiterons pas à sa personnalité le combat pour la défense des libertés, et nous n’avons aucune illusion sur les larmes de crocodiles que n’hésitent pas à verser, en pareille occasion, les requins qui nous gouvernent. ■
Alain Krivine