Tiré du site À l’encontre
Vinicius Mansur est correspondant à La Paz de l’hebdomadaire Brasil do Fato, publication proche du MST du Brésil.
25 septembre 2009
Le scénario électoral devient plus clair en Bolivie. Le 7 septembre 2009, des partis et des organisations citoyennes ont inscrit leurs candidats pour la bataille électorale qui aura lieu le 6 décembre 2009. Le Mouvement vers le Socialisme – Instrument pour la Souveraineté des Peuples (MAS-IPSP) revoit sa tactique pour « refonder l’Etat ».
Le président bolivien Evo Morales aura face à lui sept adversaires dans sa course à la réélection. Trois d’entre eux se situent à sa gauche et sont tous trois d’ascendance indigène. Alejo Véliz, ex-compagnon de l’actuel présidant à l’époque où celui-ci militait au sein de la Confédération syndicale unique des travailleurs Paysans de Bolivie (CSUTCB), est à la tête de l’organisation indigéniste radicale Peuples pour la Liberté et la Souveraineté (Pulso). Román Loyaza, ex-député fédéral, est présenté par le regroupement citoyen Gente [les Gens], après sa rupture d’avec le parti qu’il a fondé : le MAS-IPSP. Il lui reproche d’être actuellement géré par des dirigeants néolibéraux. Quant à René Joaquino, l’actuel préfet de la ville de Potosí, il est présenté par l’organisation Alliance Sociale (AS) et se définit comme étant d’une « gauche démocratique non-confrontationnelle ».
Les quatre autres candidatures se situent à la droite de Morales sur le spectre politique. Ana Maria Flores, pour le Mouvement de l’Unité Social-Patriotique (MUSPA) et Remi Choquehuanca, pour Bolivie Social-Démocrate (BSD), sont deux conservateurs qui ne représentent pas grand monde. Quant à l’ex-militaire et gouverneur de Cochabamba, Manfred Reyes Villa, candidat pour le Plan Progrès pour la Bolivie – Convergence Nationale (PPB-CN) et au méga-entrepreneur Samuel Doria Medina, du Front d’Unité Nationale (UN), ceux-ci représentent une opposition de droite jouissant d’une grande visibilité à l’échelle nationale.
Jusqu’à maintenant, le nombre élevé de candidatures n’a pas été capable d’ébranler la popularité de Morales, comme le révèle le dernier sondage sur les élections présidentielles publié le 13 septembre. Celui-ci a cherché à évaluer le taux d’acceptation de chaque candidat et c’est l’actuel président qui a obtenu l’indice le plus élevé,à savoir 55%. Viendrait en seconde position Manfred Reyes Villa avec 25% des votes et, en troisième position, Samuel Doria Medina avec 24%. Le sondage, qui compte avec une marge d’erreur de 4,9%, a limité son champ d’investigation aux plus grandes villes de Bolivie : El Alto, La Paz, Cochabamba et Santa Cruz. Cependant, comme le vote rural est traditionnellement massivement en faveur de Morales, on peut s’attendre à ce que l’avantage de celui-ci soit plus marqué encore.
Croissance fasciste
L’analyste politique Hugo Moldiz fait remarquer que seul un miracle serait capable de voler sa réélection à Morales. Mais il nous met toutefois en garde contre le fait que l’importance avance de celui-ci n’empêchera pas la droite d’être très attentive à la croissance des sentiments fascistes qui auront été semés par la candidature du PPB-CN. Manfred Reyes Villa est un ex-militaire qui est passé par l’Ecole des Amériques en 1976 [la base américaine qui était à Panama et formait les cadres militaires des régimes d’Amérique du Sud] et son candidat à la vice-présidence, Leopoldo Fernández, est l’ex-gouverneur du département de Pando, qui a dû abandonner sa charge en septembre 2008 après avoir été accusé d’avoir lui-même donné l’ordre du massacre qui avait fait au moins 13 morts et 47 blessés dans la localité de Porvenir [1].
Selon Moldiz, la candidature de Villa exprime « l’état d’âme de secteurs dits de la classe moyenne ayant une inclination toujours plus fascistoïde », des gens qui pensent qu’en décembre prochain, c’est la démocratie qui est en jeu dans le pays : ou bien Evo perd et la démocratie avance, ou bien il gagne et le pays continue sur le chemin de l’autoritarisme. Etant donné la très faible probabilité que Morales perde l’élection, Moldiz soupçonne Villa d’être en train de préparer le terrain pour l’après-décembre.
« Il y a une idée militaire, très bien exprimée par Che Guevara, qui dit que lorsque tous les chemins de la lutte légale en viennent à se fermer, il ne reste pas d’autre option que la révolution. Si on applique cette logique à la droite, il est clair qu’à mesure que se ferme la possibilité politique de se débarrasser non plus d’Ev, mais de la nouvelle classe qui lui a pris sa place au sein des différentes structures de l’Etat, l’ultra-droite va recourir à nouveau à des formes non démocratiques d’opposition. Et ce secteur a repris des forces après les épisodes du Honduras et des bases militaires des Etats-Unis en Colombie [2]. Tous sont en train d’espérer que la droite gagne au Brésil, que l’ultra-droite gagne au Chili et qu’il se produise un retour en arrière en Argentine, afin de modifier le rapport des forces en présence. On assiste actuellement à une contre-offensive impériale dont Manfred et Leopold font partie. »
La tactique du MAS
Selon le député fédéral et porte-parole de la campagne du MAS-IPSP, Jorge Silva, le scrutin qui aura lieu en décembre 2009 constitue le pont qui permettra à la Bolivie de passer d’un Etat colonial vers un Etat Plurinational, puisque c’est à la prochaine législature qu’il incombera d’approuver les lois qui donneront une vie concrète à la nouvelle Constitution. Pour cela, le MAS-IPSP désire maintenir l’hégémonie qu’il a à la Chambre des Députés et gagner le Sénat, qui est actuellement aux mains de l’opposition.
Cependant, Silva fait remarquer que l’objectif n’est pas d’obtenir la majorité simple seulement, mais bien les deux tiers de tout le Congrès. Selon la législation électorale actuelle, si le MAS-IPSP obtient les mêmes 53% qu’il a obtenus aux dernières élections, la majorité simple lui sera garantie dans les deux chambres. Mais s’ils veulent obtenir une majorité de deux tiers, les massistes [les partisans d’Evo Morales et du MAS] auront besoin du 65 à 70% des votes.
Jorge Silva ajoute : « Nous avons besoin des deux tiers parce que nous voulons accélérer la construction de l’Etat Plurinational et parce que l’approbation de certaines lois va exiger ce quorum. Si nous parvenons à cela, nous entrerons dans une phase décisive du projet politique du MAS et nous pourrons être au pouvoir pour 20 ou 30 ans encore. Durant ces dernières trois années et demie, nous avons été soumis au modèle d’Etat néolibéral. Le véritable processus de changement commencera à partir de la prochaine législature ».
La classe moyenne
Pour initier cette nouvelle étape du processus politique bolivien, le MAS-IPSP a, dans différents départements, choisi de placer à la tête de ses listes de candidats aux fonctions de députés et de sénateurs des représentants de la classe moyenne, telle que l’ex-journaliste et défenseuse publique Ana Maria Romero de Campero, candidate à être la première sénatrice du parti à La Paz.
Pour l’analyste politique Moldiz, ladite classe moyenne constitue aujourd’hui l’enjeu de la bataille électorale. Ainsi, on a, d’un côté, la droite qui veut renforcer son discours et son futur politique dans ces secteurs moyens et, de l’autre, un gouvernement indigène et populaire qui veut étendre son influence.
« Ce que le MAS fait, c’est passer d’un premier moment de radicalisation discursive et de démonstrations de force sociale – deux éléments qui ont permis d’approfondir le processus actuel – à un second temps d’incorporation de secteurs plus large, ce qui lui permettra d’occuper peu à peu tout le spectre politique. La question est maintenant de savoir quel caractère aura son programme », nuance Moldiz. (Traduction A l’Encontre)
* Vinicius Mansur est correspondant à La Paz de l’hebdomadaire Brasil do Fato, publication proche du MST du Brésil.
1. Sur un pont situé à sept kilomètres de Porvenir, un millier de paysans marchaient vers Cobija en signe de protestation contre la violence initiée par le préfet, Leopoldo Fernández. Des paramilitaires, entraînés et financés par le « cacique » pandino, ont commis un massacre contre des gens sans défense.
2. Depuis le refus par le gouvernement Correa de renouveler l’accord pour la base de Manta en Equateur, les Etats-Unis réorganisent leur présence en Colobie : ils y contrôlent sept bases. Le Honduras est aussi un des plates-formes importantes des Etats-Unis ; ce qui est en arrière-fond du « coup d’Etat suave » de l’armée contre Zelaya.
(25 septembre 2009)