Tiré de Presse-toi à Gauche
mercredi 3 juin 2009, par David Mandel
Mise en perspective : les conditions de départ
Avant de présenter les résultats de la grève, il serait utile de rappeler les conditions de départ, qui ne semblaient favoriser ni une grève ni une issue victorieuse.
Malgré leur image de penseurs critiques, les professeurEs d’université constituent (avec des exceptions quand même importantes) un groupe social assez conformiste par rapport à l’idéologie dominante. La vie intellectuelle est très influencée par le rapport de force au sein de la société, et celui-ci a fortement évolué depuis un quart de siècle en faveur de la classe dominante. Rares sont les professeurs qui adoptent des positions contestataires envers l’ordre établi ou qui manifestent un engagement envers les classes populaires. En plus, le métier de professeur lui-même encourage l’individualisme, la concurrence, la recherche de la reconnaissance personnelle.
Plusieurs autres éléments de leur situation s’opposaient à la transformation des professeurEs en grévistes militantEs. Bien payéEs par rapport à la masse des salariés, jouissant d’un degré de prestige dans la société, les professeurEs se distinguent aussi par un degré important d’autonomie au travail, voire même de pouvoir – vis-à-vis des étudiantEs, des assistantEs, des secrétaires. L’UQAM, comme université, se caractérise aussi par une certaine autogestion ou cogestion : les assemblées départementales embauchent en pratique les nouveaux et les nouvelles collègues ; elles évaluent le travail des collègues, recommandent leur promotion ; et le côté académique de l’université est en général autogéré ou cogéré par les professeurEs. Si ce pouvoir est un atout indéniable pour les professeurEs et nécessaire pour la mission de l’université, il démarque les professeurEs de la masse des salariéEs et tend à miner leur conscience des intérêts qui les opposent à l’administration, et en conséquence, à affaiblir leur identification avec le syndicat, avec les collègues de travail organiséEs.
La convention collective du SPUQ est échue en mai 2007, et le syndicat a aussitôt déposé son projet de son renouvellement. Mais cela a été suivi de près par l’éclatement de la crise immobilière : les aventures de l’administration en matière de PPP (qui avaient pour contexte un manque réel d’espace et le refus du gouvernement d’en financer la construction) ont creusé une dette de quelques $300 millions. Et suivant sa politique d’imposer la discipline budgétaire aux universités, le gouvernement retenait $65 millions des subventions pour le fonctionnement courant (la source principale de revenu de l’université) pour les années 2005-08. À l’automne 2009, le gouvernement s’est finalement dit prêt à assumer le fardeau de la dette immobilière et a versé les subventions retenues, mais la direction de l’université, de concert avec la Ministre, insistait toujours sur la nécessité d’austérité et de coupures budgétaires. Même si le recteur reconnaissait le sous-financement historique de l’UQAM, il n’a jamais caché que, à part la dette de l’immobilier, il n’allait pas demander plus d’argent au gouvernement, parce qu’il lui fallait se montrer responsable envers « nos partenaires », ce qui, pour lui, signifiait le gouvernement et le milieu des affaires, mais certainement pas les employéEs et les étudiantEs.
Une fois la crise immobilière (mais non pas ses suites politiques) réglée, la crise économique générale a frappé, entraînant de gros déficits du budget public, la montée du chômage et de la pression sur les salaires. Le contexte n’était évidemment pas encourageant pour demander plus d’argent du gouvernement, et surtout pas pour des augmentations salariales et pour l’embauche de professeurEs. Même quand l’état des finances publiques était plus favorable, le gouvernement a rejeté du revers de la main les revendications de ses employés et n’a pas hésité à leur imposer une loi spéciale.
Un autre obstacle de taille à une grève était le déclin, depuis plusieurs années, de la vie syndicale des professeurEs, tendance générale du mouvement ouvrier québécois, liée à toute une série de défaites majeures subies depuis un quart de siècle (mais qui ne sont pas étrangères à l’adoption de la stratégie du dit « partenariat social »), dont la dernière, celle du secteur public, date de décembre 2005. Mais l’affaiblissement du syndicat à l’UQAM avait aussi des causes spécifiques. Ainsi, en 1996 le syndicat a accepté, sans résistance sérieuse, des concessions « temporaires » demandées par l’administration dans le cadre de la « crise financière » de l’État, crise bidonne montée pour justifier la nouvelle politique de « déficit zéro », politique entérinée par la direction des centrales lors du fameux Sommet socio-économique de cette année. À l’UQAM, la présidente d’alors du SPUQ expliquait aux membres que « C’est évident que nous avons vécu au-dessus de nos moyens. » Ces concessions, et en particulier l’augmentation significative de la taille moyenne des groupes-cours, sont par la suite devenues permanentes. Les conventions suivantes ont été négociées sans mobilisation des membres et ne leur ont pas apporté de gains significatifs.
Il n’est donc pas surprenant qu’une partie importante des membres n’appréciait pas l’importance du syndicat pour leurs conditions de travail. Au contraire, il y avait une tendance à s’identifier davantage à la direction. La faiblesse de la vie syndicale se manifestait, entre autres, dans le peu d’empressement à assumer des tâches syndicales, la faible assistance aux assemblées, la rareté des discussions des affaires syndicales lors des assemblées départementales, le choix parfois des représentantEs du corps professoral aux instances de cogestion d’ignorer les positions syndicales. (Les représentantEs des professeursEs au conseil d’administration ont, par exemple, voter en faveur du projet de « l’Ilôt voyageur », malgré l’opposition du syndicat.) Pour sa part, la direction ne cachait pas son mépris pour le syndicat, négligeant de lui acheminer l’information requise dans des délais raisonnables, passant outre ses opinions, violant la convention collective.
La situation à la veille de la grève n’était pas toute noire. Le syndicat jouissait de certains atouts importants qui allaient contribuer à une issue positive du conflit. Mais avant de les aborder, il faut présenter cette issue.
Un bilan en gros positif
La plupart des clauses normatives, sans incidence monétaire, de la nouvelle convention collective ont été réglées pendant le printemps de 2008, avec l’exception importante du statut des doyens, que le recteur voulait retirer de l’unité d’accréditation pour en faire des cadres. L’incertitude qui planait au-dessus de l’avenir de l’université à cause de la crise immobilière n’a pas permis d’aborder les clauses monétaires avant l’automne de 2009. Mais cette crise réglée, le syndicat s’est heurté au refus de la direction de poursuivre les négociations. Les revendications monétaires principales étaient une augmentation salariale de 5%, 3% et 3% pour les trois années de juin 2007 à mai 2010 (pour atteindre le niveau des autres universités montréalaises) et l’embauche de 300 professeurs, au-delà des 1010 postes existants. (Le syndicat demandait aussi une augmentation de $4000 à $8000 de la compensation des cours assumés en appoint, égale à la compensation des chargéEs de cours ; le versement par l’université d’une somme égale lorsque le, la professeurE consacre cette somme à des bourses étudiantes ; l’augmentation du salaire pendant les années sabbatiques de 80% à 90% du salaire normal (il est à 100% dans les autres universités) ; une allocation de démarrage pour les nouveaux nouvelles professeurEs égale à deux charges de cours ; et autres.)
Face au refus de l’administration de négocier (Les prétextes changeaient : elle devait d’abord attendre l’entrée en fonction d’une nouvelle équipe de négociateurs ; ensuite, le dépôt d’un rapport d’étalonnage ; finalement le dépôt du budget de retour à l’équilibre en 2012, attendu pour la fin mai, ce qui suscitait le spectre d’un lockout pendant l’été.), l’assemblée générale a voté une « journée d’étude » pour le 16 février, qui a été suivie de quatre journées de grève dispersées (les 19, 25, 27 février et le 10 mars), et puis de presque six semaines complètes de grève. À partir de la semaine du 10 mars, le gouvernement a pris en charge directement les négociations. Mais, après une première « offre ultime », que les professeurEs ont rejetée à 91% comme méprisante, les négociations ont marqué le pas jusqu’à la toute dernière semaine. (Le syndicat a fini par déposer une plainte de mauvaise fois devant la Commission du travail.)
L’entente, entérinée par l’assemblée générale le 24 avril ajoutera 146 nouveaux postes pendant les trois ans qui restent (jusqu’en mai 2012) de la nouvelle convention collective et à la fin de cette période apportera les salaires au niveau des autres universités de l’U.Q. (une augmentation de quelques 12%, au-dessus des augmentations accordées au secteur public.) Parmi les autres gains sont un versement forfaitaire du retour du travail de 3% du salaire annuel, les sabbatiques compensées à 90%, l’augmentation de la compensation des cours assumés en appoint à 6000$. Pour sa part, le gouvernement a abandonné sa demande de créer un comité d’enquête sur la tâche des professeurEs. Cette entente coûtera au gouvernement quelques $20 millions récurrents, une somme non négligeable mais qui ne peut pas se comparer aux $205 millions alloués à la rénovation du casino de Montréal.
Dans la colonne des gains, il faut inclure aussi le fait d’avoir forcer le gouvernement (c’est lui qui avait l’argent) à assumer directement les négociations et d’avoir en même temps évité une loi spéciale, menace brandie par la Ministre et son négociateur. Le syndicat a su faire comprendre au gouvernement que le prix à payer pour une loi spéciale lui serait élevé. Nous y reviendrons plus loin.
Du côté négatif, il y a la reconnaissance par le syndicat du principe des doyens cadres. Leurs pouvoirs devront encore être négociés par un comité paritaire, mais il n’est pas clair ce qui arrivera si ce comité ne peut pas s’entendre sur une recommandation ou si la recommandation est inacceptable pour les professeurEs ou l’administration. Même si la direction présente cette question comme une simple mesure de décentralisation administrative vers les facultés, une partie importante des professeurEs la considère comme le premier pas d’un projet qui vise à réduire l’autonomie des assemblées départementales et du caractère autogestionnaire et cogestionnaire de l’UQAM. Autre élément négatif : pas de rétroactivité de l’augmentation salariale.
Aurait-il été possible poursuivre la grève pour obtenir plus ? L’exécutif savait de sources internes à l’Assemblée nationale que la menace d’une loi spéciale n’était pas, au moins dans l’immédiat, réelle. En même temps chaque jour additionnel de grève augmentait la pression, mettant davantage en péril la session d’hiver. Il est sans doute vrai que les grévistes étaient fatiguéEs. Mais la fatigue ne datait pas d’hier, et malgré elle la grève a été reconduite plusieurs fois par des votes massifs – 91% et 90%, les deux dernières fois. Il est vrai également que les dernières offres du gouvernement auraient affaibli le vote en faveur de la poursuite de la grève. Mais une majorité était-elle exclue ? Espérant renforcer la volonté de l’assemblée de reconduire la grève, la présidente avait commis l’erreur de présenter comme dernière sa proposition des 10 jours additionnels qui ont de fait précédé la conclusion de l’entente. En général, l’exécutif tendait à sous-estimer la détermination de la base. Dans les mois et les semaines précédant la grève, il ne l’avait pas vraiment cru possible, craignant même de prononcer le mot aux assemblées. En plus, l’entente finale a été présentée aux membres comme proposition majoritaire de l’exécutif. Malgré cela, la minorité dissidente de l’exécutif n’a pas jugé bon d’expliquer sa dissidence, ce qui aurait au moins encouragé un débat sur la possibilité et la sagesse de poursuivre la grève. Quoi qu’il en soit, l’entente a été entérinée par un vote de 90%, et la grève a été très largement perçue comme une victoire importante du syndicat.
Mais ce bilan serait très incomplet sans mentionner les gains que la grève a apportés au niveau de la vie syndicale, gains qui, s’ils sont consolidés - tout un autre défi, dont on ne devrait aucune minimiser l’effort soutenu demandé – pourront changer sensiblement le rapport de force au sein de l’université. La grève a renouvelé la vie syndicale, renforçant l’identification des membres avec leur organisation, leur sens de communauté, leur solidarité. (Ainsi, par exemple, l’assemblée générale des professeurEs a fait d’une entente avec les maîtres de langues, un sous-groupe de seulement 50 personnes qui négociaient séparément, la condition d’une entente). Elle a aussi suscité l’émergence de nouveaux et nouvelles activistes, notamment parmi les plus jeunes professeurEs, ce qui devrait permettre de trouver enfin une relève à la vieille génération qui occupait, faute de choix, depuis longtemps les postes de direction du syndicat.
La grève a également rapproché les divers syndicats de l’université. L’intersyndicale n’a jamais fonctionné si bien. Plus concrètement, la grève a facilité la conclusion sans grève d’une entente avec les employéEs de soutien (SEUQAM-FTQ), entérinée par un vote de 98%. Le président de ce syndicat a rendu hommage à l’« effet SPUQ ». L’administration s’est également montrée étonnement ouverte à la demande des étudiantEs-employéEs (SÉTUE-FTQ) d’être rémunéréEs pour le travail de correction qui devrait être effectué après la date formelle de la fin de leurs contrats (quoique la direction, sans l’accord du syndicat, a demandé la conciliation dans le cadre des négociations de la nouvelle convention).
La grève a sans doute eu un effet radicalisant sur les professeurEs, qui par leur action collective ont défié les autorités universitaires et publiques, refusant d’assumer les conséquences de crises dont ils et elles n’étaient pas les auteurEs. Cela a sans doute apporté une contribution importante à la formation politique, citoyenne, des étudiantEs et des autres employéEs et a réaffirmé l’héritage critique de l’UQAM, si présent à ses origines mais qui s’était affaibli à travers les années. Il reste à voir si l’exemple du SPUQ peut inspirer les syndicats du secteur public, qui entrent bientôt en négociation avec le gouvernement.
Facteurs de la victoire
Bien des facteurs ont contribué à l’issue favorable de la grève, mais l’élément central était sans aucun doute la forte mobilisation et la solidarité des membres du syndicat. Rien n’aurait pu compenser une faiblesse à ce niveau. Par contre, l’effet des autres facteurs résidait, en grande partie, dans leur contribution au renforcement de la mobilisation et la détermination des grévistes. Les majorités en faveur de la grève et de sa reconduction, qui allaient en ascendant – 76%, 85%, 91%, 91%, 90%, phénomène rare dans la vie syndicale – envoyaient un message des plus clairs à la partie patronale et au gouvernement et stimulaient les appuis extérieurs des étudiantEs, des partis de l’opposition, des autres syndicats de professeurEs, des personnages connus des sphères des arts et des sciences.
D’où l’importance cruciale de la participation soutenue des membres aux activités de la grève (participation « encouragée », il est vrai, par le fait que c’était une condition de l’allocation de grève de $720 par semaine, dont $220 de la CSN) – aux divers comités ; aux lignes de piquetage – lieu privilégié de discussion et de débat et de renouvellement des solidarités ; à la levée militante des cours donnés par une partie des chargéEs de cours ; aux manifestations bruyantes de la fin des quarts de piquetage devant l’édifice de l’administration où se déroulaient les négociations ; aux assemblées générales quasi-hebdomadaires qui discutaient de la grève et décidaient de sa poursuite ; aux marches et aux manifestations de l’ensemble des membres ; aux multiples virées aux bureaux du Premier ministre, de la secrétaire du Trésor, des députés libéraux de Montréal et à l’Assemblée nationale ; aux ateliers de discussion et d’information, etc.
Autre facteur important – l’existence au sein du corps professoral d’un courant de gauche significatif, même si affaibli avec le passage des années. Puisque la droite se désintéressait du syndicat, les exécutifs des dernières années étaient formés plutôt par des professeurEs qui penchent à gauche. D’où ses positions conséquentes et fermes en défense du caractère démocratique de l’université et le refus décisif d’assumer les conséquences de l’aventure immobilière et de la crise économique. Ces positions ont rallié les membres de gauche, plutôt disperséEs, mais dont les interventions aux conseils syndicaux et aux assemblées générales ont permis de convaincre la majorité moins décisive. Il faut aussi noter que le SPUQ ne souffre pas d’une tendance, présente dans bien des syndicats, de la direction à vouloir se perpétuer, ce qui tend à encourager le conservatisme de celle-ci. Pour les professeurEs d’université, accepter un poste à l’exécutif, même si cela libère d’autres tâches, représente l’interruption d’une carrière généralement très aimée. Cela se fait donc comme règle par engagement sincère envers les intérêts des membres.
La grève a été caractérisée par un fonctionnement très démocratique, assez rare dans le monde syndical. Les assemblées générales quasi-hebdomadaires, qui informaient les membres de l’état des négociations, des diverses initiatives de l’exécutif et des activités des comités et qui décidaient de la poursuite ou non de la grève ont apporté une contribution inestimable au maintien de la détermination de membres. (Il faut quand même reconnaître que les assemblées générales s’apprêtent mal aux débats de fond, ce qui demande des forums de discussion en plus petits groupes, en atelier. Cette fonction a été remplie dans une certaine mesure par les discussions sur les lignes de piquetage.) Cette démocratie a également permis aux éléments de gauche à la base de corriger certaines positions trop prudentes de l’exécutif, qui craignait que la masse des membres ne le suive pas.
Le caractère graduel (pour certainEs, dont l’auteur, un peu trop graduel) de la mobilisation a permis de renforcer la confiance et le courage d’une base syndicale dont la majorité au début trouvait étrangère et effrayante l’idée même d’une grève. Le processus de mobilisation a commencé avec la réponse du syndicat à la crise immobilière. Dès le début de cette crise, l’exécutif, appuyé par une série d’assemblées générales, a adopté une position conséquente et claire : les employéEs et les étudiantEs de l’UQAM n’avaient pas à payer pour l’irresponsabilité de la direction. Et malgré la mollesse honteuse du nouveau recteur, qui insistait sur la nécessité de se montrer « responsable », l’assemblée générale du syndicat a rejeté par un vote unanime les recommandations d’austérité budgétaire des « experts » externes que l’administration a acceptées. Même si la mobilisation à la base était assez limitée – le gros de l’effort a été fourni par l’exécutif — les positions adoptées ont préparé le terrain idéologique de la lutte pour le renouvellement de la convention collective.
Le 4 décembre – une fois que le gouvernement eut assumé (au moins en principe) la dette immobilière et qu’il eut versé les subventions retenues –, le syndicat a lancé sa campagne – affiches, bulletins, macarons, résolutions, « visites » du conseil syndical au recteur et au conseil d’administration – de « dix semaines pour un règlement ». Mais le syndicat n’a pas précisé ce qu’il ferait si le règlement demandé tardait à venir. Malgré l’impatience de certainEs membres, l’exécutif refusait de demander aux membres un mandat de grève, évitant même de prononcer le mot terrible. La proposition d’une première journée de grève, qualifiée pudiquement de « journée d’étude », pour le 16 février est venue de la salle lors du conseil syndical du 23 janvier et a eu l’appui d’une très forte majorité. Cette décision a été entérinée par l’assemblée générale du 29 janvier par un vote de 88%. L’assemblée générale tenue pendant la journée d’étude du 16 février a donné à l’exécutif (par un vote de 76%) le mandat d’organiser quatre journées de grève, si nécessaires, les 19, 25, 27 février et le 10 mars. L’assemblée suivante le 10 mars a voté à 85% en faveur d’une première semaine complète de grève ; puis celle du 27 mars (à 90%) - 10 jours de grève, et ainsi de suite deux fois de plus jusqu’au 24 avril.
Autre facteur important – le caractère « généreux », non-corporatiste, des revendications, et notamment celle de l’embauche de 300 professeurEs. En fait, l’ensemble des revendications syndicales était présenté comme un projet de relance de l’université, nécessaire pour assurer l’avenir de sa mission. Mais c’est surtout la revendication de 300 postes qui a rendu cette prétention crédible. C’est surtout cette revendication qui a soutenu le moral, le sentiment de justice, des grévistes et a facilité la recherche des appuis externes, notamment des étudiantEs, qui se sont misEs en grèves de solidarité (y inclus, pendant une semaine, les étudiantEs de gestion, geste historique sans précédent), mais aussi des membres de l’opposition et du monde culturel et scientifique.
La détermination manifestée par les grévistes, le poids des appuis externes, ainsi que la justice évidente des revendications syndicales ont empêché le gouvernement d’exécuter sa menace d’une loi spéciale. Le prix à payer a évidemment été jugé trop élevé. De ce point de vue, le syndicat jouissait d’un atout important sous la forme des liens que plusieurs des professeurEs entretenaient avec des membres des élites politiques, culturelles et intellectuelles québécoises. L’appartenance des professeurEs eux-mêmes et elles-mêmes à ces élites, ainsi que les grands efforts faits par l’exécutif, expliquent aussi pourquoi la grève a joui d’une couverture médiatique assez importante, même si pas nécessairement favorable.
Il faut mentionner également le rôle important de l’affiliation du SPUQ à une centrale syndicale – il est le seul syndicat de professeurEs à faire ainsi partie du mouvement ouvrier. À travers les années, bien des professeurEs ont remis en question la pertinence de l’affiliation à la CSN et des gros sous versés en cotisations. Mais cette grève leur a fourni une réponse convaincante. En plus du soutien politique et financier considérable, le rôle de ses conseillers de la CSN dans les négociations et dans la mobilisation était d’un apport difficile à exagérer.
Finalement, il y a le comportement des adversaires, de l’administration de l’UQAM et du gouvernement. Dans un conflit, la force respective des adversaires est toujours un rapport dialectique. L’attitude si profondément méprisante de l’administration et du gouvernement – l’injonction, la menace d’une loi spéciale, le refus pendant si longtemps de négocier, suivi d’une première « offre ultime » si insultante qu’elle a été rejetée pratiquement sans discussion à 91%. Cette attitude n’était pas seulement une provocation constante qui renforçait la détermination des grévistes, mais elle a apparemment aussi aveuglé le côté adversaire à la possibilité d’une stratégie visant à diviser les grévistes pour miner leur mobilisation.
Conclusion : la lutte a sa propre dynamique, difficilement prévisible sans s’y engager d’abord
Une évaluation statique, genre photo, du rapport de force pendant les mois précédent la grève aurait été plutôt décourageante et n’aurait pas permis de prendre la juste mesure du potentiel de mobilisation ni de prévoir la possibilité d’une victoire. C’est là sans doute l’une des leçons principales de la grève – l’importance du leadership dans le mouvement ouvrier : il faut d’abord s’engager avant de décider ce qui est vraiment possible. Une direction syndicale, qui pour ses propres raisons préfère éviter l’affrontement, pourra toujours, sauf dans des périodes exceptionnelles de forte montée de luttes populaires, justifier son refus de mobiliser sérieusement.
Ici, on ne fera mieux que de citer Antonio Gramsci, grand penseur marxiste qui avait une très riche expérience de luttes syndicales : « En réalité, on ne peut prévoir « scientifiquement » que la lutte, mais non les moments concrets de cette lutte, qui ne peuvent pas ne pas être les résultats de forces en oppositions et en continuel changement, forces qui ne peuvent en aucun cas être réduites à des quantités fixes, car en elles la quantité devient continuellement qualité. Dans la réalité, on prévoit dans la mesure où on agit, où on met en application un effort volontaire et où on contribue donc concrètement à créer le résultat « prévu ». La prévision se révèle donc, non comme un acte scientifique de connaissance, mais comme l’expression abstraite de l’effort qu’on fait, la manière pratique de créer une volonté collective. »
La qualité de la direction (et de celle de l’adversaire), sa stratégie, son intelligence, son esprit démocratique, et bien d’autres choses, font partie d’une équation en mutation constante qui constitue le rapport de force. Le leadership ne peut pas créer des miracles là où les conditions sont absentes, mais sa faiblesse peut bien barrer la route à des victoires possibles. D’où l’importance de la présence dans les syndicats d’une gauche, et de préférence d’une gauche organisée.
Il ne s’agit pas ici d’encourager des aventures, mais plutôt de renoncer à la stratégie du dit « partenariat social », si présente dans le mouvement syndical québécois depuis les années 1980 et basée sur une conception d’intérêts fondamentaux partagés entre les salariéEs et les patrons (même si ceux-ci peuvent parfois être myopes et ne pas comprendre leurs propres intérêts, ce qui peut nécessiter un rappel musclé), les deux parties étant de la même manière intéressée au succès de leur entreprise ou de leur institution.
Une gauche qui comprend le caractère fondamentalement antagonique des intérêts qui opposent les salariées à la direction, et donc le rôle central que joue le rapport de force pour la situation des salariéEs, comprend également que la lutte, une fois engagée, tend à suivre sa propre logique. Une fois engagéEs là-dedans, les membres sont réticentEs à gaspiller leur investissement en s’en retirant trop vite, avant de tester leur vrai potentiel. (Cela explique en partie les votes de plus en plus majoritaires pendant la grève du SPUQ). La lutte, une fois engagée, renforce par elle-même la solidarité, parce que celle-ci devient la condition vitale de victoire. La grève libère du temps, notamment sur les lignes de piquetage, pour échanger en toute sérénité avec des collègues venant de différents départements sur les revendications, sur les problèmes du travail, sur des questions sociales et politiques, sur la vie en général. Cette solidarité, cette communauté retrouvée de collègues de travail, que la société capitaliste et l’administration s’efforcent de séparer et de mettre en concurrence, est une source de bonheur qui renforce la détermination et compense l’incertitude et la fatigue de la lutte. L’affirmation collective de sa dignité ; le fait de défier une autorité injuste et souvent stupide ; la force nouvellement acquise, fruit de la mobilisation collective, qui permet d’influencer des conditions perçues hier comme « objectives » et donc immuables – ce sont des sources de jouissance qui émanent de la lutte elle-même et qui donnent le courage de remettre en question les idées dominantes. Tous ces éléments prennent leur place du côté des revendications initiales comme mobiles de la poursuite de la grève.
La lutte a ainsi un effet transformateur sur ses participantEs. Cet effet, qui contribue directement au rapport de force, ne peut être prévu ni mesuré par une analyse statique faite avant de s’engager réellement dans la lutte.
*L’auteur était membre du conseil exécutif du SPUQ au moment de la grève et responsable du comité du piquetage.