La recolonisation de l’Irak ne marche pas rondement. La résistance dans le pays (et en Palestine) ne signifie pas, comme aime à le prétendre les propagandistes israéliens et occidentaux, que l’Islam soit devenu fou. C’est, dans les deux cas, une conséquence de l’occupation.
Avant la récente guerre, quelques-uns parmi nous défendaient que le peuple irakien, dont beaucoup méprisaient Saddam Hussein, n’accepterait pas trop bien l’occupation des États-Unis et de leurs complices britanniques.
Contrairement aux Irakiens qui étaient sur la liste de paie des États-Unis depuis longtemps et qui ont dit à George Bush que les troupes des États-Unis seraient couvertes de fleurs et bien reçues, nous affirmions que l’occupation conduirait au harcèlement et à la mort des soldats occidentaux et qu’elle se convertirait rapidement en une guerre de guérilla de basse intensité.
Que les événements aient confirmé cette analyse n’est pas un motif de satisfaction. Tout le pays se retrouve maintenant dans une situation chaotique, pire qu’avant le conflit.
L’unique explication de la résistance avancée par les responsables des agences de nouvelles occidentales repose sur les vestiges de l’ancien régime.
Washington a contredit cette semaine sa propre propagande en décidant de récupérer les authentiques vestiges de l’appareil de l’ancien régime — la police secrète — pour essayer de localiser les organisations de la résistance qui comprennent plus de 40 groupes différents. Les manifestations à Bassora et la mort d’autres soldats britanniques constituent un signal évident que les anciens bastions qui s’opposaient à Saddam sont maintenant prêts à se joindre à la lutte.
L’attentat contre le quartier général de l’ONU à Bagdad a frappé l’Occident mais comme l’a signalé Jamie Trabay de l’Associated Press dans une dépêche depuis la capitale irakienne la semaine dernière, il existe une profonde ambivalence envers l’ONU parmi les Irakiens de la rue. Et c’est un euphémisme.
En réalité, l’ONU est perçue comme l’un des sbires les plus implacables de Washington. Elle a supervisé les sanctions, qui selon les chiffres de l’UNICEF, ont été directement responsables de la mort d’un demi-million d’enfants irakiens et d’une augmentation terrible du taux de mortalité. Deux hauts fonctionnaires de l’ONU, Denis Halliday et Hans von Sponeck, ont démissionné pour protester contre cette politique et ont expliqué que l’ONU n’avait pas fait son devoir envers le peuple irakien.
Au même moment, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont lancé, à partir de 1992, avec l’approbation de l’ONU des centaines de tonnes de bombes et des milliers de missiles sur l’Irak et les fonctionnaires des États-Unis ont informé tranquillement le Wall Street Journal qu’ils avaient atteints leurs objectifs.
En 2001, le bombardement de l’Irak avait duré plus longtemps que l’invasion du Vietnam par les États-Unis.
Pour ce motif, l’ONU n’est pas perçu avec sympathie par de nombreux Irakiens. La récente décision du Conseil de sécurité d’approuver rétrospectivement l’invasion, une violation directe de la Charte de l’ONU, n’a fait qu’augmenter la colère.
Tout cela nous porte à demander si l’ONU est quelque chose d’autre qu’une entreprise de nettoyage pour l’empire américain.
Les effets de la résistance ont commencé à affecter les deux pays occupants. Les derniers sondages de Newsweek ont révélé que le taux d’approbation du président Bush a baissé de 18 points, à 53 pour cent et que, pour la première fois depuis le 11 septembre, la majorité des votants (49 pour cent) a dit qu’elle préférerait qu’il ne fut pas réélu. Cela ne pourra qu’empirer (dépendant du point de vue d’où l’on se place) si les pertes américaines en Irak continuent d’augmenter.
En Grande-Bretagne, plus des deux tiers de la population considèrent que Tony Blair leur a menti à propos de l’Irak. Ce point de vue est partagé par d’importantes personnalités de l’establishment. Il a existé une rupture inquiétante parmi les forces armées même avant la guerre. Quelques généraux n’étaient pas contents du spectacle offert par leur Premier Ministre, mécontents d’être attachés comme un molosse quelconque, alors qu’on se préparait à envoyer le tiers de l’armée britannique pour aider à occuper l’une des plus importantes des anciennes colonies du pays au Moyen-Orient.
Après la capture de Bagdad, Sir Rodric Braithewaite, l’ancien chef du comité des services de renseignements et ancien conseiller à la sécurité nationale de Blair a écrit une lettre surprenante au Financial Times dans laquelle il accusait Blair d’avoir créé délibérément une hystérie belliqueuse pour faire peur à une population profondément sceptique pour l’amener à soutenir une guerre. Les pêcheurs vendent des poissons, les bellicistes vendent la guerre, a écrit Braithwaite, soutenant que Blair avait exagéré les mérites de ses productions.
Cette colère à l’intérieur de l’establishment est parvenue à un point critique avec le suicide d’un important scientifique du Ministère de la défense, le docteur David Kelly, et a provoqué une enquête judiciaire, une forme de thérapie très populaire pour la classe dirigeante anglaise.
Blair sera interrogé cette semaine devant Lord Hutton, mais l’enquête a déjà mis en lumière une accumulation de vilenies.
Maintenant on dit que le New Labour offrira au Secrétaire de la défense, un individu médiocre et sans talent nommé Geoff Hoon, comme victime expiatoire pour calmer le public. Mais que se passera-t-il si Hoon refuse de partir tout seul. Après tout, il sait où sont enterrés les cadavres.
Et, l’Australie ? Là-bas, le premier ministre, un éternel perroquet juché sur le dos impérial, est parvenu à retirer ses soldats avant que ne commence la résistance. Il en avait un urgent besoin dans les Iles Salomon. Comme Blair, John Howard a répété des faussetés comme un perroquet pour justifier la guerre, et comme Blair, il a la chance que son opposition officielle soit dirigée par un politicien lâche et incompétent, qui a peur de son propre ombre.
Un jour, quand les enfants des Irakiens et des Américains morts demanderont pourquoi sont morts leurs pères, la réponse sera parce que des politiciens ont menti.
Entre temps, il n’y aura pas de paix tant que la Palestine et l’Irak continueront d’être occupés — et toutes les apologistes du monde ne pourront cacher ce fait.
Tarik Ali est un rédacteur de New Left Review et l’auteur du "Choc des fondamentalismes", Textuel.
Counterpunch
Le 30 août 2003
(Traduction La Gauche)