« Il a suffi de 48 jours au régime de Saddam, malgré touts les contraintes de l’après-guerre, pour rétablir le courant électrique dans la ville de Baghdad détruite lors de la première guerre du Golfe », déclare Nahla, Artiste et propriétaire d’une gallerie d’Art á Baghdad, « pourquoi les Américains (pays le plus puissant de la planète) ne l’ont pas rétablie plus de quatre mois après avoir détruit nos réseaux et notre infrastructure ? » ajoute-elle indignée. « Voyez l’eau comme elle se fait rare sous cette température brulante. J’ai un enfant de 7 ans et je souffre doublement de le voir endurer cette terrible température. Imaginez les millions d’Irakiens démunis, bébés, personnes malades ou agées qui suffoquent sous la chaleur. Comment les gens de l’administration américaine osent-ils parler de notre bien être alors qu’ils nous torturent ? » Au même moment survient la coupure du courant électrique. « Et voilà ! s’exclame Nahla, nous sommes partis pour 4 heures d’enfer ! » De fait, sitôt la ventillation arrêtée, une chaleur épouvantable nous envahit. Il fait 52° á l’ombre aujourd’hui. Et c’est ainsi pendant des mois.
Durant toute cette semaine que j’ai passée á Baghdad, les gens n’ont pas cessé de se plaindre de la détérioration de leurs conditions de vie depuis l’arrivée des forces américaines. Même ceux et celles qui ont vu dans l’invasion un mal pour un bien n’hésitent plus á dire que l’armée étatsuniènne a colonisé l’Irak pour s’emparer de son pétrole. « Cela fait quatre mois qu’ils dépensent notre argent sans s’occuper de nous, de nos besoins essentiels comme l’électricité, l’eau et la sécurité. Jamais, il n’y a eu en Irak des enlèvements d’enfants contre des rançons ni des enlèvements de femmes. J’en ai entendu ces dernières semaines et je trouve cela d’une gravité exceptionnelle pour la société irakienne. C’était bien mieux du temps de Saddam, croyez-moi. Aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de pleurer devant ce qu’est devenue ma ville, Baghdad défigurée par les bombes, le pillage, le vandalisme et tous ces engins militaires, ces soldats et ces barbelés qui quadrillent nos rues ! C’est comme si nous vivions dans une vaste prison sous le joug des Etats-Unis. »
Il règne, en effet, un tel chaos dans le pays que beaucoup de personnes disent regretter la stabilité du temps de Saddam. L’absence d’autorité a permis le développement rapide de fléaux sociaux de tous genres. Dans les hopitaux, on affirme recevoir par centaines, les victimes de cette violence qui déchire ce qui reste du tissu social irakien. De nombreux Irakiens soutiennent que ce chaos est voulu par les forces d’occupation, ils ne croient pas que celles-ci puissent éprouver des difficultés á maitriser la situation. De l’avis de Nahla, une armée qui a pu traverser le monde pour envahir l’Irak, munie d’un arsenal (terre-mer-air) á même d’occuper la planète entière, a forcément la capacité de satisfaire les droits élémentaires des Irakiens. « Impossible de me faire croire l’inverse, ajoute-t-elle avant de poursuivre, je vous cite l’exemple de la galère qu’on impose aux gens contre l’achat d’une bouteille de gaz, et ce sont en général de pauvres gens. Il faut faire une file de 500 mètres sous un soleil de plomb durant de longues heures pour en obtenir. Bien des personnes n’ont pas la force de résister á cette forme de punitions collectives que nous impose l’armée d’occupation. Est-ce que c’est acceptable de traiter les gens de cette façon ? Alors qu’on pourrait servir 10 fois plus vite, si on mettait 10 guichets au lieu d’un. Idem pour ces milliers d’Irakiens, sans salaire, qui des l’aube prennent place dans des files interminables pour quelques dollars ! Je trouve cela humiliant pour mon peuple, et c’est pourquoi je vous disais tantôt que je ne pouvais m’empêcher de pleurer quand je sors dans Baghdad ».
Á cet instant, la jeune femme refoula une poussée de larmes qui brouillait son regard.
L’instant fut pénible autant pour moi que pour l’Artiste irakienne. Je crus bon de changer de sujet et je demandai á Nahla qu’est-ce qu’elle pense du Conseil du gouvernement. Elle eut un petit sourire en coin, puis, « Nous n’avons rien vu de positif de la part des Américains. Et c’est aussi valable pour le conseil du gouvernement qu’ils nous ont tricoté ».
L’artiste soutient que n’importe quel Irakien de bonne foi dira deux choses á propos de ce fameux conseil : « D’abord, il ne représente nullement les populations irakiennes, mais plutôt les intérets étrangers et ceux qui les représentent ; ensuite, il est composé de maniere non pas á reconstruire l’Irak, mais plutôt á semer la discorde et favoriser la division des Irakiens ». Sur ce chapitre, la crainte de Nahla est partagée par de nombreux Irakiens et aussi par des observateurs étrangers qui pensent que la composition de ce Conseil ne va pas dans le sens des intérets des populations irakiennes. « Pour preuve, souligne Nahla, depuis sa constitution, et malgré les problèmes cruciaux que nous vivons, ses membres n’ont rien fait sinon guerroyer entre eux, sous les auspices de l’Américain Paul Bremer. De plus, tout ce que la presse a rapporté á leur sujet, les affaires de corruption, absence d’intégrité, vols et détournement, ont fini par désavouer la majorité de ses membres. « Mon opinion, est que ce conseil n’a aucune autorité, ni légitimité, dailleurs. »
Politisés ou non, nombre d’Irakiennes et d’Irakiens s’organisent ici et lá pour protester contre l’attitude des autorités américaines face á la situation dramatique des populations. Ils sont de plus en plus nombreux á sortir dans les rues, apres 35 ans de dictature. Il s’agit d’une nouvelle forme de lutte et les militants irakiens disent compter sur le soutien des organisations internationales afin de lutter efficacement pour leurs droits démocratiques et la fin de l’occupation de leur pays.
Baghdad, le 2 aout 2003
Zehira Houfani (écrivain et journaliste),
membre montréalais de l’équipe Projet de Solidarité pour l’Irak (PSI/ISP)