Au nom de l’exécutif de notre jeune parti, il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue aux délégué(e)s, aux observateurs et observatrices à cette deuxième séance du Conseil de l’Union, le parlement de l’UFP.
J’en profite pour remercier nos amisEs de la région de Lanaudière, qui nous ont si gentiment invitéEs. Si nous avons spontanément accepté cette invitation, c’est que nous connaissons le dynamisme des progressistes du coin, particulièrement des jeunes. Il faut savoir que c’est ici qu’a été créée la première organisation régionale de l’UFP et ce n’est pas par hasard. Cette région dispose de solides traditions d’organisations populaires et syndicales qui commencent à se réactiver, notamment à la faveur du mouvement contre la mondialisation néolibérale animé par des jeunes. Ce qui, pour les militants et militantes d’une autre génération, représente une intarissable source d’inspiration.
IRAK : DES TEMPS TROUBLES ET INCERTAINS
Du côté de la puissance impériale nous parviennent des bruits de bottes et bientôt des vrombissements de missiles dirigés non pas contre le régime tyrannique de Saddam Hussein, non seulement contre le peuple irakien tout entier, mais contre la paix. Personne ne doute de la nature des intérêts économiques, géopolitiques et stratégiques qui fondent l’action guerrière de l’administration Bush. Nous partageons avec l’ensemble du mouvement contre la guerre une profonde inquiétude sur les conséquences régionales et mondiales de cette guerre qui, d’ailleurs, a déjà commencé. Guerre économique, guerre alimentaire qui détruit chaque année la vie de dizaines de milliers d’enfants.
La justification de cette guerre a donné lieu à l’invention de l’une des plus cyniques élucubrations idéologiques de l’histoire moderne : l’autodéfense préventive. En réalité, la codification du droit à l’agression n’importe où, n’importe quand et avec tous les moyens jugés nécessaires. Cette doctrine foule au pied les plus élémentaires notions du droit international, lequel apparaît comme un bien faible rempart contre les volontés de l’administration Bush.
Voilà pourquoi, à la force brutale, il nous faut opposer la force du nombre, comme en témoigne la vigoureuse montée du mouvement contre la guerre. Les récentes mobilisations de masse en Europe de l’Ouest, en Amérique du Sud, au Canada et au Québec correspondent à un puissant sentiment populaire favorable à la paix et que la grossière propagande de l’administration Bush parvient à peine à contrer.
De tout temps, dans l’histoire de l’humanité, les questions de guerre ou de paix ont été des questions politiques décisives. Depuis l’avènement du feu nucléaire, en août 1945, ces questions deviennent tout simplement vitales pour l’avenir du genre humain. Dans la prochaine période, cette lutte entre partisans de la guerre impériale et partisans de la paix devient le principal axe de démarcation départageant les forces du progrès et celles de la régression. Les progressistes doivent contribuer de toutes leurs forces à développer le mouvement contre l’agression, en soutien au peuple irakien.
Les partis politiques qui, par leurs pratiques, y compris leur silence, se rangent dans le camp de l’agresseur devront un jour ou l’autre rendre des comptes à leurs populations.
À ces bruits de guerre s’ajoute un renforcement important des législations, des appareils et des mécanismes de surveillance, de contrôle, d’espionnage des populations, le tout sous couvert de lutte contre ces criminels de masse que sont les terroristes. Comme elles sont courageuses ces 20 000 personnes ayant manifesté, à Central Park, New York, leur opposition à la guerre. Courageuses, c’est bien le mot. Dans un contexte de déferlement idéologique inouï où la moindre critique à l’égard de la politique de Bush est décriée comme une trahison, il en faut du courage pour prendre la parole publiquement aux États-Unis. Quiconque n’est pas avec nous est contre nous, clame le président sur toutes les tribunes depuis le 11 septembre.
Comme c’est toujours le cas pour les empires, l’intensification des pratiques d’agression à l’extérieur s’accompagne d’un durcissement des mesures répressives à l’intérieur. Un peuple qui en opprime un autre ne pourra très longtemps bénéficier des bienfaits de la liberté et de la démocratie. Nous qui habitons à la frontière nord de l’empire, nous n’avons tout simplement pas le loisir d’oublier cette triste vérité.
LES EFFETS DE LA MONDIALISATION SUR LES FEMMES
Le développement de la violence et de la militarisation est une des faces cachées de l’application des politiques néolibérales. La situation vécue par les femmes afghanes est éloquente à ce chapitre.
Une autre face cachée de la logique du " tout au marché " est la marchandisation du corps des femmes. Avec la libéralisation des marchés, l’industrie du sexe s’est considérablement développée. La prostitution est liée au trafic sexuel et au crime organisé. Selon Yvonne Klerk, une spécialiste européenne de la question : " 99% des personnes trafiquées sont des femmes et la vaste majorité de ce trafic est à des fins de prostitution " (cité par le Conseil du statut de la femme, La prostitution profession ou exploitation ?, p.17).
L’aggravation de la prostitution relance le débat. Les féministes sont divisées sur la question tant au niveau international qu’au Québec. La Fédération des femmes du Québec a abordé ce débat à sa dernière assemblée générale. Les positions sont très polarisées entre d’un côté les tenantes de la légalisation de la prostitution et de l’autre les tenantes de son abolition. La Fédération des femmes du Québec a pris le parti de poursuivre le débat et d’adopter des propositions allant dans le sens du respect des droits des prostituées.
Un parti de gauche luttant contre la mondialisation des marchés, pour l’égalité entre les hommes et les femmes et pour la défense des droits doit se prononcer sur cette question dont les enjeux sont très liés à ses objectifs.
LE NÉCESSAIRE COMBAT ÉCOLOGISTE
Tout comme les questions de paix et de guerre, celles qui renvoient aux rapports complexes entre les humains et leur environnement sont également décisives pour la suite de l’aventure humaine.
À ce chapitre, la gauche, toutes tendances, toutes périodes et tous continents confondus, doit faire preuve de sens critique envers elle-même. Née de l’ère industrielle, la gauche, dans le sens traditionnel du terme, a associé mécaniquement dès son acte de naissance le paradigme de croissance à celui du progrès. Et celui du progrès à celui du productivisme. Si on ne peut reprocher aux fondateurs de la gauche moderne, campés au 19e siècle, de ne pas avoir de vision écologiste globale, les progressistes du 21e siècle doivent faire leur cette approche et reconnaître d’entrée de jeu l’apport indiscutable du mouvement écologiste qui a su poser correctement les problèmes, même si l’on observe au sein de ces courants une grande diversité d’opinions quant aux solutions : allant de l’environnementalisme le plus plat axé sur une responsabilisation-culpabilisation des seuls individus à une approche franchement critique et novatrice de la société néolibérale. Pour dire les choses très franchement, la gauche traditionnelle doit... cesser de l’être et se mettre à l’écoute, voire à l’école, des courants progressistes au sein de la mouvance écologiste. Notre pensée, notre programme doit faire preuve de porosité à l’endroit des valeurs vertes. Une synthèse programmatique est possible avec ceux et celles qui parmi les verts assument que l’avènement d’une société écologiste passe par une critique et un dépassement des lois du marché.
Le récent sommet de la terre à Johannesburg a révélé le profond conservatisme des États, des gouvernements et de la génération au pouvoir à appliquer des mesures aussi élémentaires que celles contenues dans le protocole de Kyoto. Soyons clairs : ce conservatisme n’est pas accidentel et renvoie à une profonde imbrication entre le monde des affaires (notamment ses secteurs les plus polluants) et nos gouvernements. Ceux et celles qui en doutent n’ont qu’à observer la levée de boucliers contre la ratification canadienne du Protocole animée par de puissants lobbies liés au gouvernement albertain.
L’exécutif de l’UFP est d’avis que nos orientations programmatiques en matière d’environnement, bien que provisoires, restent très largement insuffisantes. Notre prochain Congrès devrait nous permettre d’étoffer notre pensée, notamment au chapitre du contrôle et de la propriété publique de l’eau : la plus importante richesse qu’un territoire peut receler. N’oublions jamais que l’important réservoir d’eau potable dont dispose le Québec n’est pas sans susciter beaucoup de convoitise de la part de firmes multinationales, dont certaines sont renommées pour leurs pratiques corruptrices. Cette convoitise reflète une fois de plus la volonté des riches de s’approprier les ressources naturelles dans le but de les marchandiser, et ce, même si l’eau est une ressource essentielle à la vie quotidienne de tous et de toutes (consommation, cuisine, lavage, nettoyage, etc.).
Notre parti doit développer et approfondir au fil des ans son orientation au chapitre de la propriété et de la gestion des forêts, des mines, des zones de pêches, le tout dans une perspective écologiste. Écologiste ? Oui, c’est-à-dire en rupture avec les forces du marché. Ce sont ces mêmes forces, animées par l’appétit des promoteurs privés, ces castors accapareurs, qui ont conduit des groupes progressistes comme " Adoptons une rivière " à protester contre l’affaiblissement du monopole d’État permettant dans le plus grand secret l’exploitation de mini-centrales.
UNE BONNE NOUVELLE QUI VIENT DU SUD
Né dans la clandestinité, dans l’une des plus sombres périodes de l’histoire contemporaine du Brésil, le Parti des Travailleurs assume maintenant devant son peuple, devant l’ensemble de Amérique du Sud, devant les progressistes du monde entier, la rude épreuve du pouvoir. Le contexte de cette prise du pouvoir est particulièrement difficile en raison de la dévaluation de la monnaie sous les pressions du FMI, de l’ampleur colossale de la dette extérieure, sans oublier que le parti ne contrôle pas la totalité des institutions fédérales et étatiques. En contrepartie, le PT dispose déjà d’une solide expérience du pouvoir où il s’est signalé par la grande intégrité de sa pratique gouvernementale, la probité de ses leaders, ses expériences sociales démocratiques (budget participatif) et sa volonté de maintenir des liens avec les mouvements sociaux même les plus critiques à son endroit, comme l’important mouvement des sans terre.
Le Brésil est un pays immense, doté de richesses inouïes, disposant d’un très important appareil de production industrielle où travaille une classe ouvrière syndicalement et politiquement très organisée. Mais c’est également une région où l’on observe de violents contrastes entre les groupes sociaux. Les plus opprimés d’entre eux, les paysans sans terre, occupant les latifundia, aspirent à la réforme agraire et n’attendront sans doute pas très longtemps avant de passer à l’action sur une très large échelle. Un leader du MST, Neuri Rossetto, a très clairement exprimé la volonté de la base : " l’avancée de la réforme agraire sera le résultat de rapports de forces sociaux et non seulement celui de la volonté d’un président. "
Les défis qui attendent le jeune pouvoir progressiste sont immenses. Sous la très haute surveillance des forces néolibérales, mais soumis à la pression des forces sociales porteuses d’espoir, le gouvernement progressiste saura-t-il rapidement procéder à la réforme agraire, éradiquer l’analphabétisme, restaurer l’autorité de l’État dans les zones contrôlées par de puissants barons pègreux, démocratiser les institutions en tenant en respect les secteurs potentiellement putschistes des militaires, déjouer les tentatives de déstabilisation économique ? Dans les prochains mois, les prochaines années, nous aurons des réponses à ces questions.
Mais là où ne doit subsister aucun doute, c’est au chapitre de notre nécessaire solidarité avec l’expérience brésilienne. Si les forces progressistes du monde entier affirment par l’information et la mobilisation leur soutien à leurs camarades brésiliens, la marge de manoeuvre des forces néolibérales désireuses soit de neutraliser, soit de déstabiliser le processus de changement s’en trouvera réduite. L’UFP doit contribuer à la mesure de ses modestes moyens. En organisant par exemple des assemblées d’information et, là où c’est possible, des comités de solidarité conjointement avec tous les groupes désireux d’agir en ce sens.
QUELQUES REMARQUES SUR LA CONJONCTURE POLITIQUE AU CANADA
Le départ anticipé mais combien souhaité de Jean Chrétien de la direction du PLC et du gouvernement changera peu de choses tant au chapitre des relations avec le Québec que sur le plan de la gestion des politiques économiques et sociales. Difficile d’imaginer que dans le champ constitutionnel le départ de Jean Chrétien et son remplacement éventuel par Paul Martin ou un autre vienne mettre un terme à la période Trudeau, caractérisée par un renforcement du pouvoir fédéral, par la pratique d’un fédéralisme agressif dans les secteurs de la santé, de l’éducation et des municipalités.
Le silence de Paul Martin et l’indécrottable arrogance de Stéphane Dion dans le dossier du manque à recevoir des provinces (deux milliards par année pour le Québec) est révélateur à cet égard. D’autre part, la Charte canadienne, cette contribution historique de Pierre Trudeau au fédéralisme canadien, n’a pas changé d’une virgule et, par son épais silence, nie toujours l’existence au Québec d’une nation porteuse de tous ses droits, y compris celui de réaliser l’indépendance.
Rien n’a changé à ce chapitre depuis l’adoption du Clarity bill. Aucun secteur significatif de la classe politique canadienne, aucune institution de l’État canadien (Chambre des communes, Sénat, Cour Suprême, pouvoir exécutif), aucun gouvernement provincial ne reconnaît notre existence comme peuple. Qui plus est, des secteurs importants de la presse canadienne se complaisent à dénigrer systématiquement le Québec avec quelquefois des accents qui ne sont pas très loin de la propagande haineuse.
Sur le plan des politiques sociales, soulignons les fortes pressions des forces du marché, relayées par la droite politique, pour démanteler ce qui reste de progressiste dans le système de santé avec tous les effets que cela comporte sur la charge de travail des " aidantEs naturelLEs ". Rappelons également que les marges de manoeuvres budgétaires du gouvernement canadien ont été largement obtenues par le pillage systématique de la caisse d’assurance-chômage, frauduleusement rebaptisée assurance-emploi, et par une baisse significative des différentes modalités de transfert. Ces surplus ont été réalisé sur le dos des femmes des jeunes et des régions.
Au chapitre de la politique extérieure, suite à une longue période de suivisme, voire d’" aplavantrisme ", à l’endroit des administrations américaines (renforcées par les conséquences de l’attentat du 11 septembre), le gouvernement Chrétien, en fin de mandat, semble vouloir prendre un peu de distance. Critique envers la politique protectionniste dans le dossier du bois d’oeuvre, désireux de signer le protocole de Kyoto, s’en remettant (en paroles) aux institutions onusiennes dans le dossier de l’Irak, le gouvernement canadien fait mine de se dégager un peu. Reste à voir ce qui restera de tout cela dans quelques mois...
Cependant, une certitude demeure. Le système répressif de l’État canadien (douanes, organes de surveillances, forces armées, SCRS, etc.) est de plus en plus imbriqué au gigantesque appareil d’espionnage, de contrôle déployé par l’exécutif américain et ses nombreuses agences spécialisées. Le message est clair : l’empire ne permettra aucune dissidence au Nord sur des enjeux importants.
Sur le plan des partis politiques fédéraux, outre la succession de Jean Chrétien déjà planifiée par l’establishment du PLC, nous sommes d’avis qu’il faut suivre avec particulièrement d’attention la tentative de recomposition du PPC autour de l’éventuelle candidature de Bernard Lord. Ce nouveau leadership peut sérieusement compromettre le projet allianciste d’hégémoniser la droite dure au Canada en permettant peut-être au PPC de se refaire une santé au Québec, sans doute au détriment du BQ.
Ce dernier parti traverse une longue phase de morosité politique propice à l’émergence de tensions. Lesquelles font apparaître certaines racines profondément conservatrices du parti fondé par Lucien Bouchard et des cadres du Parti conservateur.
Ainsi, à la fronde de l’aile conservatrice du BQ contre l’orientation du gouvernement du Québec à l’endroit des droits du peuple innu s’ajoute un très profond malaise sur l’attitude à adopter à l’endroit du phénomène adéquiste. On se rappelle qu’une proposition émanant de ce qui reste de l’aile progressiste de ce parti proposant une campagne contre l’ADQ a été battue, plusieurs députéEs craignant de s’aliéner une partie de leurs électeurs...
Ce courant conservateur au sein du BQ s’est d’ailleurs déjà manifesté sur les droits des gais et lesbiennes, sur la Guerre du golfe. Certes, sur un certain nombre de questions importantes, le BQ a su prendre position de façon progressiste (Clarity bill, assurance-emploi, loi des jeunes contrevenants), mais nous sommes d’avis qu’en dernière analyse, c’est sur la question de la guerre ou de la paix, de l’attitude par rapport à la puissance impériale que sera tranchée la question de la nature de ce parti.
Quant au NPD, à l’instar de plusieurs autres partis de la grande famille social-démocrate dans le monde, il traverse une profonde période de transformation dont la course au leadership n’est qu’un épisode. Au coeur du problème surgit une question identitaire, existentielle, fondamentale : Pourquoi la social-démocratie ? Pour gérer le néolibéralisme ou pour redéfinir sa raison d’être en lien étroit avec les mouvements sociaux porteurs de changements ? Pourquoi la social-démocratie ? Pour participer aux guerres de l’empire comme le veut M. Blair et les tenants de la " troisième voie " ou pour les contrer ? Pourquoi la social-démocratie ? Pour redéfinir en profondeur les rapports Nord-Sud ou pour poursuivre l’exploitation du tiers-monde ?
Dans le cas du NPD s’ajoutent spécifiquement d’autres questions, notamment celle-ci : Pourquoi le NPD au fédéral si vous avez appuyé la loi sur la clarté niant les droits nationaux du Québec ? À l’exception notable et remarquée du député progressiste Sven Robinson.
Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du NPD, au sein des secteurs combatifs du mouvement syndical canadien ou dans le cadre d’expériences comme le New Politic Initiative (NPI) ou Rebuilding the left (RTL), on sent ce foisonnement de débats, d’expérimentations, dont plusieurs ressemblent beaucoup au questionnement qui ont présidé à l’émergence de notre jeune projet politique.
Une certitude : les progressistes du Québec doivent s’intéresser de très près à ces démarches en invitant, par exemple, des personnes observatrices à nos instances importantes et en faisant circuler l’information d’un côté comme de l’autre de ce mur du silence qui sépare encore, malheureusement, la gauche québécoise de celle du Canada.
Cette demande d’écoute et d’échange est primordiale pour la suite des choses, y compris pour expliquer à nos amis(e)s du Canada pourquoi les progressistes québécois sont très majoritairement partisans de l’indépendance du Québec. Il est certain que nous aurons de fructueux échanges à ce chapitre comme sur d’autres questions. Songeons, par exemple, à notre orientation lors des prochaines élections fédérales. Aurons-nous une ou des consignes de vote ? Si oui, sur quelle base ?
ET LE QUÉBEC ?
D’importantes fissures apparaissent au sein du bloc nationaliste au pouvoir (le PQ et ses alliés) ainsi qu’au sein même du Parti québécois et du gouvernement. Soyons clairs : il s’agit de beaucoup plus que de la simple reproduction des habituelles lignes de tensions qui ont marqué ce parti depuis sa naissance, tant sur la question nationale que sur la question sociale. La montée de l’ADQ, en déportant à droite tout l’échiquier politique du Québec et en abandonnant l’espace d’un discours à Toronto toute perspective souverainiste, plonge le PQ dans une situation qui, pour certains, n’est pas loin de la fin de régime. Voire de sa fin tout court, comme le souligne Bernard Landry lui-même qui n’hésite pas à battre le tambour pour rallier tout ce qu’il est possible de rallier : lors des prochaines générales, c’est l’existence même du PQ, donc de l’option, qui sera en jeu, selon le chef de ce parti.
La réalité est plus complexe. D’abord, l’histoire nous enseigne que les partis nationalistes de masse ayant bénéficié de l’expérience du pouvoir et de ses avantages jouissent d’une longévité exceptionnelle tant et aussi longtemps que la question centrale à la source de son orientation politique n’est pas réglée. Or, n’en déplaise à M. Dumont, à M. Charest ou à M. Chrétien, la question nationale du Québec n’est pas réglée et, n’en déplaise à M. Landry, sa solution n’est pas liée historiquement aux aléas électoraux du PQ. C’est une fâcheuse tendance de Monsieur Landry de lier le destin du Québec à celui de son parti... D’autre part, bien que la défaite du PQ s’annonce comme très probable, elle est encore loin d’être cuisante, surtout exprimée en pourcentage de votes. Il y a fort à parier que le PQ sera la première victoire sur le plan parlementaire (nombre de députés) de son défaut de réformer le mode de scrutin, comme le prévoit le programme de ce parti depuis sa fondation. Ils pleurnicheront. Ils accuseront la gauche ici et là de leur voler des votes dont ils s’estiment propriétaires de droit divin. Nous leur répondrons qu’il est toujours grotesque et quelquefois indigne de plaider sa propre turpitude.
Le principal fondement de la puissance et de la persistance du PQ a été de nouer une alliance avec les différents leaderships des mouvements sociaux. Alliance inégale : les intérêts des seconds étant toujours subordonnés au premier. Le parti est apparu, surtout dans le cadre de son premier mandat, comme non seulement une formation politique d’une grande intégrité, portée par le souffle réformiste de son fondateur, mais surtout comme un véhicule politique porteur d’avenir et canalisant les espoirs populaires et syndicaux sur le plan social et politique.
Mais voilà, le temps a fait son oeuvre, le double avatar d’une gestion néolibérale et de deux échecs référendaires accélère l’usure de ce parti et de son personnel politique de façon particulièrement dure. Avec le recul, l’épisode de l’avocat patronal Lucien Bouchard comme chef de ce parti apparaît comme un peu pathétique. Ex-député et ministre conservateur fédéral, ex-ambassadeur du Canada, chef charismatique porté aux nues comme sauveur de la nation, l’aventure se termine comme un météorite qui traverse le ciel pour s’éteindre dans la mer. Un grand splash et puis plus rien. Peut-être les historiens analyseront-ils l’aventure de M. Bouchard, littéralement vissé à la tête du PQ, comme l’indicateur le plus probant de l’incapacité de ce parti de retrouver un souffle profondément réformateur.
La montée de l’ADQ semble attiser les tensions entre les deux ailes du gouvernement. D’un côté, on retrouve le tandem Landry-Marois, qui, en dépit de leur sourde rivalité, incarne la volonté de maintenir les grandes caractéristiques de ce bloc nationaliste en faisant, au besoin, les quelques concessions d’usage aux mouvements sociaux et la volonté de poursuivre, dans la plus grande convivialité consensuelle, la construction de ce modèle québécois de plus en plus mythique où, de sommets en tables de concertation, les représentants des classes populaires ont la conviction profonde d’être écoutés, reconnus et respectés. Sur le plan de la conjoncture politique, c’est de ce courant que naissent les grandes initiatives, essentiellement cosmétiques, pour redorer à gauche le blason du parti : réforme de la loi des normes, projet de loi contre la pauvreté, énoncés budgétaires relativement interventionnistes, observatoire sur la ZLEA, etc.
Mais voilà, l’autre aile du gouvernement, composée de la jeune garde montante (Facal, Legault, Boisclair) profondément inquiète pour la suite des choses sur le plan carriériste, voudrait bien se délester de la vieille rhétorique social-démocrate, liquider les fondements du vieux bloc politique et passer franchement à autre chose : faire comme Mario et acheter en masse des actions du fond de commerce néolibéral.
Par ailleurs, ce gouvernement, dirigé par l’un des chantres les plus conséquents du libre-échange, est particulièrement embarrassé par la ZLEA. On ne peut très longtemps faire des pèlerinages à la fois à Davos ou New York et à Porto Allegre sans être taxé de duplicité, surtout du côté des jeunes que ces petits jeux politiques n’amusent pas du tout.
Sur la question de la ZLEA et plus généralement de la mondialisation, le peuple québécois est de plus en plus méfiant, comme en témoigne un sondage Léger Marketing (Le Devoir, 12-13 octobre 2002). Une forte majorité (65 %) s’inquiète de l’influence de la haute finance sur le processus et 71 %, du poids des multinationales.
Le travail d’éducation populaire réalisé dans la foulée du Sommet des peuples commence à porter fruit, surtout au sein de la jeunesse et c’est là l’élément le plus encourageant de l’actuelle conjoncture politique. À ce chapitre, tout ce que le PQ peut offrir, c’est de rêver de participer à la ronde finale à Buenos Aires comme État souverain en 2005.
Il est donc évident que la question de la lutte contre la ZLEA apparaît déjà comme l’un des plus importants axes de démarcation entre les forces progressistes et les partis néolibéraux, particulièrement lors de la prochaine campagne électorale. D’où l’importance cruciale pour l’UFP de participer aux démarches d’éducation politique réalisées dans le cadre de la CONSULTA ce printemps.
L’un des éléments de conjoncture le plus spectaculaire est la montée de l’ADQ, dont l’apparente soudaineté laisse inquietEs, voire paniquéEs bon nombre de militants et de militantes de la gauche sociale, syndicale et populaire. L’éventuelle prise du pouvoir par l’ADQ affectera particulièrement les femmes. Nous tenons à souligner deux points de son programme qui auront cet effet. Le taux d’imposition unique qui reportera le fardeau fiscal sur les plus pauvres de la société dont les femmes sont les principales représentantes, ainsi que le système de santé à deux vitesses. On sait que les femmes sont les principales utilisatrices du système de santé et, de plus, qu’elles en sont la cheville ouvrière. Elles s’en trouveraient donc doublement affectées. Comme le disait Yves Michaud dans un article publié dans le Devoir on peut s’attendre à ce que la population se saigne à blanc, il est imprudent de refuser de se donner des soins de santé de qualité, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les pauvres.
Issu d’une scission au sein du PLQ, bénéficiant très tôt d’une présence parlementaire, ce parti s’est forgé, les dix dernières années, une orientation néolibérale de plus en plus marquée. En septembre 1994, ses 80 candidatEs obtenaient 6,46 % du vote populaire. En novembre 1998, ses 125 candidatEs obtenaient 11,81 % du vote, ce qui, mis en proportion avec le nombre de candidatures, ne représente qu’une faible progression. Depuis ce printemps, en l’espace de quelques semaines, les intentions de vote pour l’ADQ ont bondi à 40 %. Que s’est-il passé ?
1. Signalons au départ l’importance du vote protestataire qu’on observe au Québec à la suite de deux mandats consécutifs de gouvernement. Depuis 1960, aucun parti n’a échappé à cette règle même si les " bénéficiaires " du vote protestataire ont changé.
2. Comme la nature, la politique a horreur du vide et, ayons l’honnêteté intellectuelle de l’admettre, la montée de ce parti nous renvoie cruellement à nous-mêmes. D’abord comme composante de la gauche sociale, syndicale et féministe, elle témoigne de notre constance négligence, ces 30 dernières années, à déployer une véritable pratique d’éducation politique populaire. Il est particulièrement affligeant et dévastateur de constater que, selon les sondages, la très grande majorité de celles et ceux qui s’apprêtent à voter pour l’ADQ sontincapables de citer un ou des éléments significatifs de son programme.
3. On remarque une ouverte complaisance de certains médias à mousser, sensationnalisme oblige, la personne de M. Dumont. Certes, ni le degré de concentration de la presse au Québec, ni la personnalisation de la vie politique au Québec ne sont des phénomènes nouveaux, mais après une quinzaine d’année de distillation constante de la pensée unique néolibérale au Québec, la percée de l’ADQ étonne beaucoup moins. La montée de ce populisme de droite aux accents anti-étatiques n’est évidemment pas unique au Québec. Près de nous, les gouvernements ultra en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique ne doivent laisser aucune illusion. Les conservateurs albertains et ontariens, et les libéraux de C.-B. ont brutalement et sans merci appliqué leur médecine en commençant par le mouvement syndical organisé.
4. Ce dernier aspect nous amène à réfléchir sur une autre dimension du phénomène adéquiste : celle de son marketing politique. Bien que d’essence purement néolibérale, l’ADQ et son leader ont réussi à éviter à ce jour à flirter trop ouvertement avec des thèmes et des valeurs néoconservatrices propre à une certaine droite américaine et canadienne. L’ADQ n’est ni l’Alliance, ni le Parti républicain américain. Présentant une image jeune et moderne, particulièrement racoleuse, l’ADQ ne relaie pas (encore ???) les valeurs traditionnelles de la vieille droite : homophobie, anti-féminisme, avortement, religion, marijuana, obsession sécuritaire, xénophobie, etc. C’est sur le plan de la famille qu’il faudra surveiller au quotidien l’évolution de la pensée de l’ADQ (c’est-à-dire celle de M. Dumont) vers des pâturages plus classiquement néoconservateurs.
Cependant, depuis quelques semaines, on remarque un délicat glissement dans le sens des valeurs néoconservatrices : valorisation de la famille traditionnelle, du nationalisme traditionnel (contre l’indépendance), valse-hésitation et regret sur le sens de son vote à l’Assemblée nationale sur l’union civile.
Dit autrement, la fulgurante " montée " de l’ADQ dans le contexte de l’espace politique québécois s’explique notamment par le fait que ce parti a su présenter une image jeune, accrocheuse, pour ne pas dire racoleuse, sans adhérer ouvertement aux valeurs ostensiblement conservatrices.
5. Dans sa lutte pour la conquête du pouvoir, l’ADQ a su rallier la faveur de quelques idéologues néolibéraux (Piché, Gagné, Dubuc) influents auprès des " décideurs économiques " du merveilleux monde des affaires et d’indépendantistes repentis (Laforest, Larocque). Son anti-syndicalisme, son anti-étatisme, son programme fiscal à la Reagan séduisaient. Rafraîchissant, disait-on.
Mais, pragmatique, tant que l’ADQ plafonnait dans les sondages, les idéologues du patronat québécois se contentaient de quelques claques dans le dos. Félicitations Mario pour ton beau programme, mais y a pas de quoi quitter la vieille maison libérale. La valeur sûre. D’autant plus qu’on a pris la peine de dévisser Jean Charest du PPC pour le revisser à la tête du PLQ. Déçus par les performances de Jean Charest et dopés par les résultats des partielles, des secteurs importants du patronat québécois rallient l’ADQ. Les Courville, Dutil et autres grands noms du Québec inc. font cercle autour de leur nouvelle vedette. Y apportant argent frais, notoriété, réseau de contacts au sein du PLQ et quelques noms de personnalités ministrables. Une nuance s’impose cependant. L’ADQ est loin d’avoir rallié l’ensemble du patronat au Québec encore lié historiquement au patronat québécois et canadien par mille liens et attaches. Les grands joueurs restent encore dans l’expectative, se demandant si l’ADQ est vraiment le deal du siècle ou un feu de paille politique. Après tout, le petit Mario avait voté OUI en 1995... Le pèlerinage de M. Dumont à Toronto visait notamment à faire oublier ce péché de jeunesse et à rassurer : un gouvernement adéquiste reléguerait très loin la poursuite d’un débat sur la question nationale. Maintenant, Mario Dumont est solidement en business. La vrai. La leur.
6. L’ADQ a su patiemment et discrètement tricoter des liens, un début de réseau avec certaines élites économiques et politiques locales en jouant habilement sur certaines frustrations. Ces jeunes loups, bien élevés à l’école du rat racing, qui piaffent en marge des réseaux clientellaires libéraux ou péquistes ont hâte de monter dans les ligues majeures. Tasse-toi mon oncle que je m’y mette. Ce réseau d’aspirants barons régionaux et locaux, doté de son programme de chambre de commerce, émerge sous nos yeux et nous prépare une bien triste relève de la garde entrepreneuriale. La politique ? Une affaire de réseau. Un réseau ? La meilleure façon de faire des affaires. Le problème ? Y a trop de lois, de règlements, de contraintes étatiques, de fonctionnaires. La solution ? Laisser la jungle du marché reprendre ses droits.
Bref, l’ADQ au pouvoir ou dans l’opposition est là pour rester, quitte à diluer un peu les aspects les plus ouvertement anti-sociaux de son programme. L’ADQ, c’est comme le bataillon de choc de l’armée néolibérale, simplement un peu plus pressé que les deux autres à mettre en oeuvre leurs programmes communs. L’ADQ ? Les télégéniques intégristes de la religion néolibérale.
ET NOUS ?
Le secret le mieux gardé au Québec ? La gauche politique, bien que faible, existe. Malgré le prévisible black-out médiatique dont est l’objet notre parti, nous nous développons comme prévu : lentement, de façon modeste, mais constante. Notre secrétaire générale et notre conseillère à l’organisation présenteront tout à l’heure un rapport détaillé sur notre développement organisationnel. Contentons-nous de quelques remarques générales.
Actuellement, il est beaucoup question de créer un vaste mouvement de dénonciation du programme adéquiste. C’est tard, mais c’est bien. Connaissant bien à la fois les effets pervers de ce mode de scrutin qui incite à voter " pour le moins pire " et le profond conservatisme de la gauche sociale et syndicale au Québec en matière d’action politique " partisane ", nous ne nous faisons aucune illusion sur les conséquences pratiques de cette campagne. Mais nous la mènerons autour du thème suivant : Pour freiner la droite adéquiste et autres, ça prend une gauche, ça prend la gauche : Construisons L’UNION DES FORCES PROGRESSISTES.
Comme nous l’avons analysé lors du dernier Conseil de l’Union, nos scores électoraux seront modestes. Le Québec, avec les États-Unis, est l’un des seuls pays du Nord à ne pas disposer de tradition politique de gauche et de masse. Ce n’est pas le temps d’un scrutin que nous renverserons cette tendance. Nous assumerons modestement mais avec opiniâtreté notre rôle de premier embryon de ce parti progressiste de masse dont notre pays a si cruellement besoin. Nous nous implanterons sur tout le territoire, nous ferons connaître nos orientations, nous recruterons pour sortir progressivement de la marginalité. Mais nous compterons d’abord sur nos propres moyens. Il n’y aura pas de miracle. Nous ne sommes pas des adeptes de la pensée magique... lesquels nous reprochent déjà de présenter des candidatures alors que nous savons que nos résultats seront faibles. Ces gens-là oublient qu’en 1994, l’ADQ a obtenu moins de 5 %. Laissons la pensée magique aux enfants (que nous envions quelquefois par ailleurs...)et concentrons-nous sur notre travail de moine : créer les premières conditions pour l’émergence d’un parti progressiste de masse.
Ne compter que sur nos propres moyens, sans raccourci hasardeux, a mené votre exécutif à prendre très clairement position dans le débat avec nos ami(e)s de l’aut’journal suggérant une alliance électorale ponctuelle avec le PQ. Notre réponse a été très claire : c’est non. Que le PQ applique son programme et réforme le mode de scrutin avant les prochaines élections, avons-nous répondu.
Certes, il n’est pas impossible qu’un jour, nos chemins se croisent, notamment sur la question nationale, mais tout cela nous semble bien lointain et hypothétique. L’exécutif est d’avis que le Conseil de l’Union doit prendre position dans ce débat soulevé par l’aut’journal et faire sienne l’orientation générale développée par l’exécutif.
Notre principale tâche interne, outre le recrutement et le financement, est de préparer notre prochain Congrès. Dans l’esprit de l’exécutif, ce Congrès doit en être un d’orientation programmatique et d’organisation. Deux comités ont été formés à cet effet. Nous entendrons leur rapport tout à l’heure.
En conclusion, que veut l’UFP ? Tout simplement, nous espérons contribuer à jeter les bases d’un grand parti progressiste de masse, clairement ancré à gauche et dont les membres aspirent à faire autrement la politique. Rien de plus, mais c’est déjà pour le Québec tout un programme.
Merci de votre attention.
CAHIER DES PROPOSITIONS
1. Il est proposé que le Conseil de l’Union reçoive le présent rapport de l’exécutif et en recommande la publication suite aux remarques du Conseil.
2. Il est proposé que le Conseil de l’Union réaffirme l’opposition complète de l’UFP à la guerre impériale contre l’IRAK et appelle toutes les personnes progressistes à contribuer à développer le mouvement d’opposition à la guerre.
3. Il est proposé de mandater l’exécutif pour négocier un projet d’accord électoral avec le PVQ en respectant la volonté des instances locales et régionales en matière de candidatures électorales. Que ce projet d’accord soit soumis au Conseil de l’Union, pour débat au mérite, suite au Congrès de janvier 2003.
4. Il est proposé que le Conseil de l’Union salue la victoire électorale du Parti des Travailleurs au Brésil et appelle toutes les personnes progressistes à déployer des activités de solidarité avec l’expérience progressiste brésilienne.
5. Il est proposé que soit invitées à nos instances importantes des personnes observatrices mandatées par le NPI et RTL, afin d’échanger avec ces courants de la gauche canadienne.
6. Il est proposé que le Conseil de l’Union fasse siennes les orientations développées par l’exécutif dans le cadre du débat sur la tactique électorale soulevé par l’aut’journal.
7. Il est proposé de mandater la Commission femmes pour développer des outils et une démarche pour initier les débats sur la prostitution et le trafic sexuel dans le parti, et ce, en lien avec les autres acteurs sociaux.