En plaine mobilisation sur les retraites, le sommet des huit pays les plus puissants se tiendra du 1er au 3 juin à Evian. Retour sur une institution antidémocratique.
C’est à Evian, riante cité thermale, qu’a lieu le G8 cette année. L’agenda politique est serré. Premier événement, la poignée de main Bush-Chirac : Jacques le turbulent, ayant donné à l’ONU les gages de son retour dans le rang en votant la résolution étatsunienne de contrôle du pétrole irakien, est de nouveau fréquentable pour George le magnanime, avec en toile de fond le partage du gâteau irakien.
Mais Chirac, héros piteux de l’antiguerre, essaye néanmoins de jouer sa petite musique. Il a donc placé ce G8 sous les signes de la responsabilité (économique, pour relancer l’économie mondiale), de la solidarité (avec les pays en développement) et de la sécurité. La grande nouveauté d’Evian est l’invitation de sept chefs d’Etat de pays dits "émergents", notamment Lula pour le Brésil, en plus des pays africains déjà présents à Gênes (1), qui doivent participer à une rencontre en prélude au sommet. Chirac ayant capitulé sur l’Irak, il tente de marquer sa différence sur les thèmes traditionnels d’opposition entre la France et les Etats-Unis : l’aide au développement et l’environnement. Toutes ces batailles sont très symboliques. Le cas du Nepad est un exemple de l’hypocrisie de l’aide au développement à la sauce G8 (voir Repères ci-dessous).
A propos de la lutte contre le sida, le G8 réaffirmait en 2001 "sa détermination à maintenir des droits de propriété intelectuelle forts et efficaces", ce qui revient à consacrer la propriété des brevets de multinationales pharmaceutiques qui rendent les médicaments contre le sida inabordables. Une décision qui s’inscrit parfaitement dans l’histoire antidémocratique du G8.
Une institution antidémocratique
C’est en 1975 que Valéry Giscard d’Estaing invite à Rambouillet, en accord avec le président des Etats-Unis, les dirigeants des six pays industrialisés les plus importants (France, Japon, Etats-Unis, Allemagne, Italie, Grande-Bretagne) pour un sommet informel sur l’économie mondiale. Cette initiative devient une habitude, renouvelée chaque année : le G7 naît en 1976 avec la participation du Canada. Le président de la Commission européenne acquiert un statut d’observateur et, en 1991, après la chute de l’URSS, la Russie est invitée à rejoindre ce G7-G8.
Il y a en fait une double dimension dans le G7-G8 : périodiquement, la rencontre très médiatisée des chefs d’Etat dans un sommet ; un secrétariat du G8, composé de "sherpas", conseillers et experts, qui s’activent dans les institutions internationales. A ce titre, le G8 fonctionne comme une institution mondiale permanente. Ce petit groupe, qui n’a jamais été élu pour gouverner le monde, s’arroge ainsi le droit de prendre des décisions concernant l’ensemble de la planète. Cette jet-set représente les privilégiés, puisqu’en 2000, les pays du G7 représentaient 45 % de la production mondiale, 60 % des dépenses totales d’armement, pour 12 % de la population mondiale.
Historiquement, le G7 s’est constitué dans les années 1970 dans une réaction de défense des pays les plus riches, qui craignaient les effets de l’effondrement du système monétaire, la grogne et l’organisation des pays producteurs de pétrole et les appétits des jeunes nations du Sud. Il s’agissait alors de coordonner les politiques économiques des principaux pays capitalistes, de contenir les conflits d’intérêts internes et d’élaborer de nouvelles règles pour l’économie, en agissant sur les institutions internationales. Dès le début des années 1980 cette stratégie défensive s’est muée en offensive, alors que la crise de la dette étouffait les économies du Sud. Le G7 est devenu le centre de commande qui impose des plans d’ajustement structurel aux pays du Sud, place leurs économies toujours plus sous la coupe des pays du Nord, avec un rôle central du FMI. Les années 1990, après la chute des régimes dits communistes, ont consacré le rôle de directoire de la mondialisation capitaliste du G7-G8, dont le champ de compétences a été étendu : économie, sécurité mais aussi environnement, énergie, drogues, droits de l’Homme, terrorisme... Le triomphe du G7-G8 était total.
C’était sans compter le développement d’un mouvement de contestation citoyen et mondial : G7 de 1989 à Paris, puis premier véritable contre-sommet qui mêle associations et syndicats en 1995 à Lyon. Depuis, les sommets du G8 sont systématiquement pris à partie.
Face à cette contestation, le G8 a réagi en développant une rhétorique autour de la notion de développement, pour répondre par exemple à la campagne "Jubilee 2000" contre la dette, lancée par des ONG. A chaque sommet, un véritable battage médiatique a lieu, avec l’annonce de nouveaux projets de développement, de remise de dette. Derrière les effets d’annonce, deux arnaques : d’abord, il s’agit souvent de transferts de fonds déjà alloués et non de nouvelles sommes ; ensuite, les promesses ne sont pas tenues. En 2001 à Gênes, le G8 (réfugié sur un bateau au large pour éviter les manifestants) annonçait la création d’un Fonds global pour la lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose. Les sommes nécessaires étaient évaluées par Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, peu suspect de radicalité, entre sept et dix milliards de dollars. Seulement 1,2 milliard de dollars a été promis, sans que cette décision ne prenne la moindre réalité effective : le fonds attend toujours son argent ! Le décalage entre discours et pratique se comprend à la lecture de ces chiffres : depuis 2000, les budgets des pays du G7 en matière d’aide au développement sont passés de 40,22 milliards de dollars à 38,2 en 2001, selon l’OCDE ! Même décalage pour l’environnement : en 1997 le G8 réclamait l’instauration de "pratiques pour la gestion durable des forêts". Mais, dans le même temps, les principaux pays exportateurs de bois, Etats-Unis et Canada, soutenus par l’Europe, proposaient à l’OMC une accélération des accords de libre-échange pour les produits forestiers.
Il faut cependant rendre justice au G8 : dans certains domaines, commerce ou sécurité, il tient ses promesses. Guère rassurant : il inspire la politique de l’OMC et pousse à toujours plus de libéralisme, aux privatisations, à la concurrence. Il s’agit pour la sécurité internationale d’assurer la "stabilité politique et économique dans les régions de production et de transit de l’énergie" (Birmingham, 1998). La guerre en Irak donne une idée des véritables moyens utilisés. Sans parler de la criminalisation de la contestation. Dans un autre domaine, si les grandes déclarations de principe affirment vouloir combattre la fraude financière et la corruption, le Groupe d’action financière internationale (GAFI) n’a pas les moyens de sa tâche. Cet organisme, qui avait établi une liste des "territoires non coopératifs" en matière de fraude fiscale, en a retiré des paradis fiscaux aussi connus que le Liechtenstein, les îles Caïman et Panama, ainsi que la Russie depuis 2002, sur la simple promesse de mesures antiblanchiment par ces Etats ; sans vérifier leur application.
Contre le G8, tous et toutes à Evian
Ce n’est pas sur le G8 que les peuples du Sud doivent compter pour sortir de la misère et combattre les régimes autoritaires. Mais sur leurs propres forces, ajoutées à celles du mouvement citoyen, social, syndical mondial. Certes, il n’y a pas de solution miracle, d’alternative toute faite mais, de forum social en forum social, de lutte en lutte, des pistes se dessinent. Elles passent par une réappropriation de la politique par les populations, par une véritable démocratie, par une économie et des politiques au service des besoins des peuples et non d’une poignée de dirigeants et de patrons. Ne nous laissons pas abuser par Chirac : il a certes compris, peut-être mieux que la gauche plurielle, l’importance du mouvement altermondialiste. En bon politicien, il feint la sympathie pour le mouvement, tente de s’approprier en les dénaturant certaines de ses thématiques. Mais la solidarité que prône le Chirac de la Françafrique n’est que le nouvel habit de l’exploitation, du néocolonialisme et des programmes d’ajustement structurel.
Créé dès son origine comme un club des riches et des puissants, le G8 ne peut être réformé dans un sens social ou progressiste, car ce sont les intérêts des Etats les plus riches, des multinationales, qui y sont défendus.
Antidémocratique, antisocial, antiécologiste, il est totalement illégitime, et on ne peut demander que sa suppression. Si gouvernance mondiale il doit y avoir, elle ne peut être que le fait des peuples, non d’un directoire mondial autoproclamé. Comme l’affirment les affiches du village intergalactique contre le G8 : "Ils sont huit, nous sommes des milliards !"
Sylvain Pattieu.
1. Le Brésil, le Maroc, la Chine, l’Algérie, l’Egypte, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Mexique, la Malaisie, l’Inde, l’Arabie saoudite.
(tiré de Rouge, hebdo de la LCR)