La nuit dernière, « notre » président a annoncé à la guerre à la nation et au monde. Soyons clair sur ce qu’est cette guerre et sur ce qu’elle n’est pas.
– Cette guerre n’est pas le résultat d’un échec de la diplomatie.
– Cette guerre n’est pas une guerre préventive.
– Cette guerre n’a rien à voir avec les armes de destruction massive.
– Cette guerre ne concerne pas le terrorisme.
– Cette guerre n’a rien à voir avec la libération du peuple d’Irak.
Diplomatie
Les pays engagent, de façon caractéristique, s’engagent dans la voie diplomatique pour éviter de devoir prendre le chemin de la guerre. Après que l’Irak a envahi le Koweït en 1990, de nombreuses tentatives diplomatiques furent engagées par la France, l’URSS et la Ligue arabe. Elles ont toutes sombré en premier lieu à cause de l’intransigeance de la première administration Bush [Bush père]. Dans le cas de la présente guerre, la deuxième administration Bush [George W. fils] a essayé d’utiliser la « diplomatie » pour créer une guerre de toutes pièces, ne faisant aucune tentative de négocier avec l’Irak. En réalité, comme l’Irak faisait concessions après concessions - comme il devenait toujours plus clair que quel que fut le pitoyable arsenal de l’Irak il pouvait être trouvé et démantelé si les inspections avaient la possibilité de se prolonger - les tentatives des Etats-Unis pour faire plier d’autres pays afin qu’ils soutiennent la guerre devenaient de plus en plus grossières, avec une dimension de coercition. Cette politique diplomatique n’avait rien à voir avec l’objectif de prévenir une guerre.
Préventive
Afin de prévenir une menace au moyen d’une guerre, il faut qu’existe une raison crédible pour croire que la menace existe et qu’aucune autre stratégie ne peut y faire face. Une menace implique des capacités et une intention. Dans le cas présent, l’administration Bush n’a pas été capable de démontrer que l’Irak disposait des capacités et aucune tentative n’a été faite pour démontrer que l’Irak avait l’intention d’attaquer.
Armes de destruction massive
Plus le temps passait, plus les mensonges, les demi-vérités, les distorsions de l’administration devenaient sans cesse plus ridicules. Plus rien ne tenait l’eau depuis les histoires terrifiantes sur un drone [avion sans pilote] qui vite eut les traits d’un planeur tenu ensemble grâce à de la salive et de la ficelle jusqu’à des documents falsifiés prétendant que l’Irak était en train d’acheter de l’uranium au Niger. Les affirmations [faites par Colin Powell devant le Conseil de sécurité] concernant des laboratoires biologiques mobiles furent récusées par les inspecteurs en désarmement, au même titre que les affirmations que l’Irak était sur le point de disposer ou disposait déjà d’armes nucléaires. Et, évidemment, des inspections qui se prolongeraient auraient assuré qu’aucun arsenal ne pourrait être constitué.
Terrorisme
Cette assertion est encore plus absurde. Le mieux que l’administration Bush a pu montrer, ce fut un militant de Jordanie, Abu Musab al-Zarqawi, un membre du groupe Ansar al-Islam, dont les liens soit avec Al-Qaida, soit avec le gouvernement irakien sont complètement sans fondement. Un récent rapport des services de renseignements britanniques conclut à la non-existence de liens entre l’Irak et Al-Qaida.
Libération
Les Etats-Unis n’ont aucun intérêt pour une véritable démocratie en Irak. En 1991, lorsque le soulèvement populaire après la guerre du Golfe a menacé de renverser le gouvernement de Saddam Hussein, les Etats-Unis sont intervenus pour maintenir Hussein au pouvoir. La raison, comme les officiels américains l’ont expliqué plus tard, correspondait à la volonté des Etats-Unis d’organiser un coup d’Etat afin d’assurer, comme l’a expliqué Richard Haas du Conseil national de sécurité, l’existence « d’un régime à la Saddam sans Saddam ». Depuis le 11 septembre 2001, l’administration Bush a financé une tentative de coup d’Etat au Venezuela, à installer un régime fantoche en Afghanistan et à gravement porter atteinte aux droits démocratiques fondamentaux au sein même des Etats-Unis. Il serait ironique que l’administration veuille la démocratie pour les Irakiens mais pas pour les Américains. Les plans américains pour l’Irak impliquent clairement d’établir un autre régime fantoche.
Ainsi, qu’est cette guerre ?
C’est un acte d’agression prémédité. C’est un élément d’une tentative de placer sous le contrôle encore plus étroit des Etats-Unis les gigantesques réserves d’énergie du Moyen-Orient. C’est une étape clé dans la construction d’un nouvel empire. Cela fait partie d’une tentative à long terme d’affirmer plus clairement que jamais le rôle de la force dans les affaires internationales et d’écarter toute fonction du droit et des institutions internationales lorsqu’elles ne sont pas au service de l’empire.
Un autre fait doit être rappelé. Cette guerre n’a pas commencé la nuit dernière.
Le 19 mars 2003 était simplement le début d’une phase nouvelle, plus intense de l’attaque des Etats-Unis contre l’Irak qui n’a cessé depuis la fin de la guerre du Golfe en 1991, cela par le biais d’un embargo économique le plus violent de l’histoire moderne et par plus de quatre ans de bombardements réguliers. Déjà, des centaines de milliers - peut-être plus d’un million - d’Irakiens innocents sont morts au cours de ces attaques continues. Au moment où l’on va faire le décompte des « pertes civiles » de cette nouvelle phase de guerre, il faudra ajouter ces morts à cette liste de morts afin que le coût effectif de la guerre américaine ne soit pas voilé.
Cela est décisif à comprendre parce que, lorsque les forces militaires des Etats-Unis renverseront le gouvernement de Saddam Hussein, nous ne devrons pas être surpris si des Irakiens applaudissent. Cette célébration n’aura pour seule origine le renversement du dictateur, mais sera aussi nourrie par l’espoir de voir prendre fin une situation de crainte et de privations imposée par les Etats-Unis. Une situation dans laquelle les parents ont été contraints de voir leurs enfants mourir de malnutrition et de maladies provoquées par la pauvreté infligée par l’embargo.
Finalement, au même titre où la guerre contre l’Irak n’a pas commencé la nuit dernière, la guerre plus large pour l’empire ne prendra pas fin avec l’Irak. D’autres pays, particulièrement l’Iran, sont déjà sur la liste des objectifs. L’administration Bush parle de remodeler la carte du Moyen-Orient. Au-delà se manifeste la volonté de contrecarrer le pouvoir montant de la Chine.
L’occupation américaine de l’Irak ne pourra certainement pas être arrêtée. Mais au même titre où il y a eu un temps pour la guerre, il peut y avoir un temps pour la justice si nous - les citoyens et citoyennes de l’empire - reconnaissons que cette bataille, immédiate, peut être perdue, mais qu’il reste un monde à gagner. - 20 mars 2003
*Rahul Mahajan est l’auteur d’un livre qui va paraître sous peu : « The US War Against Iraq : Myths, Facts, and Lies ». Robert Jensen est professeur associé de journalisme à l’Université du Texas à Austin.
(Tiré du site À l’encontre)