Le mouvement voit s’élargir ses thématiques et son assise sociale, ce qui implique l’arrivée de nouveaux acteurs, syndicats ou partis de gauche.
La première réunion du G-5, en novembre 1975, ne fit l’objet d’aucune mobilisation. Cette année-là, celle de la prise de Saigon par le FLN vietnamien et de la montée électorale de la gauche, en France comme en Italie, s’inscrivait plus globalement dans un contexte de récession, de crise du système monétaire international et de crise pétrolière. Les préoccupations militantes étaient alors pour l’essentiel focalisées autour des questions politiques, un an après le coup d’état de Pinochet contre Allende qui reposait la question des transitions, et des questions sociales avec les premières mesures d’austérité qui préparent les années Thatcher/Reagan et les défaites des années 1980.
Les émeutes de la faim, de la contestation du FMI à celle du G7
Jusqu’en 1984, le G7 ne fit l’objet d’aucune interpellation populaire. Lui-même n’y prêtait guère attention non plus. Pourtant, l’impact social des mesures de réajustement économique imposées à la fin des années 70 par le système financier international aux pays endettés du tiers-monde (et validées par le G7), conjuguées à la chute du prix des matières premières, devint très vite insupportable à celles et ceux qui en subissaient les conséquences. « Dès 1980, que ce soit en Afrique[1], en Amérique latine[2] ou en Eurasie[3], l’application de ces mesures provoqua une série de soulèvements populaires - grèves et manifestations dégénérant en émeutes, pillages - entraînant des milliers de morts. La cause immédiate de ces explosions sociales urbaines était généralement la hausse du prix des denrées alimentaires et des transports, à quoi s’ajoutait la corruption des régimes en place. Il s’agissait de réactions populaires de masse, à la fois spontanées et organisées, auxquelles participaient surtout les étudiants et les jeunes exclus du marché du travail, mais aussi les organisations de quartier, des groupes liés aux églises et les syndicats ; les partis d’opposition y jouèrent également leur rôle. Dans la plupart des cas, les évènements entraînèrent d’importants changements politiques[4] ». Ces explosions sociales connues sous le nom d’ « émeutes de la faim » constituèrent « une expression sociale centrale des luttes sociales des années 80[5] », elles mettent en cause nommément le FMI et sont donc indirectement liées au G7, mais sans qu’une attention particulière lui soit portée.
C’est à partir de 1984 que plusieurs ONG et groupes anglo-saxons commencèrent à cibler directement le G7. Ils avaient pris conscience en effet du fait qu’il s’agissait là d’une cible légitime sur laquelle exercer des pressions et/ou à laquelle s’opposer. À ce moment-là, le G7 commença à apparaître de plus en plus clairement comme une institution importante pour le monde occidental. Le premier rassemblement qui coïncidera avec un Sommet du G7, en 1984 à Londres, fut organisé par « The Other Economic Summit » (« l’autre Sommet économique ») plus connu sous le nom de TOES (ce qui signifie, en anglais, un doigt de pied) venu s’intercaler dans la porte des Grands du Sommet de Londres. En parallèle au Sommet, des chercheurs, militants associatifs, principalement écologistes, et économistes hétérodoxes attentifs aux émeutes de la faim et aux problèmes du nucléaire, venaient ainsi interpeller les pays du G7, principalement sur leurs rapports aux pays du Sud et à l’environnement.
Le TOES anglais devint par la suite la « New Economics Foundation » de Londres, mais « TOES » reste le terme générique pour désigner les sommets parallèles au G7 de la décennie 80 qui, de 1984 à 1988, évoluèrent en fonction des différents réseaux et coalitions d’ONG[6] des pays-hôtes qui les accueillaient[7]. Progressivement, ces coalitions en vinrent à désigner le G7 comme symbole de la « mondialisation et du néolibéralisme », ce qui n’eut alors que peu d’échos dans l’opinion publique, les contre-sommets restant très confinés. C’est pourtant à partir de cette période que le G7 fit progressivement référence aux conflits sociaux de façon incidente aux côtés des autres conflits, régionaux, militaires et politiques.
C’est cependant plus tard que le G-7 devint un symbole populaire de la mondialisation libérale et la cible de mobilisations militantes de plus grande ampleur. Il fallut pour cela deux évolutions majeures du contexte géopolitique. Tout d’abord, la fin de l’Union soviétique et du bloc de lEst : tant que duraient la bipolarisation et la guerre froide, les institutions internationales, à l’exception du système des Nations unies, et les structures comme le G-7 ne concernaient que le monde occidental et sa périphérie. Elles étaient surtout subordonnées, pour toutes les grandes questions, à la stratégie américaine et à la bi-polarisation Est-ouest. Les principales mobilisations à caractère international portaient ainsi, dans les années 1970 et 1980, sur la solidarité avec les luttes des peuples (Vietnam, Nicaragua ou Pologne) et sur le désarmement - avec les mobilisations européennes contre le déploiement des missiles SS-20 soviétiques et des Pershings américains sur le sol européen. À partir du tournant de 1989/1991, avec le « Consensus de Washington », les politiques néo-libérales se généralisèrent à l’ensemble des pays et continents. Les institutions et structures internationales - G-7, FMI, Banque mondiale et OMC, à partir de 1995 - devinrent des acteurs décisifs de la mise en place de ce qu’on appellera plus tard la « mondialisation libérale ».
Mais pour que les mobilisations se développent, il faut encore que le climat y soit propice et les énergies militantes disponibles ! Ce fut le cas à partir de la fin des années 1990, quand le cycle mondial de mobilisation qui émergea à partir de « Seattle » commença à s’étendre à toute la planète. Toutefois, des signes avant-coureurs ont existé avant ces années-là dans différents pays et, en particulier, en France, en 1989 comme en 1996.
En juillet 89, à Paris, le « 1er Sommet des Sept peuples parmi les plus pauvres » et « Ça suffat comme ci ! »
L’année 1989 correspondait au bicentenaire du début de la Révolution française. François Mitterrand voulut donner un éclat particulier à ces festivités en les couplant à la réunion du G-7, dans une situation internationale marquée par les manifestations de la place Tien An Men à Pékin et par les craquements du bloc de lEst. Le sommet fut donc contesté par toutes celles et tous ceux qui, coalisés, voulaient se faire l’écho du « tiers-état » de la planète : furent organisés manifestation et concert, contre-sommet, rencontre symbolique de sept témoins des peuples parmi les plus pauvres…
La décennie 1980 fut marquée dans le monde occidental par de nombreux reculs sociaux et l’affaiblissement des réseaux associatifs et syndicaux issus de l’après-guerre. Le seul secteur à connaître un essor militant était le monde des ONG - une forme d’engagement alors nouvelle, vécue comme plus directement efficace et dégagée du poids des idéologies - et, par extension, des initiatives comme SOS-racisme ou les « concerts pour l’Ethiopie » qui avaient intégré l’importance de la médiatisation, l’appel aux artistes et vedettes de la musique et l’utilisation des concerts géants comme formes de mobilisation. Juste avant 1989, plusieurs éléments montrèrent néanmoins qu’une importante mutation était en cours. En 1983, la Marche pour l’égalité et en 1984, Convergence traduisirent l’irruption de la citoyenneté, à travers l’expression des immigrés et des jeunes des banlieues sur le devant des mouvements sociaux. Une série de mouvements sociaux apparut, en France mais aussi en Italie. À la suite de la grande grève étudiante du printemps 1986, plusieurs conflits sociaux majeurs eurent lieu, avec les cheminots d’abord, puis avec les infirmières. Dans les deux cas, les salariés se sont dotés d’un nouvel outil, les « coordinations », qui manifestaient tout à la fois leur volonté d’imposer l’unité et de gérer démocratiquement leur action, à partir de la base. D’autre part, de fortes tensions sociales et écologiques commencèrent à apparaître en réaction aux politiques économiques internationales. Ce fut notamment le cas vis-à-vis du GATT, avec les agriculteurs[8]. Mais aussi vis-à-vis des institutions financières internationales : l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale, en 1988 à Berlin, suscita ainsi une importante mobilisation, regroupant de nombreuses forces au-delà des seules associations de solidarité internationale. Diverses initiatives y convergèrent : colloque écologique, assemblée syndicale, manifestations de chauffeurs de taxis, contre-congrès réunissant organisations associatives et politiques, manifestation de rue de 80.000 personnes, session spéciale du Tribunal permanent des peuples sur le FMI et la Banque Mondiale traitant notamment de la dette du tiers-monde.
La mobilisation de juillet 1989 face au G-7 se trouva à la confluence de ces évolutions. Elle s’inscrivait d’abord dans la droite ligne de la mobilisation de Berlin, puisque la Ligue internationale pour le droit et la libération des peuples (la LIDLP, organisatrice du Tribunal permanent des peuples de Berlin-Ouest) se joignit à la préparation du TOES 89. Celui-ci prit une forme originale en mêlant forum « classique », qui traitait de questions écologiques et de nouveaux rapports économiques à partir de micro-expériences, et une forme nouvelle plus symbolique et politique pour traiter, par rapport au G7, des aspects liés à la fois au désarmement (relations Est-Ouest) et au tiers-monde (relations Nord-Sud). C’est cette dernière question qui donna le ton du « premier Sommet des Sept peuples parmi les plus pauvres » des 15 et 16 juillet. En dénonçant la philosophie même du G7, il prenait son contre-pied sur deux de ses fondements : non pas les plus riches mais les plus pauvres, non pas les États mais des témoins non gouvernementaux des peuples, symbolisant ainsi « sans ambiguïté l’exclusion et l’oubli dans lesquels se trouvent plus des deux tiers de l’humanité[9] ».
Mais, dans la lignée des traditions de médiatisation issues des années 80, ce fut le chanteur Renaud qui organisa le moment médiatique le plus important de la mobilisation : un concert géant, place de la Bastille, en compagnie de Johnny Clegg et de nombreux artistes. Ce concert eut lieu le 8 juillet au soir, à l’issue de la manifestation organisée à l’initiative de l’écrivain Gilles Perrault qui voulait, face à l’instrumentalisation du Bicentenaire, « voir les révolutionnaires de 1989 célébrer ceux de 1789 ». De sorte que le texte d’appel, utilisant des références à la Révolution française, indiqua un tout autre sens, bien plus politique et radical, que celui des concerts contre le racisme ou pour l’Ethiopie.
L’ensemble de ces initiatives fut rassemblé sous le slogan « Dette, apartheid, colonies, ça suffat comme ci », inventé par Renaud, qui répondait à un besoin profond d’expression radicale, à l’occasion du bicentenaire. Un radicalisme sans vindicte ni haine, mais fortement exprimé. Ainsi, l’espace ouvert par Renaud le 8 juillet permit de « gueuler » (selon les termes des organisateurs), et les initiatives des 15 et 16 d’indiquer que les groupes « alternatifs » savent proposer et commencent à faire…
Mais si les mobilisations de 1989 laissèrent assurément des traces, elles marquaient surtout la fin dune courte reprise des luttes en Europe de l’Ouest, de 1986 à 1989. Malgré l’affirmation finale du communiqué de « l’Autre sommet », les mouvements sociaux ne reprirent réellement qu’à partir de 1993, et la coalition formée contre le G-7 de Paris disparut.
Il est vrai que la période qui suivit la chute du mur fut marquée par un vent d’espoir à travers une vague de démocratisation qui, au-delà des pays de l’ex-bloc soviétique, s’étendit en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Mais cet espoir que la coopération entre les peuples allait désormais s’imposer et que le G7, en perdant son ennemi, allait disparaître, fut très vite balayé, cédant la place à un nouveau cycle de luttes sociales très importantes. Pour autant, il fallut attendre le sommet de 1996, à Lyon, pour voir la contestation du G7 reprendre à nouveau un peu d’importance.
« Reprenons l’initiative », « Les autres voix de la planète » et « Le sommet des sept résistances », face au G-7 de Lyon, en 1996
Sept ans après le bicentenaire, le G7 revient en France. Entre-temps, « le mur de Berlin est tombé et l’empire soviétique s’est disloqué, les bombes ont explosé dans le Golfe, la guerre a duré en ex-Yougoslavie, l’Afrique a connu les tragédies du Libéria et du Rwanda, le chômage s’est aggravé en Europe, l’extrême-droite s’est enracinée en France, et Chirac a succédé à Mitterrand. Les mêmes politiques préconisées, entre autres, par les gouvernements représentés aux G7, ont vu leurs effets prolongés : tout est pareil, et pourtant tout est différent, l’histoire a tourné la page du « court XXe siècle…[10] ».
La mobilisation de Lyon, face au G-7, retrouva tout de même le souffle de celle de 1989. Six mois après la grève générale du secteur public de l’hiver 1995, ce fut dans une certaine continuité avec cette manifestation spectaculaire de la résistance aux effets catastrophiques des politiques dominantes et du nouvel (dés)ordre mondial. La coalition « les autres voix de la planète » multiplia les initiatives locales, notamment à Lille lors du « G7 social », avec au final une manifestation de 12.000 personnes à Lyon, suivie d’un contre-sommet d’échanges et de débats En parallèle, la CGT organisa une manifestation syndicale à laquelle se joignirent d’autres forces, la FSU ou les syndicats de la CFDT, regroupant 40.000 syndicalistes. Toute la semaine précédant le G7 officiel, de nombreux colloques et rencontres furent organisés à Lyon, en particulier par le collectif d’ONG « Reprenons l’initiative », sur l’Afrique, sur le Tribunal pénal international (Rwanda et Yougoslavie), sur les libertés, l’écologie, le développement… Le « Sommet des sept résistances », organisé par le Cedetim et Agir ici, fut en quelque sorte le point d’orgue de cette semaine de mobilisation.
La coalition « Les autres voix de la planète » se constitua dans l’année 1995, dans la continuité de la campagne « 50 ans ça suffit », menée à l’occasion des cinquante ans des accords de Bretton Woods par la coalition du même nom, en lien avec son homologue des Etats-Unis - qui jouera un rôle essentiel pour l’organisation de la manifestation contre le FMI et la Banque mondiale, en avril 2000, à Washington. Or, si la grève du secteur public fut l’événement marquant de l’année 1995, elle survint dans le contexte de l’émergence d’autres mouvements sociaux. En mai 1994, ce furent les Marches européennes contre le chômage à l’initiative d’AC ! (Agir ensemble contre le chômage). L’hiver 1994/1995 fut marqué par l’occupation par le DAL (Droit au logement) de la rue du Dragon, occupation qui allait être le point de départ du débat sur la résorption de la « fracture sociale ». Et juste avant la grève générale du secteur public, les universités entrèrent en grève et les associations de défense des droits des femmes mobilisèrent 40.000 personnes pour la défense du droit à l’avortement. La grève de 1995, en défense des retraites et du service public, fut le moment où ces luttes s’articulèrent, en particulier dans ces gigantesques manifestations organisées dans toutes les villes de France par les syndicats, mais aussi les associations et ce qu’on appelait les nouveaux mouvements sociaux.
Ce contexte général permet de comprendre pourquoi, lors des initiatives face au G-7 de Lyon, un changement profond s’est fait jour. Une première rupture porte sur les thématiques du contre-G-7. Lors des sommets internationaux, la parole portée par les acteurs critiques - souvent des ONG - se concentrait jusque-là sur la solidarité avec le Sud et, en 1989, même la référence à la Révolution française fut marquée par cette logique : « le nouveau " tiers-état ", c’est le tiers monde » … À Lyon, émerge le constat que les politiques des 7 pays dominants creusent les inégalités entre le Nord et le Sud, mais aussi au sein de chacun de ces mondes, et donc que les questions sociales au Nord devaient aussi être au cœur des débats et des mobilisations. De là découle une deuxième rupture : les forces sociales, associations et syndicats deviennent des acteurs essentiels du contre-sommet et des manifestations de rue. Ainsi, la réussite de la manifestation organisée à l’initiative de la CGT, marque l’entrée du syndicalisme dans ce combat.
La troisième rupture est symbolisée par la philosophie du Sommet des 7 résistances. Cette rencontre d’un Brésilien, d’une Algérienne, d’une Russe, d’un Bosniaque, d’une Sénégalaise vivant en France, d’un Belge vivant aux Etats-Unis, d’un Indien, d’un Chinois et de quelques Français, sous la présidence d’un Nigérian, révéla une commune volonté d’interpellation des puissants et une commune aspiration à prendre son destin en main. L’invitation dune délégation du Mouvement des sans terre (MST) brésilien par le DAL est symbolique de cette évolution. À Lyon, on passe donc dune logique où les ONG du Nord ont le monopole des liens avec des mouvements du Sud qu’ils « aident et soutiennent », à une nouvelle logique : désormais, les mouvements du Nord et du Sud s’organisent directement pour agir en commun et développer des actions solidaires. Celle-ci s’affirmera encore, juste après le contre-sommet de Lyon, lors des rencontre « intergalactiques » organisées par les Zapatistes au Chiapas, pendant l’été 1996, puis à une échelle beaucoup plus large dans les Forums sociaux mondiaux.
À partir de 1996, le G7 est pris à partie systématiquement. C’est à cette date d’ailleurs, constatant que les foyers de revendications se multiplient, que les membres du G7 « reconnaissent » la « société civile » et les ONG, en les mentionnant désormais dans les documents officiels.
Dans l’ensemble des initiatives organisées à Lyon pendant les jours précédents le G7, le « contre-sommet » du collectif « Les autres voix de la planète » a certainement été lune des plus intéressantes. Ce collectif, qui rassemblait plusieurs dizaines d’organisations, a organisé, les 8 et 9 juin 1996, un week-end de travail et de mobilisation avec de nombreux ateliers thématiques. L’adresse au G7 qui concluait cette réunion a été lue en ouverture du Sommet des 7 résistances.
En 1998, à Birmingham, Jubilé 2000
« L’Éternel parla à Moïse sur la montagne du Sinaï, et dit : […] tu compteras sept sabbats d’années, sept fois sept années, et les jours de ces sept sabbat d’années feront quarante-neuf ans. […] Vous sanctifierez la cinquantième année, vous publierez la liberté dans le pays pour tous ses habitants : ce sera pour vous le Jubilé. […] Si ton frère devient pauvre près de toi et qu’il se vende à toi, il sera à ton service jusqu’à l’année du jubilé. Il sortira alors de chez toi, lui et ses enfants avec lui, et il retournera dans sa famille, dans la propriété de ses pères ».
Cet extrait du Lévitique avait dû marquer l’universitaire britannique Martin Dent car, dès 1990, il eut l’idée de reprendre le concept de Jubilé, tel qu’il existait dans l’ancien testament, pour lappliquer à la dette des pays du tiers-monde. C’est le « Debt Crisis Network » qui décida, en 1994, de lancer réellement une campagne qu’Ann Pettifor va diriger par la suite.
Cette campagne, connue sous le nom de Jubilee 2000 - l’an 2000 est la date choisie par l’église catholique pour célébrer le Jubilé - se mit en place en Grande-Bretagne, au printemps 1996, avec le soutien de Christian Aid, une des principales ONG britanniques. Son succès fut très rapide et, autour d’elle, s’organisa, en octobre 1997, une coalition composée de nombreux syndicats, ONG, mouvements de femmes et organisations de réfugiés.
Cette campagne décida de centrer ses revendications sur le G-7, structure où siègent les chefs d’État et de gouvernement « actionnaires majoritaires des institutions financières internationales » et, à ce titre, en situation de grande responsabilité vis-à-vis de la situation d’endettement des pays du tiers-monde. C’est donc au moment de la réunion du G-7 de Birmingham, en 1998, que Jubilee 2000 organisa sa mobilisation dont le succès dépassa tous ses espoirs : plus de 70.000 personnes participèrent à une chaîne humaine et entourèrent le Sommet.
Le succès de cette mobilisation fut très peu médiatisé en France, où les nouvelles formes militantes en provenance de Grande-Bretagne ont toujours eu du mal à faire école. Pourtant, avant la France, qui, après la vague des mouvements sociaux des années 1990, a été le pays d’origine d’Attac, début 1998, et les Etats-Unis, où les réseaux militants qui ont fait irruption à Seattle se sont structurés dans la décennie 1990, la Grande-Bretagne est, parmi les pays du Nord, celui qui a connu le plus tôt un important renouveau militant.
Le succès de Birmingham marqua le début dune campagne internationale de très grande ampleur : deux ans plus tard, des coalitions Jubilee 2000 existaient dans 66 pays ; Jubilee avait participé à des centaines de manifestations et fait signer une pétition qui, avec 24 millions de signatures en provenance de 166 pays, battit tous les records !
En 1999, à Cologne, la bataille pour l’annulation de la dette et le J-18 de Reclaim the Street
Dans la mémoire militante, l’année 1999 est désormais devenue celle de « Seattle », en référence à la ville qui accueillit la Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce, grandement perturbée par les manifestations. Et en effet, 1999 peut être considérée comme l’année « tournant », à partir de laquelle les mobilisations se sont répandues sur toute la planète. Mais avant « Seattle », plusieurs évènements ont été autant d’indices de l’évolution en cours.
À Paris, fin juin 1999, 1.200 militants venus du monde entier se réunissent à l’initiative d’Attac et d’autres réseaux militants européens ; cette rencontre en préfigurait d’autres, qui se sont multipliées après Seattle : la rencontre de Bangkok, en février 2000, en marge de la conférence de la CNUCED[11], la conférence de Genève, en juin de la même année, en marge du sommet social de l’ONU « Copenhague + 5 » et, surtout, les diverses éditions annuelles du « Forum social mondial » réuni à Porto Alegre, au Brésil, depuis le mois de janvier 2001.
Mais deux autres mobilisations internationales, prenant le G7 pour cible, ont marqué l’année 1999, celle de Cologne, en marge du Conseil européen et du G7, et le J-18 de Reclaim the Street.
Le gouvernement allemand avait pris la décision d’organiser dans la même ville, Cologne, les deux sommets dont il avait la présidence : le Conseil européen (Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne), à la fin du mois de mai et, trois semaines plus tard, le sommet du G-7 lui-même. Face à ces deux sommets, deux mobilisations furent organisées dans un cadre commun.
Pour exiger une autre orientation de l’Union européenne, l’initiative est venue des « Marches européennes contre le chômage, les exclusions et la précarité ». Les Marches avaient acquis leurs lettres de noblesse en organisant la première grande manifestation européenne de la décennie 1990, en mai 1997 à Amsterdam, à la suite de marches de chômeurs ayant sillonné toute l’Europe. À Cologne, 30.000 militants venus du continent entier se sont à nouveau retrouvés, à la suite dune marche de 300 personnes entre Bruxelles et Cologne.
Face au G-7, la coalition porta comme thème majeur l’annulation de la dette, suivant en cela le succès de Jubilee 2000 à Birmingham, et près de 30.000 personnes défilèrent à nouveau dans les rues de Cologne. La question de la dette était au centre des débats, tant du côté officiel que du côté des militants. C’est à Cologne que se sont réunis les militants venus du Sud (les Philippins et les Africains du Sud jouant un rôle moteur), ceux-là mêmes qui créeront, quelques mois plus tard, à Johannesburg, la coalition « Jubilé Sud », dans le but de faire entendre une voix du Sud différente de celle de Jubilé Grande-Bretagne. C’est-à-dire pour exiger une annulation inconditionnelle de la dette, pour tous les pays du Sud et pas seulement les plus pauvres. Débat d’autant plus vif qu’à Cologne, les Sept annonceront l’engagement d’un processus de réduction - conditionnelle - de la dette des pays les plus pauvres[12]…
Mais en cette année 1999, d’autres initiatives sont menées par rapport au G-7. Ainsi une « caravane » de paysans indiens du Karnataka, circulant plusieurs semaines dans plusieurs pays d’Europe, termina sa course à Cologne, au moment de la manifestation contre le G7. Organisée par un syndicat paysan du sud de lInde, membre de Via Campesina, et forte de 500 de ses membres, elle venait populariser, en Europe, la lutte des paysans du Sud. Elle prit part à de nombreuses initiatives symboliques : participation aux marches européennes contre le chômage, arrachage de riz transgénique à Montpellier avec un José Bové qui réussit de plus en plus à médiatiser le mouvement, sit-in de fous rires devant l’usine Novartis à Genève…
Une autre initiative fit plus de bruit, celle d’un « J-18 » organisé le 18 juin 1999, jour de l’ouverture du G7, par Reclaim the Street et ses alliés. Reclaim the Street est un mouvement né en Grande-Bretagne au début des années 1990 à partir dune radicalisation des mouvements écologistes « Friend of the Earth » ou « Greenpeace » à l’égard des politiques publiques. Reclaim the Street a connu un succès important auprès de la jeunesse britannique et s’est spécialisé dans les « Street Parties », tout en participant à diverses luttes sociales : grève des dockers de Liverpool, marches contre le chômage quand elles sont passées à Londres, au printemps 1997, ou encore luttes contre la privatisation du métro de Londres avec les syndicats. L’idée de « J-18 » était de paralyser les centres financiers de la planète : au lendemain de la crise asiatique, Reclaim the Street avait décidé, comme ATTAC en France, de cibler sa campagne contre les marchés et institutions financières. Le jour J, 10.000 militants ont envahi la « City » de Londres, ce qui ne s’était pas vu depuis le milieu du XIXe siècle !
Avec quelques années de recul, on se rend mieux compte de l’importance de ce qui s’est joué en 1999, Seattle n’étant que le dernier acte de ce qui sera souvent considéré comme l’année de naissance du mouvement de lutte contre la mondialisation libérale.
En 2000, à Okinawa, contre les bases militaires et pour la sécurité des peuples
L’année suivante, le G8 changea de continent et se tint au Japon, à Okinawa. Jusqu’alors, le mouvement dit « anti-mondialisation » n’y avait pas pris l’ampleur de ses alter ego britannique, français, indien, coréen ou états-uniens. Mais, fin de siècle oblige, le sommet du G8 - réunissant les chefs d’État des sept principaux pays industrialisés et de la Russie - fut l’occasion pour la campagne mondiale Jubilee 2000 d’exiger à nouveau, et avec force, l’annulation immédiate de la dette des pays pauvres. L’occasion aussi, pour de nombreux mouvements militants, d’affirmer leur solidarité avec la population d’Okinawa en lutte contre le maintien sur place d’importantes bases militaires américaines : l’île abrite 70 % des installations US implantées au Japon, qui occupent jusqu’à 20 % de la surface de la préfecture ! Véritable point névralgique, elle héberge en effet le principal complexe militaire américain construit outre-mer. Ce centre opérationnel concerne très directement la péninsule coréenne, le tout proche détroit de Taiwan et lAsie du Sud-Est, voire, en cas de crise, le Golfe.
Le sentiment pacifiste a des racines très profondes à Okinawa, qui fut le théâtre de lune des plus sanglantes batailles de la Seconde Guerre mondiale. La population refuse d’être le point focal d’un éventuel conflit et ne veut pas que son territoire serve à dominer militairement d’autres peuples. L’essentiel des mobilisations qui se sont déroulées à l’occasion du sommet ont donc eu pour objectif premier le retrait du complexe militaire US. La première initiative fut organisée trois semaines avant l’ouverture du G8, du 30 juin au 1er juillet, par un réseau militant asiatique, le Forum international d’Okinawa sur la sécurité des peuples, qui mit en avant les thèmes de la coopération et du désarmement.
Jubilee 2000, de son côté, organisa une conférence mondiale sur la dette des pays pauvres, à la veille du G8, du 19 au21 juillet. Toutes les composantes de la campagne internationale étaient présentes, dont une importante délégation du Royaume-Uni, et Jubilé-Sud joua un rôle actif. Les participants manifestèrent à Naho et Naga, puis se joignirent à la principale mobilisation densemble : une immense chaîne humaine, de plus de 27.000 personnes, encerclant la base de Kadena.
Cette conférence fut l’occasion d’un appel aux dirigeants du G7, adopté à l’unanimité des participants, renouant ainsi avec une pratique du contre-G7 disparue depuis « ça suffat comme ci », en 1989. Cet appel exigea l’annulation des dettes illégitimes, ainsi que de celles qui ne sauraient être remboursées sans sacrifier la santé, l’éducation ou la vie même des populations appauvries. Il dénonça les conditionnalités imposées par les institutions financières internationales et demanda la mise en place de mécanismes indépendants pour surveiller le processus de l’annulation des dettes. Dans un geste politique inhabituel, le Premier ministre japonais Mori reçut une délégation de la conférence mondiale Jubilé 2000, ce qui dénote l’ampleur des mobilisations sur la dette et l’écho qu’elles ont pu avoir au-delà des seuls cercles militants, même si, in fine, le G8 continue toujours de faire la sourde oreille et de ne prendre aucune mesure réelle pour soulager les peuples du tiers-monde du fardeau de l’endettement !
En juillet 2001, Gênes la terrible
Comme pour beaucoup d’événements majeurs, de nombreuses lectures de Gênes sont possibles et l’on pourrait prendre comme fil conducteur la perte de légitimité des réunions du G8 ou le choc de la répression policière, mais ces aspects-là sont, aujourd’hui, bien connus[13]. Nous nous limiterons ici à replacer Gênes dans la courte généalogie du « mouvement » de Seattle. En effet, si l’échec de la conférence ministérielle de l’OMC, en décembre 1999, a marqué l’irruption de ce mouvement sur la scène mondiale, celui-ci a connu différentes phases et Gênes a représenté une réelle inflexion.
Dans une première étape, la mobilisation est restée limitée sur le plan numérique. À Seattle, même avec la présence de l’AFL-CIO, le grand syndicat américain, les manifestants ne s’étaient comptés qu’en dizaines de milliers ; un an plus tard, à Prague, pour les assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, il n’y avait pas plus de vingt mille personnes, venues de toute l’Europe. La force de ce mouvement tient à la place qu’y occupe la contre-expertise, à l’utilisation de méthodes nouvelles et directes, à l’apparition, dans la jeunesse, dune nouvelle génération militante et, surtout, à la sympathie dune opinion publique inquiète de l’impact négatif de la mondialisation libérale sur le plan social, environnemental et démocratique. En cela, un parallèle peut être fait avec les « grèves par délégation » qua connues la France des années 1990, où ceux qui pouvaient faire grève (avant tout le secteur public) étaient soutenus massivement par ceux dont le statut était fragilisé, et notamment les travailleurs du secteur privé, les retraités, les chômeurs, etc.
Gênes, après les mobilisations de Québec contre la zone de libre-échange américaine quelque mois plus tôt, a marqué un saut quantitatif et qualitatif. Réunir trois cent mille personnes, malgré la violence policière et la fermeture des gares et aéroports, fut d’abord une confirmation du rejet massif par l’opinion des effets de la mondialisation libérale. Mais surtout, la présence physique de ces manifestants, italiens pour la très grosse majorité d’entre eux, pesa sur la suite des évènements : des dizaines de milliers de responsables associatifs, autant de cadres syndicaux ou de militants de partis politiques, ont été plongés dans le chaudron de Gênes avec des jeunes qui faisaient là leur première expérience politique. Et personne n’en est sorti indemne ! En cela, Gênes a été un formidable accélérateur qui a permis, au-delà des débats et des divergences entre les différents acteurs, la série des mobilisations qua connues l’Italie au cours des mois suivants : la marche Pérouse/Assises contre la guerre en Afghanistan, les « girotondo » contre l’auto-amnistie de Silvio Berlusconi, la manifestation nationale, puis la grève générale, contre la remise en cause de l’article 18 du code du travail, et enfin le Forum social européen de Florence et les deux millions de manifestants à Rome contre la guerre, le 15 février 2003.
L’Italie a connu, dans cette dernière année, une série impressionnante de mobilisations, mais l’erreur serait de croire à une « exception italienne » dans une Europe et un monde qui serait restés atones. Le « grand-public », après Gênes, commence à prendre réellement conscience du fait qu’il se passe des choses aux quatre coins de la planète : ce sera manifeste avec la deuxième et troisième sessions du Forum mondial de Porto Alegre où se sont retrouvés, en 2002 puis en 2003, cinquante mille, puis soixante dix mille participants ; avec les mobilisations argentines ; les manifestations espagnoles de plusieurs centaines de milliers de personnes au moment des sommets européens, en mars, puis en juin, parallèlement à une grève générale massivement suivie ; et enfin, les 10 millions de manifestants dans le monde entier contre la guerre, le 15 février 2003… Tous ces exemples traduisent des évolutions qui sont tout autant quantitatives que qualitatives.
Car, il faut bien noter que ceux qui participent à ces diverses initiatives, du Sud comme du Nord, parlent, certes, de manières diverses mais ils parlent de la même chose et dans un entrelacs de réseaux qui ne correspond plus aux clivages du siècle précédent. Cette coalition se consolide dans la durée et on peut parler de « mouvement », au sens politique du terme ; celui-ci fait converger des aspirations et des revendications diverses, autour de quelques grandes orientations de démocratie mondiale et de développement durable.
En 2002, à Kananaskis la démocratie selon le G8, et à Siby, la démocratie selon les peuples
En 2002, à l’exigence de démocratisation et de changement radical de l’ordre international, tant réclamée à Gênes, le G8 répondit… par un exil. Il tint sa rencontre à Kananaskis, petit village situé au fin fond des Rocheuses canadiennes, inaccessible autrement que par une seule route, gardée férocement par des forces de police et d’armée considérables - qui réussiront à faire une victime : un ours égaré trop près des grilles de sécurité ! Pourtant, la société civile fut l’une des grandes présentes… dans les discours officiels ! Ainsi, le site officiel du sommet de Kananaskis présenta une partie « discussion avec les citoyens »… La démonstration involontaire que la démocratie selon le G8 est une démocratie virtuelle !
Beaucoup ont cru, à tort, que rien ne fut organisé contre le G8, cette année-là, en dehors des mobilisations contenues au Canada. 2002 aura pourtant été l’occasion d’une « première mondiale » face au G7/G8 : la démonstration que les peuples du Sud, ces « oubliés » du monde, entendent bien se montrer, savent faire preuve d’autonomie et sont porteurs d’une autre vision du monde et des relations entre les peuples. Les 25, 26, 27 et 28 juin 2002, en parallèle du G7 de Kananaskis (Canada) se déroula à Siby, Cercle de Kati, petit village au centre d’une commune malienne de 18 000 habitants, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière guinéenne, le Forum "Kananaskis, village des peuples". Ce forum fut organisé par Jubilé 2000/CAD- Mali en partenariat avec d’autres organisations de la société civile malienne.
À Siby comme à Kananaskis, un sujet central devait être débattu : le Nouveau partenariat économique pour le développement africain, mieux connu sous son acronyme anglais, le NEPAD. Mais la nature et le contexte des débats ne furent évidemment pas être les mêmes. Alors qu’à Kananaskis se rassemblaient les principaux décideurs politiques mondiaux, Siby accueillait quelque 300 représentants d’organisations paysannes, syndicales et citoyennes d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Niger, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Guinée, etc.).Le forum, village des peuples à Siby n’avait donc pas pour objectif de soutenir le NEPAD, mais de créer une opportunité collective et alternative d’éducation populaire, d’information, d’échanges et de critiques constructives par des mouvements sociaux au niveau national, sous- régional et international dans leur diversité de visions et de positionnements sur des questions brûlantes du continent africain comme le NEPAD, le fardeau de la Dette, le Commerce non équitable, l’insécurité alimentaire, etc. »[14]
Malgré des moyens limités (absence de route, d’électricité et d’eau courante), trois journées d’échanges, d’analyses et de témoignages furent organisées, introduites chaque fois par des petits sketches imaginés et interprétés par quelques jeunes. Non sans humour, ces petites scènes dépeignirent la situation d’un peuple africain appauvri par le démantèlement des pouvoirs publics, le fardeau de la dette extérieure, la concurrence déloyale des transnationales occidentales ou la chute historique des prix des matières premières...
Par son caractère particulier de promotion de la mobilisation sociale au niveau local, le forum contribua de fait, même si beaucoup reste à faire, au renforcement du contre-pouvoir citoyen, à la construction du consensus des peuples africains et à la construction d’un véritable partenariat entre les gouvernements africains et leurs peuples. Il fut le premier rassemblement parallèle au G7 organisé au Sud par des organisations du Sud pour contester les logiques dominantes et œuvrer à l’élaboration dune solidarité internationale effective. Même si sa conclusion fut fataliste : "En 1999, le G7 nous a annoncé l’annulation de 90% de notre dette. En 2000 c’était le projet du millénaire. En 2001 le fonds pour le Sida, la tuberculose et le paludisme. Aujourd’hui, c’est le NEPAD. Mais nous on attend toujours !", il fut la démonstration vivante qu’un autre monde est possible !
En conclusion provisoire,
Le mouvement, en se massifiant de plus en plus à partir de Gênes, se lie aux tissus militants et s’intègre dans les réalités nationales, mais de ce fait, il perd en homogénéité et en lisibilité. Peu de choses différenciaient les manifestants de Prague, en septembre 2000, de ceux de Washington D.C. qui, en avril de la même année, protestaient déjà contre les politiques du FMI et de la Banque mondiale. Les objectifs étaient les mêmes et les cortèges rassemblaient une jeunesse tout à fait similaire. Aujourd’hui, les mouvements sont confrontés à des défis d’une tout autre ampleur et l’arrivée de nouvelles forces et de nouveaux partenaires pose des questions complexes. L’élargissement du mouvement à de larges couches de la population, bien au-delà des secteurs de la jeunesse qui avait manifesté à Seattle ou à Prague, a comme conséquence immédiate le développement de mobilisations sur le terrain social, le refus des licenciements et de la précarité, la défense des retraites, et donc des convergences avec les syndicats. À un autre niveau, les mobilisations contre l’extrême droite, comme en France au moment des présidentielles, posent également le problème d’une rupture avec le libéralisme, car l’enracinement populaire des forces populistes et d’extrême droite est aussi lié au rejet du système en place et dune mondialisation qui ne laisse aucun espoir. Le mouvement voit s’élargir ses thématiques et son assise sociale, ce qui implique l’arrivée de nouveaux acteurs, syndicats ou partis de gauche. Le mouvement se heurte à des décisions gouvernementales et des questions politiques qui sont, certes, des conséquences de la mondialisation libérale, mais qui posent des problèmes d’alliances, de compromis et déchéances traités dans un cadre national.
Aujourd’hui, les mobilisations contre la guerre en Irak réunifient les préoccupations militantes et donnent un cadre d’action commun au niveau international. Mais, à plus long terme, l’élargissement de la mobilisation a un effet dissolvant sur « le » mouvement, celui du début, celui de Seattle et de Gênes. Le problème des alliances le divise, l’arrivée de nouveaux partenaires le rend moins lisible, et les échéances nationales qu’il doit affronter brouillent son caractère mondial et global. Mais, cet élargissement permet de marquer des points face à la mondialisation libérale. L’enjeu, pour le mouvement, sera de trouver les lieux et les outils pour multiplier les échanges d’expériences et améliorer la compréhension des mobilisations en cours.
[1] Zaïre, mai 1980 ; Maroc, juin 1981 puis 1984 ; Madagascar, 1982 ; Tunisie, janvier 1984 ; Soudan, mars-avril 1985 ; Algérie, 4 octobre 1988
[2] Équateur, octobre 1982 ; Chili, mai 1983 ; Brésil, 1983 puis décembre 1986 ; République dominicaine, avril 1984 ; Haïti, mai 1985 ; Guatemala, septembre 1985 ; Bolivie, janvier 1986 puis novembre 1989 ; Venezuela, 27 février-3 mars 1989, Argentine, 1989, Pérou, 1980-1990
[3] Turquie, février 1980 ; Philippines, septembre 1983
[4] Cf. Serge Cordellier, Le nouvel État du monde. Bilan de la décennie 1980-1990, La Découverte, 1990.
[5] Ibid.
[6] Pour l’essentiel, il s’agit d’ONG de solidarité internationale, de développement et d’environnement.
[7] Cf. London School of Economics, Global civil society 2001, Oxford University Press, 2002. Voir aussi le site de l’Université de Toronto, ibid.
[8] Un nouveau cycle de négociations du GATT démarra en 1986 à Punta del Este, en Uruguay, marquant le début de l’Uruguay Round qui aboutira, en 1994, à la création de l’Organisation mondiale du commerce.
[9] Actes du Sommet des sept peuples parmi les plus pauvres, Agir ici, 1989. Les pays pauvres représentés furent le Bengladesh, le Brésil, le Burkina Faso, Haïti, le Mozambique, les Philippines, le Zaïre.
[10] Bernard Dréano, Actes du Sommet des sept résistances, Lyon, 27 juin 1996, Agir ici, Cedetim, 1996.
[11] Conférence des Nations-unies pour le commerce et le développement
[12] La campagne arriva à son terme à la fin de l’année 2000 et les ONG britanniques qui en avaient été les inspiratrices optèrent pour une dissolution de « Jubilee 2000 - UK ». À partir de là, une campagne de plus courte durée, fixant le G-8 de Gênes comme date butoir, fut mise en place par les Britanniques sous le nom de « Drop the Debt ». En fait, cette expérience fut le début dun processus de rapprochement entre grosses ONG et nouvelles forces, qui allait se cristalliser dans les Forums sociaux.
[13] Pour un très pertinent aperçu de ces thèmes, lire Samizdat.net, Gênes. Multitudes en marche contre l’Empire, Reflex, juin 2002.
[14] Lire Arnaud Zacharie, Forum des peuples à Siby, Mali, 25-28 juin 2002, Une appropriation citoyenne du développement social en Afrique, CADTM, http://users.skynet.be/cadtm/
20/05/2003