Il devient de plus en plus évident que le Moyen-Orient est en voie de palestinisation. Les troupes étasuniennes ne sont sans doute pas en mesure de conquérir et certainement pas de contrôler les grandes villes. Elles n’y sont même pas prêtes technologiquement et encore moins politiquement et idéologiquement. La résistance antiimpérialiste, à base nationaliste et islamiste, s’avère beaucoup plus forte que l’effet des contradictions internes et des pratiques dictatoriales issues du colonialisme ottoman, maintenues par la Grande-Bretagne puis recyclées par le régime ultra-nationaliste baasiste dont l’accession, puis le maintien au pouvoir jusqu’en 1991, fut favorisée par les ÉU.
La prétendue guerre contre le terrorisme vient de franchir une nouvelle étape après celle de la guerre contre l’Afghanistan. De prime abord, elle marque une défaite de l’impérialisme en termes d’isolement politique et de dénuement idéologique. Au cœur de l’opposition, il y a le mouvement anti-guerre, une transcroissance du mouvement alter-mondialisation, qui ne mobilise pas encore sérieusement, cependant, le prolétariat organisé. L’opposition anti-guerre, même si elle n’a pas pu empêcher le déclenchement de la guerre, a certainement contribué à tonifier la résistance irakienne. Dans cette lutte antiimpérialiste, le peuple et l’armée de l’Irak, de plus en plus appuyés par d’amples mobilisations au Moyen-Orient même, jouent pour l’instant le premier rôle. À nous de les relayer en élargissant et approfondissant notre mouvement dont le prochain rendez-vous international est le 12 avril.
Tout affaiblissement du mouvement anti-guerre encouragera l’impérialisme a réglé son impasse militaire en utilisant des armes de destruction massive. En effet, se retirer du Moyen-Orient aurait, pour l’impérialisme étasunien, des conséquences autrement plus négatives que celle de se retirer du Vietnam. La défaite vietnamienne n’avait pas modifié la disposition des forces propres à la Guerre froide car, alors, seul les ÉU étaient en mesure d’assurer la direction du camp impérialiste contre le camp bureaucratique. Les ÉU ont su rebondir en renforçant leur caractère réactionnaire. Une défaite au Moyen-Orient pourrait signifier, cette fois-ci, un repli sur les Amériques avec, à l’avenant, une profonde restructuration de l’économie des ÉU qui ne pourraient plus compter ni sur le pétrole bon marché ni sur un financement par les surplus de l’épargne mondiale grâce à l’hégémonie du dollar. C’est donc dire la nécessité pour le mouvement anti-guerre de se transformer, à terme, en mouvement anti-impérialiste posant la question du pouvoir.
Canada : le paradoxe de la force du faible
Son isolement et son début d’enlisement rendent le gouvernement étasunien de plus en plus amer face à ses alliés de l’OTAN, et plus encore du Canada, son partenaire du NORAD. Il ne suffit plus pour le Canada de faire semblant ne pas être en guerre tout en refusant de la condamner, position hypocrite que Landry et Charest appuient. Avec ses trois navires de guerre dans le Golfe Arabo-Persique à la tête d’une escadre qui escorte des navires étasuniens et britanniques, avec ses officiers présents au quartier général du Qatar, à bord des avions de surveillance AWAC et dans des bataillons étasuniens et britanniques, avec l’engagement d’envoyer, cet été, 1000 soldats remplacer des troupes étasuniennes en Afghanistan, le Canada est un des pays impérialistes les plus engagés au Moyen-Orient, moins certes que les ÉU, la Grande-Bretagne et l’Australie mais plus que n’importe quel autre des alliés déclarés ou secrets des ÉU. Question : le Canada fait-il partie des 15 alliés secrets des ÉU ?
Il faut se rendre compte, cependant, que plus les ÉU sont engagés dans la guerre et plus il sont isolés, mois ils peuvent se dispenser de l’apport économique et diplomatique canadien, si hypocrite soit-il. C’est là le paradoxe inter-impérialiste du faible au fort dû à la forte imbrication des deux économies dans le cadre de l’ALÉNA. Plus que jamais, le mouvement anti-guerre canadien est en mesure de faire pression sur le gouvernement canadien pour qu’il s’autonomise des ÉU comme Ottawa le fait par rapport à sa politique cubaine.
Un campagne électorale irréelle et aliénante
Le mouvement anti-guerre québécois a atteint des sommets, sans doute historique, de mobilisation dans la rue. Tout comme l’importante mobilisation antinéolibérale avant lui, le mouvement anti-guerre ne se traduit pas encore, cependant, par d’importantes mobilisations mettant en cause les pouvoirs politique et économique nationaux et pan-canadiens. Le conflit de Vidéotron, par exemple, se termine par d’importants reculs malgré le retour au bercail des employéEs d’Entourage. L’actuelle campagne électorale, privilégiant forcément les thématiques sociales et économiques nationales étant donné la division constitutionnelle des pouvoirs, se déroule dans la quasi ignorance de la guerre.
C’est cette fausse dichotomie qu’il faut briser parce qu’elle est irréelle et parce qu’elle aliène encore davantage du politique compris comme posant la question du pouvoir. La santé, l’éducation, l’environnement, le droit des femmes… sont compromis bien sûr par les politiques libre-échangistes mais aussi par la guerre qui est l’aboutissement logique de la compétition de touTEs contre touTEs. Certes, contrairement aux ÉU, on n’en est pas encore rendu à choisir entre le beurre et les canons malgré une faible augmentation du budget militaire. La militarisation sociale n’est pas encore non plus très marquée malgré les lois anti-terroristes et les contrôles aux frontières de plus en plus répressifs des réfugiéEs et des minorités visibles arabo-musulmanes.
Il est même possible que le Canada, et même davantage le Québec, ait bénéficié d’un temporaire effet pervers qui s’achève. En effet, la croissance économique du Québec a été, en 2002, plus élevé que celle du Canada, des ÉU, de l’Union européenne et du Japon. Pourquoi ? Parce que le Québec et la Canada ont momentanément profité de l’effet d’entraînement de l’économie de guerre étasunienne sans trop en subir la militarisation budgétaire et sociale. On peut douter de la solidité et de la moralité de ce moteur économique. Déjà, contrairement à la comparaison de la moyenne de 2002 par rapport à celle de 2001, les indicateurs économiques des derniers mois montrent un ralentissement dans la suite de celui des ÉU où l’incertitude de la guerre commence à sérieusement plombé les dépenses de consommation et d’investissement malgré de très bas taux d’intérêt et un déficit fiscal en croissance exponentielle.
La santé, l’éducation et l’écologie, c’est aussi la guerre
Si le Canada et le Québec sont parvenus à rester des îlots, ils sont de plus en plus battus par la tempête de la compétition libre-échangiste, des privatisations néolibérales et de la guerre de l’empire.
Détérioration des conditions de travail et de logement, ingurgitation de fast food, de sucreries et d’alcool comme palliatifs anti-stress bon marché, dopage de la consommation de masse sont bien davantage des causes de mauvaise santé que le vieillissement de la population. Une société peut d’ailleurs vieillir bien ou mal selon le degré d’exploitation et d’oppression. Last but not the least, une société en état de développement harmonieux et durable sera plus accueillante pour les immigrantEs et plus accommodante aux enfants. Une politique de prévention, que seul peut se permettre un système de santé intégralement public adéquatement financé, saurait mettre en relief toutes les tares du capitalisme néolibéral et guerrier qui rendent la société malade.
Le capitalisme néolibéral n’a rien contre investir dans l’éducation à condition que le système d’éducation soit élitiste ; qu’il maximise la place du privé comme propriétaire, gestionnaire, sous-traitant ou fournisseur, y compris de programmes et de contenu, tout en conservant l’État payeur ; qu’il ajuste le curriculum aux valeurs et besoins des transnationales elles-même participant de plus en plus aux conseils d’administration, au pourvoiment de chaires et à l’orientation de la recherche par un financement sur mesure. Après tout, il ne saurait y avoir de transnationales gagnantes et rationalisantes, ni d’armées impérialistes victorieuses, pense-t-on, sans la technologie la plus performante.
Aujourd’hui plus que jamais, la lutte pour l’intégrité des équilibres écologiques est partie prenante de la lutte contre la guerre. Le slogan « Pas de sang pour le pétrole » résume efficacement l’essence de la croisade impérialiste. Le capitalisme néolibéral, avec sa division internationale du travail en réseaux mondiaux pour casser les forces syndicales demeurées nationales, est complètement dépendant du pétrole bon marché pour demeurer rentable. C’est donc dire son anti-écologisme inhérent. Réclamer un tournant à 180 degrés de la politique énergétique et de transport en faveur de l’efficacité énergétique, des énergies solaire et éolienne, du transport public et d’une ville conviviale est indispensable pour l’élargissement et l’approfondissement du mouvement anti-guerre.
À nous donc, de l’UFP, à intégrer la campagne électorale dans le mouvement contre la guerre impérialiste.
Marc Bonhomme, 30 mars 2003