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LE NEPAD : UN PLAN D’AJUSTEMENT STRUCTUREL POUR L’AFRIQUE

Par Badara Ndiaye

lundi 19 août 2002

Depuis 1998, se déroulent sur le continent Africain des débats intenses sur les nouvelles stratégies de développement. Tabo Mbeki lance son plan pour le développement du continent qui s’appuie sur une doctrine de Renaissance Africaine. Dans son essence, la Renaissance Africaine doit permettre une éclosion des valeurs culturelles et systèmes de connaissance locaux, le dynamisme des langues africaines. L’éducation dans cette optique doit participer à libérer les enfants, les jeunes et adultes de la domination mentale et psychologique.(Voir la déclaration de Johannesburg sur l’éducation pour Tous 6-9 Décembre 1999).

Le concept de Renaissance Africaine largement débattu en Afrique du Sud a été favorablement accueilli par la plupart des intellectuels Africains comme un concept ouvert capable de servir de référentiel pour la construction d’une vision d’indépendance vis-à-vis des puissances occidentales et des institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale). Plusieurs panafricanistes y avaient vu la possibilité d’un renouvellement du panafricanisme militant. Portée par l’Afrique du Sud et toute l’aura politique et sociale de Nelson Mandela, cette vision dans le contexte d’une accélération de la mondialisation néolibérale pouvait être une opportunité de réarmement d’ensemble des populations africaines. En face du plan " MBEKI ", il y a une autre proposition de la part du président sénégalais Abdoulaye Wade, qui a un " destin libéral " pour l’Afrique à travers le plan " Oméga ". A la différence de la proposition de Mbeki, celle du Président Sénégalais est essentiellement fondée sur la création d’un Marché commun Africain ouvertement libéral. Un constat s’impose : Les dirigeants Africains passent beaucoup de temps à élaborer des projets pour le continent sans suite ni effets bénéfique sur les populations. Le plan de Lagos au début des années 80 est resté lettre morte. Il en est de même de plusieurs plans et projets régionaux ou sous régionaux.

Cette fois-ci, il y a eu une tentative de créer un vaste mouvement d’adhésion à travers une synthèse des deux plans sous le nom de NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique) et un lobbying intense auprès d’experts Africains pour leur faire accepter le NEPAD. Le NEPAD se veut un outil unique de négociation collective des Etats face au G8 et aux institutions financières internationales. On comprend donc l’importance qu’on lui accorde dans la réflexion et les mobilisations sociales. Dans sa structure, il comporte un cadre philosophique qui définit une vision et des commissions de travail thématiques de réflexions et d’élaborations de projets à soumette aux bailleurs de fonds avec comme date de début d’exécution des accords en 2003.

Au niveau de la vision, Abdoulaye Wade du Sénégal affirme qu’il s’agira de faire appel à l’initiative privée pour financer le NEPAD, car la mondialisation peut-être... bénéfique à l’Afrique. Comment ? Par des crédits à long terme de 40 à 50 ans et des possibilités pour rapatrier les bénéfices. Encore une Afrique pour les capitaux, car on ne voit pas de privés africains capables d’investir massivement dans les infrastructures qui constituent un point fondamental du NEPAD. Déjà à Gênes, les chefs d’Etat africains présents ont présenté au G-8 le projet qui comporte entre autres aspects, le développement d’infrastructures à l’échelle du continent. La réponse du G8 intitulé " Plan de Gênes " ne comporte aucune référence aux infrastructures. Il comporte plutôt des demandes de plus grande ouverture au marché et à la mondialisation libérale.

Lors d’une brève visite à Dakar, Tony Blair a réaffirmé son soutien à cette approche. Si le président libéral sénégalais refuse d’admettre que le NEPAD est un plan d’ajustement pour tout le continent, Michel Camdessus représentant la France au sein du FMI affirme qu’il s’agit d’un chantier pour l’initiative privée. Mais voilà, il ne pouvait s’arrêter en si bon chemin : Elle doit être incitée à venir. Comment ? " C’est aux Africains de le dire " répond-il avec cynisme. " S’il existe une conditionnalité intérieure, elle doit rendre inutiles les conditionnalités extérieures. " Franchement. Voilà une bien cynique manière de dire aux Africains : " Tropicalisez les conditionnalités connues des IFI et du G8 et nous n’y ajouterons rien d’autre ". Le NEPAD est un ajustement structurel avec des " chances d’appropriation politique " pour reprendre la formule de M. Camdessus. Il faut que les Etats Africains eux-mêmes s’approprient politiquement cette démarche pour que les IFI n’interviennent pas.

Autrement dit, Michel Camdessus dit ceci : "Faites ce que nous vous demandons de faire sans dire à vos peuples que c’est nous qui vous l’exigeons". Une manière de rendre la Banque Mondiale, le FMI et le G 8 " acceptables " face aux critiques de plus en plus en dures des sociétés civiles internationales. En attendant que les commissions de travail du NEPAD terminent leurs conclusions, on peut déjà se faire une idée de ce qui attend le continent si les peuples ne se révoltent pas : un ajustement structurel pour l’ensemble du continent avec en prime un accroissement de la dette africaine et de la misère sociale.

Contre le NEPAD, il faut une "Panafricaine de résistance et d’alternatives" solidaire des luttes qui se déroulent partout dans le monde que ce soit à Porto Alegre, Bamako, Paris, Bruxelles, etc. Les organisations syndicales africaines, dont l’ORAF-CISL et l’OUSA qui sont des centrales panafricaines, ont dans le cadre d’une rencontre à Dakar organisé en coopération avec le BIT une conférence sur " le rôle des travailleurs et des syndicats africains face au NEPAD " qui a exprimé des points de vue qui augurent des résistances syndicales continentales. Un document intitulé " la Déclaration de Dakar " concentre les points de vue des syndicats africains. Pour M. Mamadou Diallo, de la Confédération nationale des Travailleurs du Sénégal (CNTS) et membre du Comité technique syndical, " le NEPAD doit tirer les leçons du passé ". Pour lui, l’échec des programmes et plans antérieurs se sont inscrits dans une perspective néolibérale. Pour les syndicalistes africains, si le NEPAD doit définir un nouveau partenariat, il ne doit pas léser l’Afrique.

Ainsi, la Déclaration de Dakar exige que " le NEPAD mette les préoccupations des populations au coeur de stratégie " pour une perspective de développement durable. Ils mettent en garde les autorités contre toute nouvelle forme de remboursement des dettes imposée par le bailleurs de fonds, car les dettes ont été totalement remboursées. Dès lors les syndicats ouvrent une perspective intéressante en faisant de l’annulation de la dette un moyen de développer l’Afrique.

Pour éviter que le NEPAD ne soit encore un autre plan pour les bailleurs de fonds et leurs intérêts, les syndicats africains exigent qu’il soit encadré par les politiques de l’union Africaine. De ce fait, il doit être l’instrument de l’Union Africaine et non le contraire. C’est là une position clé de rupture par rapport aux anciennes visions et stratégies. Le NEPAD ne doit pas s’aligner sur le libéralisme, mais sur une politique sociale. Il s’agit là d’une vision aux antipodes de celle de Michel Camdessus qui demande aux Africains de s’insérer dans une perspective d’ajustement structurel. La rupture est encore plus nette, car les organisations syndicales africaines rejettent le modèle de développement induit par l’ajustement structurel au profit d’une stratégie de réponse aux besoins des populations avec l’agriculture comme moteur de l’industrialisation au lieu de continuer à promouvoir une extraversion de l’économie qui ne vise qu’à payer des dettes illégitimes.

Ainsi, pour les syndicats africains, le paysan doit être au centre de l’économie. Ces positions signifient que le NEPAD doit être inclus dans le social, ce qui requiert une mobilisation de toutes les couches laborieuses, particulièrement les femmes qui ont le plus souffert de l’ajustement structurel. Enfin, les syndicats ont affirmé la nécessité d’être consultés en raison du rôle important qu’ils ont joué en Afrique dans les changements politiques, sociaux et financiers.

Comme on le voit, le NEPAD commence à faire l’objet de critiques collectives et, fait important, des actions de résistance syndicale coordonnée à l’échelle africaine sont devenues possibles. Il appartient à toute la société civile africaine de poursuivre les débats dans tous les pays et l’échelle continentale, d’organiser des sessions de formation et d’information et de se mobiliser comme à Gênes, Seattle, etc. pour empêcher que l’Afrique ne soit plongée dans une misère encore plus grande.

Badara NDIAYE Chargé de la communication au CADTM-Sénégal bnjay@hotmail.com

(tiré du site de CADTM)