L’OMC est bien une organisation politique. La Conférence ministérielle ( assemblée générale) en est l’organe principal. Elle est composée des ministres des Finances et de l’Économie des pays membres. Quelque 138 Etats ont déjà adhéré à l’OMC, dont une bonne centaine du tiers monde. Mais ce sont les principaux pays industriels avancés, États-Unis en tête, qui tiennent le gouvernail.
Ces derniers ont obtenu la transformation du Gatt en OMC, c’est-à-dire un organe placé hors de portée des processus de contrôle de la démocratie parlementaire dont les pays occidentaux sont si fiers.
S’affichant comme un forum de concertation entre les Etats pour réglementer leurs rapports commerciaux, l’Organisation Mondiale du Commerce entend bien régenter l’ensemble des activités humaines et faire prévaloir les principes du "libre-échange" sur toute autre considération, qu’elle soit sociale, environnementale, culturelle...
Par le biais de la (dé)réglementation des échanges commerciaux, l’OMC s’immisce dans presque tous les domaines de la vie politique, économique et sociale des pays membres, depuis la présence d’organismes génétiquement modifiés (OGM) dans nos assiettes, en passant par la destruction des barrières de sécurité alimentaire pour les pays du Sud, le démantèlement des services publics, au Nord comme au Sud, ou encore le pillage des ressources naturelles et du patrimoine génétique des peuples.
L’OMC est une institution qui cumule les trois fonctions : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. A l’occasion d’une plainte d’un de ses membres, elle peut déclarer contraires à la " liberté du commerce" les législations internes aux États, en matière de droit au travail, d’environnement et de santé publique et en demander la mise en sommeil ou l’abrogation.
L’OMC se plie en fait aux intérêts des Etats les plus puissants et de leurs firmes transnationales.
Mais voyons cela d’un peu plus près !
1) L’OMC au service des STN (sociétés transnationales)
1. Le conflit de la banane
En septembre 1997, l’OMC condamnait l’Union européenne pour son système préférentiel d’importation de bananes des pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique). Septante (70) pays ACP sont liés à l’Union Européenne par la convention de Lomé. Certains produits en provenance de ces pays (dont la banane) sont payés aux producteurs locaux à un prix supérieur au marché mondial, afin d’aider les populations et protéger leur agriculture.
La plainte était venue de l’Equateur, du Guatemala, du Honduras, du Mexique et des... États-Unis, qui se posent en défenseur des grandes multinationales américaines (Chiquita, Dole et DeI Monte). Celles-ci contrôlent 80% du commerce mondial de la banane. Elles possèdent de grandes plantations en Amérique centrale et du Sud qui produisent, par dumping social et environnemental, des bananes meilleur marché. Les méthodes de Chiquita, leader de la banane, ont été dénoncées à maintes reprises par les organisations syndicales internationales : désintégration sociale et familiale liée à la flexibilité totale de l’emploi, listes noires à l’embauche à la moindre velléité de revendication, dégradation de l’état sanitaire des populations avec notamment le développement d’une pathologie dramatique à savoir la stérilisation des hommes en âge de procréer du fait des épandages aériens des pesticides, etc.
Washington s’est fait le champion de la banane "américaine" auprès de l’OMC contre les Européens. La délégation américaine à la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) ou à l’OMC était, à certains moments, composée, pour une moitié, d’employés de Chiquita1. Un donné pour un rendu : Chiquita a alimenté le fonds de campagne pour l’élection présidentielle de Bill Clinton.
Le préjudice lié au système préférentiel de UE a été évalué par l’OMC à 191,4 millions de dollars par an. Le 19 avril 1999, l’OMC autorisait les États-Unis à prendre des sanctions contre l’UE, pour son attitude discriminatoire dans le commerce de la banane. Ces sanctions se sont traduites par l’augmentation de 100% des droits de douane américains sur certains produits provenant des pays de l’Union européenne.
2. La pression sur les normes sociales et environnementales
Depuis ses débuts, l’OMC a fait preuve d’une " logique" remarquable sur les questions sociales, environnementales, culturelles...
Une des premières décisions de l’OMC a été de statuer en faveur des raffineurs pétroliers contre l’US Clean Air Act, qui obligeait ceux-ci à produire une essence plus propre.
On peut aussi compter sur l’OMC pour saisir toute occasion d’abaisser les normes de santé publique. Aux termes des règles de cette organisation, les Etats ne sont pas obligés de disposer de normes de sécurité alimentaire minimales, mais ils peuvent être sanctionnés s’ils fixent des normes plus élevées que les principes directeurs autorisés par les règles du commerce mondial.
En 1998, l’OMC a statué en faveur de l’administration Clinton, déclarant illégale l’interdiction par l’Europe des importations de bœuf aux hormones. L’OMC a estimé que l’interdiction européenne n’était pas justifiée scientifiquement, quant au risque pour la santé. En conséquence, l’UE doit amender sa position - sauf si elle parvient à prouver la nocivité de ces viandes" piquées aux hormones" - ou subir de sévères sanctions commerciales de la part des États-Unis.
Dans ce cadre, en matière agricole et alimentaire, un Etat peut en principe s’opposer à l’importation de produits, dont il ne veut pas, en invoquant la protection de la santé des personnes et des animaux. A condition d’avancer des arguments scientifiques reconnus par des experts internationaux.. .eux-mêmes reconnus par le Gatt-OMC.
C’est la raison d’être du Codex alimentarius, créé en 1962 par la FAO et l’OMS (l’Organisation mondiale de la santé). Cet organisme est chargé d’établir des normes et des directives" dans le but de protéger la santé des consommateurs et d’assurer la loyauté des pratiques dans le commerce des produits alimentaires". Au sein de cette instance, les délégations nationales sont largement infiltrées par des représentants de l’industrie agroalimentaire, qui dictent leurs lois. L’Union européenne et les États-Unis (15% de la population mondiale !) représentent, à eux seuls, 60% des délégués2.
" Si la situation ne change pas, des forêts originelles de la taille de l’Europe pourraient être détruites au cours des prochaines décennies ", prévient l’association Greenpeace.
Un des accords de libre-échange les plus pernicieux, présenté pour signature à l’OMC, est en gestation : le global free logging agreement, accord mondial pour le libre abattage des forêts. Un "accord de libre dévastation" en quelque sorte de l’Amazonie, de l’Afrique, de l’Indonésie… !
Selon la FAO, l’étendue des forêts a diminué de quelque 180 millions d’hectares entre 1980 et 1995, soit l’équivalent de trois fois la superficie de la France.
L’accord commercial sur les forêts est né en 1994 à l’occasion des négociations de l’Uruguay round En 1997, l’APEC (Asie, Pacific Economic Cooperation) a pris la responsabilité de libéraliser l’exploitation commerciale des forêts dans la ceinture Pacifique, où sont situés les plus importants consommateurs de produits forestiers.
L’APEC collabore avec l’OMC pour finaliser son plan. Les Éats-Unis, le Canada et la Nouvelle-Zélande en sont les partisans les plus chauds, car cet accord étendrait les marchés pour leur production et permettrait à leurs grandes compagnies forestières d’opérer librement partout dans le monde. Les firmes asiatiques montent maintenant à l’assaut des forêts africaines, continent qui détient les plus grandes forêts naturelles encore relativement peu exploitées.
Parfois, la simple menace d’un différend au sein de l’OMC est suffisante pour inciter un Etat à modifier une loi ou une mesure visant à protéger la santé ou l’environnement. C’est ce qui s’est produit lorsque, conformément aux principes directeurs de l’Unicef, le Guatemala a essayé d’interdire un emballage de lait en poudre, qui associait ce lait à des bébés grassouillets et en pleine santé. Quand le département d’Etat américain, sur l’ordre de Gerber Product, a menacé de porter cette affaire devant l’OMC, le Guatemala a renoncé à cette mesure.
3. Les organismes génétiquement modifiés
Un accord international sur le commerce des organismes génétiquement modifiés (OGM) a finalement vu le jour, fin janvier 2000, à Montréal. Après un an de blocage, les délégués de plus de 133 pays ont sorti de l’impasse le Protocole de l’ONU sur la biosécurité. C’est que la "Frankenstein food", c’est-à-dire les aliments contenant des organismes génétiquement modifiés, nourrit la résistance citoyenne aux OGM.
"Nous nous interrogeons sur leur nature même et nous refusons leur utilisation dans l’agriculture", déclare José Bové, un des principaux porte-parole de la Confédération paysanne, en France. "Ce sont des plantes dont on a changé la ’programmation’ naturelle de l’espèce. On intervient sur le génome de la plante - le génome est l’ensemble des gènes qui caractérisent une espèce. Les gènes sont portés par les chromosomes : le principe est de fixer par manipulation directe un gène étranger à la plante - mais qui a la propriété que l’on recherche - sur un chromosome de cette plante. Au dire de certains scientifiques, on peut, sans problème, brasser ces gènes indépendamment des espèces végétale, animale, humaine. Suivant les critères « ’améliorateurs » que l’on vise, on marie végétaux et animaux, homme et chèvre. On retrouve ainsi des gènes d’une bactérie du choléra dans la luzerne, du poulet dans la pomme de terre, du scorpion dans le coton, du poisson dans les tomates et les fraises, de la luciole dans le poisson, de la truite chez la carpe, du hamster dans le tabac, du tabac dans la laitue, de l’homme dans le riz, la tomate, la patate, la brebis...A quoi cela sert-il ? On le comprend tout de suite, quand on sait que la manipulation du gène d’une plante ou d’un animal permet de devenir, par brevet industriel, propriétaire de tous les animaux et plantes modifiés, qui ensuite se reproduiront par eux-mêmes "3.
L’Accord de Montréal prévoit donc que les pays peuvent interdire ou limiter l’importation d’OGM au nom du principe de précaution, c’est-à.dire s’ils estiment qu’il existe des risques environnementaux ou sanitaires.
Compromis entre grandes puissances, l’Accord reste vague et imprécis. Ainsi, il n’a pas été décidé d’instaurer une filière totalement séparée entre produits OGM et "naturels". Et surtout, l’Accord stipule qu’il ne "doit pas être interprété comme une modification des autres accords internationaux ". En clair, un pays qui refuse d’importer des OGM pourra être condamné par l’OMC, s’il a accepté préalablement les règles du "libre-échange" instaurées par cet organisme.
Erkki Liikanen, le Commissaire européen aux Entreprises et à la Société de l’Information (tout un programme !) le confirme : l’Accord de Montréal" ne saurait servir de prétexte pour entraver le libre commerce ".
Brandissant le flambeau des idées éthiques et sociales, l’UE est surtout soucieuse de satisfaire les intérêts de ses firmes multinationales, face au leadership commercial US. Message reçu !
Un dirigeant de la firme française Aventis, un des géants dans les biotechnologies, appréciant la portée de l’Accord, a insisté sur le fait que" les biotechnologies doivent rester une priorité. Il faut aujourd’hui établir une passerelle entre la situation actuelle et une situation dans cinq ans où les OGM se montreront porteurs de progrès" .
Le 12 avril 2000, Europabio, l’association européenne des industries biotechnologiques, n’a pas caché sa satisfaction. Le Parlement européen adoptait, ce jour-là, une nouvelle directive dont la première conséquence sera de lever le moratoire actuellement en vigueur sur la culture des OGM. Les députés européens ont majoritairement refusé de prévoir la responsabilité civile des fabricants d’OGM pour " tout dommage causé à la santé humaine ou à l’environnement".
Si les OGM sont aussi inoffensifs que le prétendent les firmes transnationales, pourquoi celles-ci cherchent-elles aussi activement à faire pression pour se prémunir à l’avance contre tout recours ? Le Parlement a également rejeté un amendement interdisant les OGM résistants aux antibiotiques, ainsi que le transfert des gènes d’OGM à d’autres organismes de l’environnement.
C’est donc une victoire éclatante pour des firmes telles que Monsanto, Novartis et Aventis, qui espèrent généraliser la culture des plantes transgénétiques.
Cet épisode jette également une lumière crue sur les mœurs des institutions européennes : loin de protéger les citoyens contre les dégâts présents et à venir de la mondialisation capitaliste, elles se soumettent à la loi du profit.
4. Le brevage du vivant
Quelques mois après l’entérinement, à Marrakech (avril 94), du long cycle de l’Uruguay Round, portant, entre autre, sur les droits de propriété intellectuelle, l’écologiste et féministe indienne Vandana Shiva, alertait l’opinion publique sur ces accords du Gatt : " Dans un contexte d’internationalisation croissante de la production et d’accélération des découvertes technologiques, les Droits de propriété intellectuelle ( DPI) sont devenus une arme majeure des pays développés et des transnationales pour conquérir des parts de marché. Les États-Unis ont ouvert les hostilités, en commençant par réprimer bilatéralement les pays en développement dépourvus d’une législation nationale pour protéger les DPI et en les menaçant de sanctions économiques -la Thaïlande ou le Brésil se sont trouvés dans ce cas. Puis, l’ensemble des Etats occidentaux ont emboîté le pas des États-Unis et se sont lancés dans une véritable guerre de tranchées pour protéger la propriété intellectuelle au niveau mondial. Promu de fait nouveau gendarme des brevets, à la place de la CNUCED et de l’OMPI (l’Office mondial de la propriété intellectuelle), le GATT est devenu le terrain privilégié de cette offensive. L’essor des nouvelles biotechnologies, notamment du génie génétique, laissant entrevoir des applications industrielles et commerciales prometteuses, a poussé les exploitants à étendre la protection par brevets au domaine des organismes vivants "4.
L’appétit des entreprises transnationales a été aiguisé par les accords du Gatt-OMC sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC). Cet accord a en fait été formalisé par les principales firmes transnationales, issues des secteurs de la chimie, de la pharmacie, de l’informatique, du divertissement et du logiciel (Bristol-Meyers, CBS, Du Pont, General Electric, General Motors, Hewlett-Packard, IBM, Johnson et Johnson, Merck, Monsanto, Pfzizer...). Il a été soutenu par les grandes entreprises et les gouvernements américain, japonais et européens.
Par le brevetage du vivant, ces grandes firmes s’emparent du patrimoine naturel et génétique mondial, assimilé sans vergogne à une marchandise. Plus de 90% du patrimoine génétique et biologique mondial se trouve dans les pays en développement, mais plus de 90% des brevets délivrés dans le monde sont détenus par des résidents (les STN) des pays les plus industrialisés.
Depuis des années, des "prospecteurs" de ressources biologiques prélèvent des échantillons de matériel végétal dans les pays du Sud et répertorient les utilisations médicales traditionnelles de ces plantes.
Ces connaissances sont utilisées, sans le consentement des populations locales, pour produire des médicaments qui rapportent beaucoup d’argent. Dans toute autre situation, cette pratique serait qualifiée d’espionnage industriel, étant donné qu’elle consiste à voler des matériels génétiques et un savoir ancestral.
La manipulation génétique est le moyen de toucher des royalties sur tout le vivant. Les brevets sur les organismes vivants et leur patrimoine génétique (plantes, animaux, gènes, cellules humaines...) ouvrent de nouveaux marchés aux firmes transnationales, et d’abord aux multinationales pharmaceutiques et agrochimiques.
On comprend aisément le renforcement du lobbying des STN auprès de l’OMC. L’information est aujourd’hui officielle : les experts de la multinationale agrochimique Monsanto auraient été jusqu’à écrire eux-mêmes la proposition de traité concernant les brevets tant contestée aujourd’hui par les mouvements populaires et des gouvernements du Sud. C’est James Enyart, un cadre de l’entreprise, qui l’a raconté. " Nous sommes allés à Genève présenter notre document au secrétariat du Gatt, l’ancêtre de l ’OMC. Ce que je vous dis là est tout à fait inédit dans l’histoire du Gatt. L’industrie a identifié un problème majeur lié au commerce international. Elle a proposé une solution, l’a transformée en proposition concrète et l’a vendue à notre gouvernement et aux autres gouvernements.5. Ce traité autorise les brevets sur les OGM, un élément clé de la stratégie commerciale du secteur des biotechnologies.
L’OMC impose dorénavant le respect international des "droits de propriété intellectuelle", étendus aux espèces végétales et animales génétiquement modifiées ou non. Ces droits sont détenus de fait par les grandes firmes transnationales qui transgressent allègrement les textes de la Convention de Rio sur la biodiversité. Cette convention stipule en effet que les Etats et les firmes, désireuses de prélever du matériel biologique ou génétique, informent le pays d’où est originaire ce matériel et obtiennent son consentement explicite. Cela implique également des retombées, pour le pays d’origine, des progrès technologiques, du savoir acquis et des bénéfices financiers liés à l’exploitation de ce patrimoine et ressources génétiques.
Les grandes firmes transnationales feignent l’ amnésie par rapport à cette Convention, convention qui, faut-il le préciser, ne fut pas ratifiée par les États-Unis…
L’exemple du margousier en Inde est éclairant : ses vertus curatives, insecticides, médicinales, combustibles, alimentaires en font une plante quasi sacrée, et lui valent depuis des millénaires un véritable culte. Or, une firme américaine a eu la bonne idée d’isoler le principe actif insecticide de la plante et en a breveté les procédés utilisés. De leur côté, les Indiens avaient isolé depuis longtemps ce principe actif du margousier, mais il ne leur était jamais venu à l’idée de protéger cette technique et ce principe actif, considérant implicitement que le margousier relevait du domaine public. Aujourd’hui, il est à craindre que la firme possédant les droits d’exploitation de cette plante empêche les paysans indiens d’utiliser l’insecticide naturel, qui entre en concurrence avec celui produit par la firme.
La Directive européenne (98/44/CE), relative à la " protection juridique des inventions biotechnologiques " et adoptée, en juillet 1998, par le parlement et le Conseil européens, autorise le brevetage du vivant, c’est-à-dire de toute matière biologique, végétale, animale, humaine, même si elle préexistait à l’état naturel.
Celle-ci devient alors la propriété intellectuelle d’un chercheur, d’une institution ou d’une compagnie transnationale, même si elle existe depuis des milliers d’années. Cette confusion entre invention brevetable et découverte non brevetable transforme le patrimoine génétique de l’humanité en simple marchandise. La Directive autorise donc le pillage des ressources génétiques de pays tiers et notalmment des pays du Sud.
La Commission européenne, qui avait préparé le texte, et la majorité des gouvernements de l’UE (les gouvernements italien, néerlandais et norvégien ont introduit une action en annulation auprès de la Cour européenne) ne semblent pas se rendre compte qu’ils organisent ainsi le hold-up planétaire de quelques firmes transnationales sur le vivant, c’est-à-dire sur notre avenir biologique et sur celui de cette planète.
" La Directive constitue l’agression légale la plus avancée contre l’espèce humaine, puisqu’elle autorise le brevetage d’éléments isolés du corps humain, sans même que la personne, sur laquelle ces éléments auront été prélevés, ne soit informée et n’ait donné son consentement. Même les textes pourtant décriés de l’OMC ne vont pas aussi loin "6.
Les Etats membres devaient mettre leur législation en conformité avec cette Directive pour le 30 juillet 2000. A l’échéance, seulement deux pays sur les quinze, le Danemark et la Suède, ont intégré cette directive dans leur droit national. Quatre pays ont clairement manifesté leur refus de transposer cette directive en l’état (Allemagne, Italie, Pays-Bas et France). En France, les plus hautes autorités politiques et académiques se sont exprimées contre cette directive. Mme Guigou, à l’époque ministre de la Justice, a considéré celle-ci" incompatible avec les lois bioéthiques de 1994, avec le code de la propriété intellectuelle et avec le code civil ". En Belgique, le ministre de l’Economie a préparé un avant-projet de loi qui devrait être déposé à la Chambre des Représentants, début de l’année 2001.
La Commission européenne veille au grain. Un de ses porte-parole rappelait, le 9 juin 2000, la suprématie du droit communautaire. Mais, quelle est donc la légitimité d’un droit qui s’élabore au travers de procédures peu démocratiques, sous la pression des lobbies industriels et dans le mépris de l’intérêt général ?
2° Les trois règles du libre-échange
Pour imposer le" libre-échange ", la déréglementation et la loi des plus forts, l’Organisation mondiale du commerce a mis en place, avec l’accord des Etats qui ont adhéré à l’OMC, trois mécanismes dévastateurs : la "clause de la nation la plus favorisée", "la clause du traitement national" et " l’organe de règlement des différends".
1. La clause de la nation la plus favorisée
Ce principe fait obligation aux Etats membres d’accorder immédiatement et sans condition à tous les autres Etats membres le traitement le plus favorable qu’ils accordent à certains de leurs partenaires commerciaux. Cette clause stipule par exemple qu’un avantage, fiscal ou autre, consenti à un pays ou groupe de pays peut être exigé par tout autre pays.
Au nom de cette clause, les pays membres de l’OMC doivent appliquer le même traitement à l’ensemble de leurs partenaires commerciaux. La "non-discrimination" est un principe fondateur du Gatt et de l’OMC. Si une faveur spéciale est accordée à un partenaire (pays ou entreprise), les autres membres doivent en bénéficier. Ceci rend par exemple caduque la Convention de Lomé. Sous la pression des États-Unis et de l’OMC, l’Union européenne s’apprête à démanteler les lavantages commerciaux qu’elle accordait depuis 1963 aux pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). La fin des accords préférentiels entre les ACP (pays les plus pauvres du monde) et l’UE pourrait provoquer un manque à gagner annuel de l’ordre de 500 milliards de francs CFA pour les ACP ( quelque 30 milliards de francs belges).
C’est au nom de cette même clause que l’OMC a déjà condamné, en avril 1999, l’Union européenne pour son système préférentiel d’importation de bananes des pays ACP et autorisé les États-Unis à appliquer des sanctions commerciales à hauteur de 191 millions de dollars.
L’OMC ne se soucie pas des milliers de petits planteurs menacés dans les Caraïbes, ni des ouvriers agricoles exploités en Amérique latine, dans les grandes plantations des multinationales des États-Unis (Chiquita, Dole).
Par le biais de cette clause, les grandes compagnies hollywoodiennes seraient en mesure d’exiger les mêmes aides que des pays auraient consenties à des cinéastes de petits pays africains, comme le Burkina Faso, par exemple. Ou encore, par extrapolation. si des aides à la production de l’agriculture biologique sont consenties par un gouvernement, les mêmes aides pourraient être exigées par Monsanto... pour éviter la concurrence déloyale !
2. La clause du traitement national
Le principe de la non-discrimination entre étrangers et nationaux s’incarne dans la notion de traitement national. Par rapport au Gatt, où cette obligation ne concernait que les marchandises importées, le traitement national dans l’AGCS (l’Accord général sur le commerce et les services) est, en fin de compte, un instrument plus puissant7.
Cette clause exige par exemple que les Etats traitent les investisseurs et les investissements étrangers de façon "non moins favorable" que les investisseurs et les investissements nationaux. Les produits importés doivent être traités de la même façon que ceux fabriqués localement. En matière d’impôts et de règlements par exemple, les producteurs étrangers, les firmes transnationales, qui s’installent dans un pays membre de l’OMC, doivent être mis sur le même pied que les producteurs locaux. Ceci implique que le même accès à tous les secteurs d’activité leur soit garanti et que les aides et les avantages octroyés aux entreprises nationales ou locales, leur soient également accordés. Bien souvent déjà, des aides et exonérations fiscales sont octroyées de matière préférentielle aux sociétés transnationales.
C’est au nom de cette clause du traitement national que le Gatt et l’OMC ont exigé l’ouverture des frontières aux grandes multinationales agroalimentaires. Les pays du Sud sont les grands perdants. Ils n’ont pas les moyens de financer des aides directes à leurs paysans, quand celles-ci ne sont pas tout simplement interdites par le FMI. On leur refuse tout simplement le droit légitime à la sécurité alimentaire.
A l’issue de la négociation de l’Uruguay Round, le délégué de l’île Maurice déplorait la situation : " Les PVD (pays en voie de développement, ndlr) ont tout perdu dans cette négociation, mais nous mettons la tête sur le billot avec dignité.
Ces deux règles implacables touchent aujourd’hui trois secteurs stratégiques inclus dans les Accords du Gatt et l’OMC : l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle. Au nom du libre-échange, les puissants ont imposé le démantèlement des barrières protectionnistes face à l’échange inégal.
Ils ont fait "sauter", au sein de l’Union européenne, mais aussi sur d’autres continents, les monopoles publics dans les domaines de l’électricité, des transports, du téléphone, des communications, etc.
3. L’organisme de règlement des différends (ORD)
Sans crier gare, l’OMC a créé l’ORD, qui concrétise son véritable pouvoir.
C’est le tribunal du commerce international au service des firmes multinationales, une cour de justice internationale permettant à l ’OMC d’imposer le respect, par les pays signataires, des obligations multilatérales, dans le cadre du " libre-échange ".
Les plaintes sont, pour l’essentiel, introduites par des firmes transnationales dont les Etats se font les interprètes auprès de l’OMC. L’ORD établit des groupes spéciaux (panels), constitués chacun de trois juges, experts privés, qualifiés en droit international. Ces groupes spéciaux se réunissent en "séance privée", délibèrent à huis clos. Leurs verdicts sont assortis de représailles commerciales. C’est au pays plaignant, qui a gain de cause, de mettre en oeuvre ces mesures de représailles, équivalentes aux dommages estimés subis par son économie. A la différence du Gatt (où un pays pouvait bloquer par son seul veto la procédure de règlement des conflits), dorénavant, l’accord de tous les pays est nécessaire pour ne pas appliquer de sanctions. Les possibilités de blocage sont donc quasi nulles.
Par ailleurs, le recours à des représailles unilatérales, de la part de petites et moyennes entreprises ou de pays en développement, est quasi impraticable politiquement et économiquement. II arrive même que la simple menace d’une plainte ou de constitution d’un panel conduise certains pays à démanteler une législation non conforme aux principes libre-échangistes de l’OMC.
Depuis son existence en 1995 (et jusque fin de l’année 1999), l’ORD a traité 178 plaintes dont une majorité concerne l’Europe et les États-Unis (67 des USA contre l’UE et 42 de l’UE envers les USA)8. Dans la majorité des cas, les États-Unis en sont sortis vainqueurs (dans la guerre de la banane ou de la viande aux hormones par exemple, les Européens ont perdu face aux Américains, avec 300 millions de dollars de sanctions à le clé).
Les situations pourraient-elles se renverser ? En septembre 1999, sur plainte de l’UE, l’OMC condamnait le régime fiscal américain des FSC (Foreign Sales Corporation). Celui-ci donne aux entreprises américaines des avantages concurrentiels contraires aux règles internationales du commerce. En février 2000, l’OMC a confirmé la condamnation : les États-Unis avaient jusqu’au 1er octobre 2000 pour mettre fin à ces pratiques.
L’affaire est de taille. A Bruxelles, la Commission européenne estime que les États-Unis favorisent l’évasion fiscale de leurs entreprises, grâce à des sociétés écrans installées dans des paradis fiscaux et qui leur permettent ainsi d’échapper totalement à l’impôt.
Les économies réalisées par des groupes comme Microsoft, Boeing, Kodak, Caterpillar ou General Motors correspondent à une subvention de quelque 2,5 milliards de dollars ( près de 100 milliards de FB). Selon son propre bilan annuel 1998, Boeing a, grâce à ce système, épargné 130 millions de dollars, soit 10% de ses bénéfices.
" Nous nous opposerons à tous les efforts de modifier la loi sur les FSC ", ont déjà déclaré les patrons de plusieurs multinationales. La lettre est notamment signée par les PDG de Walt Disney et de Monsanto9."
La réaction des États-Unis à cette condamnation va être terrible ", confie-t-on à Genève, au siège de l’OMC.
La menace n’est pas vaine. Les États-Unis n’acceptent les décisions, rendues dans le cadre de la procédure des règlements des différends de l’OMC, que si elles servent leurs intérêts. La loi de ratification de l’Accord de Marrakech, toujours en vigueur, prévoit que le Congrès américain peut demander de sortir de l’OMC, si les États-Unis sont condamnés trois fois au sein de l’ORD.
En outre, les États-Unis ont assorti cette adhésion à l’OMC au maintien de leur législation commerciale et notamment des articles 301 et super 301, qui leur permettent d’adopter des mesures unilatérales, en cas de pratique commerciale étrangère jugée déloyale. Après une réunion au sein du comité 133, le 8 septembre 2000, la commission européenne approche les États-Unis pour régler le différend à l’amiable.
3° La privatisation des services
Dans une société qui entend faire marchandise de tout, cette logique de privatisation s’étend naturellement aux services, tels que l’éducation ou la santé. Les Accords du Gatt sur les services (pas moins de 160 secteurs et activités aujourd’hui dans le collimateur de l’OMC) ouvre la porte à une libéralisation tous azimuts.
L’AGCS (Accord général sur le Commerce des Services), négocié pendant le Cycle de l’Uruguay, constitue la première série de règles et de disciplines convenues au plan multilatéral et juridiquement exécutoires, négociées dans le domaine du commerce international des services.
Les services publics sont parmi les cibles premières de l’ AGCS, véritable programme mondial de privatisation. Dans l’AGCS, les domaines de la santé et de l’éducation, de la protection sociale, de la culture et de l’audiovisuel, des transports, de l’eau et de l’énergie ne sont plus considérés comme des droits mais comme d’énormes marchés convoités par les sociétés transnationales. Sous prétexte d’" harmonisation" et de " respect des règles de concurrence", ou encore au nom de " la clause du traitement national", ces services publics sont aujourd’hui dans le collimateur de l’OMC, pour laquelle existe une seule injonction : s’ouvrir à l’investissement privé et n’agir qu’en fonction de considérations commerciales10.
Ainsi, pour l’OMC, l’éducation est désormais "un article destiné à la consommation publique et privée ", tandis que le secteur de la santé est voué à devenir" une industrie d’exportation ". L’OMC aurait-elle l’intention d’intervenir dans la législation du travail ? Pour le Secrétariat du Commerce des services, ce n’est plus une préoccupation, c’est une obsession. La question de "la pertinence de la législation en matière de salaire minimum et autres dispositions similaires au titre des articles 16 et 17" est inscrite à l’ordre du jour. Avant la réunion de Seattle de l’OMC (29 novembre au 3 décembre 1999), Mme Charlotte Barshefsky, représentante spéciale du président Clinton pour le commerce, a demandé à la Coalition des Industries de Services de préciser ses desiderata pour pouvoir les soutenir dans les négociations internationales. La réponse de la dite Coalition a valeur de programme : " Encourager l’extension de privatisations, promouvoir la réforme des réglementations dans un sens qui favorise la concurrence, obtenir l’accès aux marchés et le traitement national permettant la fourniture transfrontalière de tous les services de santé" .. enfin faire admettre" le droit de propriété privée étrangère majoritaire dans les établissements de service de santé ".
Pour que tout soit parfaitement verrouillé, la santé doit être explicitement incluse dans les disciplines de l’OMC concernant les marchés publics, de manière à s’assurer que les sociétés transnationales, américaines et autres, puissent répondre à tout appel d’offre émanant d’un établissement public.
Dans un document du 8 février 2000, Robert Vastine, le président de la Coalition américaine des industries de services, n’hésite pas à parler en lieu et place du Conseil général de l’OMC : "Nous craignions que Seattle ait empoisonné le climat au point de bloquer la révision de l’AGCS. Heureusement, depuis hier, nous savons qu’il n’en est rien". La discussion sur la révision de l’AGCS a en effet été réouverte à Genève.
4° OMC et Union Européenne : même combat
Le commissaire européen, Pascal Lamy, parcourt le monde en essayant de convaincre ses interlocuteurs que l’UE n’est pas les USA et qu’ils peuvent conclure avec elle une alliance pour " régulariser" la globalisation et lui donner un " visage humain", face aux multinationales nord-américaines.
Coup sur coup, trois événements, à l’initiative de l’UE ont apporté un démenti à ces bonnes intentions.
La 4ème Conférence ministérielle UE-ACP (71 anciennes colonies en Afrique, dans les Caraïbes et dans le Pacifique), qui s’est tenue à Bruxelles en février 2000, consacre une rupture avec la philosophie qui avait inspiré la première convention de Yaoundé (1993), puis celle de Lomé (1975). Cela signifie en pratique la subordination des politiques de l’UE aux diktats des programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale et aux règles du "libre-échange" de l’OMC. Fin 2007, ce sera la fin du "régime préférentiel ", alors que l’OMC envisageait une marge plus ample ! La Commission européenne a passé outre les résolutions du Parlement européen qui exigeait que
" L ’UE et les pays ACP renforcent leur position commune en vue de modifier les normes de l’OMC pour donner la priorité à l’éradication de la pauvreté et au développement durable face à la libéralisation des échanges commerciaux" (février 2000). Cela aurait été possible techniquement ; si l’UE avait été disposée à se battre dans l’OMC aux côtés des pays ACP pour imposer une logique distincte de celle de la mondialisation du capital et des intérêts des firmes transnationales européennes. Mais la volonté politique n’était pas au rendez-vous !.
Deuxième exemple ! La décision du Parlement européen, sous l’instigation de la Commission, de permettre l’utilisation de graisses végétales à la place de beurre de cacao n’a pas seulement des conséquences pour les amateurs de vrai chocolat. Les producteurs de cacao, en particulier les planteurs ivoiriens, encaissent très durement une nouvelle baisse du cours du cacao (une diminution de moitié du prix du kilo de fèves payé aux planteurs), pendant que les lobbies agro-industriels augmentent leurs marges bénéficiaires.
Troisième exemple ! C’est lors du Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement à Lisbonne, en mars 2000, que fut signé le Traité entre l’Union européenne et le Mexique. Cet accord, qui est entré en vigueur le 1er juillet 2000, a " une valeur symbolique et politique très importante pour l’avenir des relations entre le Mexique et l’UE ", a précisé Ernesto Zedillo, l’ex-président du Mexique. Pas pour la population mexicaine ! Produits agricoles, industriels, secteur financier, télécommunications, énergie, tourisme..., c’est le cap sur la libéralisation - sur ce qui reste encore d’intéressant à privatiser-, sur la baisse et la suppression des tarifs douaniers. Ce Traité signifie en pratique la fin des politiques de développement de la part de l’UE, la subordination totale aux diktats de la globalisation et des programmes d’ajustements structurels du FMI et de la BM. C’est en fait la mise en place d’accords compatibles avec l’OMC.
Dans le cadre de la concurrence inter-impérialiste, les intérêts de l’Union européenne - comme ceux des deux autres" blocs" de la Triade - fixent d’autres priorités que celle du développement.
De retour de Seattle, Pascal Lamy, notre commissaire européen chargé des négociations à l’OMC, est allé faire son rapport devant la Chambre de Commerce Américaine de Belgique, dont le Comité pour l’UE représente 135 multinationales américaines opérant en Europe. Sa conférence avait pour thème : comment relégitimer l ’OMC.
5° L’OMC et la démocratie
1. Le fonctionnement de l’OMC
A la veille de la manifestation internationale contre l’Organisation Mondiale du Commerce, organisée en mai 1998 à Genève, à l’initiative de l’Action mondiale des peuples (AMPI2) l’OMC plaçait sur Internet un petit texte intitulé : " dix idées fausses à propos de l’OMC ".
On trouve par exemple l’énoncé suivant : " l’OMC n’est pas démocratique. Faux, rétorque l’OMC : " Les décisions à l’OMC sont généralement prises par consensus. En principe, c’est encore plus démocratique qu’un vote à la majorité simple puisque tout le monde doit être d’accord. II serait faux de suggérer que tous les pays ont le même pouvoir de négociation. Cependant, la règle du consensus fait que chaque pays a une voix, et que tous les pays doivent être convaincus avant de rejoindre le consensus. Assez souvent, les pays acceptent de se rallier au consensus, lorsqu’ils peuvent obtenir quelque chose en retour. De plus, les règles des échanges de l ’OMC, qui sont le résultat des négociations du cycle d’Uruguay, ont été ratifiées par les parlements des membres ".
Voyons cela de plus près !
D’abord, une anecdote presque incroyable. Une fois son mandat terminé, Jean-Marie Rauch, ministre français du commerce extérieur qui suivit, pour la France, de 1988 à 1991, les négociations du Gatt, confiait à un ami : "Au Gatt, je n’ai jamais compris ni ce que l’on négociait, ni comment négocier. Tout ce que je sais, c’est que pour prendre la parole, il me fallait mettre à la verticale mon présentoir. J’avais alors à lire une position préparée par les experts. Je ne savais pas qui étaient les experts. Mais ce que je sais, c’est que les experts américains, des firmes d’avocats d’affaire, avaient toujours le dessus" 13.
Là où les Accords du Gatt ont été ratifiés par des assemblées parlementaires, les conditions d’un débat démocratique peuvent nous laisser très perplexes.
" En France, par exemple, les parlementaires ont eu le texte un vendredi soir pour le voter le mardi matin. Or, ce texte est long, complexe : 800 pages pour le texte principal et plusieurs milliers pour les annexes. C’est ratifié. Mais est-ce que tout le monde s’est rendu compte de la jurisprudence qui allait en naître" 14.
Le 22 décembre 1994, les accords du Gatt étaient ratifiés par le Sénat belge et, deux jours plus tard, par la Chambre des représentants. C’est sans état d’âme et dans l’indifférence quasi généralisée que les partis, Chrétiens et Socialistes (au gouvernement fédéral) et les Libéraux (dans l’opposition) ont ratifié ces accords.
2. L’imposition des décisions au Sud
La situation est bien pire encore pour les pays du Sud.
Les pays en voie de développement ont tenté de faire valoir que les Accords de l’Uruguay Round étaient très déséquilibrés et que leur mise en œuvre provoquait de graves problèmes domestiques, voire la dislocation des pays. Le pire, le plus énorme, c’est que les gouvernements ne savent pas à quoi ils ont souscrit. Quand le secrétaire de l’OMC leur rend visite, on peut aisément imaginer ce genre de dialogue : " Vous devez changer toute votre législation dans ce secteur- Mais pourquoi donc ?- Parce que vous avez signé - Qui dit que nous avons signé cela ? - Vous avez signé, c’est un fait, et en voici les implications - .Mais c’est contraire à notre constitution ". Effectivement, l’OMC passe les législations nationales au peigne fin et va jusqu’à proposer les amendements constitutionnels15.
Aileen KWA, chercheur associé au Focus on the Global South à Bangkok, précise : "Fréquemment, lorsque des pays en développement refusent d’accepter certaines décisions, l’on assiste, dans les coulisses, à des parties de bras de fer. Conversant récemment avec le délégué commercial d’un pays en développement, celui-ci m’a déclaré que, lorsqu’il faisait obstruction à certaines positions mises en avant par les États-Unis, il n’était pas rare que les Américains appellent son ministre par téléphone pour lui en faire part. Or, les ministres du commerce des pays en développement sont souvent soumis à de telles pressions de la part des pays puissants, qu ’ils enjoignent leurs représentants à Genève de céder. Ainsi, il arrive que ce délégué à Genève reçoive un appel du délégué Us, qui lui apprend qu’il aura bientôt des nouvelles de sa capitale et qu’il aura à modifier ses positions "16.
Bon nombre de pays du tiers monde, membres de l’OMC, n’ont même, pas de représentants permanents à Genève.
Alors que chaque pays de l’OCDE compte, en moyenne, près de sept représentants à 1 ’OMC, une quinzaine de pays africains n’en ont qu’un à cinq chacun, et même aucun pour quinze autres pays 17.
3. Les organismes de l’OMC
La Conférence ministérielle (Assemblée générale) est en principe l’organe principal de l’OMC. Elle regroupe les représentants de tous les pays membres. Elle se réunit au moins une fois tous les deux ans (Singapour 1996, Genève 1998, Seattle, fin novembre 1999).
Le véritable pouvoir de l’OMC se situe cependant dans le Conseil Général qui gère les affaires courantes, dans des réunions souvent " informelles ". Ces réunions rassemblent en général les représentants de quelques gouvernements dont le commerce international compte le plus au sein des échanges mondiaux. Le groupe informel (les représentants de la "Quad " : États-Unis, Canada, Japon, Union européenne) élabore des textes que les autres délégations n’ont plus qu’à signer sans modifications majeures. Ces réunions sont " encadrées" par les émissaires omniprésents des acteurs économiques les plus puissants. Les pays en développement n’ont pas les moyens de suivre les travaux au sein du Conseil général. Une quarantaine de ces pays n’ont même pas de représentants à Genève. Certains réussissent seulement à s’offrir un ambassadeur commun à plusieurs pays.
Le fonctionnement de l’OMC est basé sur le consensus. Mais les pressions directes ou indirectes sont de bonne guerre. Et il n’est pas conseillé de remettre en question l’équilibre déjà si difficilement trouvé entre les acteurs dominants.
Le Conseil général est flanqué de deux organes : l’Organe de règlement des différends et l’Organe d’évaluation des politiques commerciales dans lequel on retrouve, aux côtés de l’OMC, le FMI et la Banque mondiale. On sait que, dans ces deux institutions, les votes sont exprimés au prorata des contributions financières des pays membres (1 dollar égale une voix !). On imagine aisément le poids des pays du Sud dans cet organe !
Tous les représentants de l’OMC (comme ceux du FMI et de la Banque mondiale) bénéficient de l’immunité diplomatique sur le territoire de chacun des pays membres.
Ainsi, nous avons là trois institutions politiques internationales - et non des moindres - reposant sur des droits et des pouvoirs inconditionnels, jouissant d’une totale immunité sociale et politique, qui n’ont à rendre de compte d’aucune responsabilité devant les citoyen(ne)s des pays où elles interviennent.
L’OMC, rappelons-le, cumule les trois pouvoirs : le législatif, l’exécutif et le judiciaire, cette dernière fonction étant du ressort de l’Organe de règlement des différends (ORD).
Le parallèle peut être établi avec l’Union européenne, au sein de laquelle la séparation des pouvoirs n’existe pas non plus. En effet, la Commission européenne de Bruxelles et le Conseil européen des ministres de l’UE concentrent entre leurs mains le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et, en partie, le pouvoir judiciaire. Ils peuvent sanctionner sans appel un pays qui s’écarte de la norme. Le Conseil des ministres de l’Economie et des Finances (Ecofin) peut faire de même quant au respect des critères de convergence. Ces instances, comme celles de l’OMC, du FMI et de la Bm, sont composées de membres désignés par les gouvernements ou de ministres qui échappent à tout contrôle, même de la part des Parlements nationaux.
6° Les sociétés transnationales et leurs groupes de pression
Organisés à chaque échelon, du national au mondial, et focalisés sur des secteurs et des domaines diversifiés, les groupes de lobbying des entreprises utilisent un large éventail de discours et de méthodes en vue d’influencer les décideurs politiques à tous les niveaux.
Fait hautement symbolique : à la 3ème Conférence de l’OMC à Seattle, le président américain, Bill Clinton, était entouré pour la circonstance des PDG de deux firmes transnationales parmi les plus puissantes de la planète : Bill Gates pour Microsoft et le directeur de Boeing. Heureux hasard :ces deux firmes ont leur maison-mère à Seattle !
Via leurs groupes de lobbying, les grandes sociétés transnationales ne ménagent pas leurs efforts pour peser sur les négociations et les décisions au sein des grandes institutions politiques, financières, économiques et internationales (FMI, Banque mondiale, Gatt-OMC, OCDE, Commission européenne...).
Le pouvoir politique que détiennent actuellement les sociétés transnationales ne devrait pas surprendre, si l’on prend conscience des contacts privilégiés qu’elles nouent avec des hommes politiques et avec les fonctionnaires au sein d’institutions politiques nationales et internationales, ainsi que du consensus qui règne aujourd’hui au sein des élites en faveur d’une économie mondiale dominée par les STN. L’équipe de recherche du Corporate Europe Observatory d’Amsterdam fournit les informations probablement les plus complètes sur les groupes de lobbying des STN, en particulier sur les " liaisons dangereuses entre institutions et milieux d’affaires européens "18.
Parmi les organisations de lobbying, qui réunissent des entreprises à l’échelle mondiale, la plus importante et la plus efficace est sans nul doute la Chambre de commerce internationale (CCI). Elle représente les quelque deux cents premières firmes transnationales. Son siège se trouve à Paris.
La CCI, qui avait déjà pesé lourd dans l’élaboration de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), est également le groupe d’affaires internatiol1alle plus étroitement lié à l’OMC. " Nous ne voulons ni être la petite amie secrète de l’OMC, ni devoir rentrer à l ’OMC par la porte de service ", a déclaré Helmut Maucher, un de ses fonctionnaires.
Le Transatlantic Business Dialogue (TABD), créé en 1995 conjointement par la Commission européenne et le ministère américain du commerce, est un organe consultatif, regroupant les patrons de plus de 100 grandes firmes transnationales de la Triade (US, Europe, Japon).
Le TABD, négocié par l’ex-commissaire européen, Leon Brittan, sans mandat officiel de la Commission, fut étroitement associé à l’Accord sur le Partenariat économique transatlantique (PET). Il a également fait pression sur la Commission européenne pour l’élargissement des négociations tenues à l’OMC sur la concurrence, l’investissement et les marchés publics.
Jérôme Monod, également le PDG de l’entreprise Suez-Lyonnaise des Eaux, y occupa la fonction de président.
Sur le terrain européen, existe la Table Ronde Européenne des Industries (TREI) qui rassemble les PDG des 45 plus importantes firmes européennes. La TREI (ERT en anglais) se donne pour mission "d’accompagner" la Commission européenne dans l’élaboration de sa politique commerciale. Elle a d’ailleurs vu presque toutes ses propositions reprises dans le Traité de Maastricht. " La Communauté et les Etats membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie de la Communauté soient assurées ", souligne d’ailleurs l’article 130 du Traité.
L’atelier de la TREI sur les" relations économiques extérieures" eut l’honneur de la présidence de Peter Sutherland, ancien directeur général du Gatt et, par la suite, président de BP et associé de Goldam Sacht International Associate.
Le "va et vient" entre l’OMC, les institutions et l’industrie est encore illustré par le fonctionnement du groupe de travail sur "les politiques de commerce et d’investissement" de l’OMC. Celui-ci est dirigé par Arthur Dunkel, directeur général du Gatt pendant l’Uruguay Round, négociateur au Commerce pour la Suisse, président du Gatt de 1980 à 1993, membre officiel du l’Organisme de Règlement des Différends de l’OMC et membre du conseil d’administration de Nestlé l9.
L’accès de la Table Ronde aux structures décisionnelles de la Commission et du Conseil européens s’est progressivement institutionnalisé, notamment par sa participation accrue aux groupes de travail de l’UE, dont certains ont été créés à la demande même des lobbies. L’exemple le plus digne d’intérêt reste celui du Groupe consultatif de compétitivité (Cag), un organisme doté d’un statut officiel qui amplifie efficacement la voix de la TREI. Le premier Cag, inauguré par l’ex-président de la Commission, Jacques Sauter, en février 1995, comprenait, parmi ses 13 membres, des directeurs exécutifs de multinationales ou de banques (dont une bonne partie de la TREI), l’ancien président de Treuhand (agence d’Etat allemande qui privatisa les entreprises de l’ex-Allemagne de l’Est), trois syndicalistes et un certain nombre de politiciens dont Carlo Ciampi, ex-Premier ministre italien et directeur de la Banque d’Italie. Un second Cag, constitué en mai 1997 et mandaté pour deux ans, comprenait à ,nouveau des firmes membres de la TREI (British Telecom, Pirelli, Repsol...) et trois syndicalistes d’Italie, du Royaume Uni et de Suède. Quelques semaines avant les sommets semestriels de l’Union européenne, le Cag produit ses rapports sur le thème "améliorer la compétitivité ". On y retrouve chaque fois des propositions adressées aux gouvernements et au Conseil de l’UE pour faciliter la dérégulation et la privatisation du secteur public, pour moderniser le marché du travail (par l’assouplissement des horaires de travail, la modération salariale), pour poursuivre la libéralisation du commerce et de l’investissement dans le cadre de l’OMC, pour accélérer les réformes .structurelles (appel à la "responsabilité individuelle " dans les systèmes de retraite, de santé et de chômage).
Commentant la présence des trois syndicalistes au Cag, Richardson, ancien secrétaire général de la TREI, a fait remarquer que "le fait qu’ils aient signé les rapports du Cag donne un supplément de poids " 20.
Mentionnons également l’Union des confédérations des industries et des employeurs d’Europe. L’UNICE n’est pas un groupe de lobbying au sens strict. C’est l’organe officiel du patronat européen et un interlocuteur officiel de la Commission européenne, au même titre que la Confédération européenne des syndicats (CES). Soucieux de la compétitivité, l’UNICE s’active à Bruxelles pour que les revendications syndicales ne se transforment pas en législations. "Il Y a d’innombrables occasions où nous avons pu, soit infléchir, soit faire annuler des directives en projet ", se flatte l’organisation du patronat européen 21. Le document remis par l’UNICE à la nouvelle Commission européenne, en octobre 1999, est suffisamment éloquent sur la démarche patronale 22. "II faut agir à tous les niveaux adéquats afin de réduire les charges fiscales et réglementaires excessives qui pèsent sur le secteur privé ". Ou encore : " La pleine libéralisation des marchés publics, des services publics, des transports et des services financiers est inachevée et mise en œuvre de manière inégale dans les Etats membres ".
Encore un petit effort pour faire marchandise de tout, pour soumettre les besoins et les services collectifs au seul critère de rentabilité marchande et à l’impératif catégorique du profit !
Et pour que les choses soient bien claires, l’UNICE précise : " la nouvelle Commission devrait essayer de recentrer l’approche européenne de ces problèmes sur base des besoins réels des entreprises dans le marché unique .
La Commission s’y applique. L’étroite complicité entre la Commission et les entreprises privées s’accomplit, de manière privilégiée, au travers d’un mécanisme qui s’appelle "le Comité 133 ". Ce comité est composé de hauts fonctionnaires nationaux et de représentants de la Commission C’est le lieu où s’échangent les informations, où les Etats membres et la Commission prennent des décisions, à partir de propositions rédigées par la Commission en concertation avec le secteur privé. La Commission fournit ainsi au monde des affaires un accès direct aux discussions.
La préparation de la 3ème Conférence ministérielle de l’OMC à Seattle a fourni une démonstration impressionnante du rôle décisif du Comité 133 dans le processus décisionnel européen La Commission a fourni au Comité 133 les documents qu’elle avait elle-même élaborés, en étroite concertation avec l’UNICE et le TABD, et parfois déjà déposés à l’OMC comme "contributions de l’Union européenne". Ces contributions, dans 95% des cas, n’ont jamais été soumises au Parlement européen, lorsque celui-ci a été invité à débattre d’un nouveau cycle de négociations à l’OMC. Ainsi des fonctionnaires, politiquement "irresponsables" mais rompus à la technicité de dossiers, dont les orientations ont été pré-définies avec le secteur privé, font prendre des décisions qui affectent durablement la vie des citoyens 23.
NOTES
1 Quotidien suisse La Tribune, 19/3/1998.
2 José Bové et François Dufour, Le monde n’est pas une marchandise, Paris, La Découverte 2000, 198.
3 José Bové, ibid, 118.
4 Vandana Shiva, La brevetabilité du vivant, in La nature sous licence ou le processus d ’un pillage, Genève, PubliCetirn n° 20/21, novembre 1994
5 Propos rapportés par I. Delforge, in Nourrir le monde ou l’agrobusiness, Bruxelles, Oxfam-Solidarité, mai 2000.
6 Raoul Jennar (Oxfam), Non à la biopiraterie, in le quotidien Le Matin, 24 février 2000, Belgique.
7 Voir Jean-Marie Warêgne, L’Organisation mondiale du commerce, règles de fonctionnement et enjeux économiques, Belgique, CRISP 2000.
8 Confédération paysanne, Soumettre l ’OAIC aux droits fondamentaux de l’Homme, novembre 1999,6.
9 Quotidien Libération, L’OMC épingle la bannière étoilée, 25 février 2000, 23.
10 Voir OMC, Alerte générale à la capture des services publics, France, Coordination pour le contrôle citoyen de l’OMC, avril 2000.
11. Ibid.
12 L’Action mondiale des peuples contre le "libre-échange" et l’OMC est un réseau international de résistance qui a vu le jour en février 1998. La première Conférence de l’ AMP à Genève regroupait plus de 300 délégués de 71 pays (notamment des Zapatistes du Mexique, le mouvement des paysans sans terre du Brésil, des syndicalistes coréens, des écologistes ukrainiens radicaux, des paysans indiens, français, etc).
13 Agnes Bertrand, secrétaire générale d’Ecoropa, Contribution préparatoire au Symposium Gatt-OMC du Cetim, Genève, novembre 1995.
14 Susan George, le quotidien belge Le Soir, 29/11/1999.
15 Martin Khor, Les procédures de négociations à l’OMC, Conférence à San Francisco, janvier 1997.
16 Aileen Kwa, , Colloque organisé le 5 mars 1999 par le département " Intégration Economique Internationale" du ministère vietnamien des Affaires Etrangères et parrainé par Oxfam-RU.
17 Alternatives Economiques, Millenium Round, un tour pour rien ? no176, décembre 1999, 19.
18 Voir Corporate Europe Observatory, Europe Inc., Liaisons dangereuses entre Institutions et mz1ieux d’affaires européens, Paris, Agone Editeur 2000.
19 Ibid, 199
20 Ibid, 56-60.
21 Coordination contre les clones de l’ AMI, L ’AMI cloné à l ’OMC, les lobbies des transnationales, mars 1999, 18.
22 Priorités de l’UNICE pour la nouvelle Commission européenne, 1er octobre 1999.
23 Raoul Marc Jennar, in l’Ecologiste, novembre 2000.
(Tiré du livre, Mondialisation excluante, nouvelles solidarité, soumettre ou démettre l’OMC, L’Harmattan, 2001)