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Israël : « Le peuple exige la justice sociale »

vendredi 16 septembre 2011, par Michel Warscharski

Depuis plusieurs mois, la contestation sociale gronde en Israël. Ce mouvement inédit, s’il ne remet pas en cause la politique colonialiste vis-à-vis de la Palestine, en montre les contradictions.

Du jamais vu en Israël : près d’un demi-million de personnes dans la rue pour exiger « la justice sociale » et la mise à bas du néolibéralisme. Il faut dire que la brutalité des attaques contre les acquis sociaux et l’autisme du gouvernement d’extrême droite face au malaise social sont aussi sans précédent. En suggérant aux manifestants au début des mobilisations de trouver une solution à la crise du logement en allant habiter… dans les colonies, Netanyahou a montré à quel point il était déconnecté du peuple. Plus intelligents que leur Premier ministre, les tycoons (dénomination locale des oligarches du capital financier) avaient, dès le début du mouvement, suggéré des reformes, y compris de payer plus d’impôts, conscients que leurs énormes privilèges alimentaient la révolte sociale.

Certes, le mouvement insiste sur son caractère « ni droite ni gauche » et se définit comme « mouvement social » et non comme un mouvement politique, mais ses revendications en termes de logement, d’éducation et de santé, entrent directement et ouvertement en conflit avec les énormes subventions allouées aux colonies et un budget militaire si gros (22 % du budget national) que même une partie de l’état-major se porte volontaire pour le réduire... pensant ainsi éviter que des civils y mettent leur nez.

La commission Trachtenberg, hâtivement nommée par le gouvernement pour faire des recommandations sur une réallocation des ressources, n’a pourtant pas hésité a toucher à ce tabou et annonce dès la première semaine de ses travaux qu’il faudra « repenser les priorités nationales ». Elle rejoint ainsi les premières recommandations d’une commission alternative constituée par le mouvement et qui appelle à un retour au Welfare State des années 1950 à 1970, brutalement démantelé par… Benjamin Netanyahou dans la foulée de l’offensive néolibérale de Thatcher et Reagan.

On peut légitimement être frustrés du refus des porte-parole du mouvement de se positionner sur la question de l’occupation, du siège criminel de Gaza, des droits nationaux du peuple palestinien, mais on trouvera une certaine consolation dans le fait qu’il s’agit d’un mouvement qui assume son caractère judéo-arabe (dans tous les grands rassemblements il y avait un porte-parole de la communauté palestinienne d’Israël), ce qui est loin d’aller de soi.

Après la manifestation du demi-million, comme on l’appelle déjà, les manifestants sont rentrés chez eux et les nombreux campements urbains qui symbolisaient cette mobilisation ont été démantelés. Pour laisser place à une seconde vague, différente en termes de classe. En effet, si pendant les deux premiers mois, les classes moyennes ont dominé, le tour est venu pour les classes populaires de s’exprimer, en particulier des milliers de sans-logis qui, contrairement aux manifestants de la première vague, n’hésitent pas à occuper des immeubles vides et à se confronter aux forces de police. Loin de disparaître, le mouvement change de nature, se radicalise. Les autorités aussi, qui, à l’image du maire de Tel Aviv, entreprennent une politique de « nettoyage » des campements de sans-logis, en utilisant des méthodes violentes et une campagne de presse brutale contre les « voyous et les délinquants ». Le temps du « mouvement de tout le peuple » est bel et bien fini. Place à la guerre des classes.

Un pouvoir déconnecté de la réalité

Au début de cet article, je parlais d’autisme. Ce diagnostic ne concerne pas seulement les revendications des citoyenNEs israélienNEes, mais l’ensemble de la politique gouvernementale. La crise politique avec la Turquie, qui a été pendant plusieurs décennies l’allié privilégié de l’État hébreu dans la région, la remise en question par les masses égyptiennes des accords de capitulation signés par Anouar Sadate, et même les tensions avec l’administration américaines, révélées par l’ancien secrétaire à la défense Robert Gates, tout cela indique une véritable déconnexion de la réalité politique de la part de l’équipe Netanyahou. Comme l’écrit l’éditorialiste de Haaretz, Yoel Marcus :

« Il y a une limite aux mensonges que l’administration US est prête a avaler, et ce n’est pas par hasard si elle a choisi ce moment pour révéler la description que fait l’ancien secrétaire à la Défense, Robert Gates, de Netanyahou : ‘un menteur… qui n’est pas seulement ingrat, mais qui met en danger son propre pays en refusant de prendre en compte l’isolement grandissant d’Israël’. Même si l’administration utilise son droit de veto aux Nations unies, le grincement de dents du président Obama s’entendra du Pôle Nord au Pôle Sud. […] Avec les nuages gros de désastres qui nous survolent, tout ce qu’il reste à dire à Netanyahou c’est une vieille phrase, prononcée pour la dernière fois contre Neville Chamberlain : " Je vous dis de partir et qu’on en finisse avec vous. Au nom de Dieu, partez ! " » [1]


[1Haaretz, 9 septembre 2011.