Le récent vote des députés européens ouvrant la voie à la suppression du moratoire sur la production et l’importation d’organismes génétiquement modifiés (OGM) et la croisade de l’administration Bush visant à éradiquer toute contrainte pour les productions transgéniques relancent le débat sur les OGM. Leur interdiction est plus que jamais à l’ordre du jour.
L’adoption par les députés européens, à une très forte majorité, d’une législation sur l’étiquetage et la traçabilité des organismes transgéniques n’est pas une victoire pour les opposants aux OGM, comme Cohn-Bendit et plusieurs députés Verts le laissent croire, car elle constitue en fait le prélude à la levée du moratoire décidé en juin 1999 par l’Union européenne sur la production et l’importation de nouveaux OGM. La Confédération paysanne ne s’y est pas trompée puisqu’elle parle de "scandaleuse décision des parlementaires européens".
Une brèche
Cet étrange consensus, seuls quelques députés ont voté contre, et parmi eux ceux de la LCR. Il intervient au moment où l’administration Bush mène une offensive politique contre le moratoire, notamment à travers une plainte déposée le 13 mai devant l’organe de règlement des différents de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La levée du moratoire, qui interviendra en automne, constitue une première brèche dans laquelle les producteurs d’OGM vont se précipiter. Il ne faut pas se laisser abuser par les protestations venues d’outre-Atlantique, et notamment de l’association des producteurs étasuniens de maïs pour qui ces nouvelles règles "vont conduire à de nouvelles entraves au libre commerce et au commerce équitable entre les agriculteurs aux Etats-Unis et les consommateurs européens".
Cette volonté de démanteler tout contrôle de la production d’OGM n’a rien d’étonnant à la lumière de la répartition des surfaces des cultures transgéniques mondiales en 2002 : 66 % pour les Etats-Unis, 23 % pour l’Argentine, 6 % pour le Canada, 4 % pour la Chine, 1 % pour le reste du monde. Les excédents de la production de céréales transgéniques aux Etats-Unis sont considérables. Il s’agit donc de les écouler en Europe, mais aussi en Afrique où de nombreux pays essaient pourtant de résister aux diktats des Etats-Unis, lesquels conditionnent toute forme d’aide alimentaire à l’acceptation d’importation de produits transgéniques et d’introduction des OGM dans la production agricole locale. Pire encore, le Sénat étatsunien a rendu un avis selon lequel les quinze milliards de dollars du plan pour la lutte contre le sida ne devaient être attribués qu’à des pays qui acceptent l’aide alimentaire de Washington, et par conséquent les OGM...
Cette volonté de développer massivement la production d’OGM illustre une des tares fondamentales du capitalisme, à savoir son incapacité à prendre en compte les conséquences possibles sur le long terme de ce type de productions. On avait déjà assisté au même problème avec l’utilisation massive du nucléaire. Ce qui importe pour les capitalistes, c’est la possibilité de rentabiliser au maximum le capital investit dans le moins de temps possible. Aujourd’hui, personne ne maîtrise les conséquences à moyen et long terme de cette production. Et pourtant, sa généralisation avance très rapidement. Aux Etats-Unis, la production d’OGM représente, en 2002, 75 % du soja cultivé, 71 % du coton et 34 % du maïs. Au niveau de la planète, c’est 45 % des récoltes de soja, 11 % des récoltes de maïs, 20 % du coton et 11 % du colza.
Nous assistons donc à la généralisation d’une technique, irréversible par ailleurs, sans que sa maîtrise soit garantie sur le long terme. Cela n’intéresse d’ailleurs pas les trusts de l’agroalimentaire. Ainsi, cyniquement, Phil Angell, le directeur de la communication de Monsanto, n’a pas hésité à déclarer dans le New York Times Sunday Magazine du 25 octobre 1998 que "Monsanto ne devrait pas avoir à assurer la sécurité de la nourriture biotechnologique. Notre intérêt est d’en vendre le plus possible. Assurer la sécurité est le travail de la Food and Drug Administration [FDA]". Et pourtant on ne peut faire l’impasse sur les risques liés à la production d’OGM. Ainsi la British Medical Association déclare que "la recherche des effets néfastes potentiels des OGM alimentaires sur la santé n’existe toujours pas. Au nom du principe de précaution, les essais d’OGM en plein champ ne devraient plus être autorisés".
Cynisme
Critiquant les rapports apologétiques des OGM commis par l’Académie des sciences et par l’Académie de médecine, Jacques Testard, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale pose quelques bonnes questions : "Combien, parmi les académiciens, savent qu’aucun assureur ne veut couvrir les risques de ces cultures ? Combien ont remarqué les entorses aux principes de l’expérimentation quand celle-ci a lieu en milieu ouvert (le champ) ? Combien connaissent la distance de dissémination des pollens ? Combien savent qu’aucun contrôle sanitaire conséquent n’a jamais été réalisé sur les consommateurs d’OGM, animaux ou humains ?"
Bush a l’outrecuidance de justifier le développement planétaire des OGM pour permettre de résoudre les dramatiques problèmes d’alimentation, notamment en Afrique : "Pour le bien du continent menacé par la famine, j’exhorte les gouvernements européens à cesser de s’opposer à la biotechnologie. Nous devrions encourager la diffusion d’une biotechnologie sûre et efficace pour gagner la bataille contre la famine à l’échelle planétaire." Or ce développement des biotechnologies végétales et son complément juridique indissociable, le brevetage du vivant, ont pour but de concentrer dans quelques multinationales la maîtrise des semences utilisées par l’ensemble des paysans de la planète, au Nord comme au Sud, leur confisquant ainsi définitivement le droit de reproduire librement et sans royalties les variétés végétales de leur choix. Aux Etats-Unis, cinq firmes (par ordre d’importance Monsanto, le leader absolu, Aventis, Syngenta, DuPont et Dow), contrôlent près de 90 % des semences OGM, ainsi que les pesticides et herbicides qui leur sont associés.
Qui peut croire que ces multinationales ont comme préoccupation de résoudre ce dramatique problème de la faim dans le monde. Chacun sait que le sous-développement, la misère, la famine sont le fruit de siècles de pillage de ces pays par les puissances occidentales (esclavage, contrôle de l’exploitation des matières premières, échange inégal). Loin de résoudre le problème, les OGM vont au contraire soumettre les paysans du Sud à la dictature des multinationales céréalières, avec à la clé la destruction de la production agricole locale, déjà bien entamée au travers d’une concurrence inégale entre les produits agricoles du Nord, subventionnés par les Etats, et ceux du Sud.
Le refus des OGM, leur interdiction sont parties intégrantes de la lutte pour une agriculture durable, respectueuse des Hommes et de la Terre. Si nous refusons les OGM, c’est parce qu’ils sont un instrument décisif des partisans d’une agriculture productiviste dominée par quelques multinationales. Ce n’est pas une lutte obscurantiste contre le "progrès" mais au contraire la volonté de tourner la recherche agronomique et la production agricole vers la satisfaction des besoins alimentaires du plus grand nombre à l’échelle de la planète.
Rouge 2026 17/07/2003