Pour la troisième fois, le Forum parlementaire mondial s’est réuni à Porto Alegre, au sein du Forum social, du 22 au 24 janvier 2003, avec quelque 300 législatrices et législateurs provenant de 29 pays. La participation était moindre que l’an passé. Pourtant, politiquement, cette session du Forum parlementaire mondial n’en représente pas moins un réel progrès. Il n’y a pas eu l’équivalent de la « crise afghane » qu’il avait été difficile de surmonter en février 2002. Surtout, la résolution générale est entièrement consacrée aux activités du Réseau parlementaire international : elle est tournée vers l’action.
La préparation du troisième Forum parlementaire mondial n’a pas été simple. Les élus brésiliens se consacraient aux campagnes électorales (présidence, parlements…). La construction du réseau parlementaire avait effectivement commencé en Europe, mais pas encore en Amérique latine. La fonction et la place du Forum parlementaire mondial devait être clarifiées auprès du secrétariat du Forum social mondial. Des rencontres ont ainsi dû être organisées au lendemain des élections brésiliennes à Porto Alegre et Sao Paulo, les 27 et 29 octobre 2002.
Les Européens auraient souhaité qu’il y ait plus d’ateliers sur les campagnes et moins de plénières générales durant ce forum. Par ailleurs, à quelques exceptions près, les délégué(e)s ne provenaient que d’Amérique latine, du Canada et d’Europe. Mais pour la première fois, un travail en commission a permis de rassembler des propositions d’action et de préciser les tâches du réseau international pour l’année en cours. La discrétion même du Forum parlementaire mondial, réuni à la l’Université catholique de Porto Alegre dans le Teatro, a mieux répondu que par le passé à l’esprit de la Charte de principe du Forum social mondial : il n’a en rien disputé la visibilité au forum social, tout en manifestant par sa présence et ses décisions sa solidarité avec les participant(e)s du Forum social mondial. Les engagements pris en octobre 2002 ont été respectés.
Deux documents ont été adoptés le 24 janvier (voir annexes). Une déclaration spécifique sur le Venezuela et une résolution sur le Réseau parlementaire international, son fonctionnement et ses activités. La lutte contre la guerre est l’urgence première. Les autres points concernent la conférence de Cancun, les suites de Johannesburg, la taxation des mouvements de capitaux, la transparence des négociations internationales, les solidarités et les mobilisations à venir.
Troisième Forum parlementaire mondial
Porto Alegre, le 24 janvier 2003
Résolution sur le Réseau parlementaire international et ses activités
Pour la troisième année consécutive, le Forum parlementaire mondial (FPM) s’est réuni à Porto Alegre, les 22, 23 et 24 janvier 2003, au sein du Forum social mondial. Cette réunion s’est tenue quelques jours après l’accession à la présidence de la République fédérative du Brésil de Luis Inacio « Lula » da Silva qui a été l’un des protagonistes des précédents forums. Le triomphe de Lula représente pour des millions de femmes et d’hommes du Brésil, d’Amérique latine et du monde un espoir que voie le jour une nouvelle forme de gouvernement et de développement économique et social centré sur l’inclusion sociale.
La constitution du Réseau parlementaire international (RPI), à même d’agir dans la durée en nouant des rapports solidaires avec les mouvements sociaux et citoyens, constitue l’un des principaux objectifs adoptés lors des précédentes rencontres du Forum parlementaire mondial. Le premier Forum parlementaire mondial , en janvier 2001, en avait défini les bases et la perspective. Le second, en février 2002, avait précisé ses modalités de structuration (autour de pôles régionaux dont la coordination doit assurer la dimension internationale) et de fonctionnement (avec la création de listes électroniques mondiale et régionales).
Les thèmes de campagne retenus dans la déclaration de référence du premier Forum parlementaire mondial et complétés par le second ont nourri nombre d’interventions et d’initiatives des membres du réseau dans leurs parlements nationaux ou régionaux (pour une taxe de type Tobin, contre la brevetabilité du vivant, en faveur de la paix, etc.). Ces derniers ont aussi apporté leur soutien aux processus des forums sociaux, dans le respect de la Charte de principe du Forum social mondial, et ont participé à ses rencontres mondiales, régionales ou thématiques.
Au cours de l’année 2002, le réseau a commencé à intervenir de façon plus collective avec la déclaration préparée à l’occasion du sommet de Johannesburg ("Rio+10") et la campagne engagée contre la mainmise de l’Organisation mondiale du commerce sur les services publics (dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services actuellement en négociation). Des pôles régionaux du Réseau parlementaire international ont commencé à se constituer, notamment en Europe.
Cependant, le développement du Réseau parlementaire reste encore très inégal suivant les régions et les pays. Il importe aujourd’hui de l’étendre et de renforcer sa capacité d’action, dans le prolongement de la Déclaration finale du premier Forum parlementaire mondial (datée du 28 janvier 2001) et de la résolution sur le Réseau parlementaire international adoptée lors du second (le 2 février 2002). Dans ce sens, il faudra mettre en oeuvre des coordinations nationales du réseau afin de permettre aux députés nationaux ou régionaux des différents pays de joindre leurs efforts au sein des pôles régionaux du Réseau parlementaire international .
Le Réseau parlementaire international se mobilisera, en 2003, tant sur le plan législatif qu’en lien avec les campagnes menées par les mouvements sociaux et citoyens
Contre la guerre
C’est la première urgence. Agir sans délai pour éviter la guerre en Irak et pour mettre fin à l’occupation militaire israélienne des territoires palestiniens.
Les parlementaires des pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies doivent exiger de leurs gouvernements qu’ils s’opposent fermement à la guerre et récusent le concept de « guerre préventive ». Dans ce cas, il faut recourir au « veto pour la paix » de la part des pays qui bénéficient du privilège du droit de veto au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Il faut manifester clairement notre refus de toute attaque, qui serait une menace pour la paix et ôterait à l’ONU le crédit dont elle a besoin pour faire face à sa mission. Nous appelons les Nations unies à prendre toutes les initiatives en faveur de la paix. Les inspecteurs de l’ONU doivent bénéficier de tout le temps nécessaire à leur mission.
Plus largement, nous nous opposons au nouvel ordre militaire mondial que Washington veut imposer et à sa doctrine de « guerre préventive » dont les effets se font déjà sentir, directement ou indirectement, de l’Amérique latine au Moyen Orient (Palestine…), à l’Europe (Tchétchénie…), à l’Afrique (Côte d’Ivoire…) et à l’Asie (Philippines…). Le Réseau parlementaire international agira de concert avec le nouveau mouvement anti-guerre qui prend forme à l’échelle internationale, à l’occasion notamment des mobilisations prévues pour le 15 février 2003. Le Réseau parlementaire international propose qu’une succession de délégations parlementaires se rendent en Irak, durant les semaines qui suivent, sur la base d’une opposition radicale à la guerre, de la solidarité avec le peuple irakien victime de l’embargo économique et des menaces militaires de Washington. En aucun cas, ceci ne signifie un appui au régime irakien.
Le Réseau parlementaire international demandera aussi à être reçu par le Conseil de sécurité de l’ONU pour lui exprimer son opposition à la guerre et rencontrera, à l’occasion de ce voyage, les membres du Congrès des États-Unis ainsi que le mouvement anti-guerre américain pour lui signifier son appui. Un débat doit être organisé, dans les plus brefs délais, dans tous les parlements sur la menace de guerre.
Le Réseau parlementaire international se propose également d’assurer une présence en Palestine pour la protection des populations civiles. Il exprime son soutien à toutes les forces et tous les mouvements qui, en Israël et au Moyen-Orient, oeuvrent pour une paix juste et durable.
Cancun
La conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce à Cancun (Mexique), du 10 au 14 septembre 2003, constitue une échéance majeure pour tous les mouvements de résistance à la mondialisation libérale.
L’engagement pris à Doha de réviser l’accord sur les aspects de la propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC), de sorte que rien dans cet accord ne puissent empêcher les pays en développement de mener des politiques de santé publique, doit être respecté. C’est un des préalables au lancement d’un nouveau cycle commercial. Il est inacceptable que les populations pauvres se voient dénier l’accès aux médicaments au nom du droit des brevets et des impératifs de profits.
Le Réseau parlementaire international devra élargir la campagne engagée depuis l’automne 2002 contre l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) et en défense des services publics (la pétition initiée en Europe a déjà recueilli 215 signatures de parlementaires). La date limite pour l’envoi des offres de libéralisation étant le 31 mars 2003, ce mois représentera une étape importante dans cette mobilisation qui culminera en septembre.
La conférence de Cancun sera pour nous l’occasion de réaffirmer que le droit commercial doit être subordonné aux exigences sociales et écologiques, que les accords portant sur le droit du travail et la défense de l’environnement doivent s’imposer à l’Organisation mondiale du commerce, que le système commercial et le système financier international doivent être profondément réformés pour devenir plus démocratiques. Les biens communs (comme l’eau) ne peuvent pas être traités comme des marchandises. Nous rappelons aussi notre opposition à la négociation, au sein de l’Organisation mondiale du commerce, d’un accord multilatéral sur l’investissement au profit des transnationales. L’Organisation mondiale du commerce et les institutions financières internationales ne doivent pas faire la loi.
Les députés mexicains présents au forum appellent à l’organisation d’une initiative politique forte, quelques jours avant la conférence ministérielle de Cancun, en coordination avec le Réseau parlementaire international .
Après Johannesburg
Le Sommet du développement durable ("Rio + 10") à Johannesburg, fin août-début septembre 2002, a été un échec patent. La ratification des accords de Kyoto, si limités soient-ils, n’est même pas acquise. De nouvelles catastrophes environnementales et sociales, comme celles provoquées dans le secteur du transport maritime des matières dangereuses, se sont à nouveau produites. Le texte de l’Appel international initié par le Réseau parlementaire international et signé à l’époque par 233 parlementaires de très nombreux pays n’a de ce fait rien perdu de son actualité. En conséquence, le Réseau parlementaire international diffusera plus largement encore cet appel ("Après Johannesburg, l’urgence reste de sauver la Terre", joint à ce texte) et relancera la collecte de signatures pour préparer de nouvelles actions en ce domaine.
Taxation des mouvements de capitaux
Face aux besoins de financement du développement et à la nécessité de soutenir l’accès de toutes et tous aux biens publics mondiaux, le Réseau parlementaire international amplifiera les campagnes en faveur de la redistribution des richesses à l’échelle mondiale, en particulier d’une taxe de type Tobin sur les transactions financières internationales. Une telle taxe instaurerait un contrôle politique et démocratique sur les marchés financiers et contribuerait à la lutte contre la spéculation monétaire. Le Réseau parlementaire international aidera à coordonner les campagnes menées dans les parlements, notamment en faveur d’un traité international établissant une taxe sur le marché des devises au profit des fonds des Nations unies.
Transparence des négociations, condition de la démocratie
Avec la mondialisation libérale, la démocratie se voit toujours plus vidée de son contenu. La négociation secrète d’accords dont dépend l’avenir des populations devient la règle. Les membres du Réseau parlementaire international interviendront dans leurs pays pour exiger que les documents discutés dans le cadre de ces négociations, que les délibérations en cours et que les positions défendues par chaque gouvernement soient rendus publics. La transparence n’est que l’une des conditions indispensables à l’exercice réel de la démocratie, mais c’est l’une des conditions les plus essentielles.
Les parlementaires des pays du Nord, en particulier, doivent interpeller leurs gouvernements sur leurs politiques (y compris au sein du Fonds monétaire international) envers les pays du Sud frappés par la crise du libéralisme et poser publiquement la question de comment appuyer la mise en oeuvre de programmes permettant de combattre la faim à l’échelle mondiale.
Les parlements doivent pouvoir jouer leur rôle de législateur, de contrôle de l’exécutif et des politiques budgétaires, et exprimer la vie politique du pays. Ils doivent être ouverts aux mouvements de la société et à leurs aspirations.
Solidarités
Nous réaffirmons notre opposition au projet actuel de l’Accord de libre échange des Amériques (ALCA) qui reviendrait à une subordination économique de l’Amérique latine aux États-Unis. Nous demandons un autre type d’intégration démocratique et économique régionale. Le Réseau parlementaire international devra suivre attentivement les négociations en cours afin d’empêcher tout accord de caractère inéquitable.
Nous réaffirmons de même notre soutien à une solution politique au conflit en Colombie par la promotion de la justice sociale et sans aucune intervention militaire étrangère.
Le Forum parlementaire mondial exprime son appui et sa solidarité aux paysans de Bolivie, condamne la sanglante répression menée contre eux au cours de derniers jours, et demande une solution favorable à leurs revendications légitimes.
Le Forum parlementaire mondial exprime son appui au peuple cubain, à sa volonté, à son droit inaliénable à l’indépendance, la souveraineté et l’autodétermination. Il doit être maître de son propre destin. Nous exigeons la levée sans condition du blocus des États-Unis contre Cuba, ainsi que des lois Torricelli, Helms-Burton et de "Ajuste Cubano", et de leurs décrets d’application.
Le Forum parlementaire mondial soutient les organisations paysannes du Mexique « El Campo no aguanta mas » qui demandent la renégociation du volet agriculture et pêche du Traité de libre échange (ALENA) signé avec le Canada et les États-Unis.
Dans le cadre des prochaines échéances des Nations-unies, nous demandons l’application des résolutions de l’ONU sur l’autodétermination et l’indépendance du peuple sahraoui à travers notamment la tenue du référendum.
Mobilisations
Dans le cadre de leur engagement contre la guerre et la mondialisation inégalitaire, les membres du Réseau parlementaire international participeront aux grandes mobilisations prévues pour 2003 par les mouvements sociaux et citoyens, comme celles qui se dérouleront à l’occasion du sommet du G8, en juin, à Evian (France).
Un débat sur les rapports entre les partis politiques et les mouvements sociaux est nécessaire. Nous versons comme élément à ce débat la contribution rédigée par le groupe de travail qui a traité de cette question durant notre forum.
Le Réseau parlementaire international préparera activement le prochain Forum parlementaire mondial qui, en Inde, devra tirer le bilan des campagnes menées en 2003, préparer les initiatives de 2004 et permettre de véritables échanges politiques.