Lundi 20 octobre, face au tribunal, Olivier Besancenot, poursuivi en diffamation par la société Taser, a continué de réclamer un moratoire sur l’utilisation du pistolet à impulsions électriques.
La semaine a été rude pour Antoine Di Zazzo, le PDG de SMP Technologies, qui commercialise le Taser en France. Après le placement en garde à vue des personnes interpellées, mardi 14 octobre, dans le cadre de l’enquête sur l’espionnage dont ont été victimes Olivier Besancenot et sa famille, une information judiciaire a été ouverte.
L’enquête, menée par la police des polices (IGPN) et la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), a permis de trouver, dans les locaux de SMP Technologies, le rapport de filature d’Olivier Besancenot, les traces de deux virements de plusieurs milliers d’euros en faveur du cabinet de détectives privés Dussaucy et, dans les locaux de celui-ci, une clé USB contenant les photos prises lors de la filature. Bref, une affaire de barbouzes et de flics véreux, impliquant des policiers en activité, des policiers retraités reconvertis dans le privé, un douanier bien placé et le PDG Di Zazzo. Ce dernier, poursuivi pour « complicité par instruction » et « recel », se retrouve placé sous contrôle judiciaire.
Le distributeur du Taser en France n’a donc pas participé au débat sur la dangerosité de cette arme, qui a eu lieu, lundi 20 octobre, au Palais de justice de Paris… à l’occasion du procès en diffamation qu’il a lui-même intenté à l’encontre d’Olivier Besancenot ! Le porte-parole de la LCR a réaffirmé et assumé les propos qu’il avait tenus pendant la campagne présidentielle, réclamant un moratoire sur l’utilisation du Taser.
À l’initiative de la LCR, un rassemblement s’est tenu pendant le procès. Diverses personnalités sont venues témoigner de leur solidarité, dont Jean-Jacques Boislaroussie (Les Alternatifs), Francine Bavay (Les Verts), Arlette Laguiller (Lutte ouvrière). En revanche, personne du Parti socialiste ou du Parti communiste. Dans la salle d’audience, on pouvait remarquer la présence de Mohamed Mechmache (AClefeu), de Jean-Claude Tchicaya (Devoirs de mémoire) et de nombreux jeunes des quartiers populaires.
L’avocate de SMP Technologies a cru bon d’accuser Olivier Besancenot de porter atteinte à l’image de marque d’une société commercialisant « un produit innovant » et de faire l’apologie des armes à feu, témoignant ainsi d’une méconnaissance totale des positions de la LCR.
Benoît Murraciole (Amnesty International) a affirmé que le Taser facilitait le recours à la violence, confirmant qu’une étude établissait la mort de 290 personnes visées par le Taser. Dans leurs plaidoiries, les avocats d’Olivier Besancenot, Antoine Comte et Noël Mamère, ont rappelé la prise de position d’instances internationales contre le Taser, l’arrêt de la cour de San José (Californie) condamnant Taser International à payer plus de 6 millions de dollars pour le décès d’un homme frappé par l’arme, les nombreux pays refusant de se doter de ce pistolet. Ils ont donc réaffirmé la nécessité d’une enquête indépendante et d’un moratoire. Mis en délibéré, le jugement sera prononcé le 24 novembre. ■
Michel Gautier
Selon Amnesty International, le pistolet Taser a été à l’origine de nombreux décès aux États-Unis. Poursuivi en diffamation pour avoir repris cette information, Olivier Besancenot sera jugé le 20 octobre. Une chose est sûre : l’arme n’a pas fini de faire parler d’elle.
Tiré de rouge du 16 octobre 2008
En juillet 2007, la société SMP Technologies, qui commercialise le Taser en France, assignait Olivier Besancenot en justice pour diffamation à son encontre. Cette société reprochait au candidat de la LCR à l’élection présidentielle d’avoir déclaré que le Taser, pistolet à impulsions électriques (PIE), aurait été la cause de nombreux décès aux États-Unis. Olivier Besancenot n’avait fait que rapporter les déclarations d’Amnesty International. Le poursuivant en diffamation, SMP Technologies lui réclame 50 000 euros de dommages et intérêts. Il y a quelques semaines, le Réseau d’alerte et d’intervention pour les droits de l’Homme (Raidh) était à son tour poursuivi. Puis, ce fut celui de Martine Aubry, qui a reçu la visite de l’huissier diligenté par le PDG de Taser France, Antoine Di Zazzo, après qu’elle a repris à son compte, sur Canal +, le chiffre d’Amnesty International, estimant à 290 le nombre de décès dus au Taser en Amérique du Nord.
Cela fait plusieurs années que le Taser est utilisé par les forces de police et de gendarmerie aux États-Unis et au Canada. 65 pays dans le monde l’ont adopté. En France, depuis 2004, il équipait 3 000 policiers et gendarmes, avec le feu vert de Nicolas Sarkozy. Un décret, publié en septembre dernier, permet désormais aux 17 000 policiers municipaux d’en bénéficier. Le décret de mars 2 000, établissant la liste des armes dont les policiers municipaux pouvaient être dotés, a été modifié, afin de leur permettre d’être équipés d’une arme de quatrième catégorie (à laquelle appartiennent les fusils à pompe).
Enquêtes en cours
Aujourd’hui, le silence est rompu et le débat posé sur la place publique. Avec un cynisme insupportable, les frères Smith, fondateurs de Taser International, se congratulent. Grâce à eux, le Taser, se substituant à l’utilisation d’armes à feu et de flash-balls, aurait évité nombre de décès lors d’interventions policières. Des prises de position d’instances internationales et de dramatiques faits-divers viennent pourtant démentir la propagande de Taser International.
À une distance de dix mètres, le Taxer X26 expédie deux dards qui se fixent dans le corps de la victime, avant d’envoyer une décharge de 50 000 volts, coupant la communication entre le cerveau et les muscles. La victime s’écroule et ressent une intense souffrance. L’an dernier, dans un rapport adressé au gouvernement portugais, le Comité contre la torture de l’ONU déclarait : « L’usage de ces armes provoque une douleur aiguë, constituant une forme de torture. Dans certains cas, il peut même causer la mort. » En décembre 2007, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants se montrait « plus que réticent » à l’introduction des pistolets Taser dans l’équipement du personnel pénitentiaire des prisons françaises.
Chacun se souvient de la terrible vidéo qui a circulé sur Internet, montrant un immigré polonais, Robert Diezanski, le 14 octobre 2007, à l’aéroport de Vancouver, au Canada, hurlant avant de mourir des deux décharges de Taser qu’il avait reçues. Ce dramatique fait-divers souligne la banalisation de l’usage du Taser, dans des situations qui n’ont rien à voir avec un quelconque problème de maintien de l’ordre. Cette affaire fit scandale au Canada. Après avoir tenté de l’étouffer en confisquant la vidéo, les services douaniers durent modifier la procédure d’accueil des voyageurs étrangers. Mais aucune poursuite n’a été engagée contre le policier qui a tiré, ni contre son supérieur. Robert Diezanski a été tué en toute impunité.
Cependant, l’affaire a relancé les interrogations et les mobilisations contre le Taser. Une quinzaine d’enquêtes étaient en cours, au Canada, courant 2007, sur les conséquences de l’usage du pistolet à impulsions électriques. La coalition pour la responsabilité policière de Toronto militait pour l’interdiction de l’usage du Taser par les forces de l’ordre. Aux États-Unis, les litiges concernant l’usage du Taser sont nombreux. Le 14 juin dernier, la cour fédérale de San José, en Californie, accordait 6,2 millions de dollars d’indemnités à la famille d’un homme mort, trois ans plus tôt, après avoir reçu près de 30 décharges de Taser. La cour rendait Taser International responsable de son décès.
Affaire juteuse
Ce fut un revers pour cette société, qui tente par tous les moyens de prouver que son invention n’est pas dangereuse. Mais les études auxquelles elle se réfère ne sont pas fiables. Le président d’Amnesty aux États-Unis, William F. Schulz, insistait sur ce point, dans un débat, en 2005 : les études sont faites à partir de données fournies par Taser, et elles sont analysées par des chercheurs ou des consultants employés par cette société, voire par des officiers de police. Le caractère prétendument inoffensif est mis en cause par des professeurs de médecine. Le professeur Savard, de Montréal, a expliqué que la décharge électrique pouvait déclencher une augmentation du rythme cardiaque pouvant dégénérer en fibrillation ventriculaire, voire déclencher des spasmes des artères coronaires.
En France, les affaires liées au Taser sont moins nombreuses. Il n’empêche : le pistolet a été utilisé dans des centres de rétention, et une jeune fille, en mars 2007, a reçu deux décharges, à l’occasion d’une manifestation à Lyon. En août dernier, un policier de la BAC a grièvement blessé un jeune homme à la tête, à Vernon (Eure), en marge d’un contrôle d’identité. Ce fait-divers démontre la vacuité des instructions du ministère de l’Intérieur pour l’emploi des PIE, lorsqu’elles indiquent que la tête ne doit pas être visée ou encore qu’il faut, si possible, tenir compte des circonstances (personne sous l’influence de stupéfiants, personnes enceintes, malades cardiaques, etc.). Belle hypocrisie ! A-t-on jamais vu la police demander son bulletin de santé à une personne avant de faire usage d’une arme ? En 2006, dans 83% des cas, l’utilisation du Taser n’aurait pas respecté les précautions d’usage.
La raison du lobbying pratiqué par la société Taser est double. D’un côté, pour le gouvernement Fillon, c’est une arme de plus au service de la répression et du tout-sécuritaire ; la banalisation de son usage est en marche. De l’autre, c’est une affaire juteuse pour ses promoteurs : 1 500 euros pièce, sans compter le coût de la petite caméra qui l’accompagne, la « formation » et les versions adaptées au public. Cotée en Bourse, l’action de la société, qui valait 2 dollars en 2001, avait progressé de 7 000 % en 2007.
Amnesty International exige un moratoire sur l’utilisation du Taser. Olivier Besancenot a formulé la même exigence pendant la dernière campagne présidentielle. Position partagée par Noël Mamère (les Verts) et Nicole Borvo Cohen-Seat (PCF). Après les déclarations de Martine Aubry, c’est au tour de Jean-Michel Baylet (radical de gauche) de réclamer une commission d’enquête parlementaire. Le 20 octobre, ce sera le procès de SMP Technologies pour un moratoire sur le Taser.
GAUTIER Michel
* Paru dans Rouge n° 2270, 16/10/2008.