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Mobilisations sociales et répression

BOLIVIE : LA GUERRE DU GAZ

Par Ben Dangl

dimanche 5 octobre 2003

Un nouveau cycle de luttes s’est ouvert en Bolivie avec l’union de syndicalistes, de paysans cultivateurs de coca et de citoyens ordinaires pour empêcher la vente des réserves de gaz de la nation aux États-Unis via un port chilien. Dans un pays où l’identité économique a été définie par les pressions étasuniennes dans leur guerre contre la drogue et par les ajustements structurels du Fonds monétaire international (FMI), la guerre du gaz est l’affaire la plus récente à propos de laquelle la population bolivienne a protesté avec véhémence contre des intérêts étrangers ayant la priorité sur le bien-être économique du pays.

La Bolivie a déjà vécu, à l’heure actuelle (24-09-03), une dizaine de jours de blocages de routes. Le 19 septembre, des grèves à grande échelle et des manifestations ont eu lieu à travers tout le pays. Les affrontements entre forces de l’ordre et manifestants ont fait sept morts et plus de 25 blessés.

Le débat sur l’utilisation des réserves de gaz naturel de Bolivie -les plus grandes d’Amérique latine- a commencé il y a approximativement un an et demi, quand l’actuel président, Gonzalo Sanchez de Lozada, dit Goni, proposa que le gaz soit exporté à travers le Chili, plutôt que par le Pérou, une option plus coûteuse.

Opposition publique

Au mois d’août de cette année, la société civile et des syndicats ont annoncé le lancement d’une campagne coordonnée pour stopper l’exportation. La premier action directe a eu lieu dans les Yungas, une région au nord de La Paz. Depuis le début, la Guerre du gaz comprend des revendications telles que plus de clarté dans les lois sur la production et le commerce de la coca, la libération de dirigeants politiques emprisonnés et la justice pour les atrocités commises à La Paz en février dernier.

En Bolivie, il existe un profond ressentiment à l’encontre du Chili, qui a commencé avec la Guerre du Pacifique en 1879 quand ce pays s’empara de l’unique accès de la Bolivie à la mer. Cet événement a alimenté une grande partie des tensions concernant le plan de vente du gaz à travers le Chili. Plutôt que de voir leur gaz vendu à des investisseurs étrangers par un gouvernement acculé, beaucoup de Boliviens préfèrent qu’il soit industrialisé dans le pays, afin de créer de l’emploi et générer des revenus, si nécessaires en Bolivie.

Goni garantit que les revenus millionnaires de la vente du gaz aux États-Unis vont créer des emplois et stabiliser l’économie bolivienne. Il a promis que l’argent généré par cette vente alimentera directement un fond pour l’éducation et la santé. Mais beaucoup de Boliviens croient que les entreprises étrangères et les leaders du monde des affaires bolivien seront les seuls et uniques bénéficiaires de cette vente.

Les résultats d’un récent sondage d’opinion, mené par Equipos Mori pour le réseau TV bolivien UNITEL, montrent que 70% de l’ouest du pays, c’est-à-dire principalement les villes de La Paz, El Alto et Cochabamba, rejette la proposition d’exporter le gaz. Tandis que 58% la soutiennent dans les régions du sud-est de la Bolivie, où se situe la plupart des grandes compagnies et réserves de gaz -Santa Cruz, Tarija et Sucre. (La Prensa, 24-09-03) [1]

Les opposants à l’exportation du gaz exigent un débat plus ouvert, puisqu’il s’agit du destin de la ressource naturelle la plus importante du pays. Le manque de réponses significatives du gouvernement les a poussés à l’action directe.

Manifestations dans tout le pays

Vendredi 19 septembre, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues des villes boliviennes. Ces marches prouvent qu’un grand nombre de citoyens sont disposés à agir sérieusement si le plan de vente du gaz à travers le Chili progresse.

Vendredi, la ville de Cochamba connut une manifestation telle qu’elle n’en avait plus vues depuis la Guerre de l’eau en avril 2000. Quelques 10 000 personnes sont descendues dans les rues vers la grand place. La marche était composée essentiellement de paysans cultivateurs de coca de la région du Chapare, la plupart d’entre eux ayant laissé leur ferme pour passer une nuit dans le bus et participer à la marche en ville.

Sur les pancartes de manifestants sur la grand place de Cochabamba, on pouvait lire : « Non au gaz à travers et pour le Chili » et « Soldats, qui défendez-vous ? ». Pendant ce temps, des figures politiques comme Evo Morales, leader du parti Mouvement au socialisme (MAS), et Osar Olivera, porte-parole de l’État-major du Peuple (Estado Mayor del Pueblo), s’adressaient à la foule d’une voix rauque.

Appelant la population à agir contre l’exportation du gaz, Morales menaça le gouvernement : « S’il décide d’exporter le gaz à travers le Chili… ses heures sont comptées. » (Los Tiempos, 17-09-03)

Les forces de police, dont des centaines d’effectifs étaient arrivés la veille en bus de La Paz, étaient à peine présentes durant les activités pacifiques mais impressionnantes de toute la journée.

Affrontements violents à Warisata

Le jour suivant, le 20 septembre, les forces de sécurité boliviennes essayèrent de « sauver » près de sept cents personnes, coincées dans des bus depuis une semaine du fait d’un barrage routier à Sorata, une ville au nord de La Paz. Les gens bloquant la route protestaient contre la vente du gaz via le Chili, et demandaient la libération des leaders locaux emprisonnés.

Parmi les gens pris au piège du barrage, on trouvait 70 touristes des États-Unis, d’Allemagne et d’Angleterre. Sur les recommandations pressantes de David Greenlee, l’ambassadeur états-unien dans le pays, le gouvernement bolivien a déployé les forces de sécurité pour sortir ces gens de la zone soumise au blocage.

Quand les confrontations ont commencé dans la ville de Warisata, juste au bas de Sorata, Mauricio Antezana, porte-parole du Président Lozada, disait qu’ « ils avaient parlé avec les paysans bloquant Sorata et qu’ils étaient arrivés à un accord permettant aux nombreux bus de s’en aller. » (La Razon, 21-09-03) Mais quand les forces de sécurité sont arrivées, la tension est montée et l’accord a rapidement été oublié.

Les forces de sécurité commencèrent à ouvrir le feu de manière indiscriminée sur les paysans, tout en tirant de manière aléatoire sur les maisons et les écoles. Certains paysans ont répondu aux tirs avec leurs propres armes et des pierres. La confrontation a finalement fait sept morts, tués par balle, dont deux soldats, un homme de soixante ans, un étudiant, un professeur, une mère et sa fille. Près de 25 blessés ont été comptabilisés dans les deux camps.

Réponses

Bien que les représentants du gouvernement assurent que les forces de l’ordre ont été prises en embuscade par des paysans, des enquêteurs sur les droits de l’Homme de la Defensoria del Pueblo (organe public de défense des droits de l’Homme, n.d.tr.), l’Assemblée permanente des droits de l’Homme de Bolivie et la Commission des droits de l’Homme du Congrès ont déclaré qu’il n’y avait pas de preuve d’une embuscade et que les militaires avaient sécurisé la zone autour de Warisata dès le samedi tôt le matin et que, plus tard dans l’après-midi, alors que des pourparlers avaient été menés avec les paysans pour la levée des barrages, les militaires s’étaient agressivement déplacés pour engager la confrontation.

Selon la version des représentants du gouvernement, « des groupes terroristes racistes et armés » seraient responsables de la violence à Warisata. Lundi, des photos de paysans armés sont apparues à la une de tous les quotidiens du pays. Beaucoup pensent que ces commentaires et cette propagande constituent simplement une tentative de justifier l’usage de la force par la police et l’armée boliviennes à Warisata. Felipe Quispe, leader de la Fédération paysanne, affirmait que de tels groupes de terreur n’existent pas et que ce sont les forces de sécurité qui ont provoqué le conflit. (La Razon, 23-09-03)

Cependant, au milieu d’un débat national à propos des affrontements, des dépêches de presse rapportaient que, pendant la cérémonie de jeudi, par laquelle les États-Unis donnaient au gouvernement bolivien une aide au développement de 63 millions de dollars, l’ambassadeur étasunien Greenlee affirmait que l’intervention des forces de l’ordre à Warisata était justifiée. (El Diario, 23-09-03)

Des dizaines de syndicats et de partis politiques se sont rencontrés le 22 septembre à Cochabamba pour décider du type d’action à mener en réponse aux des morts de Warisata. Pendant cette rencontre, plusieurs dirigeants, dont ceux du Mouvement au socialisme (MAS), de l’État-major du peuple et du syndicat des travailleurs boliviens, menacèrent d’organiser des grèves et barrages routiers indéfinis dans tout le pays, si ces massacres continuaient. Actuellement, les principales routes du pays restent bloquées et il est probable que d’autres routes, autour du Chapare et de Cochabamba, le soient très prochainement.

L’usage excessif de la force par les autorités à Warisata a réduit la confiance, déjà faible, du pays envers son gouvernement, sape la possibilité d’un dialogue constructif et alimente la probabilité d’un regain de violence. L’avenir de la principale ressource naturelle de Bolivie reste donc en suspens.


NOTES :

[1] L’enquête ne précise pas la taille de l’échantillon de population interrogée, ou la méthodologie utilisée pour obtenir de tels résultats.


Ben Dangl travaille pour The Andean Information Network à Cochabamba, Bolivia.

Traduction de l’anglais : Frédéric Lévêque, pour RISAL.

Article original en anglais : « Bolivia’s Gas War », Zmag, 24-09-03.

(tiré du site À l’encontre)