Les élections portugaises du 5 juin 2011 ont été marquées par une abstention record : 41,1%, cela dans un climat de relative conflictualité sociale. Le Parti socialiste a obtenu 28,1% des suffrages exprimés, contre 36,56% en septembre 2009.
La droite (Parti social-démocrate) a obtenu 38,6% des votes contre 29,11% en 2009. Et la droite plus conservatrice, si l’on peut dire, le CDS PP (Parti populaire), a obtenu 11,7% des voix. Ce résultat permet au dirigeant de la droite Passos Coelho (PSD) de mettre en place une équipe gouvernementale, qui appliquera les diktats de la BCE, du FMI et de l’UE, en coalition avec le CDS PP dirigé par Paulo Portas. Le PS de José Socrates avait négocié avec l’UE et le FMI « un plan de sauvetage » de 78 milliards d’euros. C’est surtout un plan de sauvetage des banques espagnoles et autres fortement engagées au Portugal. Ce « plan de sauvetage » impliquera la casse des services publics, des privatisations, le démantèlement des politiques sociales, la précarisation encore accrue des salarié·e·s.
Le Parti communiste se présentait dans le cadre d’une alliance dite « rouge-verte » portant le nom de Coalition démocratique unitaire (CDU). Il a obtenu 7,94% des voix et 16 députés, soit un de plus qu’en 2009 où il réunissait 7,86% des voix.
Le Bloc de gauche a obtenu 5,19% des votes, contre 9,81% en 2009. Le nombre de députés a passé de 16 à 8. En 2005, lors des législatives, le Bloc de gauche avait obtenu 6,35% des voix et détenait 8 députés. Lors de l’élection présidentielle de 2006, son candidat Francisco Louça captait 5,32% des suffrages. Lors de l’élection présidentielle de janvier 2011, le Bloc de gauche soutenait une candidature socialiste, dite marquée à gauche (Manuel Alegre), et récoltait 16,67% des voix. La recherche d’une influence élargie au travers de cette candidature ne semble pas s’être concrétisée cinq mois plus tard.
La contribution que nous publions ci-dessous traduit manifestement le souci et la volonté de saisir la dynamique d’un processus électoral. L’utilisation répétée de la formule « électorat flottant » traduit certainement un malaise tout à aussi flottant. Il faudra à coup sûr attendre d’autres contributions pour que le métabolisme de la société portugaise, dans une phase de crise allant s’approfondissant, soit analysé et que les conclusions au plan social et politique viennent étayer une discussion plus ample sur l’orientation sociale et politique dans la phase présente. Une phase où se sont exprimés un mouvement de jeunes, dont la dynamique reste à saisir, mais aussi une vague d’émigration vers l’Europe du nord, émigration qui cette fois, à la différence des années 1970, est formée, en partie, de jeunes fortement scolarisés. (Rédaction, À l’encontre)
1. La défaite du Bloc de gauche lors des élections législatives est suffisamment claire pour nous dispenser de toute dérobade. C’est la responsabilité de la direction du Bloc de gauche dans son ensemble et nous devons la discuter collectivement avec sérieux, au sein du Bloc et avec ses sympathisants, dans l’esprit de renforcer notre unité autour des politiques qui nous préparent au combat très difficile que nous allons affronter. Le Bloc de gauche a perdu une bataille, mais il doit se préparer pour gagner la guerre. Les défaites, quand elles sont bien analysées, nous enseignent certainement plus que les victoires.
2. De mon point de vue, la gauche portugaise et le Bloc de gauche en particulier, à l’instar de situations similaires dans d’autres pays européens en crise, n’ont pas réussi faire face à la vague d’un vote de panique, d’un vote fondé sur l’illusion d’une solution, d’un accord qui, malgré certains sacrifices, devrait permettre, finalement, le retour à la normale au plan de l’emploi, du salaire, des retraites et des revenus des familles. Un vote qui veut voir dans l’accord avec le Troïka [Banque centrale européenne, FMI et Union européenne ] – accord dont la signification a été délibérément occultée au cours de la campagne par les partis politiques qui l’avaient signé – une bouée de sauvetage face à un désastre imminent. Un vote qui punissait ceux qui « s’excluaient » [de cet accord], ceux qui « ne pouvaient pas avoir d’influence », ceux qui paraissaient ne rien avoir à offrir quand – disait-on – dès le mois de juin 2011 il n’y aurait même plus d’argent pour les salaires. Cette approche fut, de plus, défendue massivement par les médias à l’occasion d’une campagne idéologique sans précédent contre « l’irresponsabilité » (les « fainéants », les « marginaux de la politique », les « radicaux », les « indignes de la confiance du peuple angoissé ») du Bloc de gauche et de ses propositions alternatives, qui, d’autre part,ont été présentées de manière systémique et bien défendues par nous.
3. Bien que le Bloc de gauche, selon moi, ait conduit, du point de vue du discours politique, une des meilleures campagnes politiques électorales de sa brève histoire (une campagne faite de propositions, pédagogiques, réalistes, avec des contenus) et malgré l’engagement de ses militants et sympathisants dans l’ensemble du pays, tout cela ne fut pas suffisant pour contenir la vague du vote pour « la sécurité » et le moindre mal. Et, à partir de là, nous avons perdu des milliers de votes populaires en direction du Parti social-démocrate (PSD, parti de centre droit) et quelques votes en direction du Parti populaire (CDS PP). La gravité et l’ampleur catastrophique de la crise présente ont poussé le vote de l’électorat populaire flottant en direction du refuge apparent de la « sécurité » et de la « protection » de la droite et de ses tuteurs externes de la Troïka. L’énorme impopularité de José Socrates (dirigeant du Parti socialiste et premier ministre) et du gouvernement du PS a fait le reste.
4. Le vote utile en faveur du PS, alimenté par des sondages qui durant des semaines présentaient une situation « de pat technique » avec le PSD, a naturellement aussi fonctionné, surtout en direction de certaines couches plus politisées de notre électorat flottant. Mais cela ne m’apparaît pas, néanmoins, que ce fut le facteur dominant. De même que l’abstention qui, également, a pénalisé surtout la gauche. Le Parti communiste portugais (PCP), appuyé sur son appareil syndical et municipal, avec un électorat traditionnellement stable, a défendu avec plus d’efficacité son espace social et politique de toujours et y compris a obtenu quelques votes de protestation. Je crois en fait que la situation politique qui a abouti à ce grand virage à droite a à voir avec quelque chose de plus ample et profond. Il est clair que nous pourrions aussi nous arrêter à discuter de quelques décisions tactiques prises par le Bloc de gauche au cours des derniers mois (campagne présidentielle 2011, motion de censure déposée par le Bloc de gauche en mars 2011) et de leur influence possible sur ces résultats. Je sais qu’une autre option aurait pu provoquer des doutes et des oppositions auprès des militants et des personnes votant pour le Bloc. Toutefois, je crois que l’importance des pertes de votes indique avec certitude qu’elles ont été stimulées par des choix qui dépassent largement les cercles plus politisés et informés qui se trouvent autour du Bloc et qui auraient pu être influencés par ces décisions. Nous devons examiner la nature politique et sociale du nouveau cycle politique. Et apprendre.
5. Le chœur des théologiens de la droite semblait vouloir transformer la séquence électorale en un règlement de comptes rageur avec Francisco Louça [porte-parole et figure publique connue du Bloc de gauche]. Qu’on ne se trompe pas. La droite a deux objectifs : réduire au silence le porte-parole de cette gauche subversive et ferme dans la dénonciation de l’ordre établi ; et, avec cela, elle rêve de changer la couleur du Bloc de gauche. Elle feint de ne pas comprendre que dans ce parti, dans des luttes de cette dimension, il n’y a pas de responsabilité individuelle. Ni à l’occasion des victoires, ni à l’occasion des défaites. Je crois qu’il est important de savoir être nous-mêmes, collectivement, pour faire ce bilan sans cesse avec l’objectif d’atteindre une unité supérieure autour d’une politique adéquate. Le bilan des élections doit se faire non pas dans les journaux, mais au sein des organes démocratiquement élus du congrès du Bloc. C’est la différence entre la droite qui le fait dans les médias et notre collectif du Bloc de gauche.
6. Y compris dans cette situation exceptionnellement difficile et complexe, nous sommes l’objet d’une attaque haineuse et concertée sans précédent, le résultat obtenu par le Bloc démontre qu’il est un parti à coup sûr enraciné dans des secteurs importants du peuple qui, du nord au sud du pays, continueront à faire du Bloc son parti et sa voix. Au contraire de ce que les plumitifs et les théologiens de la droite continueront à annoncer à grand fracas, le Bloc a perdu, a diminué son audience électorale, mais a résisté face à l’assaut. Il dispose de racines qui, dans cette tempête, ne seront pas brisées et ne rompront pas. Et aujourd’hui, c’est le moment du bilan et de la lutte. Avec certitude. Au cours de durs combats qui se profilent dans les difficiles conditions que nous avons devant nous, les travailleurs, les jeunes, les chômeurs et chômeuses, les retraités, les précaires savent où nous rencontrer : en première ligne, à l’intérieur et hors du parlement, défendant leurs droits, combattant la barbarie néolibérale, se battant pour le socialisme. Il en est ainsi. Qui vient de loin et veut aller plus loin, toutefois, ne doit pas défaillir.
Fernando Rosas est dirigeant du Bloc de gauche (Bloco de Esquerda), historien et professeur d’université.