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Après les élections fédérales : construire le pays de projets au cœur de la résistance populaire

jeudi 5 mai 2011, par Bernard Rioux

Les dernières élections fédérales ont été porteuses de bouleversements politiques considérables. Le paysage politique a été redessiné radicalement.

Qui peut prétendre avoir échappé au tournis provoqué par ce tourbillon d’événements et aux multiples questions qu’il a soulevées. Il faut maintenant tracer des hypothèses sur a) les chemins que pourra et devra prendre la résistance à ce gouvernement conservateur ; b) les alliances qu’il faudra construire pour consolider cette résistance au Québec comme à l’échelle pancanadienne ; c) la stratégie nécessaire au dépassement de l’impasse dans laquelle le péquisme a enfoncé la lutte pour l’indépendance du Québec ; et d) la nature des défis posés à construction d’une alternative politique de gauche de masse au Québec pour porter un pays de projets.

Contrer Harper et les politiques de droite

Un gouvernement conservateur majoritaire voudra nous imposer ses choix économiques, politiques, culturels et moraux. Il pourra plus facilement faire adopter ses choix budgétaires : ses baisses d’impôt pour les grandes entreprises, ses accords de libre-échange porteurs de délocalisations et ses coupures des dépenses sociales. Il cherchera à continuer de nous imposer ses choix militaires. Les dépenses militaires continueront à monter. Les interventions contre les pays du tiers-monde se feront avec plus d’arrogance si cela est possible. Son irresponsabilité environnementale fera preuve de plus de hargne encore. Et il voudra imposer son moralisme étriqué aux femmes et aux jeunes. L’information continuera-t-elle à être livrée avec parcimonie aux médias et à la population ?

Quelle résistance ces attaques rencontreront-elles ? Si le NPD se contente de composer et à manoeuvrer en prétendant assurer sa collaboration au gouvernement comme l’annonce Jack Layton, Harper aura la partie facile. L’opposition sociale-démocrate du NPD ne peut se contenter de jeux d’escrimes parlementaires. Elle doit être un instrument de vigilance devant les mauvais coups que nous prépare ce gouvernement conservateur ? Mais plus important, l’opposition réelle et efficace ne peut se contenter d’occuper le terrain parlementaire. Les politiques avancées par Harper représentent, dans l’ensemble les intérêts des banques et des grandes entreprises canadiennes. Ce ne sont pas des lubies personnelles. Les grandes organisations patronales tant au Québec qu’au Canada n’ont d’ailleurs pas caché leur satisfaction à l’élection des Conservateurs. La députation du NPD sera confrontée à la multiplication des attaques contre les positions de leur parti et à une campagne démagogique pour la discréditer. Dans une telle situation, ce n’est pas la collaboration qui est à l’ordre du jour, mais la dénonciation rigoureuse et pédagogique.

Pour faire face aux attaques d’Harper, il faudra nouer des alliances militantes au niveau pancanadien

Face au gouvernement Harper, il est tout à fait insuffisant de s’en tenir à un discours sur la défense des intérêts du Québec toutes les classes sociales confondues. Les dénonciations des baisses d’impôt des grandes entreprises génératrices de déficits et d’endettement, la lutte contre la privatisation des services publics, la défense du système de santé, de sa gratuité et de son universalité, la défense du droit à l’avortement, la défense de la sortie des énergies fossiles, ce sont là des axes d’une opposition à construire contre les politiques de l’État canadien. Pour mener de tels combats, il faut dès maintenant envisager de construire les alliances sociales pancanadiennes agissant sur le terrain extraparlementaire et sur le terrain parlementaire. Pour en finir avec les attaques du gouvernement conservateur, on ne peut se contenter d’un point de vue étroitement provincial, il va falloir construire une solidarité agissante à propos des défis communs à une population qui doit faire face au gouvernement de l’oligarchie régnante au Canada. Et pour que de telles alliances soient possibles, le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux tant au Québec qu’au Canada doivent repenser leurs rapports et envisager des initiatives communes.

Et cette perspective est d’autant plus nécessaire, que nous sommes affligés au Québec d’un gouvernement qui partage, pas nécessairement toutes les politiques du gouvernement Harper, mais sans l’ombre d’un doute les mêmes grandes orientations propatronales. Nous devons faire face aux mêmes politiques de privatisation et de tarification des services, aux mêmes largesses qui facilitent la concentration de la richesse au sommet de la société, au même mépris pour les organisations syndicales et leurs droits. Et en plus, nous devons endurer l’hypocrisie et les faux nez d’un gouvernement qui se prétend écologiste.

Une stratégie pour l’indépendance qui donne toute sa place au peuple du Québec et à une véritable démarche de souveraineté populaire.

Le bloc interclassiste dominé par les élites nationalistes québécoises a trouvé son expression politique dans le Parti québécois et le Bloc québécois. Avec l’effondrement du Bloc, l’ensemble de ces forces vont se retrouver sur le terrain québécois. Pour ces dernières, la lutte souverainiste doit être, plus que jamais, sous le contrôle non seulement du Parti québécois, et de sa direction. Au dernier congrès de ce parti, toute la démarche de souveraineté populaire a été remise aux calendes grecques. Le peuple québécois aura à se prononcer sur son avenir, lorsque la chef du PQ en décidera. Le programme social laisse ouvert tous les scénarios (du centre gauche au centre droit) au niveau du développement économique, écologique et social pour permettre à la direction de ce parti, d’avoir les mains libres une fois au pouvoir. Les revendications des mouvements sociaux sont traitées comme autant d’objets explosifs à manipuler avec précaution afin de mieux pouvoir les désamorcer. Au niveau stratégique, le PQ propose de faire découler le développement des sentiments souverainistes de l’application d’une politique autonomiste qui serait contrée par Ottawa. Cette stratégie qui écarte le peuple du centre de l’action et confie au gouvernement péquiste le développement de la lutte n’est qu’un masque pour s’enfoncer dans la passivité d’une gouvernance provincialiste. Une telle stratégie nous conduit à un souverainisme passif et à l’autonomisme de facto. C’est la voie de l’impasse totale.

Pour nous, le projet d’indépendance c’est d’abord la dimension nationale d’un projet de pays égalitaire, féministe et écologiste qui cherche à permettre au peuple québécois de reprendre en mains tout le pouvoir sur ses richesses économiques et sur les décisions essentielles à son développement. Face à des élites qui se permettent dans l’opposition un certain social libéralisme et un souverainisme de façade, mais qui, une fois au pouvoir, se rallient aux politiques néolibérales et à l’autonomisme, il faut chercher de construire une nouvelle alliance permettant de définir démocratiquement le Québec que nous voulons, un pays de projets qui saura rallier la majorité sociale autour d’un grand projet national. La perspective de l’élection d’une constituante élue au suffrage universel avancée par Québec solidaire est une alternative pour sortir du cul-de-sac actuel.

La présence du NPD comme opposition officielle constitue un nouveau contexte de la lutte pour l’indépendance du Québec. Et ce contexte doit être pris radicalement en compte. Comme parti indépendantiste, Québec solidaire, - mais aussi l’ensemble des souverainistes, devraient compter sur l’ouverture du NPD telle que définie dans la déclaration de Sherbrooke pour lui demander de relayer un certain nombre de combats à la Chambre des communes. L’application de la loi 101 aux lieux de travail régis par le Code canadien du travail est un bon exemple des initiatives qu’il faut prendre. Nous devons exiger du NPD de se donner comme tâche de défendre activement au Canada anglais le droit du Québec à l’autodétermination. C’est une bataille qui peut être reprise, tant au parlement que dans l’ensemble des mouvements sociaux progressistes qui doivent être convaincus de la légitimité d’un tel droit. Les souverainistes doivent exiger que les ouvertures manifestées par le NPD se concrétisent par des prises de position concrètes qui renforcent les droits nationaux du Québec. Et, cela s’avère aujourd’hui possible, car les dernières élections ont donné au NPD un caucus à majorité québécoise. C’est là un élément nouveau qu’on ne peut ignorer.

Québec solidaire est devant un défi essentiel : offrir un projet alternatif de gauche dans leur cœur même de la résistance populaire.

Ce qui est dangereux avec les grandes vagues, c’est qu’elles peuvent refluer aussi rapidement qu’elles se sont produites. Elles sont, bien sûr le produit des volontés de changement. Elles transforment en détruisant ce qui existait, mais elles ne retissent pas le tissu social de la résistance populaire. Elles ont un impact sur les rapports de force, mais elles ne créent pas les conditions du développement et du maintien du rapport de force du camp populaire. Ce dernier ne peut reposer que dans l’unité et la démocratisation de l’ensemble des mouvements sociaux. Seule une telle recomposition de la résistance populaire pourra permettre l’émergence d’une alternative politique de masse capable d’appliquer un projet de transformation sociale véritable. Québec solidaire n’est pas neutre face à ce défi. Car. une politique de transformation sociale ne se fera pas sans eux, sans leur implication tant dans la définition des objectifs poursuivis que des mobilisations qu’il faudra construire pour parvenir à cette fin.