Un an après l’échec de la tentative de coup d’Etat militaire contre Hugo Chávez, président du Venezuela, une Rencontre internationale de solidarité avec la révolution bolivarienne vient de se tenir à Caracas.
Notre camarade Alain Krivine y participait.
Dans quel cadre ton voyage était-il organisé ?
Alain Krivine - C’était dans le cadre d’une rencontre qui regroupait environ trois cents délégués venus surtout d’Amérique latine. Avec un député d’Izquierda unida (Gauche unie, Etat espagnol), je représentais le groupe de la Gauche unie européenne (GUE) du Parlement européen. Peu de délégués venaient d’Europe, à l’exception d’une représentation de Refondation communiste d’Italie et, pour la France, de Bernard Cassen, de Chevènement et d’une sénatrice communiste, Danièle Bidart.
Qui as-tu rencontré ?
A. Krivine - Les principaux dirigeants du pays. Mais des discussions bilatérales m’ont aussi permis de m’entretenir avec des délégations étrangères, comme celle de l’Armée de libération nationale (ELN) de Colombie, ou avec le leader bolivien Evo Morales, qui a failli gagner la dernière élection présidentielle. J’ai longuement rencontré des dirigeants des deux partis influents au Venezuela : le Mouvement pour la Ve République (MVR) le parti de Chávez, et la Patrie pour tous (PPT). Sans parler de la visite des organisations de quartier.
Quelle est la situation du pays ?
Krivine - Ce que l’on a appelé, ici, la "grève générale" était en réalité un mouvement organisé par la CTV, un syndicat "jaune" et complètement corrompu, et par le patronat. Il a un peu touché les couches moyennes et les enseignants. Il a parfaitement fonctionné parmi les cadres de l’industrie du pétrole.
Il y a un an, une minorité de militaires avait tenté de débarquer Chávez. Mais des centaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue et, aidées par la majorité de l’armée, avaient mis en échec les putschistes. Depuis, le processus s’est radicalisé. L’opposition se partage entre une minorité, composée d’anciens de la guérilla et de démocrates craignant l’arrivée d’un régime "castriste", et une majorité réactionnaire et parfois fascisante. Pour le moment, elle n’est plus capable de descendre dans la rue. Les quartiers bourgeois sont calmes, mais couverts d’affiches anti-Chávez. Les quartiers populaires sont, eux, en pleine effervescence. J’y ai retrouvé le climat de Managua à l’époque des sandinistes. L’auto-organisation de la population est forte : comités de quartier, "écoles boliviennes" gratuites, panneaux muraux, slogans pro-Chávez et anti-impérialistes au moindre attroupement, effigies du Che et, en un peu moins grand nombre, du Christ... Bref, il s’agit d’une espèce de double pouvoir potentiel.
La police de la ville a pris partie pour la droite, celle de nombreux quartiers est avec Chávez. Ils ne portent pas le même uniforme. Pour l’instant, la grande majorité de l’armée est avec Chávez, les soldats venant souvent des couches populaires et les organisations révolutionnaires ou de guérilla ayant une longue tradition de travail dans l’armée. Là, on pense plutôt à la "révolution des oeillets" portugaise. Des officiers viennent dans les meetings, ils sont acclamés par la foule. Le jour de la clôture de la Rencontre, Chávez a parlé trois heures devant plus de 150 000 personnes rassemblées sur une avenue. Le discours est radical, antilibéral, s’attaque aux Etats-Unis, à l’Onu, au FMI, à la Banque mondiale. Internationaliste, il prend pour référence le Forum social mondial de Porto Alegre, se permet de conseiller Lula ("Pour appliquer le plan antifaim, il faudra faire la Révolution"), avertit la droite ("Notre révolution est pacifique, mais elle est aussi armée grâce à l’armée"). Dans tout cela, il y a sans doute pas mal de populisme et de démagogie, sans oublier les références permanentes à Simon Bolivar et au Christ.
Alors, un premier bilan ?
A. Krivine - Il s’agit d’un mouvement qui surgit dans une phase de remontée des mobilisations populaires en Amérique latine, sans effacer les échecs du passé. La véritable épreuve de force est à venir. En positif, il faut souligner la mobilisation populaire et ses énormes exigences. En revanche, l’autoorganisation populaire n’est pas centralisée. Jusque tout récemment, il n’existait pas de syndicat digne de ce nom. L’UNT, une organisation lutte de classe, vient de naître, avec dix-sept fédérations dont celle des ouvriers du pétrole. Deux partis seulement sont significatifs : le MVR, un regroupement attrape-tout et sans réelle base idéologique ; et le PTT, dirigé par d’anciens guérilleros, des marxistes, d’anciens membres du parti communiste et pas mal de jeunes. Il se réclame de la gauche révolutionnaire et veut construire un véritable parti, disposant d’écoles de formation, d’une presse, etc. Il compte 15 000 membres environ et trois ministres.
Actuellement, les seuls éléments de centralisation sont Chávez et l’armée. Ce qui n’est pas sans poser problème. Les mesures essentielles ont été la reprise en main totale des richesses du pétrole par l’Etat et son inscription dans la Constitution, un début de réforme agraire, la légalisation des occupations de maisons, la création d’écoles gratuites, le refus de toute privatisation, l’opposition à la Zone de libre-échange des Amériques (Alca), au Plan Colombie et aux bases étrangères. Mais le marché agro-alimentaire, essentiel, reste privé ; la justice est à droite (sauf huit juges sur 1 000) ; quatre chaînes de télé sur cinq sont commerciales et elles matraquent l’opinion en dénonçant le gouvernement et les manifestations pro-Chávez (... du genre "les femmes qui viennent aux manifestations pro-Chávez sont toutes des putes"). Enfin, les Etats-Unis ne sont pas loin et 15 % de leur pétrole vient du Venezuela. C’est dire l’urgence d’une campagne de solidarité avec le peuple vénézuélien.
Propos recueillis par Raphaël Duffleaux.
Rouge 2014 24/04/2002