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La démocratie participative en action

Vers une assemblée constituante en Bolivie

par Antonio Peredo Leigue

dimanche 14 mars 2004

12 mars 2004

La Paz.- Le vendredi 20 février, le président Carlos Mesa a promulgué la réforme de la Constitution, une réforme qui inclut les figures du référendum (effectif/ décisionnel ou consultatif, sur des questions d’intérêt national) et l’assemblée constituante dont la mission sera de rédiger une nouvelle constitution. La grande mobilisation d’octobre dernier avait commencé avec deux exigences principales ; la reconnaissance des hydrocarbures comme patrimoine de l’Etat bolivien et la convocation d’une telle assemblée constituante. Face à ces revendications, le gouvernement de Gonzalo Sanchez de Lozada n’avait offert comme seule réponse qu’une répression sanglante qui ne s’est terminée qu’avec sa démission et sa fuite du pays.

Pourquoi une assemblée constituante ?

La revendication d’une assemblée constituante a commencé à se dessiner au cours des mobilisations de l’année 2000, sous le gouvernement de Hugo Banzer. Cette exigence est née au sein des secteurs populaires en tant que réponse à l’application du modèle néolibéral qui a aggravé la misère en bradant les ressources naturelles et l’appareil productif du pays au profit des multinationales. Les secteurs qui soutenaient cette demande exigeaient une modification radicale de la Constitution, avec l’objectif d’établir une nouvelle structure étatique qui garantisse la satisfaction des besoins sociaux du peuple.

Cet appel à la convocation d’une assemblée constituante a rapidement trouvé un écho dans beaucoup de secteurs populaires. En juin 2002, peu avant la fin du mandat de Jorge Quiroga, qui avait succédé à Banzer au cours de la dernière année de ce gouvernement, une marche indigène avait parcouru le pays depuis Santa Cruz jusqu’à La Paz avec comme unique mot d’ordre la demande d’une assemblée constituante. A quelques jours de la fin de leurs mandats, les partis au pouvoir avaient signé un accord avec les marcheurs afin d’inclure cette revendication dans la Loi de Nécessité de Réforme de la Constitution. Mais, comme tant de fois par le passé, ils n’ont pas respecté leurs engagements et ont approuvé cette loi sans inclure la question de la Constituante.

Un tel déni a eu comme conséquence importante de sensibiliser également la classe moyenne. Lorsque Sanchez de Lozada entre en fonction, la Constituante était devenue l’une des thématiques les plus exigées d’entre toutes. En janvier 2003, déjà, Goni (surnom de Sanchez de Lozada) avait affronté une mobilisation des secteurs paysans qui ne luttaient nullement pour leurs intérêts particuliers mais bien pour ceux de la nation : retour au bénéfice du pays des ressources naturelles et convocation d’une Constituante.

Les sanglantes journées de février et d’octobre 2003 ont fait qu’il est désormais impossible de nier ces deux exigences. Goni et ses principaux collaborateurs ont fui le pays et le nouveau président a annoncé, dans son discours d’intronisation, qu’il respecterait le mandat populaire.

La Constituante est un processus

Incorporée à la Constitution politique de l’Etat (CPE), l’assemblée constituante peut être convoquée dans un futur proche. Le texte constitutionnel précise qu’elle sera appelée via une loi approuvée par le Congrès national à laquelle le président ne peut opposer son véto. La loi de convocation précisera le nombre de constituants, la manière dont ils seront élus et, sans doute, la durée de leur fonction.

Dans l’exercice d’une démocratie participative qui sera ainsi initiée, on rédigera cette loi en tant que conclusion d’un processus de séminaires, ateliers, consultations, enquêtes, qui devront se faire dans tout le pays.

Il y a de nombreuses propositions concernant principalement la forme de l’élection des constituants. Elles vont de la désignation corporative jusqu’à l’élection d’un nombre égal de représentants dans chacun des 9 départements, sans tenir compte du nombre de leurs habitants. Le plus probable, sans doute, est que l’on procédera à une élection qui garantisse une représentation adéquate des différents secteurs de la société et des différentes régions du pays. Avec cette méthode, la réforme constitutionnelle supprime le monopole des partis politiques pour que les regroupements citoyens des villes et de la campagne puissent directement présenter leurs candidats.
Quant au nombre de constituants, certains souhaitent qu’il soit le plus réduit possible en argumentant que de cette façon l’assemblée aura l’efficacité adéquate. D’autres, au contraire, préfèrent une représentation plus nombreuse qui garantisse la présence de tous les secteurs. Il faudra trouver un juste milieu qui puisse rendre possible une représentation sociale et régionale satisfaisante sans être massive.

Refonder le pays

Convoquer une assemblée constituante afin de seulement élargir les droits citoyens et perfectionner l’appareil d’Etat serait quelque chose de superflu. Pour ce faire, il suffit d’une réforme partielle de la Constitution politique de l’Etat. La Constituante aura au contraire la mission de donner une nouvelle charte fondatrice au pays. L’actuelle constitution a un profil clairement libéral : droits et devoirs des individus, structure classique de l’Etat, garantie de la propriété privée, etc. Les processus populaires des 70 dernières années y ont ajouté quelques conquêtes sociales : droits syndicaux, protection des parcelles paysannes, et, plus récemment, la reconnaissance du caractère multiculturel et multilingue de notre société.

Depuis 1985, l’imposition du modèle néolibéral a fait que ces conquêtes sociales ont été piétinées par les gouvernements successifs. Ainsi, les ressources naturelles ont été offertes aux multinationales. Les syndicats ne sont pas reconnus par les patrons. Les grèves sont automatiquement déclarées illégales par le Ministère du Travail. La parcelle paysanne n’a aucune protection. Même les droits fondamentaux de la personne, comme le droit au travail, n’ont aucune valeur dans les faits.

Mais comme nous l’avons dit, il ne s’agit pas seulement de restituer ou de consolider ces droits. La nouvelle Constitution politique de l’Etat doit inclure, pour la première fois dans l’histoire de la Bolivie, les conceptions, les us et coutumes, la culture même, des peuples indigènes qui composent la majorité de notre société. Et le premier élément de ces concepts est la récupération de la structure productive du pays qui a été détruite afin de laisser libre champ au modèle colonial. L’Etat doit se constituer en promoteur de la production nationale avec un gouvernement organisé de telle sorte que tous ses mécanismes contribuent à ce processus. La législation devra s’élaborer dans une assemblée législative réellement représentative de la société et soumise à son contrôle. La justice devra être rendue par des tribunaux qui devront être responsables devant la société. Telle est l’ampleur de la tâche qui attend

Source : ALAI - Agencia Latinoamericana de Información, 24-02-04.
Traduction : Ataulfo Riera, pour RISAL