Jan Malewski, rédacteur d’Inprecor et membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale, a assisté à ce congrès du Mouvement socialiste Vperiod.
Réuni à Moscou le premier week-end de février, le troisième congrès du Mouvement socialiste Vperiod (En avant) témoignait du renforcement de ce petit groupe de la gauche anticapitaliste russe. Présence dans une dizaine de villes, dont deux implantations nouvelles, disposant de nombreux contacts dont témoignait l’assistance au congrès de groupes extérieurs invités (provenant des jeunesses communistes et des jeunes sociaux-démocrates, prenant part au débat et déclarant avoir beaucoup appris à l’issue du congrès) ainsi que celle de militants syndicalistes, témoignant de leur expérience de lutte et ouverts à la réflexion tant politique qu’organisationnelle du congrès.
Si seuls les délégués mandatés prenaient part aux votes, plus de soixante-dix personnes ont pris part au moins à une partie de la discussion, dont un bon nombre sont intervenus dans le débat et plus nombreux encore étaient ceux qui, n’osant pas parler dans la salle, se rattrapaient dans les discussions informelles lors des pauses cigarette ou des repas collectifs.
Fait significatif, la présence de plusieurs intellectuels de gauche, venus saluer le congrès mais aussi écouter la discussion et découvrir la nouvelle génération militante. Dans un salut très chaleureux, et après avoir expliqué les effets de la crise financière internationale sur la Russie (les banques et les trust russes sont fortement touchés par la restriction des crédits), Boris Kagarlitsky a souligné qu’en Russie un immense vide existait à gauche et que si Vperiod ne pouvait pas prétendre à le combler immédiatement, l’existence d’un tel noyau de jeunes cadres était essentielle pour tous ceux qui aspiraient à reprendre la voie du socialisme. Car la grande majorité des militants et des militantes (moins nombreuses cependant) de Vperiod sont jeunes, en général venus à l’activité politique seulement au XXIe siècle. Et si le groupe se revendique de la tradition trotskiste, certains de ses membres ont fait leurs premiers pas au sein du Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF) ou dans la mouvance anarchiste. Ces cultures politiques diverses enrichissaient la discussion.
Situation politique
Introduisant la discussion sur la situation politique en Russie, Ilya Boudraitskis a insisté sur la marginalisation de toutes les forces politiques néolibérales « traditionnelles » — une tradition qui ne plonge pas au-delà de la décennie précédente ! —, effet de la politique poutinienne de stabilisation de la restauration capitaliste en Russie, autour d’un appareil d’État fort et d’un parti, Russie unie, assis sur cet appareil. En vue de l’élection présidentielle la classe dominante s’est consolidée autour du candidat mis en avant par Poutine, Dmitri Anatolievitch Medvedev. Les autres partis bourgeois, structures élitistes sans base de masse, se sont effondrés. La scène politique russe ressemble donc à une table rase, les électeurs se détournent massivement de la politique institutionnelle et les contradictions politiques se déplacent vers les conflits sociaux. En témoigne le fort impact des grèves, pourtant isolées, mais souvent dures et combatives, qui ont eu lieu au cours de l’année précédente, à Avtovaz de Togliattigrad, à Ford près de Saint-Pétersbourg, ou dans l’immense cimenterie Mikhailovcement…
Face à cette évolution la petite gauche de Russie oscille entre deux stratégies : celle d’un conservatisme de terrain et d’une propagande largement abstraite d’une part, et celle d’une dissolution dans les mouvements sociaux qui rend les petits groupes politiques invisibles. Les militants de Vperiod se proposent d’éviter ces deux écueils. Ils veulent construire une organisation connectée et impliquée dans la lutte de classes, présente dans les grèves et prenant en charge la solidarité avec les grévistes, une organisation de cadres au service du mouvement ouvrier, qui reste largement à construire.
Construire le mouvement ouvrier
C’est autour de cette construction du mouvement ouvrier, et en premier lieu des syndicats, que tournait la seconde discussion du congrès. En l’introduisant, Maria Kurzina a insisté sur le fait que le mouvement syndical russe était actuellement divisé entre les syndicats militants — qui prennent en charge les revendications immédiates des travailleurs et peuvent aller jusqu’à les mobiliser et à organiser des grèves — et les syndicats non-militants, dont les dirigeants sont des intermédiaires entre les salariés et le patronat, enlisés dans le « partenariat social ». Cette division-là, présente en particulier à la base des syndicats officiels, est plus importante que celle entre les syndicats alternatifs, encore peu implantés, et les syndicats officiels qui restent dominants.
Si les militants de Vperiod privilégient le travail en commun avec la Confédération pan-russe du travail (VKT), le plus important des regroupements de syndicats alternatifs, ils ne doivent pas tourner le dos aux structures d’entreprise des syndicats officiels, souvent les seules présentes, lorsque ceux qui les animent ont des velléités de défendre les intérêts des salariés. Le débat qui a suivi indiquait les grandes différences d’expérience des militants présents. Car, si l’on notait, parmi les invités, la présence du dirigeant de la grève de Mikhailovcement (VKT) ainsi que celle de représentants de l’Union syndicale Zachtchita Trouda et du nouveau syndicat de l’usine Renault de Moscou et, parmi les délégués, de plusieurs organisateurs permanents des syndicats et des jeunes militants qui ont animé la campagne de solidarité avec la grande grève de l’usine Ford, d’autres — surtout étudiants ou jeunes travailleurs — découvraient là le syndicalisme.
La décision de faire des militants de Vperiod des organisateurs des syndicats et de diffuser massivement des tracts expliquant ce qu’est et comment peut fonctionner un syndicat, est donc en partie un choix volontariste. Et certains militants, pourtant fort convaincus de la centralité de la classe ouvrière, mettront sans doute du temps pour apprendre à mettre en pratique leur conviction abstraite. Cela d’autant plus qu’une telle activité n’est pas à l’abri de la répression : deux semaines après le congrès un jeune militant du mouvement socialiste Vperiod de Samara (sud de la Russie) en a fait l’expérience : arrêté chez lui par la police et amené dans les bureaux du Département de lutte contre le crime organisé (également responsable de la lutte contre « l’extrémisme politique », Anton Turin a été forcé de signer un papier promettant qu’il « ne prendra pas part aux activités extrémistes et criminelles durant la campagne pour l’élection présidentielle ». La diffusion de tracts expliquant pourquoi les salariés ont intérêt à se syndiquer relève visiblement aux yeux de la police d’État d’activités « extrémistes et criminelles »…
Comment s’organiser
La seconde journée du congrès fut consacrée au débat organisationnel. Comment s’organiser, alors que peu de traditions organisationnelles font partie de la culture politique dominante et que les groupes, souvent restreints, peuvent aisément se transformer en cercles amicaux, peu aptes à intégrer de nouveaux venus ? Comment améliorer le journal, qui, fait avec peu de moyens matériels et humains, était fortement critiqué ? Comment garantir que le site web de Vperiod — principale vitrine et source d’informations et analyses — ne soit pas « trop moscovite », alors que la répartition des cadres politiques est inégale et que l’accès à l’ordinateur n’est pas à la portée de tous ?
Ce fut un débat vivant, critique et autocritique, parfois passionné. En conclusion le congrès a adopté l’établissement d’une cotisation mensuelle pour tous les membres (auparavant plusieurs groupes locaux n’avaient pas de finances régulières) et la production régulière des comptes rendus des réunions des sections, qui seront mis en circulation pour assurer plus d’homogénéité politique au sein d’une organisation qui pour être petite, couvre une grande zone géographique. Un exécutif et un conseil de représentants régionaux ont été également élus.
Enfin le congrès s’est penché sur les rapports internationaux de Vperiod, après un rapport présenté par le camarade Nikolai. Actifs dans le mouvements altermondialiste, ayant pris part à des manifestations internationales (Rostock) et à des Forum sociaux (Paris, Londres, Athènes), les militants de Vperiod, internationalistes convaincus (1), mais aussi conscients de leur isolement et de leur manque d’expérience, sont à la recherche de liens internationaux. Ils sont aussi méfiants — de nombreux regroupements internationaux se réclamant de la tradition trotskiste ont en effet tenté de construire des groupes en Russie, y envoyant des permanents et n’hésitant pas à soumettre les militants russes recrutés à leur discipline importée… Certains militants de Vperiod ont été membres du Comité pour une Internationale Ouvrière, dont le représentant britannique à Moscou semble avoir une conception particulièrement dirigiste de la démocratie interne (2).
Après avoir rencontré divers regroupements internationaux, discuté avec le dirigeant de la LCR, Alain Krivine, lors de leur congrès précédent, participé l’an dernier à la réunion du Comité international de la IVe Internationale et visité diverses organisations de cette dernière, les militants de Vperiod avaient invité à ce congrès un représentant de la LCR et de l’Internationale. Sollicité à intervenir, ce dernier a rapidement présenté la situation internationale, insisté sur la dégénérescence des organisations dominantes du mouvement ouvrier et l’espace qui apparaît pour la construction de nouveaux partis anticapitalistes et résumé les expériences et les débats sur ce thème au sein de la IVe Internationale. Il a proposé à Vperiod d’y participer en tant qu’observateur permanent dans les instances de la IVe Internationale, tout en l’encourageant à ne pas limiter ses relations internationales. Après un débat animé, le congrès a voté en faveur du statut d’observateur permanent par 78,5 % des mandats contre 21,5 %.
Écrasé par le stalinisme puis terrassé par son effondrement et la brutalité de la restauration du capitalisme, le mouvement ouvrier en Russie commence à se reconstruire. C’est avant tout à travers les lutte collectives des salariés et le renouveau du syndicalisme que passe actuellement cette reconstruction. Parmi ceux qui se réclament des traditions de la gauche, le très bureaucratique KPRF, en déclin, reste encore dominant. Souvent faute d’alternative, il continue à attirer les jeunes rebelles. Le développement de Vperiod peut participer à l’apparition d’une telle alternative, contribuant ainsi au renouveau de la gauche et du mouvement ouvrier en Russie.
Notes
1. Notons la présence à ce congrès d’un militant du Kazakhstan ainsi que deux délégués de l’Organisation marxiste d’Ukraine. Dans leur salut au congrès, ces derniers ont présenté les difficultés qu’avait connues leur organisation très plurielle, fondée l’an dernier et mentionné la rupture de la plus stalinienne de ses composantes, qui après avoir privilégié le débat interne sur l’activité extérieure, a décidé de quitter l’organisation. L’OM publie un bimestriel : Robitnitcha Solidarnist (Solidarité ouvrière). Inprecor a publié un compte-rendu de la fondation de l’OM dans son n° 526-527 d’avril-mai 2007.
2. Le Comité pour une Internationale Ouvrière est un regroupement international autour du Socialist Party (issu de la majorité de l’ex-tendance Militant) de Grande-Bretagne, qui a fait l’effort d’envoyer dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale des militants en vue d’y construire ses sections.