En ce 25 octobre 2003, des dizaines de milliers de femmes et d’hommes manifestent aux Etats-Unis. Ils exigent que « Les troupes rentrent à la maison ». Ils expriment leur opposition à la politique conduite par l’administration Bush : une politique de guerre, d’occupation de l’Irak, de main basse sur l’Afghanistan ainsi que de soutien à Sharon dans son úuvre d’incarcération et de massacre du peuple Palestinien.
Les visages d’une politique impérialiste
Six mois après que l’administration Bush et que son auxiliaire le social-démocrate Blair ont proclamé la fin de la guerre, un bilan peut-être tiré.
• Cette guerre " qui suivait un embargo meurtrier de plus de dix ans, présidé par l’ONU " a été déclenchée contre un des plus vastes mouvements populaires de protestation international de l’histoire. Dans un très grand nombre de pays, au Sud comme au Nord, une majorité de citoyens se prononçait contre la guerre.L’administration Bush n’y a pas prêté garde. Elle a obéi à ses mandants : les grandes sociétés de l’armement américaines, les géants du pétrole ou de la construction.
• La résolution 1151 du Conseil de sécurité de l’ONU, votée le 16 octobre 2003 à l’unanimité, démontre, une fois de plus, que les puissances impérialistes de l’Europe participent à la légitimation de la guerre et de l’occupation de l’Irak. Sans même parler de ceux (Italie, Espagne...) qui y envoient des soldats. Alors que l’Allemagne et la France déchargent, en partie, les Etats-Unis de leurs tâches militaires en Afghanistan.Le débat continue sur les modalités de partage des dépouilles du pays qui détient les réserves pétrolières les plus importantes du monde (en fait, plus que l’Arabie Saoudite), et qui ne sont encore que très peu exploitées. Au fond, les gouvernements français et allemand veulent être certains qu’un investissement (une « aide à la reconstruction ») va rapporter, à coup sûr, des bénéfices à leurs firmes pétrolières, de construction et à leur influence dans cette région décisive du monde. Elles négocient cela avec Bush, au moment où les milliards de dollars qui devaient provenir des ventes de pétrole irakien se font attendre, car l’occupation américaine est vivement combattue. Au-delà de ces différends, l’accord existe donc entre les classes dominantes des Etats-Unis, de la France, de l’Allemagne et de tous les pays impérialistes sur la « nécessité absolue de stabiliser l’Irak et de contrôler la région ».
• La résolution 1151 prévoit la création d’une force multinationale sous commandement unifié américain « pour participer à la stabilisation du pays ». Elle demande aux Etats membres de l’ONU et aux institutions financières [Banque Mondiale] « de renforcer leurs efforts [...] en vue d’aider le peuple irakien à reconstruire et à redévelopper l’économie du pays ». On peut résumer ainsi ce qu’un diplomate américain disait (The Wall Street Journal) pour justifier l’appel à débourser faite à la Conférence de Madrid du 24 octobre par les Etats-Unis : les « pays donateurs » doivent être présents vite, pour être déjà sur le terrain quand le pays recommencera à fonctionner. Même les banques s’alignent pour accaparer le secteur bancaire qui, comme les autres, sera privatisé (Financial Times, 23 octobre 2003).Occupation et colonisation vont de paire. Dès lors, qui peut encore douter du caractère d’instrument de l’impérialisme que représente le Conseil de sécurité de l’ONU ? Ou, dit autrement : l’ONU doit donner un « visage humain » au pillage des richesses d’un pays et mettre en place des institutions qui permettent de masquer la violence d’une domination trop directe.
• Les traits de l’occupation impérialiste font penser aux pratiques du XIXe siècle : gouvernement fantoche, « hommes d’affaires véreux » partenaires juniors des autorités d’occupation et du proconsul Paul Bremer III, alliance avec des chefs de tribus peu « démocrates », recyclage de policiers parmi les plus cruels de la dictature de Saddam Hussein. A ce propos, un chômeur de Bagdad confie à un journaliste : « Sous Saddam, ils [les policiers] nous traitaient comme des chiens. Aujourd’hui, c’est pareil. Regardez Taher Ibrahim al-Habbouch, il a dirigé la Sécurité générale et les Moukhabarat [police politique] et maintenant les Américains l’ont nommé à la tête de la Sécurité civile. » (Libération, 2 octobre 2003). Les soucis « démocratiques » des occupants ne peuvent être mieux démasqués.
• Les armes de destruction massive (ADM), prétexte pour déclencher la guerre, n’ont toujours pas été trouvées, malgré la présence de 1500 « experts » étatsuniens placés sous haute surveillance du Pentagone. Le chef du « groupe d’inspection en Irak » (ISG), David Kay s’est vu obligé, devant le Congrès américain, d’avouer : « Nous n’avons pas encore trouvé à ce jour d’armes de destruction massive. » Par contre, la destruction massive de la population continue : 76 % de la population active est au chômage, dans un pays où les trois quarts de la population vivent dans des villes. Les biens les plus élémentaires font défaut pour la très large majorité des 26 millions d’habitants.Pendant ce temps, comme le décrit avec morgue l’hebdomadaire de la City britannique The Economist : « Toute cette grandeur, à Bagdad et dans les palaces des autres villes, où les nouveaux dirigeants américains vivent derrière des défenses de béton, rend difficile le contact entre les nouveaux occupants et les habitants.
•Derrière leurs fils de fer barbelés, les Américains vivent dans un monde américain virtuel, manifestant souvent une paranoïa face au monde extérieur. ». (25 octobre 2003) The Economist fait remarquer que si Bremer dénonce les milliards dépensés par le tyran Saddam Hussein pour construire ses palais, l’administration civile américaine se garde bien d’informer sur les dépenses effectuées pour réparer ces palais, encore mieux fortifiées. Un proconsul américain chérit plus les palaces que le droit d’un peuple irakien " ignoré " à l’autodétermination. Et l’ancien allié des Etats-Unis et de la France, Saddam Hussein, planqué, ne s’en étonne certainement pas.
Contre l’impérialisme, pour le droit à l’autodétermination du peuple irakien
Le terme « bourbier » revient régulièrement dans la presse. Et cela non pas pour désigner la boue de mensonges qui ont été assénés afin de justifier la guerre. Cette formule - bourbier - traduit simplement un fait : comme les Soviétiques en Afghanistan, les troupes d’occupation de la coalition américano-britannique font face à une véritable résistance nationale dont les expressions politiques et idéologiques sont diverses.
• Face à cette résistance nationale, de plus en plus diffuse, les débats publics s’accentuent aux Etats-Unis. Des illusions peuvent se répandre dans le mouvement international contre l’occupation sur les « bonnes intentions » de candidats démocrates aux futures élections présidentielles américaines. Il faut avoir à la mémoire qu’il y a un an, le Parti démocrate américain
– avec lequel la social-démocratie européenne se sent tant d’affinités - a donné les pleins pouvoirs à Bush pour déclencher la guerre. Il a voté la première tranche de 79 milliards de dollars pour la conquête de l’Irak. C’est une alliance entre Démocrates et Républicains qui vient encore d’accepter 87 milliards de dollars, par 87 voix contre 12 au Sénat (« notre » Conseil des Etats) et par 303 contre 105 à la Chambre de représentants (« notre » Conseil National). Ces deux partis défendent les intérêts des grands groupes économiques qui sont les supports de l’impérialisme américain.
• Le mouvement contre la guerre et l’occupation se doit de défendre le droit à l’autodétermination du peuple irakien, comme celui de tous les peuples opprimés. Les classes dominantes des puissances impérialistes - les Etats-Unis, les pays d’Europe (parmi lesquels la Suisse), le Japon… - n’ont aucune qualité pour donner des « leçons de démocratie » au peuple d’Irak et à ceux de toute la région. Elles ont participé au pillage depuis des siècles des richesses de cette partie du monde. Elles ont multipliéles massacres de populations qui résistaient. Elles ont montré, au cours des XIXe et XXe siècles, leur mépris pour la démocratie.Elles ont soutenu et soutiennent, à leur convenance, les régimes les plus autoritaires et répressifs de la région (depuis le Chah d’Iran, en passant par Saddam Hussein ou l’Arabie Saoudite).Aujourd’hui même, les troupes américaines arrêtent, sans preuve aucune, et traitent avec une extrême brutalité des Irakiens. A tel point que le quotidien pro-Bremer, The Wall Street Journal, doit titrer en première : « Le système de détention américain en Iraq affaiblit le soutien de la population locale » (16 septembre 2003).
• Avec des différences de formes, c’est aux mêmes sources économiques et sociales que puise la violence avec laquelle les dominants impériaux traitent une population colonisée et des salarié·e·s licencié·e·s dans les pays développés (en Suisse, en Allemagne ou aux Etats-Unis).
• Notre soutien va donc à la résistance en Irak, même si l’on ne partage pas certaines de ses formes d’action. Car, aucun doute n’est permis sur un fait : plus la classe dominante des Etats-Unis maintient son emprise sur l’Irak, plus l’administration Bush et ses semblables seront renforcées dans leur politique guerrière, dans leur soutien à la répression contre les luttes populaires dans le monde (en Bolivie comme au Venezuela), dans leur politique de « guerre sociale » contre la majorité salariée aux Etats-Unis et ailleurs. Et ce n’est pas un hasard si Pascal Couchepin, qui symbolise la politique antisociale en Suisse, a manifesté à Evian (lors du G8) ses qualités de larbin admiratif face à Bush.
• L’ONU et sa direction, les gouvernements membres permanents du Conseil de Sécurité, ne sont pas une « force de paix ». L’ONU vient de ratifier l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis. Il appartient au peuple irakien, dans le cadre d’une Assemblée populaire constituante, de se doter des institutions qui lui permettent de choisir son avenir. Dans ce cadre, le mouvement contre l’occupation impérialiste de l’Irak se doit d’appuyer toutes les initiatives qui renforcent les revendications émancipatrices de la population.
• Le mouvement contre l’occupation de l’Irak, pour le droit à l’autodétermination du peuple Palestinien se doit d’expliquer, sur la durée, le sens de la politique impérialiste. Cette dernière fait un tout. S’attaquer, ici, en Suisse ou aux Etats-Unis, aux conditions de travail ou aux retraites de salarié·e·s, à la formation des jeunes,ou encore développer des politiques xénophobes contre les « travailleurs clandestins » sont des facettes d’une politique plus large.Cet ensemble de politiques vise à accroître et renforcer le pouvoir économique et politique d’une minorité. dans les pays du centre comme de la périphérie.
Berne 25 octobre 2003.
(tiré de A l’encontre)