En décembre 2002, le président G. W. Bush lançait officiellement un projet de défense antimissile (BAM) de grande envergure. Aujourd’hui même, le bouclier antimissile se concrétise sur plusieurs continents. L’annonce de G. W. Bush n’était pas une nouveauté. En effet, Ronald Reagan caressait le rêve d’une version grandeur nature de la guerre des étoiles. C’est ainsi qu’il dota les États-Unis d’une agence de recherche militaire redoutable, la Missile Defense Agency (MDA). Depuis le rêve reaganien, il y a donc continuité des différentes administrations américaines pour s’assurer un accès militaire exclusif de l’espace. Pour ce faire, les États-Unis ont dû, dans un premier temps, déchirer le traité ABM (1972) qui les obligeait, en compagnie des Russes, à limiter leur système de défense antimissile. Ce traité visait à limiter le développement des technologies nucléaires militaires des deux super puissances. Le système antimissile américain consiste à placer sur la surface de la planète, donc sur terre sur mer et dans l’espace, une multitude d’intercepteurs de fusées balistiques que des pays pourraient lancer en direction du territoire états-unien. Le but du bouclier est d’utiliser un missile pour anéantir un autre missile. Les Américains veulent intercepter l’objet ennemi loin de leur territoire, c’est-à-dire lors de la phase de propulsion. Un 1er système opérationnel est en place depuis cet automne avec six intercepteurs en Alaska et en Californie. Quarante autres seront installés en 2005. De nombreux pays ont déjà signé un accord sur le BAM avec les États-Unis : le Royaume-Uni, le Danemark, l’Australie, le Japon, et alors ....
Où se situe le Canada ?
Plusieurs documents du département de la Défense nationale et du ministère des Affaires étrangères, montrent le penchant du gouvernement pour ce système antimissile. Selon différents ministres, la défense notre souveraineté exige que nous nous rallions au BAM. Pourtant, si on y réfléchit bien, la véritable souveraineté est celle de la population canadienne tout entière qui se serait clairement exprimée ! Souvent, ces mêmes ministres tentent de minimiser la portée réelle d’une implication canadienne. Ce projet de bouclier s’inscrirait simplement dans l’évolution naturelle d’une longue collaboration militaire avec les Américains. Comme si cela ne portait pas à conséquence pour la paix dans le monde... Aussi, le Premier Ministre affirme que ce projet exclut toute militarisation de l’espace. En août 2004, les gouvernements canadien et américain ont amendé la mission du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), une organisation binationale de surveillance aérienne, pour que celle-ci s’arrime au dispositif antimissile des États-Unis. Déjà, cet accord représente pour les États-Unis la caution morale du Canada qu’ils recherchaient. Prochainement, le Canada sera appelé à se prononcer sur une participation pleine et entière au BAM. Et les citoyens que doivent- ils penser du bouclier ?
De bonnes raisons de refuser le bouclier.
La course aux armements est relancée.
L’argument du gouvernement selon lequel le système antimissile n’implique pas une militarisation de l’espace est mensonger. Lors du lancement du projet en décembre 2002, le président Bush expliquait que le bouclier est évolutif au gré des innovations technologiques. L’état-major américain affiche ouvertement son option pour une militarisation de l’espace à grande échelle. Si le projet actuel ne comporte pas de missile embarqué sur satellite, comment expliquer que des recherches à grand renfort de milliards $ aillent bon train dans ce domaine ? Déjà, la MDA développe un système de destruction de missile par faisceaux lasers, le Space Based Laser (SBL), qui comportera 24 prototypes dans l’espace en 2012. En novembre 2004, la MDA annonçait la mise au point de ce laser ultra puissant ; dans un avenir très proche il sera monté sur un Boeing 747 pour des tests d’interception de missiles au dessus du Pacifique. Il est clair que le projet antimissile en est un de soutien au complexe militaro-industriel américain. Cela serait là son moindre défaut (...) car, on redoute que les États-Unis utilisent ce dispositif dans des opérations « préventives », donc offensives. L’état-major américain affirme déjà que le SBL pourra servir à refuser l’espace aux autres, à détruire des satellites suspects ou des cibles terrestres. Puisque le bouclier est considéré comme une menace par plusieurs pays, il est en train de relancer la course aux armements. Déjà, la Chine a l’intention d’augmenter son arsenal de missiles et la Russie vient d’annoncer la mise point une toute nouvelle génération de fusées nucléaires qui, selon les spécialistes, seraient capables de déjouer n’importe quel bouclier. On le voit, le BAM met en péril les traités START I (1993) et II (2001) de limitation des armes nucléaires. Une contribution au BAM contredirait l’adhésion du Canada au traité des Nations Unies sur l’espace extra-atmosphérique (Outer Space Treaty, 1967). Ce traité est très clair : il oblige les signataires à utiliser pacifiquement l’espace pour le bien de l’humanité, la paix et la compréhension internationale. En conséquence, la mise en orbite d’armes est strictement prohibée ainsi que toute appropriation d’une quelconque souveraineté sur l’espace. Avec le bouclier, est-ce ainsi que l’on souhaite instaurer la paix sur la Terre ? En s’armant jusqu’aux dents, en faisant de la surenchère de technologies meurtrières ?
Des coûts énormes aux dépens de la solidarité.
Le bouclier antimissile est un gouffre financier sans fond. Le budget américain initial 2003-2007 pour le BAM est de 56 milliards $, mais certains analystes prédisent une explosion des coûts jusqu’à 200 milliards $ ou plus. Un officier militaire a affirmé en 2003 que le Département de la Défense nationale canadienne aurait déjà alloué 500 millions $ dans une réserve au cas où le gouvernement déciderait de se joindre au BAM. L’arrimage de NORAD au BAM coûtera rien de moins que 300 millions $/an. En adhérant au BAM, le Canada aurait donc à débourser immédiatement quelques 800 millions $. Doit-on accepter le détournement d’énormes ressources collectives qu’entraînerait la décision de participer au bouclier, alors que les besoins en matière de santé, d’éducation, de lutte à la pauvreté et à l’injustice sont criants. Et si la véritable sécurité passait par le respect des droits humains les plus fondamentaux, une distribution plus équitable des richesses et un monde plus juste ? N’est-ce pas là le type de société que nous voulons, pour nous et nos enfants ?
Un projet techniquement non viable.
De très nombreuses voix mettent en doute l’efficacité du dispositif antimissile. Sur le plan stratégique, on se demande si les attaques par missile constituent une véritable menace. À ce que l’on sache, les terroristes n‘ont pas besoin d’une technologie si sophistiquée pour accomplir leur forfait. De plus, de nombreux scientifiques se questionnent sur la pertinence technique du dispositif. Selon une étude très fouillée du American Physical Society, une association professionnelle de physiciens, il faudrait répartir plus d’un millier d’intercepteurs en orbite autour de la Terre pour détruire les missiles avec une probabilité significative. Le même rapport conclut que la défense antimissile par des intercepteurs terrestres est absolument vaine, car ces derniers doivent être déclenchés dans un délai de 2 minutes et à moins de 500 km du site de lancement du missile ennemi. Quant aux faisceaux laser, leur rayon d’action n’est de quelques centaines de kilomètres. Les essais effectués jusqu’à présent ont un taux de réussite de 50% seulement alors que les ingénieurs connaissaient tout des caractéristiques physiques l’objet à détruire (trajectoire, vitesse). Malgré ces limites techniques fondamentales, Washington favorise la fuite en avant avec, la multiplication des sites de lancement sur terre et sur mer, et la poursuite de programmes de militarisation de l’espace et de guerre laser.
Une atteinte à la démocratie.
La chambre des Communes s’apprête à débattre de la participation éventuelle du Canada au bouclier antimissile. On peut redouter un déni de la démocratie avec cette procédure. En effet, les députéEs pourraient voter majoritairement en faveur du bouclier en faisant fi de l’opinion de la population canadienne, ou bien, quand bien même le vote refléterait l’opinion des CanadienNes, le gouvernement pourrait utiliser ses « prérogatives » pour adhérer à cette nouvelle guerre des étoiles. La légitimité de la décision du gouvernement risque donc d’être très mince dans ce dossier. Une vaste enquête publiée en novembre 2004 par CROP-Environics indique 52% des citoyenNes sont opposés à la participation du Canada au bouclier. Le Québec se distingue par une opposition bien plus nette : 65% des QuébécoiSEs seraient contre le projet.
Comment agir ? Comment se faire entendre ?
La forte réticence de la population à l’égard du bouclier s’exprime par une grande variété d’initiatives individuelles et collectives. De très nombreuses pétitions en ligne circulent et sont très simples à compléter. Ailleurs, on peut télécharger des pétitions à faire signer, des lettres types à envoyer au Premier Ministre. Écrire à son député ou soumettre une lettre d’opinion dans le journal local peut avoir une influence. Il y a quelques semaines, certains députéEs recevaient plus d’une centaine de lettres sur le bouclier ! Signature par signature, cette mobilisation apparemment silencieuse peut faire douter le gouvernement. Ce dernier ne se ralliera peut-être pas à vos arguments, mais il pèsera le danger politique d’une décision dénoncée par tous. Le défi consiste alors à maintenir la pression sur les autorités, à surveiller ses agissements pour que la mesure ne soit pas adoptée par la porte d’en arrière. Des rallyes, des manifestations ont lieu un peu partout au pays pour dissuader le gouvernement. Le jour du débat au Parlement sur le bouclier est une date particulièrement bien choisie pour montrer notre attachement à la démocratie. À Gatineau, cela consistera en une marche débutant à 17h au coin de Maisonneuve et Laurier pour se rendre au Parlement. À Ottawa, il y aura un rallye sur la colline parlementaire à 17h30 avec discours et tintamarre pour tenter de se faire entendre des députéEs ! La date exacte du débat n’est pas connue encore, mais il suffira de suivre l’actualité.
Il n’y a pas de fatalité. Une mauvaise décision du gouvernement, prise avec ou pas l’assentiment des parlementaires, ne signifiera pas pour autant la fin du dossier. Il sera toujours légitime de contester une malheureuse décision du gouvernement jusqu’à ce que les valeurs de paix et de solidarité l’emportent. Nous avions vu juste pour la guerre en Irak, nous voyons clair dans les antimissiles aussi !!
Emmanuel Dupont,
Pour le Rassemblement Outaouais contre la guerre
(www.rocg.ca)