BATOU Jean, BUCLIN Hadrien, NAHORY A, VANEK Pierre, SPILLMANN-ANDREADI Anna
Paru dans le quinzomadaire suisse « solidaritéS » n°164 (05/03/2010), p. 6.
Fin janvier un comité chapeauté par la PDC soleuroise Elvira Bader, l’UDC schwytzois Peter Föhn et la co-présidente du Parti évangélique genevois, Valérie Kasteler-Budde, a lancé une initiative populaire fédérale intitulée : « Financer l’avortement est une affaire privée ». Pour la combattre efficacement, il nous faut défendre un élargissement du droit à l’avortement et à la contraception, mais aussi une assurance maladie plus solidaire.
Les initiant·e·s veulent faire inscrire dans la Constitution fédérale que, « sous réserve de rares exceptions concernant la mère, l’interruption de grossesse et la réduction embryonnaire ne sont pas couvertes par l’assurance obligatoire ». Leur proposition viserait quatre objectifs : renforcer « la liberté de l’individu », décharger l’assurance-maladie obligatoire de « prestations discutables », renforcer les « droits des parents » et faire baisser les primes maladie.
Elvira Bader et Peter Föhn n’en sont pas à leur premier coup d’essai. Le 10 juin 2009, ce tandem avait déposé une motion au Conseil National demandant que l’assurance de base cesse de prendre en charge l’IVG et « la pilule du lendemain ». Même pour le Conseil fédéral, l’adoption de cette motion nous aurait ramené à la situation d’avant la dépénalisation de l’avortement : elle a heureusement été balayée par 104 voix contre 37.
Bousculer l’agenda de la droite traditionnelle
Le comité d’initiative est co-présidé par la soleuroise Elvira Bader (PDC) et la genevoise Valérie Kasteler-Budde (PEV). Il compte une dizaine de membres de l’UDC, dont l’inévitable Oskar Freysinger, quatre du PDC et trois du PEV. Pourtant, le PDC et l’extrême droite sont divisés. Des élu·e·s PDC auraient souhaité que leur parti soit consulté au préalable : pour Reto Wehrli (PDC, Schwytz), l’initiative conduirait à une inégalité entre les femmes qui peuvent se payer une IVG et celles qui n’en ont pas les moyens. Pour Jürg Stahl (UDC, Zurich), ce projet mélange coût et éthique ; des femmes UDC se désolidarisent…
En 2008, il n’y a eu que 10 800 interruptions de grossesse en Suisse, ce qui correspond à 69 femmes en âge de procréer sur 1000 (un taux inférieur à celui des pays voisins). Mais en mettant en cause le droit à l’avortement (0,02 % des coûts de la santé !), l’extrême droite s’efforce de relooker le vieux cheval de bataille de ses initiatives « Oui à la vie » et « Pour la mère et l’enfant ». Comme pour l’interdiction des minarets, elle entend bousculer l’agenda politique de la droite traditionnelle.
« L’interruption de grossesse n’est pas une maladie », nous assène-t-on. Mais le droit à une IVG dans de bonnes conditions fait partie des droits à la santé sexuelle et reproductive reconnus par le Conseils des Droits de l’Homme de l’ONU. Vouloir radier l’IVG de la liste des prestations des caisses est une attaque de plus au principe de solidarité, déjà bien mal défendu par la LAMal. Selon ces milieux bien sûr, les femmes n’ont qu’à prévoir une grossesse non désirée et conclure une assurance complémentaire.
L’IVG est un droit
Nous estimons que le droit de contrôler sa fécondité et, le cas échéant, de pratiquer une IVG dans de bonnes conditions, ne saurait être remis en cause. Ceci d’autant plus qu’une large majorité du corps électoral (72,2 %) s’est prononcée en 2002 en faveur d’une solution des délais, il est vrai relativement timide (12 semaines d’aménorrhée au lieu de 14 en France).
Nous revendiquons au contraire que l’IVG soit accessible à toutes les femmes, en particulier mineures, chômeuses, démunies, migrantes, sans statut légal, etc. En amont, l’information sur les moyens contraceptifs pourrait aussi être améliorée, notamment en direction des femmes immigrées (50 % des IVG en Suisse). La contraception devrait aussi être remboursée intégralement par l’assurance maladie (solidairement par les femmes et les hommes) et mise gratuitement à disposition des femmes non assurées.
Certes, les femmes libérales-radicales ont rejeté cette initiative. Selon leur présidente, Jacqueline de Quattro, il serait erroné de « raviver de vieux démons » sous prétexte d’une réduction des coûts. Le Courrier, La Tribune de Genève, Le Temps et L’Hebdo l’ont aussi dénoncée. Maria Roth-Bernasconi (PS, Genève) dénonce enfin « les fondamentalistes [qui] attaquent un droit fondamental » et veulent que les femmes de condition modeste passent à la caisse…
Passons à l’offensive !
Aujourd’hui, le droit à l’avortement a certainement toujours le soutien d’une large majorité de l’opinion publique, même si des sites internet exposent ad nauseam « les souffrances du fœtus victime d’une IVG », et que des femmes membres du comité déclarent qu’un avortement est pire qu’un viol... Mais cela ne garantit pas l’échec de cette initiative en votation populaire. En effet, le thème de la « responsabilité individuelle » en matière de santé a été constamment mis en avant par les milieux dominants afin de reporter une part croissante des coûts sur les usager·e·s.
Dans tous les cas, il faut prendre au sérieux les forces qui alimentent cette nouvelle croisade et les ressorts politiques sur lesquels elles s’appuient. Toujours à l’affût d’une occasion pour attaquer le droit à l’avortement conquis par 40 ans de lutte, elles fondent leur campagne sur la mise en cause des mécanismes de solidarité élémentaires de l’assurance maladie. Cette initiative scelle ainsi l’alliance entre ultra-conservateurs et néolibéraux de choc.
Nous devons évidemment lui opposer une mobilisation pour la défense du droit des femmes à disposer de leur propre corps. En même temps, il nous faut appeler à l’extension du droit à l’avortement et à la contraception, en partant des problèmes actuels rencontrés par les femmes, en particulier les plus défavorisées. Enfin, ces batailles sont inséparables d’une lutte de longue haleine pour le développement d’une assurance maladie véritablement solidaire.
J. Batou, H. Buclin, A. Nahory, A. Spillmann-Andreadi, M.-E. Tejedor, P. Vanek
BATOU Jean, BUCLIN Hadrien, NAHORY A, VANEK Pierre, SPILLMANN-ANDREADI Anna
* Paru dans le quinzomadaire suisse « solidaritéS » n°164 (05/03/2010), p. 6.