Léonce Aguirre a tout à fait raison de défendre le Forum social européen (FSE) contre les attaques qu’il a dû subir, par exemple de la part de Laurence Caramel dans Le Monde (Rouge n° 1997). On pourrait même aller plus loin et affirmer que si le FSE a constitué une avancée par rapport au Forum social mondial (FSM) de Porto Alegre, c’est précisément parce qu’il est issu d’une convergence fructueuse des mouvements sociaux et des partis de la gauche radicale, par dessus tout le Parti de la refondation communiste (PRC) en Italie, mais aussi la LCR en France et le SWP en Grande-Bretagne. Aguirre défend l’idée que les partis doivent s’investir dans le processus du Forum social, mais pas assez fermement. La tentative - incarnée par la "Chartes des principes" du FSM - d’exclure les partis politiques repose sur la croyance que le mouvement antimondialisation peut être un mouvement "non-idéologique". C’est, en fait, une illusion tout à fait classique que l’on peut décrire, comme étant elle-même idéologique. Tout mouvement de masse implique tôt ou tard des heurts entre des visions du monde différentes, articulant des programmes et des stratégies différentes. Au sein du mouvement antimondialisation, il existe de puissantes forces qui désirent le confiner à la défense de la souveraineté nationale et à la lutte pour le retour à une forme plus régulée du capitalisme. Pour ces forces, l’exclusion formelle des partis sert à créer un vide grâce auquel des politiciens sociaux-libéraux pourront exploiter les forums sociaux, acquérir une crédibilité radicale et récolter des voix - un phénomène qui fut très clair lors du dernier FSM et que les partisans des compromis de Lula avec les marchés financiers vont probablement essayer de réitérer à Porto Alegre à la fin du mois.
Une gauche radicale - révolutionnaire, en fait - qui participe activement et ouvertement au mouvement peut renforcer la dynamique émancipatrice qui est à l’oeuvre de Seattle à Florence, en passant par Gênes. Cette participation n’a pas pour conséquence nécessaire de menacer l’autonomie du mouvement, contrairement à ce qu’Aguirre semble vouloir dire lorsqu’il critique l’intervention du SWP à Florence. Nous sommes profondément attachés à la construction de mouvements de masse unitaires et dotés de la base la plus large possible. De fait, nous avons joué un rôle important dans la construction de la coalition Stop the War, qui regroupe dans ses rangs, aux côtés de l’extrême gauche, des députés et des militants travaillistes, des organisations de la communauté musulmane, des syndicats. Cette coalition s’est avérée capable d’organiser à Londres une manifestation de 400 000 personnes contre la guerre en Irak, le 28 septembre de l’année dernière. Ceci, aux côtés du mouvement italien, a contribué au lancement de la journée internationale d’action contre la guerre du 15 février prochain. L’articulation ouverte et confiante de la politique marxiste révolutionnaire a contribué de façon vitale au développement d’un mouvement anti-impérialiste de masse, mouvement qui a forcé le gouvernement de Tony Blair à adopter une position de plus en plus prudente et défensive vis-à-vis des plans de guerre de George Bush. Ceci constitue une expérience que les camarades en France feraient bien de rappeler au moment où, ensemble, nous travaillons à la construction d’un mouvement européen plus fort contre le capitalisme mondial et contre les guerres qu’il provoque.
Pour le SWP, Alex Callinicos
(traduction : René Cuillierier).
Le point de vue de la LCR
Au niveau de la gauche révolutionnaire européenne, la LCR et le SWP constituent des références significatives, en termes d’orientation comme de pratiques. Confronter les différences ou les divergences existantes, sans polémiques inutiles mais franchement, est donc un exercice salutaire. La LCR et le SWP considèrent le développement du mouvement contre la globalisation capitaliste comme l’événement majeur des dernières années et s’y investissent avec enthousiasme. Le problème soulevé par Callinicos et, plus généralement, par les modes d’intervention du SWP (ou de la LCR) dans le mouvement est double : quelle est la place des partis politiques dans le mouvement ? Comment occuper celle-ci ?
Pour la LCR, l’un des principaux acquis politiques du Forum social européen de Florence est d’avoir fait progresser l’idée que les partis politiques et, pour ce qui nous concerne, les partis politiques révolutionnaires ou anticapitalistes, sont une des composantes à part entière du mouvement. Et que, en définitive, le véritable débat n’est pas entre gauche sociale et gauche politique, entre mouvements et partis. Mais entre gauche radicale et gauche libérale. Cet acquis, qui demeure cependant fragile, est effectivement le produit de convergences entre les aspirations radicales portées par les mouvements sociaux et les interventions des organisations de la gauche révolutionnaire. Il nous paraît donc normal, dans le cadre d’une discussion fraternelle engagée depuis de long mois, de signaler que certaines modalités d’apparition politique - manifestations ostentatoires d’affirmation des organisations révolutionnaires, interventions répétées, etc. - peuvent apparaître pesantes et, à terme, contre-productives. Notre souci n’est pas seulement "pédagogique". Le développement du mouvement antiglobalisation donnera effectivement lieu à des débats entre orientations politiques différentes, ce qui justifie que les révolutionnaires y proposent ouvertement leurs perspectives. Encore faut-il que leurs interventions soient de nature à nourrir un débat respectueux de l’identité propre des mouvements sociaux, de leurs propres modes d’élaboration, de leurs rythmes de débats, de la manière dont s’y effectuent les clarifications politiques à travers l’expérience de l’action collective ! Un débat qui prenne aussi en compte les interrogations, voire les préventions, qui sont fréquentes de la part des militants du mouvement vis-à-vis des organisations politiques.
Un débat, enfin, où les révolutionnaires considèrent qu’ils ont évidemment des idées à défendre et des propositions à présenter pour faire progresser le mouvement. Mais sans exclure qu’ils aient, parfois, à intégrer à leur propre réflexion des idées surgies du mouvement. En un mot, à apprendre du mouvement...
Pour la LCR, Leonce Aguirre et François Duval
Rouge 2003 06/02/2002