Tiré du site du NPA
Nul doute que le dossier à charge du libre-échange est lourd. Surtout depuis qu’il est pratiqué dans les termes voulus par les gouvernements pour être imposés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : élimination par les Etats de tous les obstacles tarifaires (les taxes ou les aides publiques) et non tarifaires (les législations et réglementations fiscales, sociales, sanitaires, environnementales, sur les marchés publics et les investissements) qui entravent la libre concurrence alors qu’aucune norme n’est imposée au secteur privé. Ce libre-échange, tel qu’il sévit depuis la création de l’OMC, réduit à néant la souveraineté des peuples soumise à l’intérêt des firmes transnationales.
Ainsi est légalisé, de fait, le dumping social, fiscal et écologique. La recherche, par les firmes privées, du pays le moins-disant dans ces trois domaines s’accompagne, à l’OMC, de négociations successives pour éliminer, les unes après les autres, les barrières sociales, fiscales et écologiques à la liberté d’établissement et de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Ce qui, dans le quotidien de la vie des gens, se traduit par la délocalisation des entreprises, par le démantèlement du droit du travail, par le pillage des ressources naturelles, par la destruction de la biodiversité, par la privatisation des activités de services, y compris des secteurs dont les gouvernements de droite comme ceux prétendument de gauche avaient juré qu’ils étaient intouchables : l’éducation et la santé.
D’aucuns avancent que la réponse la plus appropriée à ce retour au laisser-faire, laisser passer, cette fois étendu à la planète, serait une dose de protectionnisme. Une réaction qu’on peut comprendre, dans la mesure où la liberté de choisir comment on assure sa sécurité alimentaire, comment on met en œuvre le droit à l’eau potable, à l’éducation, à la santé, au logement, à la culture, au travail, à des moyens de se déplacer, à un environnement sain, relève de la souveraineté populaire et que celle-ci est agressée et bafouée par la logique du libre-échange. Assurer la protection de la souveraineté populaire est sans conteste la plus légitime des intentions. D’autant qu’il est manifeste que la pratique du libre-échange entre pays de niveaux économiques différents constitue une forme nouvelle de colonialisme au profit exclusif, cette fois, des firmes transnationales.
Mais le protectionnisme offre-t-il la garantie que les droits énumérés ci-dessus seront effectivement mis en œuvre ? L’espace protégé, qu’il soit national ou européen, devient-il soudainement un espace libéré en interne des contraintes du marché et de la concurrence ? La protection contre la concurrence extérieure élimine-t-elle la concurrence intérieure et sa logique destructrice ?
De toute façon, ne voit-on pas les deux acteurs les plus agressifs en matière de libre-échange, l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis, recourir au protectionnisme quand leurs entreprises y trouvent un intérêt ? Ne soutiennent-ils pas leur agriculture industrielle à hauteur de 1 milliard de dollars par jour, avec pour conséquence qu’ils maintiennent dans la pauvreté les paysans du reste du monde ? UE et USA demandent que leurs produits manufacturés et leurs produits agricoles, ainsi que leurs entreprises de services pénètrent librement les marchés du reste du monde. Mais, dans le même temps, ils sont à la pointe pour renforcer toujours davantage la législation internationale sur les droits de propriété intellectuelle, c’est-à-dire pour renforcer la protection des brevets détenus à plus de 90% par des firmes occidentales. Cette privatisation des savoirs crée une hiérarchie durable entre l’Occident et le reste du monde et, partout, entre ceux qui peuvent payer et ceux qui ne le peuvent pas.
Libre-échange et protectionnisme sont les instruments d’un même système : le capitalisme qui exploite à la fois les humains et la planète. Limiter le débat sur la sortie de crise à une discussion sur la pertinence de l’un ou l’autre de ces instruments, c’est éviter la question essentielle : la remise en cause du capitalisme pour résoudre à la fois la crise sociale et la crise écologique. Ce qui doit être à l’ordre du jour, c’est : comment mettre fin à la subordination de nos vies à la loi du profit, c’est-à-dire à la logique de l’accumulation dont le libre-échange ou le protectionnisme ne sont que des moyens ? Ou encore : comment passer d’un système fondé sur la valeur d’échange à un système fondé sur la valeur d’usage afin de concilier satisfaction des besoins sociaux et contraintes écologiques ?