LIBAN
tiré de Rouge n° 2253, 22/05/2008
L’échec américain
Entamée le 7 mai, la courte guerre civile aura fait une soixantaine de morts et des centaines de blessés. Le mouvement de désobéissance civile, lancé par l’opposition anti-américaine, aura finalement tourné à l’avantage de celui-ci. Le 9 mai, l’ensemble de Beyrouth-Ouest était tenu par les forces militaires du Hezbollah et de ses alliés.
Si des combats ont persisté au Nord-Liban et dans la montagne druze jusqu’au 15 mai, le gouvernement pro-occidental de Fouad Siniora, s’appuyant sur sa coalition du 14 Mars, n’en aura pas moins plié. Il a abrogé, le 14 mai, les deux décisions considérées par l’opposition et le Hezbollah comme une déclaration de guerre, à savoir le limogeage du responsable de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth, proche du Hezbollah, et le démantèlement du réseau interne de communication de la résistance libanaise (lire Rouge n° 2252).
Il s’agit d’un double échec pour la Maison Blanche et son allié principal dans la région, le royaume saoudien. Ce dernier est, en effet, l’un des principaux soutiens du gouvernement et de sa principale composante, le Courant du futur de Saad Hariri, parti à dominante sunnite largement défait, sur le terrain, par le Hezbollah chiite.
Le premier échec est d’avoir largement surestimé les capacités politiques et militaires de la coalition du 14 Mars. L’opposition n’a pas seulement montré qu’elle pouvait conquérir Beyrouth en 24 heures, elle a également prouvé qu’elle pouvait s’appuyer sur de fortes minorités dans les confessions tenues par la coalition du 14 Mars et le gouvernement, à savoir les druzes et les sunnites. L’hégémonie de Walid Joumblatt, pilier de la coalition du 14 Mars, dans la communauté druze, est aujourd’hui écornée par les partisans druzes de l’opposition, notamment le Parti démocratique libanais de Talal Arslan et le pro-syrien Wiam Wahhab. Dans la communauté sunnite, l’existence de courants nationalistes arabes et islamiques favorables à l’opposition entame de fait l’hégémonie du Courant du futur, même si ce dernier y reste majoritaire. La communauté chrétienne, quand à elle, est verticalement coupée en deux, le Courant patriotique libre (CPL) du général Aoun étant l’une des principales composantes de l’opposition.
Le deuxième échec américano-saoudien est sans doute d’avoir compté sur l’armée libanaise pour s’opposer au Hezbollah, car cette dernière n’a pas soutenu le gouvernement Siniora, refusant de décréter l’état d’urgence.
La stratégie d’endiguement du Hezbollah est donc, pour le moment, un échec. Après la défaite israélienne de l’été 2006, les tentatives d’application de la résolution onusienne 1559 demandant le désarmement du mouvement chiite sont un fiasco total. Si, en tournée au Moyen-Orient, le président Bush a appelé à « s’opposer aux terroristes du Hezbollah, financés par l’Iran », la marge de manœuvre américaine est cependant très étroite, le reste de la communauté internationale n’étant pas favorable, vu le rapport de force, à une intervention militaire au Liban. Les États arabes proches de la Maison Blanche (Jordanie, Égypte) ont, pour le moment, renoncé à l’idée d’une force interarabe au Liban. Et l’Arabie saoudite est maintenant écartée des discussions entre la coalition du 14 Mars et l’opposition, l’Émirat du Quatar assurant les discussions interlibanaises à Doha. Même avec un rapport de force favorable, il n’est cependant pas certain que l’opposition gagne sur sa revendication principale de démission du cabinet Siniora. De nouveaux affrontements militaires, à caractère politico-confessionnels, sont encore possibles. En ce sens, le Parti communiste libanais (PCL) a raison de vouloir « œuvrer dans le sens de tirer cette résistance du marécage dans lequel l’ont poussée les décisions du gouvernement ». Un marécage confessionnel, dont l’opposition et la résistance sortent pour le moment vainqueurs, mais qui pourrait très bien, dans les prochaines semaines, conduire à de nouveaux embourbements.
Nicolas Qualander