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Les partis religieux chiites comblent le vide en Irak du sud

dimanche 27 avril 2003, par Juan Cole

Les partis et les milices religieux chiites, en Irak, ont récemment commencé à occuper le vide résultant de l’effondrement du parti Baas, particulièrement dans les villes lieux saints du chiisme. Ce développement a certainement eu l’effet d’un choc pour le secrétaire adjoint à la défense Paul Wolfowitz, qui, début mars 2003, affirmait préférer comme alliés des Etats-Unis les Irakiens aux Saoudiens, déclarant que les premiers étaient de tendance séculière et que « la très large majorité chiite se différencie des wahhabites de la péninsule arabique et ne manifeste pas la même sensibilité face à l’existence de villes saintes de l’Islam sur leur territoire ». Wolfowitz et d’autres décideurs politiques pro-guerre étaient dans le juste lorsqu’ils pensaient qu’un grand nombre de chiites, allant des classes moyennes éduquées jusqu’aux travailleurs industriels, sont des nationalistes irakiens séculiers. Mais ils étaient dans l’erreur totale lorsqu’ils négligeaient le pouvoir des forces religieuses, et semblaient ignorer la place centrale des lieux saints de Najaf et de Karbala.

La représentation fantaisiste néo-conservatrice (américaine) de l’Irak se heurte aujourd’hui à l’Irak réel, sur le terrain concret des lieux saints des grandes villes comme des plus petites cités que sont la majorité des villes chiites dans le sud du pays. Le public occidental est en train de découvrir que les chiites d’Irak, peut-être unifiés dans leur haine envers le régime baassiste liquidé, ne sont pas aussi unifiés dans leur conception de l’Irak d’après-guerre.

RIVALITÉS À NAJAF

Le principal dirigeant religieux de Najaf - lieu sacré de la sainte figure d’Ali b. Abi Talib, neveu du prophète Mahomet - est le grand ayatollah Ali Sistani, âgé de 73 ans. Né à Mashhed, en Iran, il arriva à Najaf (une ville de 560’000 habitants) en 1952 et s’y installa de façon permanente. Comme la majeure partie des élites religieuses de Najaf, il rejette la théorie de l’ayatollah Ruhollah Khomeini sur le rôle dirigeant du clergé ou sur le « vilayet al faqih » [autorité du guide suprême] - la doctrine par laquelle Khomeini a renversé des siècles de quiétisme [d’insistance sur la perfection religieuse et de non-intervention dans la vie de la cité] parmi le clergé chiite, et qui nourrit la révolution iranienne de 1979. Sistani et ses proches ont également critiqué des atteintes aux droits de l’homme dans l’Iran d’après 1979. Peu après l’entrée des troupes américaines à Najaf le 8 avril 2003, il a été rapporté que Sistani avait fait une déclaration orale invitant les chiites à ne pas gêner les soldats, une déclaration citée avec fougue par Wolfowitz comme étant la « première fatwa pro-américaine » (en réalité, cette déclaration n’avait pas le statut d’une fatwa). La semaine suivante, cependant, Sistani a insisté sur le fait que l’Irak devait être dirigé « par le meilleur de ses enfants ». Son porte-parole, son fils aîné Muhammad Rida Sistani, a probablement exprimé la pensée de son père quand il a affirmé : « Les Américains sont les bienvenus, mais je ne pense pas que c’est une bonne chose qu’ils restent pour longtemps. »

Quand les militaires américains ont, semble-t-il, arrêté, le 21 avril, pour une courte période le cheik Muhammad Al-Fartusi et deux autres chefs religieux qui avaient été envoyés à Bagdad par les milieux religieux dirigeants de Najaf, cela a immédiatement provoqué la protestation de 5000 chiites, en colère, devant l’Hôtel Palestine, au centre de Bagdad. Al-Fartusi avait été envoyé dans la capitale pour délivrer le sermon du vendredi dans la mosquée Al-Hikma, devant 50’000 fidèles. Dans son sermon, il a indiqué, entre autres, que les Etats-Unis ne pourraient pas imposer une « démocratie » formelle en l’Irak qui permettrait la liberté d’expression et, en même temps, dénier aux Irakiens leur capacité de constituer leur propre gouvernement.

Sistani s’est affirmé comme l’ayatollah le plus influent à Najaf après l’assassinat, en 1999, de Muhammad Sadiq Al-Sadr, tué sur les ordres du fils d’aîné de Saddam Hussein, Oudai, pour avoir défié le dictateur irakien, aujourd’hui renversé. Actuellement, Muqtada Al-Sadr, le fils âgé de 30 ans du dirigeant religieux martyr, est l’un des rivaux les plus importants de Sistani à Najaf. En 1999, après que son père a été tué, Muqtada est passé dans la clandestinité. Il a organisé les chiites paupérisés de Najaf et de la ville voisine de Kufa. Il a aussi établi son autorité dans les bidonvilles chiites de l’est de Bagdad, où résident 2 à 3 millions d’habitants. Le mouvement que Sadr dirige insiste sur le fait que la seule autorité devant être reconnue et acceptée est celle de Muhammad Sadiq Al-Sadr ; et il est opposé à ce que le clergé iranien immigré, à l’instar de Sistani, dispose d’une autorité en Irak. Ce sont des idées peu orthodoxes dans le courant chiite majoritaire, classique, qui prédomine en Irak et en Iran. Selon les enseignements de ce courant traditionnel, il est interdit de se soumettre à l’autorité d’un guide religieux décédé. Et il est reconnu que les chiites peuvent choisir librement un dignitaire cultivé et expérimenté. Muqtada est trop jeune pour disposer d’une telle autorité.

CHANGEMENT DE NOM POUR LA VILLE DE SADDAM

Le mouvement de Sadr semble être intolérant et autoritaire, et disposer d’une assise de classe dans les quartiers fortement paupérisés et brutalisés par des hommes de main du parti Baas. Les récits des témoins oculaires du lynchage, le 10 avril 2003, d’un ayatollah rival soutenu par les Américains, Abd Al Majid Al-Khoei, débarqué à Najaf après un exil à Londres de plus d’une décennie, indiquent que le mouvement de Sadr y serait impliqué. Les membres de ce mouvement ont alors entouré les maisons de Sistani et de l’ayatollah Said Al-Hakim, neveu de Muhammad Baqir Al-Hakim, chef du Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak (CSRII), exigeant que tous deux quittent Najaf immédiatement. Cette tentative de coup au sein des élites chiites religieuses dans la ville sainte a été bloquée quand 1500 chiites, membres des tribus, arrivèrent des campagnes pour protéger Sistani et Al-Hakim.

Muqtada considère que Sistani n’a pas de colonne vertébrale car il s’est refusé à sortir de son quiétisme et à s’opposer à Saddam Hussein. Il a le même jugement envers les politiciens expatriés et les chefs religieux qui reviennent actuellement en Irak. Par exemple, il n’a cessé d’insulter Ahmed Chalabi et le Congrès national irakien de tendance séculière. Le mouvement de Sadr veut une république islamique en Irak, même si elle n’est pas exactement la même que celle construite par Khomeini en Iran. Des reportages sur les banlieues pauvres de Bagdad laissent entrevoir que Muqtada y est idolâtré et que la majorité des milices armées qui patrouillent dans ces quartiers de Bagdad, dits ville de Sadr (anciennement « Saddam City »), sont ses partisans. Un compte rendu de presse a indiqué que ces forces avaient repoussé une tentative d’infiltration de ces quartiers par une milice chiite rivale, la brigade Badr, ayant sa base à Téhéran et liée au CSRII. Comme la plupart des dirigeants chiites irakiens, Muqtada veut que les Américains sortent rapidement d’Irak.

À KARBALA

Le CSRII, dirigé par Muhammad Baqir Al-Hakim, est pour l’essentiel une branche du parti révolutionnaire Al-Dawa Al-Islamiyya fondé vers la fin des années 1950. Al-Hakim a été contraint de s’exiler à Téhéran en 1982 suite à la persécution par Saddam des principaux dirigeants d’Al-Dawa. Le CSRII dispose d’une aile paramilitaire de 10’000 à 15’000 combattants armés, certainement entraînés par les Gardiens de la révolution iraniens et dirigés par Abd Al-Aziz Al-Hakim. Les deux frères Al-Hakim sont considérés comme proches du courant conservateur de l’ayatollah Ali Khamenei, qui a succédé à Khomeini comme chef suprême de la République islamique d’Iran. Le CSRII a fait partie du Congrès national irakien et disposait de 15 sièges sur 65 dans le conseil gouvernemental provisoire qui avait été constitué lors de la réunion de l’opposition irakienne, à Londres, en décembre 2002. Des représentants du CSRII ont participé à des réunions organisées par le Département d’Etat américain consacrées au renversement de Saddam. Ils ont parlé à la presse de leurs négociations avec l’administration du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, négociations portant sur le rôle de la brigade de Badr dans le combat aux côtés des troupes américaines au cours de l’invasion. Mais depuis que l’administration Bush a qualifié les sponsors du CSRII, l’Iran, comme partie prenante de l’« axe du mal », la volonté initiale de coopération avec les Etats-Unis est apparue d’un cynisme à vous couper le souffle.

Cependant, depuis janvier 2003, l’idéologie a pris le dessus sur le pragmatisme, et l’administration Bush a rompu soudainement ses liens avec le CSRII. Des initiatives ont été prises par l’attaché au Conseil de sécurité nationale des Etats-Unis Zalmay Khalilzad - en coordination avec le bureau du vice-président Dick Cheney, selon diverses sources - dans le but de limiter l’influence du CSRII au sein du Congrès national irakien. Puis, lors des réunions avec les forces d’opposition en Turquie, fin janvier 2003, Khalilzad a fait connaître que les Etats-Unis envisageaient d’administrer l’Irak, pendant une période donnée, après le « changement de régime », cela en lieu et place d’opérer par le biais d’un gouvernement temporaire irakien. Muhammad Baqir Al-Hakim a immédiatement dénoncé ce plan comme équivalant à une occupation coloniale des Etats-Unis. Il a lancé la menace que la brigade de Badr attaquerait les troupes américaines si elles restaient plus longtemps que prévu. Il est clair qu’il s’est senti trahi par le revirement dramatique de la politique des Etats-Unis.

Ces derniers ont mis en garde l’Iran afin qu’il interdise les forces de la brigade de Badr d’entrer en Irak au cours de l’invasion. Al-Hakim affirme que, malgré tout, ses troupes ont pénétré dans le pays. Le 17 avril, des hommes armés de la brigade de Badr contrôlaient la ville de Baquba (163’000 habitants), sise près de la frontière iranienne. Et les forces de la brigade de Badr ont permis à Sayyid Abbas du CSRII d’occuper l’immeuble de la mairie de Kut (360’000 habitants). Quand les marines ont essayé d’intervenir, une foule de 1200 personnes s’est réunie, chantant des slogans contre le chef du Congrès national irakien, Ahmed Chalabi. Alors, les soldats ont décidé de se retirer. Le 19 avril, les officiers américains ont cherché à écarter Sayyid Abbas lors d’un meeting qui se tenait dans les bâtiments de la mairie. Mais, après coup, le dirigeant religieux a organisé une manifestation, au cours de l’après-midi, qui a été considérée comme « plus grande que par le passé ». Selon le correspondant du quotidien britannique Daily Telegraph : « M. Abbas a énoncé ce qui rapidement deviendra des revendications usuelles : un Etat islamique, d’orientation chiite, pour l’Irak, et la fin de l’occupation américaine. »

Abd Al-Aziz Al-Hakim, deuxième de la hiérarchie du CSRII, est revenu en Irak le 16 avril, accueilli à Kut par des acclamations ; il devait certainement préparer le terrain pour que son frère aîné fasse de même. Dans un entretien avec la presse, le jeune Al-Hakim s’est engagé à ce que le CSRII collabore avec d’autres forces politiques dans le nouvel Irak. A Kut, le 18 avril, il a accordé un entretien à la télévision iranienne au cours duquel il a affirmé : « Nous choisirons d’abord un système politique national, puis nous ferons que le peuple irakien puisse choisir un système de république islamique. » Il a ajouté que la volonté des chiites en faveur d’un système islamique prendra le dessus lors d’élections démocratiques, dans la mesure où ils représentent 60% de la population.
Le 18 avril, Muhammad Baqir Al-Hakim, résidant toujours à Téhéran, a lancé un appel aux chiites afin qu’ils se rendent dans la ville sainte de Karbala le 22 avril « afin de s’opposer à l’administration par intérim dirigée par les Américains et à défendre l’indépendance de l’Irak ». Le porte-parole du CSRII, Abu Islam Al-Saqir, ajouta : « Pour le peuple irakien, la domination des Etats-Unis n’est pas meilleure que la dictature du régime brutal de Saddam Hussein, juste renversé. » Des centaines de milliers de chiites irakiens se trouvent actuellement dans la ville de Karbala pour commémorer le martyr du petit-fils du prophète Mahomet, Hussein, qui a trouvé la mort lors d’une bataille dans la plaine de Karbala au cours du VIIe siècle. Muhammad Baqir Al-Hakim a fait référence à la symbolique de Karbala dans un but politique, visant de la sorte à présenter les forces militaires américaines comme identiques à Yazid Abu Sufyan [gouverneur de l’empire ommeyade], c’est-à-dire à celui que les chiites considèrent comme l’oppresseur de l’imam martyrisé au cours de cette bataille épique.

« PERSONNE NE NOUS REPRÉSENTE »

Bien qu’ayant créé le CSRII, le parti Al Dawa Al-Islamiyya reste, en tant que tel, une organisation séparée, avec un engagement en faveur d’un gouvernement islamique. Il dispose de forces à Londres, à Téhéran et en Irak. Parmi elles, seuls les représentants basés à Londres ont accepté de parler aux Américains. Diverses sources indiquent que beaucoup de membres du parti Al-Dawa irakien manifestent une loyauté envers le dirigeant hezbollah libanais, le grand ayatollah Muhammad Hussein Fadlallah. Fadlallah est né et a fait ses études à Najaf. Il s’est rendu au Liban seulement en 1965. Le Hezbollah a menacé d’utiliser la violence contre des troupes américaines en Irak. Au contraire de la fraction basée à Téhéran, le parti Al-Dawa irakien, au même titre que mouvement de Sadr, a une orientation enracinée dans la politique propre irakienne et rejette la conception khomeiniste du « guide suprême ». Il adopte les théories de gouvernement islamique développées par Muhammad Baqir Al-Sadr, qui a été assassiné par le régime de Saddam Hussein en 1980. (Ce personnage est l’oncle de Muhammad Sadiq Al-Sadr qui a donné son nom au mouvement Al-Sadr, et qui fut également assassiné par le régime de Saddam Hussein en 1999.)

Un dirigeant légèrement plus modéré d’Al-Dawa, Ibrahim Al-Jaafari, a refusé d’assister à l’assemblée organisée par les Etats-Unis, près de Nasiriyya, le 16 avril 2003. Il a affirmé être opposé à une coopération avec l’administration militaire des Etats-Unis. Son point de vue semble être prédominant dans le parti.

Al-Dawa a organisé la manifestation qui s’est tenue le 15 avril à Nasiriyya (535’000 habitants) pour protester contre cette conférence présidée par le lieutenant-général à la retraite Jay Garner, chef de l’Office de reconstruction et des affaires humanitaires (OHRA) [dépendant du Pentagone], chargé par Washington d’administrer l’Irak d’après-guerre. Des articles de presse ont indiqué que des « milliers » de personnes ont manifesté. Ils ont lancé des slogans tels que : "Non, non à Saddam ! Non, non aux Etats-Unis » et « Oui, oui à la liberté ! Oui, oui à l’islam ». Sur leurs banderoles, on pouvait lire : « Personne ne nous représente à cette conférence ». Le 19 avril, Al-Jaafari a envoyé une lettre à l’occasion d’une rencontre des pays voisins de l’Irak, dans laquelle il demandait l’établissement immédiat d’un gouvernement provisoire technocratique, laissant penser que Al-Dawa est sur une orientation moins religieuse que d’autres factions chiites. Parmi les dirigeants d’Al-Dawa à Nasiriyya se trouve la grande figure religieuse Muhammad Bakr Al-Nasri, récemment revenu d’exil. Ce dernier est considéré comme étant le guide philosophique du parti. Les dirigeants du parti Al-Dawa craignent d’être éjecté du jeu politique par les capacités paramilitaires supérieures du CSRII et du mouvement de Sadr.

LE VIDE REMPLI

L’un des grandes surprises des deux semaines ayant suivi la chute du parti Baas en Irak est la manière dont les dirigeants religieux et les partis chiites ont immédiatement occupé le vide [créé par l’écroulement du régime]. Ce processus a été facilité par la faiblesse quantitative des troupes américaines sur le terrain, cela en correspondance avec les plans militaires de Rumsfeld qui avait rejeté des requêtes du Pentagone en faveur d’une présence militaire plus massive.

Les villes de l’est de l’Irak, comme Baqubah et Sadra, sont, selon diverses sources, sous contrôle chiite, avec apparemment un appui de l’Iran. Quelques Failis- c’est-à-dire des Kurdes chiites -, qui avaient massivement émigré vers l’Iran sous les coups du régime de Saddam Hussein, reviennent maintenant en Irak avec le soutien de l’Iran. On rapporte qu’une milice faili venant d’Iran a récemment pris le contrôle de la ville de Badra, dans l’est du pays. Le CSRII a également tenté de s’imposer à Kut, et y a mis en difficulté les marines en raison de leur soutien populaire. Nasiriyya semble quasi dirigée par le parti Al-Dawa. Le gigantesque quartier paupérisé de Bagdad, aujourd’hui dénommé Sadr City, est patrouillé par des milices du mouvement de Sadr. Et ce mouvement est puissant à Najaf et à Kufa. Dans l’autre ville sacrée de Karbala, un conseil de religieux et de cheiks tribaux a été mis en place comme administration autonome.

Parmi les grandes concentrations de population urbaine chiite, seule Bassora semble avoir résisté à cette tendance. Peut-être, en partie, à cause de la politique différente qui y fut appliquée par le commandement britannique. Et aussi, partiellement, à cause de l’influence des secteurs de la classe moyenne et de la classe ouvrière chiite. En dehors de Bassora, le manque d’organisation et le manque de toute force paramilitaire ont entravé l’affirmation sur la scène politique des chiites de tendance séculière. Il est possible que beaucoup d’entre eux soient frappés par la défaite humiliante d’un champion avéré du nationalisme arabe séculier sous les coups d’une puissance occidentale.

Il reste à voir si l’administration par intérim américaine est capable de désarmer les milices religieuses chiites et de regagner suffisamment de contrôle sur les zones urbaines chiites afin de permettre que se concrétise une structure ressemblant à un système politique pluripartidaire libre. Certainement, le mouvement de masse de Sadr à Najaf, s’il pouvait l’arrêter, ne permettrait pas qu’émerge une telle perspective. De même, le CSRII n’est certainement pas intéressé à ce que se développe une véritable activité politique populaire. Les partis politiques et les mouvements religieux chiites tendent à être hiérarchiques et autoritaires, malgré leur audience populaire, cela en concordance avec leurs convictions usuli [orthodoxes] concernant la nécessité d’exprimer une soumission aveugle face aux guides religieux. Les revendications religieuses chiites en faveur d’un Etat islamique sont vouées à susciter un affrontement avec les Arabes et les Kurdes sunnites, qui ne toléreront pas un gouvernement par des ayatollahs ou l’imposition à chacun de la stricte loi chiite. Les Kurdes, évidemment, disposent de leurs propres milices. L’historien Ervand Abrahamian a comparé l’idéologie de l’Iran de Khomeini au corporatisme qui dominait l’Argentine de Peron. Au moins initialement, les néo-conservateurs américains, qui ont espéré en vain un soulèvement des chiites durant la guerre, avaient envisagé de laisser se déchaîner cette irruption politique de masse mais dans un Irak disposant d’un système très rigide de contrôle sur les masses. -
22 avril 2003

* Juan Cole est orientaliste et professeur d’histoire à l’Université du Michigan et auteur de Sacred Space And Holy War : The Politics, Culture and History of Shi’ite Islam.

(tiré du site À l’encontre)