" J’ai reçu l’ordre d’appliquer une politique qui satisfait à la définition du génocide : une politique délibérée, qui a déjà tué bien au-delà d’un million d’individus, enfants et adultes. Nous savons tous que le régime de Saddam Hussein ne paie pas le prix des sanctions économiques. (…). Ce sont les petites gens qui perdent leurs enfants ou leurs parents par manque d’eau potable. Ce qui est clair, c’est que le Conseil de sécurité est maintenant hors de contrôle, car ses actions minent sa propre Charte (…). L’histoire ne pardonnera pas à ceux qui sont responsables de cela".
Denis Halliday, ancien coordonnateur du programme humanitaire de l’ONU en Irak, qui a démissionné en 1998 en signe de protestation. Cité dans le Guardian du 4 mars 2000.
Il y a dix ans, dans la nuit du 16 au 17 janvier 1991, débutent les bombardements de la " Guerre du Golfe ", un peu plus de 5 mois après l’invasion du Koweït et l’imposition de sanctions internationales contre l’Irak. Avec ses 100 000 à 200 000 morts appelés "dommages collatéraux", ses 5 millions de personnes déplacées et ses 200 milliards de dollars de dommages matériels1, cette guerre représente l’événement le plus dévastateur au Moyen-Orient depuis la première guerre mondiale. Pour la population irakienne, ce ne sera que le début d’un long cauchemar qui dure toujours…
En effet, depuis une décennie, le Conseil de sécurité –Etats-Unis en tête et avec l’appui constant du Canada– maintient contre l’Irak le régime de sanctions le plus sévère de l’histoire des Nations Unies. Ce qui a empêché la reconstruction du pays et condamné tous les secteurs d’activité économique et sociale à un dépérissement inexorable. Les effets combinés des bombardements et des sanctions ont engendré une des pires catastrophes humanitaires des dernières décennies et entraîné la mort d’environ un million et demi de personnes, incluant, selon l’UNICEF, 600 000 enfants de moins de 5 ans. Or, malgré l’abondance de données tragiques fournies par toutes les agences des Nations Unies œuvrant dans les domaines de l’enfance, de la nutrition, de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, du développement etc. ainsi que la démission fracassante de trois hauts responsables des Nations Unies2, la couverture télévisuelle continue de faire fi de la souffrance du peuple irakien.
Ce que fut vraiment la " Tempête du désert "
En 1991, l’horreur de la guerre a été occultée sur nos écrans de télévision par le feu d’artifice des fusées éclairantes et les démonstrations complaisantes de la " précision chirurgicale " des bombes "savantes" des " Alliés ". Dans son livre3, René Dumont parle plutôt d’une " abominable série de massacres et de destructions ", en violation flagrante des conventions internationales. Parmi d’autres exemples, rappelons l’inutile carnage de la " route de la mort " où, sur une colonne de 40 kilomètres au Sud de l’Irak, des milliers de soldats et de civils en déroute ont été littéralement grillés ou réduits en morceaux par des bombardements d’une intensité inouïe. Selon le témoignage d’un soldat britannique, depuis Hiroshima, il n’y avait jamais eu autant de morts au mètre carré.
Pendant son déroulement, la campagne de bombardements a été présentée comme visant les forces armées irakiennes et leurs lignes de commandement et de ravitaillement. Mais quelques mois plus tard, il est clairement apparu qu’elle avait pris pour cible les infrastructures civiles de l’Irak : ponts, routes, entrepôts alimentaires, systèmes d’irrigation, usines de filtration d’eau, système de production et de distribution électrique, raffineries, pipelines, etc. Des stratèges militaires américains admettent alors avoir eu recours à un " bombardement stratégique ", frappant tout ce qui permet à l’Irak de survivre et visant à accélérer l’effet des sanctions.4
Une preuve encore plus probante du choix délibéré de cibles proscrites5 a récemment été fournie dans le cas de l’approvisionnement en eau potable. En effet, en septembre 2000, le professeur Thomas J. Nagy de l’Université George Washington a révélé6 l’existence d’un document intitulé " Iraq Water Treatment Vulnerabilities ", provenant de l’Agence de renseignements de l’armée américaine. À cet égard, le document souligne que l’Irak dépend d’équipements spécialisés et de produits chimiques importés. L’incapacité de se les procurer provoquerait une pénurie d’eau potable qui pourrait mener à l’incidence accrue de certaines maladies, voire à des épidémies. Or ce texte a été distribué au second jour de la guerre à tous les principaux commandements militaires " alliés "… Par la suite, les grands barrages ainsi que la majorité des stations de pompage et des stations municipales de traitement des eaux et des égouts ont été bombardés à plusieurs reprises et les sanctions ont effectivement empêché l’importation des équipements et produits nécessaires à leur restauration. Dix ans plus tard, près de la moitié de la population irakienne n’a toujours pas accès à de l’eau potable et les problèmes liés à l’eau contaminée sont la principale cause de décès des enfants irakiens.
Une arme insidieuse : l’uranium appauvri
On constate depuis plusieurs années, surtout dans le Sud de l’Irak, une incidence alarmante des cas de cancers, plus particulièrement des leucémies et des lymphomes, qui ont augmenté de 4 à 10 fois selon des estimations sérieuses. On note aussi l’apparition de malformations congénitales graves et multiples jamais vues auparavant. Des pathologies similaires sont observées chez plusieurs vétérans de la " Guerre du Golfe ". De plus en plus, les experts pointent comme facteur principal l’uranium appauvri (UA), utilisé comme revêtement de balles et d’obus pour leur conférer une capacité de pénétration beaucoup plus grande.
Les premières indications de danger à cet égard ont été fournies par des recherches officielles aux USA et en Angleterre. Ainsi en 1990, avant la " Guerre du Golfe ", la Commission de l’énergie atomique de la Grande Bretagne estimait que l’utilisation de 50 tonnes d’UA dans les champs de bataille en cas de guerre avec l’Irak pouvait conduire à une augmentation d’environ 50 000 cas de cancer sur une décennie. Or les estimés de la quantité d’UA déversée sur l’Irak, en particulier sur le Sud, durant les 6 semaines de bombardements en 1991, varient entre 300 et 900 tonnes !
Cependant, depuis 1991, fuyant leurs responsabilités morales et financières envers les civils et les vétérans, les gouvernements occidentaux nient que l’UA représente le moindre danger pour la santé. De plus, les USA font obstacle à tout progrès sur cette question en empêchant l’Irak d’importer les instruments de détection nécessaires et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’étudier le problème.
Au Canada, pendant des années, les efforts de plusieurs vétérans n’ont abouti qu’à la production de volumineux rapports niant qu’ils soient plus malades que la population canadienne en général ! Mais les tests effectués cette année sur la dépouille mortelle du vétéran Terry Riordan de Nouvelle Écosse ont révélé une forte présence d’UA dans ses os et forcé le gouvernement canadien à offrir des tests gratuits. Dernier coup de théâtre : lors de la conférence sur l’UA qui s’est déroulée à Manchester, Angleterre, du 6 au 10 novembre 2000, trois experts internationaux, dont le Dr Rosalie Bertell du Canada, déclarent que les tests utilisés par l’armée canadienne sont peu révélateurs parce qu’ils ne sont pas adéquats pour déceler le problème !7
Nouveaux bombardements pour soutenir … les sanctions
Lors de la crise de l’UNSCOM8 en décembre 1998, les USA et la Grande-Bretagne ont lancé une nouvelle campagne de bombardements surnommée " Renard du désert ". L’Irak a alors annoncé qu’il ne respecterait plus les zones d’exclusion aérienne couvrant les deux tiers du pays, au Nord et au Sud, zones décrétées au lendemain de la " Guerre du Golfe " par les deux mêmes pays et qui n’ont jamais été approuvées par les Nations Unies. Selon The Independent du 23 juin 2000, les États-Unis et l’Angleterre avaient effectué, depuis décembre 1998, 21 600 sorties aériennes au-dessus de l’Irak, faisant 300 morts et 800 blessés parmi la population civile qu’on prétend pourtant protéger par ces zones ! Des bombardements quasi-quotidiens et sans véritable écho médiatique.
Des sanctions dévastatrices et illégales
Les effets combinés des bombardements de 1991 et du maintien des sanctions ont fait passer le peuple irakien d’une " relative prospérité à une pauvreté de masse "9. L’économie s’est effondrée ; le dinar irakien, qui valait 3 $10 en 1990, ne valait plus que 1/20 de cent en janvier 2000. Selon le rapport d’un groupe d’experts pétroliers internationaux publié en mars 2000, ce secteur crucial de l’économie irakienne est en dégradation constante et menace même de s’effondrer, faute d’équipements et de pièces de rechange bloqués par les États Unis.
Sur ce fond de paupérisation générale, l’UNICEF rapporte que les enfants continuent de mourir au rythme de 150 à 200 par jour, que les cas de malnutrition aiguë chez les enfants de moins de 5 ans ont plus que triplé entre 1990 et 1999, que 55 % des écoles sont impropres à l’enseignement et que plus d’un million d’enfants ne vont plus à l’école pour des raisons économiques liées à l’embargo.
À l’heure où les États-Unis veulent amener Slobodan Milosevic et Saddam Hussein face à la justice internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il n’est pas inutile de rappeler que le 12 mai 1996, Madeleine Allbright, alors ambassadrice des États-Unis à l’ONU, interrogée à l’émission "60 Minutes" à savoir si la vie d’un demi million d’enfants "en valait le prix" (pour se débarrasser du président irakien), répondit que cela "était un choix difficile, mais le prix ...nous pensons que le prix en vaut le coup". Or l’article 54 du protocole I ajouté aux conventions de Genève affirme qu’il est interdit d’affamer des civils comme moyen de mener la guerre et l’article 33 de la quatrième convention de Genève affirme qu’aucune personne protégée ne peut être punie pour un crime qu’elle n’a pas commis et interdit les châtiments collectifs.
Si l’impact des sanctions sur la population civile irakienne crève les yeux, il aura pourtant fallu près de 10 ans et 1,5 million de morts pour que des organismes de défense des droits humains tels Human Rights Watch et Amnesty International (AI) commencent à y porter attention. En effet, c’est en mars 2000, que l’assemblée générale d’AI-USA détermine que " certaines mesures économiques incluant l’embargo sur l’importation d’aliments, de médicaments, de pièces de rechange pour la réparation d’équipements de purification d’eau ou de production d’électricité et sur d’autres items essentiels à la vie civile, dans le contexte d’interventions armées, constituent une violation du droit humanitaire international11 (…) ". Deux semaines plus tard, l’assemblée générale de la section canadienne francophone d’AI appuie unanimement la résolution d’AI-USA.
D’autre part, le 18 août 2000, la Sous-commission des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits humains en appelle à la communauté internationale et en particulier au Conseil de sécurité pour la levée des aspects de l’embargo affectant la situation humanitaire de la population irakienne.
Le programme " Pétrole contre nourriture " démystifié
Le Programme " Pétrole contre nourriture " (PCN), instauré six ans après l’imposition des sanctions pour pallier à la dégradation de la situation humanitaire en Irak, est entré le mois dernier dans sa 5è année d’application12.
Dans le cadre de ce programme, les revenus de la vente de pétrole13 par l’Irak sont déposés dans un compte séquestre de la Banque Nationale de Paris à New York, administré par le Bureau des Nations Unies chargé du programme pour l’Irak (OIP). Ils sont répartis ainsi : 53 % pour le Centre et le Sud de l’Irak, (86 % de la population) ; 30 %14 pour un fonds d’indemnisation pour les dommages de guerre ; 13 % pour les trois gouvernorats autonomes du Nord ; 4 % pour les frais administratifs des diverses instances des Nations Unies en Irak. Pour les achats, l’Irak négocie des ententes avec des fournisseurs mais ce sont ces derniers qui doivent soumettre les contrats de vente au Bureau des Nations Unies chargé du programme pour l’Irak (OIP). Jusqu’en 2000, tous les contrats étaient ensuite soumis aux Comité des sanctions (ou Comité 661), composé d’un représentant de chaque pays présent au Conseil de sécurité. Mais, à partir de la phase VII (résolution 1284, décembre 1999), des listes d’items pour approbation directe par l’OIP seront progressivement adoptées par le Comité 661.
Dans la dernière année, malgré le prix très élevé du baril de pétrole et les " allègements " apportés au programme PCN, les améliorations réelles dans la vie quotidienne de la population irakienne demeurent très minimes. Dans son plus récent rapport, en date du 29 novembre 2000, le secrétaire-général, Kofi Annan, souligne certains progrès15, mais brosse un tableau sombre de la situation générale dans les différents secteurs. Il indique, par exemple, que pour la plupart des Irakiens et des Irakiennes ordinaires, la ration alimentaire mensuelle constitue la part la plus importante du revenu familial et qu’ils/elles en sont souvent réduits à échanger ou à vendre des items de cette ration pour satisfaire d’autres besoins essentiels… Que 37 % des écoles visitées pendant cette phase ont été considérées comme moins que minimalement sécuritaires ! Que moins du quart des enfants souffrant de malnutrition et des femmes enceintes ou qui allaitent ont reçu au moins une ration de biscuits à haute teneur en protéines. Qu’aucun des 15 centres de santé publics et aucune des 68 garderies communautaires évaluées en octobre 2000 n’avait de véhicule gouvernemental pour la distribution de suppléments nutritifs.
D’autre part, le programme demeure marqué par des mesures d’obstruction, en particulier des Etats-Unis mais aussi de la Grande Bretagne, ces pays bloquant systématiquement ou retardant l’adoption d’un grand nombre de contrats, pour la plupart liés à la restauration des infrastructures16… Alors qu’à la mi-juin, la valeur totale des contrats bloqués avait été réduite à 1,34 milliards $, elle atteignait un nouveau sommet de 2,7 milliards $, le 15 décembre dernier. Dans le secteur de l’électricité, des contrats pour une valeur de 871 millions $ sont bloqués, empêchant notamment le raccordement de 150 000 ménages ; dans le secteur des télécommunications17, sur des contrats soumis d’une valeur totale de 230,5 millions $, plus de 60 % sont bloqués. Des contrats bloqués nuisent également au transport des denrées et au contrôle de la qualité dans le secteur de l’alimentation, de même qu’aux projets spéciaux d’intervention pour atténuer les effets de la pire sécheresse depuis 50 ans. Autre lenteur délibérée aux effets désastreux : le Comité des sanctions a mis 4 mois à adopter la liste des items pour approbation rapide dans le secteur névralgique de l’équipement et des pièces de rechange pour l’industrie pétrolière…
Le régime des sanctions et le programme PCN engendrent des délais bureaucratiques à tous les niveaux, dont les effets cumulatifs sont désastreux. En général, il s’écoule un temps énorme avant l’arrivée effective des marchandises en Irak, une fois conclue l’entente initiale entre le gouvernement irakien et un fournisseur. Selon le plus récent rapport du secrétaire-général, le bilan général du " compte 53% " pour le Centre et le Sud de l’Irak s’établit ainsi depuis le début du programme PCN (décembre 1996) : la valeur totale des contrats soumis est de 19.72 milliards $ ; la valeur totale des contrats approuvés est 16,22 milliards $ ; mais la valeur totale des marchandises livrées s’élève à seulement 8,834 milliards $18. Ce qui représente la somme approximative de 108,26 $ par année par citoyen habitant le Centre et le Sud de l’Irak ! Dans le domaine des télécommunications, la valeur des marchandises arrivées en Irak ne représente que 2,2% de la valeur des contrats soumis !
Il est évident que le programme PCN ne peut absolument pas se substituer à toute l’économie d’un pays de 24 millions d’habitants et que le maintien des sanctions et de ce programme perpétue simplement leur misère. Ce programme constitue une véritable tutelle puisque l’Irak ne contrôle pas ses revenus pétroliers et ne peut commercer directement avec aucun pays. Les "allégements" aux sanctions et les " améliorations " au programme, dont le Canada est particulièrement fier, ont de plus l’effet pernicieux de présenter comme des sauveurs ceux-là même qui sont responsables de la destruction d’un pays.
La Commission d’indemnisation des Nations Unies
Alain Gresh livrait, dans Le Monde Diplomatique du mois d’octobre dernier, les résultats d’une des rares enquêtes menées sur les procédures et le fonctionnement de cette commission. Ne mâchant pas ses mots, il en parle comme d’ " un des rouages essentiels de la stratégie d’anéantissement de l’Irak ".
On y apprend notamment que pour la première fois dans l’histoire du droit international depuis la deuxième guerre mondiale, un pays n’a pas le droit d’assumer sa défense ; que l’Irak seul doit payer tous les frais de la procédure et que des pièces justificatives ne sont pas requises pour les réclamations individuelles. On y apprend aussi que les plaignants ’importants’ ont recours aux meilleurs cabinets d’avocats de la planète, qui produisent des dizaines de milliers de pages de documents, dont on ne fournit à l’Irak qu’un résumé à la dernière minute et parfois avec 5 ans de retard ! De plus, l’Irak n’est pas autorisé à prélever sur l’argent de ses exportations pour assurer sa propre défense.
Le pillage éhonté de l’Irak à travers le mécanisme de cette commission devient clair quand on réalise que ce pays dévasté, dont les enfants meurent sans soins adéquats, est forcé de verser en compensations de guerre une part de ses revenus pétroliers (30%) presque aussi importante que ce qu’il peut consacrer à la survie de la moitié de sa population. Mais cela c’est la théorie. En pratique, la situation est plus grave encore. En effet, alors que la valeur des marchandises effectivement livrées dans le Centre et le Sud de l’Irak pour l’ensemble des 4 années du programme " Pétrole contre nourriture " s’élèvait en novembre dernier à 8,834 milliards, le montant des indemnisations déjà versées pour réparations de guerre atteignait 11 milliards !
Cette commission, nous dit Gresh, " a reçu des demandes d’indemnisation pour une valeur de 320 milliards, dont 180 milliards pour le seul Koweït –l’équivalent de neuf fois le produit intérieur brut du pays en 1989, ce qui n’a l’air d’étonner personne". Même en réduisant cette somme des deux tiers et en y ajoutant les intérêts pour des périodes de 10 à 15 ans, on atteint un montant d’environ 300 milliards, ce qui condamnerait l’Irak à y consacrer le tiers de ses recettes, au prix actuel très élevé du baril de pétrole, pendant les prochaines 50 ou 60 années.
Une opposition grandissante
Au niveau international, on observe un mouvement d’opposition grandissant à la politique de bombardements et de sanctions contre l’Irak. Cela se manifeste par des appels plus nombreux à la levée des sanctions, par le rétablissement de relations diplomatiques avec l’Irak et par la multiplication des vols civils humanitaires vers Bagdad, dont l’aéroport international était fermé jusqu’à tout récemment. S’il s’agit là de développements fort encourageants, il ne faut pas perdre de vue qu’ils n’ont pratiquement aucun impact sur la vie quotidienne de la population irakienne, dont seule une levée des sanctions peut améliorer sensiblement les conditions.
Au Québec et au Canada en général, le silence des grands médias télévisuels sur la misère engendrée par les sanctions et la désinformation sur les enjeux de ce conflit n’ont pas empêché de nombreux organismes et individus de s’opposer à la politique canadienne d’appui aux sanctions et aux bombardements contre l’Irak. Ce fut le cas notamment de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale, de la Conférence religieuse canadienne, de l’Église orthodoxe du Canada, de la Fédération des femmes du Québec, d’Inter Church Action for Development, du Bloc québécois et du Nouveau parti démocratique et, plus récemment, de la Conférence des évêques catholiques du Canada, des centrales syndicales québécoises CSN et CSQ, de l’Association des écrivains québécois pour la jeunesse, etc. Depuis quelques mois, il existe un réseau canadien pour la levée des sanctions contre l’Irak (RCLSCI, www.canesi.org) et une coalition québécoise est en train de voir le jour.
Rappelons qu’en mars dernier un concert de témoignages exigeait un changement radical de la politique canadienne lors des audiences du Comité permanent de la Chambre des communes sur les affaires étrangères et le commerce international (CPAECI) à Ottawa. À tel point que le mois suivant ce comité multi-partite recommandait unanimement la levée des sanctions économiques et le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Irak. Mais, faisant fi de ces recommandations unanimes, des milliers de lettres de protestation de citoyen-nes et de l’opposition renouvelée de nombreux parlementaires, le gouvernement fédéral maintient son appui indéfectible aux sanctions et aux bombardements contre l’Irak. L’été dernier, il a à nouveau envoyé une frégate, au coût de 35 million $CAN, pour renforcer le blocus naval contre l’Irak et il en envoie une autre cet hiver. Tout récemment, le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, John Manley, justifiait encore les sanctions et les bombardements parce que " l’objectif stratégique du gouvernement iraquien a été de conserver une partie de son arsenal de destruction massive. Le gouvernement iraquien se sert de la détresse humanitaire de la population comme levier (…). Le Canada respecte le droit d’autodéfense des avions américains et britanniques menacés ". De telles prises de position continuent de faire du Canada l’un des pays les plus rétrogrades de la planète dans le dossier de l’Irak.
À l’occasion du 10è anniversaire de la " Guerre du Golfe ", les signataires de ce texte tiennent à dénoncer le caractère odieux, illégitime et illégal de cette vaste opération de saccage et de pillage d’un pays dont la population civile continue de faire les frais. Cette opération, qu’on prétend mener pour protéger les pays voisins de l’Irak et sa population kurde face à une dictature menaçante et brutale19, vise plus vraisemblablement la destruction de l’Irak en tant que puissance régionale et la mainmise sur ses énormes ressources pétrolières. Nous dénonçons catégoriquement la participation canadienne à ces crimes commis contre une population civile innocente. Nous sommes convaincus que les citoyens et les citoyennes du Canada, qui n’ont pas jamais été informés et encore moins consultés sur ces politiques et leurs effets, refuseraient également que de tels crimes soient commis en leur nom et avec leurs impôts.
1 MERIP Report, no 171, juillet/août 1991.
2 Messieurs Denis Halliday et Hans von Sponeck, qui se sont succédés à la tête du Programme humanitaire des Nations Unies pour l’Irak, de même que Mme Jutta Burghardt, responsable à Bagdad du Programme alimentaire mondial.
3 Cette guerre nous déshonore, Éditions du Seuil, Paris, mai 1992.
4 Washington Post, 23 juin 1991.
5 Par l’article 54 du Protocole 1 ajouté aux Conventions de Genève, parce que ces installations sont indispensables à la survie de la population civile.
6 Sunday Herald (Écosse), 17 septembre 2000.
7 Ces révélations ont été faites le 14 novembre, sur les ondes de la radio CBC à Halifax, par la journaliste Margaret McGee qui participait à la conférence de Manchester.
8 UNSCOM : United Nations Special Commission, chargée d’inspecter et de détruire les armes chimiques et biologiques de l’Irak. Notons que Scott Ritter, responsable d’inspections au sein de l’UNSCOM (1991-1998) a révélé que des rapports de cet organisme ont été falsifiés et qu’il était infiltré par des agents de la CIA qui ont transmis aux USA et à Israël des informations sur des cibles à bombarder ! Ritter qualifie de NULLE la menace irakienne en matière d’armes de destruction massive.
9 Rapport du panel humanitaire au Conseil de sécurité, mars 1999.
10 À moins d’indication contraire, tous les montants en dollars dans cet article sont en dollars US.
11 Le lecteur comprendra que si AI-USA, par ailleurs à l’avant-garde du mouvement AI sur cette question, a mis près de 10 ans pour en venir à cette conclusion, il n’en demeure pas moins que ces sanctions violaient le droit humanitaire international dès le moment de leur adoption, d’autant plus qu’elles bannissaient alors tout commerce avec l’Irak, quel qu’il soit, y compris pour la nourriture et les médicaments, et que le pays dépendait à 70% des importations pour son alimentation !
12 Le 5 décembre 2000, la résolution 1330 du Conseil de sécurité prolongeait le programme " Pétrole contre nourriture " pour une 9è phase de 180 jours débutant le lendemain.
13 Au départ plafonnés à 2 milliards par phase de 180 jours, puis, à partir de la phase IV, à 5,235 milliards, le plafond a été complètement levé à partir de la phase VII (Résolution 1284, décembre 1999).
14 La résolution 1330 (5 décembre 2000) a réduit ce pourcentage à 25 %, les 5 % restants étant ajoutés au compte " 53% ".
15 Par exemple le fait qu’aucun nouveau cas de polio n’ait été rapporté dans les derniers 9 mois, ou une revitalisation importante du programme des volailles.
16 Le secrétaire-général déplore le nombre de contrats bloqués et le fait que même lorsque les informations supplémentaires exigées sont fournies, plusieurs de ces contrats demeurent bloqués…
17 Selon le rapport du secrétaire-général, les installations de ce secteur sont tellement mal en point qu’aucun service efficace de communication ne sera bientôt disponible à moins d’intervention rapide.
18 Il n’est pas rare que des contrats soient soumis lors d’une phase, approuvés dans la phase suivante et livrés une ou même deux phases plus tard.
19 Nous ne remettons pas en cause le caractère particulièrement répressif et brutal du régime irakien, qui a une longue histoire de réprimer impitoyablement toute opposition interne ; mais nous refusons de croire au conte de fée d’une quelconque motivation humanitaire de la politique US contre l’Irak.