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Le gouvernement Lula et Monsanto

Laeter Braga*

dimanche 21 décembre 2003

Un décret du gouvernement Lula vient d’être édicté pour surtaxer de 35% l’importation de glyphosphate. Seulement le glyphosphate chinois, et pas celui de Monsanto [qui est commercialisé sous le nom de Roundup].

La capitulation du gouvernement Lula face aux intérêts de la multinationale américaine est évidente et nécessite une explication. Le thème va d’ailleurs faire l’objet d’une action en justice menée par le gouvernement chinois [voir au sujet de Monsanto et du Brésil, sur ce site, rubrique Nouveau : "Le gouvernement Lula donne le feu vert au soja transgénique", 10 octobre 2003]

Les liens du ministre de l’Agriculture, Roberto Rodrigues, avec Monsanto sont de notoriété publique. Cet homme est un grand propriétaire terrien latifundiste.Il est membre de l’Union Démocratique Rurale (UDR), une espèce de Ku Klux Klan brésilien. Le ministre est planteur de soja transgénique et, aux côtés de Luis Furlan, ministre du Développement et du commerce extérieur, il s’aligne sur la troupe du président de la Banque Centrale, Henrique Meireles, principal dirigeant du système financier international au Brésil.

Le fait est grave. Il commence à faire la une des journaux. Il rend le gouvernement Lula vulnérable. Or, qui connaît les pratiques de l’entreprise Ontsanto, connaît également sa prodigalité à l’égard des autorités des pays dans lesquels elle opère, en versant de l’argent à foison à des fins de subordination-cooptation.

L’histoire de la libéralisation des transgéniques s’est faite d’un jour à l’autre de façon miraculeuse. Elle n’a pas été bien racontée et il est indispensable d’en expliquer à fond certains aspects sans pour autant vouloir démoraliser le gouvernement Lula.

Il est certain que, dans toute cette histoire, il y a de la corruption d’un genre particulièrement grossier. Si le président Lula est naïf, alors il n’a été compromis dans cette affaire que cette dernière année [puisque la décision de laisser planter du soja transgénique est temporaire]. Et, l’année prochaine, tout sera de nouveau normal. Alors ce seront les autres cinq cent [élus], plus les ministres Furlan et Rodrigues qui devront être poursuivis - et avec eux la totalité des intérêts qui y sont liés.

Le président national du PT (Parti des Travailleurs), José Genoino, dit ceci au sujet de la proposition de liberté de vote sur les bancs de son parti : " Si la liberté de vote se généralise, alors on n’est plus un parti ". Et de quoi s’agit-il ?

Le PT, qui souhaite expulser la sénatrice Heloisa Helena [sénatrice membre de Démocratoe socialiste, courant de la gauche du PT] pour avoir commis le crime d’avoir du caractère et de respecter le programme du parti et ses décisions antérieures. Or, ce même PT place au Ministère un latifundiste de la pire espèce (pour autant que l’on puisse considérer qu’il en existe de meilleures !).

Au cours de cette seule année, la première d’ailleurs du gouvernement Lula, 65 travailleurs ruraux ont été assassinés dans tout pays, dans l’Etat du Para surtout . La Police Municipale de Sao Paulo a tué en moyenne 3 personnes par jour et deux cents Indiens sont morts à l’occasion de conflits sur le droit de possession de la terre.

Mais aucun latifundiste, aucun propriétaire de terre ne figure au nombre des victimes. Il est donc clair que la violence ne vient pas du travailleur, mais du maître. Quant à la multinationale Monsanto, elle a fait dans tout ce petit monde une entrée encore plus fracassante que sous le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. Elle règne aujourd’hui en maîtresse sur toute la situation, sur les ministères de l’Agriculture et du Développement ainsi que sur celui du Commerce Extérieur.

Tant que durera l’avantage accordé à la Monsanto au détriment de la Chine, le gouvernement Lula ne méritera aucun respect. C’est du favoritisme scandaleux et immoral, c’est de la corruption.

Lula se rend en Libye, et alors ? L’impression qui reste est que le gouvernement cherche à camoufler avec sa politique extérieure un comportement qui, de docile qu’il était, est devenu pourri en raison de sa relation avec les intérêts d’entreprises telles que la Monsanto. Et nous n’entrerons même pas ici en matière sur les rôles joués par les uns et les autres dans l’équipe gouvernementale. Même si ce que le président cherche une alternative pour pouvoir exporter plus [dans les pays arabes, entre autres] - sans heurts politiques directs - et concurrencer ainsi, d’une certaine manière, les Etats-Unis. Toutefois, à la fin, c’est tout de même ces derniers qui, comme toujours, sont les bénéficiaires de cette politique du gourdin.

La surtaxe sur le glyphosphate chinois est un scandale. Contraire à tous les discours du Messie. Comme si d’ailleurs le glyphosphate ne constituait pas en lui-même un autre scandale [des scientifiques dénoncent sont utilisation lié à des OGM]. Quant aux arguments de José Genoino ou de n’importe qui d’autre de son équipe concernant l’exclusion de Heloisa Helena, s’ils n’étaient pas déjà assez incroyables comme cela, ils en deviendraient encore pires [Heloisa Helena vient d’être exclue du PT, le dimanche 14 décembre 2003]. Et, à moins que cette histoire face à la Chine ne nous soit parfaitement bien expliquée, les responsables - et c’est sûr qu’il y en a - doivent être éloignés et punis. Sinon le gouvernement Lula ne pourra plus parler d’éthique, de combat contre la corruption et de tous ces thèmes dont il aime à parler.

Ce qui fâche, ce n’est pas seulement la question du favoritisme et de la corruption qui font, ma foi, partie implicitement du capitalisme et donc du néolibéralisme. Mais c’est la question de la soumission d’un gouvernement qui ouvre tout grand la porte au principe d’option préférentielle pour les gagnants [allusion à l’opposé : "l’option préférentielle pour les pauvres", une thèse centrale de la théologie de la libération]" !

* Journaliste brésilien qui contribue à diverses publication latino-américaine.