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Le budget de la continuité néolibérale... à outrance

dimanche 28 mars 2004, par Marc Bonhomme

Si l’on analyse le budget en fonction des intérêts de la bourgeoisie canadienne, il faut bien préciser ces intérêts puis passer au peigne fin les dépenses, directes et fiscales, et la politique du surplus à cette aulne.

Mon essai « Dégager du capital et un champ d’expansion pour l’impérialisme » a montré que, dans le cadre du libre-échange et donc de « l’ordre mondial », la bourgeoisie canadienne a énormément augmenté, absolument et relativement, ses placements et investissements à l’extérieur. En retour du racket de protection étasunien dont elle ne peut se dégager faute de puissance armée et/ou économique en proportion de ses actifs externes de plus en plus dispersés hors ÉU, ou de capacité de faire alliance avec d’autres bourgeoisies impérialistes pour faire contrepoids, elle doit concéder à l’impérialisme étasunien un « droit de pénétration » accrû sur son territoire. Cette « part du lion » ne signifie pas seulement lui laisser le champ libre mais aussi lui ouvrir le champ du secteur public, tout en lui disputant, et même le financer. Rien de surprenant donc que l’on constate une hausse relative des investissements directs étasuniens dans la dernière décennie.

Cette stratégie a l’inconvénient d’affaiblir le contrôle de la bourgeoisie canadienne sur sa base territoriale malgré la profondeur de celle-ci surtout de par la surabondance de ressources naturelles, en particulier énergétiques, et sa valeur géostratégique. Cette perte de contrôle se manifeste d’abord par une déficience de productivité faute de capitaux privés suffisants dans ce domaine parce que la priorité est à l’externe et au financement de prises de contrôle de l’impérialisme étasunien - qui, rappelons-le, est cassé comme un clou au point d’utiliser la force du dollar US, cependant de plus en plus vacillant, et la force brutale de ses armées pour éponger au rythme de 500 milliards $US l’an les trois quarts de l’épargne mondiale . Elle se manifeste aussi par l’intégration canadienne à la « guerre contre le terrorisme » malgré les acrobaties de la diplomatie canadienne qui fait de son mieux pour divorcer prise de position et réalité.

Le gouvernement fédéral se dote d’un budget qui reflète la stratégie de la bourgeoisie dans la mesure où la riposte sociale et les demi bourgeoisies régionales du Québec et de l’Ouest lui en laisseront le loisir. Or de ce côté, le gouvernement fédéral a passablement les mains libres puisque le mouvement syndical pancanadien n’est pas visible sur les radars et que les gouvernements des quatre grandes provinces sont résolument droitistes et fédéralistes.

Cela vaut aussi pour le nouveau gouvernement libéral de l’Ontario, le seul d’ailleurs à ne pas critiquer fortement le nouveau budget fédéral, dont les priorités sont devenues la réduction de son déficit de près de 6 milliards $ et la résolution d’une grave crise énergétique due à la vétusté de son système nucléaire. En effet, l’intérêt du gouvernement ontarien est d’empêcher une percée conservatrice lors des prochaines élections fédérales car un éventuel gouvernement conservateur à Ottawa affaiblirait l’Ontario face à l’Ouest et probablement le Québec.

L’orientation générale du budget fédéral sera d’abord et avant tout de dégager du capital-argent pour financer :
 la croissance des actifs extérieurs,
 les prises de contrôle de l’impérialisme étasunien,
 la participation du Canada à la « guerre contre le terrorisme »,
 la hausse de la productivité en augmentant la recherche-développement publique, en rénovant les infrastructures et en améliorant la formation de la main-d’œuvre.

La marge de manœuvre prévue du budget est de 12 milliards $ (12 G$), soit le surplus du statu quo de 2003-04 (5.5 G$), celui anticipé de 2004-05 (4.2 G$), la vente des actions restantes de Pétro-Canada (2.0 G$) et l’injection de 0.25 G$ en capital de risque . Sauf les deux milliards $ pour la santé arrachés par les provinces - et encore là une partie pourra financer la recherche-développement rentable et exportable tout comme les « partenariats publics-privés » - les autres 10 G$ se moulent presque en entier aux buts de l’orientation du budget.

Ce 10 G$ se répartit comme suit :
Remboursement de la dette : 5.9 G$
o 2003-04 : 1.9 G$
o 2004-05 : 4.0 G$

Hausse de la productivité : 1.3 G$
o Post-secondaire : 0.1 G$
o Technologie : 0.5 G$
o Infrastructure : 0.7 G$

Guerre contre le terrorisme : 1.0 G$
o Armée : 0.3 G$
o Sécurité : 0.1 G$
o Urgence santé : 0.6 G$

Soutien des exportations : 1.0 G$
o Agro-industrie : 1.0 G$

On pourra objecter qu’une grande partie de ces argents iront à des gens et institutions qui en ont besoin. On pense à l’aide aux familles modestes pour l’éducation post-secondaire, aux universités, aux municipalités et aux agriculteurs. Le capital a beau être un rapport social (d’exploitation), il ne peut pas être virtuel pour autant. Il doit s’incarner dans le concret. Il y a aussi une nécessité politique d’emballage, en particulier d’emballage électoral. À l’analyse, cependant, il s’agit bien d’aider les gens à s’insérer dans l’ordre néolibéral canadien, à être du meilleur « capital humain ». Les transnationales n’investiront pas dans des cités congestionnées et insécures à la main d’œuvre inculte. Même les handicapés peuvent être rendus « employables ».

Le gouvernement Martin aura même poussé le cynisme à invoquer le scandale des commandites pour justifier cette austérité préélectorale. Comme si fraude et dépenses sociales s’équivalent. Idem de l’argument du menaçant vieillissement pour justifier le remboursement de la dette alors que l’on invite les travaillants à sur-accumuler maintenant pour leurs vieux jours. En réalité cette épargne forcée et risquée finance tant l’impérialisme canadien qu’étasunien.

Les gens d’affaires ont parfaitement compris la substantifique moelle du budget : vendre le restant de Pétro-Canada pour 2 G$ afin de diminuer immédiatement la dette d’autant. Il sera d’ailleurs intéressant de voir qui achètera ces actions.

Marc Bonhomme, 24/03/04