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Le Parti des travailleurs et les élections de 2002 au Brésil

mardi 17 septembre 2002

2002 est au Brésil une année électorale, marquée les 6 et 27 octobre par le premier et, éventuellement, le second tour de l’élection présidentielle. En même tempe seront réélus les gouverneurs des États fédéralisés, les sénateurs et les députés fédéraux comme étatiques. Pour la quatrième fois de suite Luis Ignacio da Silva « Lula », candidat du Parti des travailleurs (PT), soutenu par la Centrale unique des travailleurs (CUT), est présenté par les instituts de sondages comme pouvant l’emporter.

Mais contrairement aux élections de 1989, 1994 et, jusqu’à un certain point de 1998, sa campagne a d’emblée commencé par des concessions aux exigences patronales et, de plus, la direction du PT a fait le choix de passer outre les décisions du congrès du parti (2001) en optant pour une alliance privilégiée avec le Parti libéral (droite). Cela alors qu’on assiste à un renouveau des luttes sociales et que les mouvements sociaux mobilisent pour un référendum populaire contre le projet de la Zone du libre échange des Amériques (ZLÉA, cf. Inprecor n¡ 461/462 d’août-septembre 2001) qui doit se dérouler le 7 septembre et dont les résultats pèseront sur le futur gouvernement, quel qu’il soit.

Nous reproduisons ci-dessous la déclaration publique adoptée par nos camarades de la tendance Démocratie socialiste du Parti des travailleurs, qui met en garde contre l’inflexion de la politique du Parti et l’orientation de la campagne de « Lula ».

Déclaration de Démocratie socialiste [1]

Notre objectif est que le Parti des travailleurs (PT) reste un parti socialiste et démocratique, à l’encontre du cours que la majorité de la direction impose dans la campagne électorale en cours. La ligne que cette dernière a donnée à la campagne présidentielle surtout, mais également au niveau de certains États, est effectivement très préoccupante. La définition d’une alliance prioritaire avec un parti de droite le Parti libéral (PL) , la façon dont certaines positions programmatiques du PT, parmi les plus précieuses, sont dénaturées et la violation du sens de notre démocratie interne sont des problèmes vitaux eu égard au rôle que le PT se propose de jouer dans la société brésilienne.

Le problème de fond est de savoir comment nous pouvons mener, dans une situation complexe, face au chantage des « marchés », une campagne électorale victorieuse du point de vue électoral et politique. Et ceci tout en restant fidèles aux objectifs qui définissent l’existence de notre parti : nous voulons gagner le gouvernement central pour impulser une révolution démocratique au Brésil, en cohérence avec le projet de société que nous avons toujours réaffirmé dans nos documents programmatiques.

Il faut redire ici que les élections doivent être pour nous un temps fort dans la bataille d’idées pour avancer un projet de société alternatif. C’est ce débat qui nous permettra, par la lutte politique, de construire une force suffisante à la fois pour faire élire nos candidats et surtout pour permettre l’application de notre programme c’est-à-dire de faire élire les premiers de façon à être en mesure d’appliquer ce dernier.

Faute de construire, pendant le processus électoral, une identification à nos propositions, accompagnée d’une conception claire de qui sont les ennemis des couches populaires, de la façon pour celles-ci de prendre la pouvoir et d’imposer leur majorité à la société, nous nous transformerons en otages de nos adversaires et, dans l’hypothèse où nous parviendrions au pouvoir, nous ne pourrions rompre les puissants liens qui l’enserrent et le verrouillent à la logique des politiques néolibérales.

Les élections de 2002 et le chantage des « marchés »

Ce qui est en débat pour ces élections d’octobre 2002 visant à élire le président de la République, mais également la chambre fédérale, les gouverneurs et les chambres législatives des États [2] c’est la nation que nous voulons construire pour le XXIe siècle.

Un élément déterminant dans ce processus, en particulier dans la bataille présidentielle, est l’évolution économique du pays. Le gouvernement fédéral a cherché à masquer sa responsabilité dans la crise et à empêcher le débat sur des alternatives de fond à sa politique. Ses membres ont utilisé le terrorisme économique pour favoriser leur candidat et contraindre l’opposition populaire à se plier aux intérêts des marchés financiers. Ce même gouvernement, responsable de l’aggravation de la dépendance économique du pays, qui a donné aux fameux « marchés« un énorme pouvoir de pression, exige aujourd’hui cyniquement que l’opposition s’engage à suivre le chemin correct de la gestion économique.

Les déclarations combinées d’Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale des États-Unis (FED, banque centrale), de Stanley Fischer, l’ex-vice-directeur du Fonds monétaire international (FMI) et du méga-spéculateur George Soros, parmi de nombreuses autres, sur l’impact négatif pour les marchés de la candidature de Lula, démontrent à la fois que nos ennemis n’hésitent pas un instant à nous traiter comme tels et qu’ils visent à maintenir le Brésil sous la dictature du capital et des marchés internationaux (essentiellement nord-américains).

Le candidat du gouvernement [3] se présente aux élections avec un discours où s’articulent la continuité et le changement. Dans ses prises de position, il se prononce tant pour la défense de la continuité économique que pour des idées de politique de croissance et de redistribution de la richesse . Il peut, de cette manière, composer avec la remise en cause croissante du néolibéralisme et affronter, de façon opportuniste, l’assentiment croissant dont bénéficient dans la population le discours et les politiques publiques mises en oeuvre par les organisations populaires, notamment par les administrations (d’États et de villes, ndlr) des partis de gauche.

Cependant, les modifications des recettes néolibérales proposées par le candidat du gouvernement ou les autres partis bourgeois, ne sortent pas des marges du paradigme libéral. De telles variantes ne résulterait aucune altération significative du bloc de classes hégémonique dans la société brésilienne, ni aucun changement dans la logique d’insertion et de dépendance du Brésil vis-à-vis du marché mondial. Les fondements de la politique antinationale et antisociale actuelle seraient maintenus.

Le camp du gouvernement a démontré son caractère antidémocratique. La preuve en est la façon dont ont été utilisés, dans la campagne électorale, des expédients illégitimes et illégaux. L’exemple le plus clair est l’instrumentalisation de la politique fédérale contre le PT.

Outre Lula et le candidat du gouvernement, un troisième candidat, Ciro Gomes [4], participe à la campagne électorale avec des chances de l’emporter. Principal représentant de l’opposition bourgeoise, il se présente également comme candidat de la continuité et du changement d’une part, rappelant en permanence son rôle de ministre dans la mise en place du Plan Real et, de l’autre, se positionnant en opposition à l’actuel gouvernement (bien qu’il soit soutenu par des secteurs de la bourgeoisie et la majorité du Parti des forces libérales [5], très peu critiques vis-à-vis du gouvernement).

Un parti comme le nôtre, engagé en faveur de la radicalisation de la démocratie , a besoin de construire un vigoureux mouvement de discussion de notre programme avec la population. C’est seulement comme cela qu’il bénéficiera de la mobilisation et de la légitimité sociale nécessaires pour rompre avec la logique des « marchés », pour l’emporter et pour lancer l’application de notre programme de gouvernement.

Le changement que la majorité du peuple brésilien souhaite n’est possible qu’au moyen d’un large mouvement de masses, qui nous porte au gouvernement et qui nous soutienne face aux défis des transformations économiques, politiques et sociales que nous voulons conduire. Pour ce faire, nous devons maintenir le maximum de clarté sur la polarisation entre deux projets antagonistes : d’une part, celui des forces conservatrices et libérales, qui regroupe le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso et l’opposition bourgeoise (qui prétend réformer mais pas rompre ) et, de l’autre, celui des millions de travailleurs, de jeunes, de chômeurs et de militants sociaux, hommes et femmes qui souhaitent une rupture avec l’actuel modèle hégémonique. Un projet victorieux ne pourra pas être construit dans l’ambigu•té mais au contraire dans la clarté de ses choix et de ses propositions.

Les résolutions de la XIIe rencontre : rupture globale avec le modèle existant

Notre référence pour la période politique actuelle doit être les résolutions de la XIIe rencontre nationale du PT (de décembre 2001), en particulier le document intitulé « Conception et lignes directrices du programme de gouvernement du PT pour le Brésil », centré sur la construction d’une alternative effective au néolibéralisme, sur le terrain électoral. Dans les débats pour l’élection de la direction du Parti des divergences importantes ont été enregistrées à propos de ce programme. L’approbation de ce document par la Rencontre, avec toutefois l’incorporation de multiples amendements, a constitué un moment d’homogénéisation des positions politiques du parti.

Ces « lignes directrices » reprenaient le fil de l’élaboration politico-programmatique que le PT a réalisée depuis sa fondation, et plus particulièrement, depuis la Ve rencontre nationale de 1987, qui avait lancé la première candidature de Lula à la présidence. Les « lignes directrices » revendiquent le caractère démocratique et populaire de notre programme de gouvernement et affirment qu’il ne fait aucun doute qu’un gouvernement démocratique et populaire devra opérer une rupture effective globale avec le modèle existant, en jetant les bases pour la mise en place d’un modèle de développement alternatif . Le rejet de la voie de la démoralisation et de l’échec retentissant, que l’on peut désigner sous le nom d’alternative De la Rua [6], s’est alors clairement exprimé.

Ainsi, en évitant les illusions sur le caractère progressiste des classes dominantes brésiliennes, notre parti a affirmé dans les thèses adoptées que la mise en oeuvre de notre programme de gouvernement ne sera possible qu’à partir de la constitution d’une nouvelle alliance de forces, en rupture avec les pactes conservateurs successifs, qui ont dominé le pays depuis des décennies.

La crise du néolibéralisme et la montée des luttes populaires en Amérique latine

De certaine façon, la XIIe rencontre du PT reflétait l’avancée des luttes populaires et de la contestation du projet néolibéral qu’on a pu enregistrer tant au niveau national qu’international. De fait, le cadre international de la lutte des classes a commencé à se modifier dans un sens positif. L’instabilité croissante de l’économie mondiale, avec son cortège de crises, prive le projet néolibéral de sa légitimité et alimente une résistance qui, depuis la manifestation de Seattle fin 1999, a acquis un caractère international.

La crise politico-sociale est plus profonde en Amérique latine, accentuée par une récession globale qui touche fortement la région et par l’augmentation de la dette extérieure. Dans toute la région, la mise en place de politiques néolibérales a accru la misère, le chômage et a rendu les pays plus dépendants et plus vulnérables aux pressions du capital international. L’impérialisme nord-américain en veut pourtant encore plus : il souhaite imposer un nouveau pacte colonial en instituant la Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA). Il ne faut pas perdre de vue que le projet de ZLÉA s’accompagne d’un renforcement de la présence militaire nord-américaine dans la région, de la restriction des libertés démocratiques et d’une redéfinition du rôle des institutions continentales comme l’Organisation des États américains (OEA).

En contrepartie, l’Amérique latine est peut-être à l’heure actuelle la partie du monde où le dépassement de la période de dispersion et de fragmentation des luttes contre l’offensive libérale est le plus abouti. Nous assistons à une reprise des mobilisations et à la réorganisation des mouvements sociaux. « L’argentinazo », la défaite du coup d’État militaire commandité par les États-Unis au Venezuela, la montée des luttes sociales et l’augmentation de la présence institutionnelle de la gauche au Brésil, le renforcement des mobilisation en Uruguay et les luttes chaque fois plus vastes au Paraguay et en Bolivie, confirment la venue d’une nouvelle période de la lutte des classes.

Ce processus se combine à la montée du mouvement de résistance contre la mondialisation capitaliste et témoigne de l’émergence d’un internationalisme renouvelé, dont le Forum social mondial de Porto Alegre est une des expressions. Dans ce contexte, les résolutions de la XIIe rencontre expriment une orientation non seulement nécessaire, mais tout à fait viable.

La nécessité d’alliances cohérentes

Un parti socialiste doit rechercher des alliances sociales et politiques y compris sur le terrain électoral avec toujours comme référence un accord programmatique. De fait, la viabilité d’un gouvernement capable de mener à bien de profondes transformations sociales exige de la cohérence entre le programme et les alliances, dans un contexte de puissante mobilisation populaire et de profonde démocratisation de la société. Les alliances électorales occasionnelles avec des partis du centre, du centre-droit ou de droite non seulement ne satisfont pas à cette cohérence mais, pire, nuisent à notre capacité de mobilisation et de démocratisation, comme la pratique le démontre.

La systématisation de notre politique d’alliance, en direction du PL et d’autres partis extérieurs au camp démocratique et populaire, va à l’encontre de cette exigence de cohérence. Elle ne tient pas compte de notre propre histoire et ne se justifie pas si l’on fait un examen sérieux de nos succès et de nos défaites électorales passés. Au contraire, tout ce que nous avons traversé jusqu’à aujourd’hui renforce l’idée qu’un parti socialiste et démocratique doit se démarquer politiquement de la droite et de façon éthique de la corruption, que les transformations pour lesquelles nous luttons exigent la mobilisation d’une grande volonté politique dans l’unité du camp démocratique, sur un projet qui exprime et mobilise les espérances et la volonté de lutte des majorités nationales.

Orestes Quércia et les secteurs du PMDB [7] qui se sont ralliés à lui (vis-à-vis desquels la Rencontre du PT de l’État de S‹o Paulo a approuvé des efforts visant une alliance, qui finalement n’a pas eu lieu dans l’État mais a permis à des « quercistes » de soutenir Lula) peuvent être caractérisés comme étant de centre ou de centre-droit. Par contre, le PL est clairement un parti de droite. Il est impossible d’occulter le fait que, dans plusieurs États, il est partie prenante de la base de soutien du gouvernement. Son soutien à Paulo Maluf et à Antônio Carlos Magalh‹es [8] sont des exemples assez éloquents. Dans l’État d’Alagoas, le Parti libéral est contrôlé par le principal industriel de l’État, Carlos Lira. Nombre de ses députés sont impliqués dans des scandales de corruption et sont liés à Fernando Collor [9]. Deux d’entre eux ont été cités par la Commission parlementaire d’enquête sur le trafic des stupéfiants.

Le texte de la XIIe rencontre, même s’il entérine les efforts pour élargir la politique d’alliances en direction du centre, maintient un critère qui consiste à toujours avoir une base d’accord programmatique et ne mentionne en aucune façon la possibilité d’inclure des secteurs de droite comme le PL.

Le candidat du gouvernement se targue d’incarner le « continuisme » sans continuité et cherche à se donner de la légitimité en niant notre capacité à constituer une alternative ce qu’il fait en essayant de tirer un trait d’égalité entre le programme et les pratiques de Lula et du PT et les siens. Le principal candidat de l’opposition bourgeoise tente de faire de même.

Dans ce cadre, il est plus important que jamais de maintenir la netteté de notre projet et, en s’appuyant dessus, de gagner une légitimité comme représentants des luttes et des espoirs de millions de Brésiliens et de Brésiliennes. Voilà pourquoi nous sommes entièrement opposés à l’alliance avec Oreste Quércia et le PL, au niveau national et dans tous les États ce qui inclut évidemment l’État de Para’ba. Dans cet État, le camarade Avenzoar Arruda, un dirigeant de la DS, a défendu l’alliance avec le PL et la nomination d’un membre de ce parti comme candidat vice-gouverneur. Cette position n’a pas été soutenue par la tendance ; au contraire, l’alliance avec le PL heurte de front tout ce que nous avons toujours défendu.

La perspective du socialisme

L’échec du néolibéralisme, surtout en Amérique Latine, démontre que le capitalisme n’est pas une solution. Le modèle de développement économiquement viable, écologiquement respectueux et socialement juste que nous défendons ne pourra pas être construit à l’intérieur de ses limites.

Nous défendons l’articulation entre une perspective de gouvernement et un processus de changements plus vaste, la construction du socialisme. Cette conception provient non seulement des prises de position historiques du PT, mais aussi des expérience d’administration du parti, qui ont permis, à leur échelle, l’association de secteurs de la population à des décisions de gestion.

Elle s’appuie également sur l’évolution de la conjoncture internationale, comme l’a expressément reconnu le texte « Lignes directrices » approuvé lors de la rencontre de Recife : Des révoltes populaires se succèdent dans différents pays, en particulier en Amérique latine où le cas de l’Argentine est la dernière et la plus radicale des manifestations des conséquences de la politique imposée par le FMI. L’instabilité croissante de l’économie mondiale, agitée de crises récurrentes, délégitime le projet néolibéral. Ce changement du cadre politique mondial permet de combiner la défense de la souveraineté avec la lutte pour un ordre international radicalement distinct de celui qui est en construction. A la mondialisation du capital et des marchés nous devons opposer la solidarité et l’internationalisme des peuples. Ce contexte est plus favorable pour la défense d’un socialisme démocratique, de même qu’augmentent les perspectives de soutien international à un programme de gauche [10].

Une victoire du PT aux élections sera saluée par la gauche du monde entier. Au contraire des récentes victoires électorales de la droite, en Europe notamment, un gouvernement de gauche au Brésil ouvrirait de nouvelles possibilités pour la lutte pour le socialisme. Le renforcement de la souveraineté nationale, la non-signature de l’accord de ZLÉA, un projet de développement économique rompant avec la dépendance, un vigoureux mouvement de participation populaire, des prises de décision publiques et démocratiques sur toutes les questions, seraient des initiatives à même de dessiner les contours d’un autre modèle.

Critique de la position majoritaire dans la direction

Il y a trois aspects fondamentaux sur lesquels la position de la majorité de la direction du PT doit être critiquée : l’expression du contenu programmatique de la campagne, la définition des alliances et le fonctionnement interne du parti.

En premier lieu, devant la pression des « marchés », notre candidat et d’autres représentants de la campagne ont adopté des positions contradictoires. D’une part, ils dénonçaient correctement la responsabilité du gouvernement Cardoso dans la crise (tant par sa politique qui aggrave la dépendance de l’économie brésilienne que par les insinuations répétées que les candidats de l’oppositions seraient irresponsables) et réaffirmaient l’engagement du parti pour un changement. D’autre part, pourtant, ils ont cédé aux pressions et multiplié les déclarations visant à calmer les « marchés », mettant au second plan les résolutions programmatiques de la XIIe rencontre et, pire encore, ils ont affirmé qu’un gouvernement du PT maintiendrait un degré raisonnable de continuité avec l’actuelle politique économique.

La « Lettre au peuple brésilien » de Lula synthétise ces orientations contradictoires : réaffirmant l’engagement à mener des transformations fondamentales et en même temps garantissant que des aspects de la politique économique actuelle auxquels le capital financier tient le plus seraient maintenus. Enfin, le pire est qu’alors que la référence au nécessaire changement est générale, les garanties pour les marchés sont, elles, très précises.

Bien évidemment, toute manifestation du PT en faveur de la continuité d’aspects de la politique économique fait le jeu du candidat du gouvernement. Il peut avec raison se targuer d’être le plus cohérent dans ce sens et jusqu’à présent il ne s’en est pas privé.

Par ailleurs, comme on pouvait s’y attendre, les efforts pour tranquilliser les « marchés » ont donné des résultats très modestes. Leurs interprètes (les économistes des banques surtout) et les membres de l’équipe économique du gouvernement ont reconnu l’effort important fait par Lula pour se rapprocher de leurs positions, tout en déclarant nécessaire que ce dernier aille beaucoup plus loin dans cette voie. Le Ministre de l’économie a « suggéré » un accord sur le maintien du président de la Banque centrale. D’autres porte-voix des « marchés » ont condamné la viabilité des efforts de Lula et de sa direction de campagne pour gagner leur confiance, disant que la réputation est quelque chose qui se construit avec le temps et qu’il faudra encore des années pour que Lula puisse être considéré comme un ami des marchés .

De fait, la seule mesure de Lula qui satisferait pleinement les « marchés » serait l’annonce du retrait de sa candidature. Naturellement, cela ne réglerait en rien la crise, qui tire son origine profonde de l’aggravation de la dépendance, provoquée par les politiques du gouvernement Cardoso.

La meilleure méthode pour contrer le chantage n’est pas de céder au ma"tre-chanteur mais de contribuer à renforcer la compréhension, déjà acquise par une grande partie de la population, que ses intérêts sont contraires à ceux des banquiers et des spéculateurs afin de gagner une majorité à la lutte, nécessaire pour surmonter les obstacles à la construction d’un nouveau pays.

Les deuxième et troisième aspects criticables de la position de la majorité de la direction du PT sont liés à la politique d’alliance et au fonctionnement du parti. En fait, tant le contenu de sa politique que la manière dont elle est mise en oeuvre par la direction méritent une critique véhémente.

Un accord avec le PL comporterait des aspects inédits, qui iraient au-delà du fait qu’il s’agirait d’une alliance avec un parti clairement de droite (et cela seulement serait déjà totalement inacceptable). Les consignes données par la majorité de la direction nationale du PT consistent à accéder à toutes les demandes du PL. Ce qui signifie créer les conditions pour que ce parti ait le plus grand nombre possible de députés élus. Dans les États où le PL a intérêt à s’allier avec le PT, l’alliance est imposée à nos organisations locales. D’ailleurs, dans certains cas, l’alliance ne se fait que pour la partie proportionnelle du scrutin. Là où l’alliance n’intéresse pas le PL (dans les États de S‹o Paulo, Bah’a ou Rio de Janeiro, par exemple), le PL reste libre de faire ce qu’il veut (soutenir Maluf et Magalh‹es par exemple). Il n’y a aucune incohérence du PL dans ces soutiens, l’incohérence incombe totalement au PT ou, plus précisément à la majorité de sa direction.

On ne peut comprendre la position défendue par Lula qu’en l’écoutant justifier sa proposition d’alliance avec le PL en affirmant que ce qu’il vise n’est pas le soutien de ce parti, qui n’est d’ailleurs accordé que très partiellement. ce qui l’intéresse c’est le gain de temps d’antenne et, surtout, la possibilité d’avoir un grand patron comme vice-président [11].

En ce qui concerne l’État d’Alagoas, l’imposition de l’alliance avec le PL constitue une violence contre toute l’histoire de la construction du PT dans cet État et un mépris de la conscience de l’ensemble des militants. Cela jette aux orties la possibilité qu’avait la gauche de conquérir le gouvernement dans cet État, un gouvernement enfin débarrassé du joug des grands patrons industriels et de l’aval du syndicat du crime. Voilà pourquoi il y avait unanimité dans le PT de l’Alagoas contre cet accord. Pour cette raison la camarade Héloisa Helena [Héloisa Helena, sénatrice, est une dirigeante historique du Parti des travailleurs et de la tendance Démocratie socialiste.]et d’autres camarades ont retiré leur candidature.

A aucun moment, cette politique d’alliance avec le PL, avec tout ce qu’elle implique, n’a été débattue complètement et de façon claire par l’ensemble du parti. Le contenu des négociations avec le PL n’a pas été clarifié. Au lieu de cela, cet accord insolite est imposé à la base du parti par sa direction.

Nous nous battons pour un parti démocratique, où les décisions prises ensemble sont respectées en particulier les délibérations de rencontres nationales. Un parti dans lequel les candidats ne sont pas au-dessus du parti. Ceci est fondamental pour des raisons à la fois programmatiques et électorales : notre démocratie interne nous donne de la crédibilité pour défendre la démocratie dans la société.

Le caractère même de l’alliance avec le PL nous contraint à nous demander comment il est possible de transformer le pays en reproduisant les pratiques de la politique traditionnelle. La politique de garanties données aux « marchés » et d’alliance avec des secteurs du centre et de la droite a été menée par la majorité de la direction avec comme argument que cela augmentait les chances d’élection de Lula. Même si ceci était vrai, ce ne serait pas une justification suffisante : notre objectif ne peut pas être de gagner une élection à n’importe quel prix, fusse celui de l’abandon de notre cohérence et de notre programme.

Il est très douteux, cependant, que le pari que cette politique soit électoralement favorable ait quelque fondement. Enfin, la cohérence a toujours fait partie du patrimoine du PT et a constitué un grand avantage, y compris sur le plan électoral. Avoir un candidat à la vice-présidence comme le sénateur José Alencar (qui, non content d’être un grand patron, appartient à un parti de droite soutenant Maluf et Magalh‹es) n’aide pas la candidature de Lula : cela contredit toute l’histoire de Lula et du PT. De plus, le fait que Lula paraisse défendre des éléments de la politique de Cardoso tels que l’établissement d’un exercice budgétaire faisant abstraction du service de la dette et les mesures d’inflation ne peut que bénéficier au candidat Serra. Ou, peut-être, favoriser un candidat qui peut s’identifier de façon plus naturelle à cette idée de changement sans rupture, comme Ciro Gomes.

Pour conclure, notre critique de certains aspects fondamentaux de l’orientation de la campagne émane de gens qui luttent pour la victoire du PT et, plus que cela, pour un gouvernement qui puisse initier un processus de transformations de fond, d’universalisation des droits, de participation et d’organisation populaires et de conquête d’une souveraineté nationale effective.

Un gouvernement qui constitue un pas vers la construction du socialisme, l’élimination de toutes les formes d’oppression et d’exploitation.

Ce qui est en train de se produire est suffisamment grave pour ne pas être traité comme un incident mineur, que l’on peut oublier une fois les élections passées, quel qu’en soit le résultat. Ce qui est en jeu ici, c’est l’avenir du PT en tant que parti socialiste et démocratique.

le 21 juillet 2002


[1Démocratie socialiste (DS) est une tendance à l’intérieur du Parti des travailleurs, regroupant les militants qui s’identifient à la IVe Internationale. Elle publie la revue Em Tempo. Lors de la dernière élection interne, en septembre 2001, sa liste a obtenu 14,86 % des mandats (30 441 voix) et son candidat à la présidence du PT, Raul Pont, ancien maire de Porto Alegre, est arrivé en seconde position (derrière José Dirceu élu avec 55,29 % des voix), avec 17,53 % des voix. La DS est particulièrement implantée dans l’État de Rio Grande do Sul, où ses militants sont à l’origine de l’expérience du budget participatif dans plusieurs villes (dont la capitale, Porto Alegre) et au niveau de l’État, gouverné depuis 1999 par Olivio Dutra (qui avait soutenu la liste de la DS lors du congrès de 2001). Cf. Inprecor n¡ 461/462 d’août-septembre 2001 (débats dans le PT et professions de foi de la DS et de Raul Pont pour les élections internes au PT). Nous reproduisons ici la déclaration rendue publique par la Coordination nationale de Démocratie socialiste le 21 juillet 2002 et publiée dans Em Tempo n¡ 324 de juillet/août 2002. Traduit du brésilien par Miguel C.

[2Le Brésil est une république fédérale composée de 26 États et d’un district fédéral, siège de la capitale Brasilia.

[3José Serra, dans sa jeunesse militant d’Aç‹o Popular (organisation d’origine catholique, devenue mao•ste) et président de l’Union nationale des étudiants, exilé après le coup d’État militaire de 1964. Revenu au Brésil en 1979 (amnistie), militant du MDB (parti de l’opposition légale à la dictature), puis du PMDB, il est un des fondateurs du Parti social-démocrate brésilien (PSDB, le parti de F.H. Cardoso). Au sein du gouvernement de FHC il est apparu comme un « critique interne » du néolibéralisme gouvernemental, se réclamant du « néodéveloppementisme » (le « développementisme » à la sauce néolibérale). Son candidat à la vice-présidence est un militant de l’aile « progressiste » du PMDB, qui tentait d’appara"tre comme une opposition de fait au gouvernement FHC.

[4Ciro Gomes est présenté par le Parti populaire socialiste (PPS), issu de l’ancien Parti communiste brésilien (pro-Moscou), qui a connu une évolution similaire à celle des Démocrates de gauche (DS) d’Italie. En 1994 le PPS avait soutenue la candidature de Lula, mais depuis il a adopté une attitude de plus en plus ambigu’ envers le gouvernement de F.H. Cardoso. Lors de la présidentielle de 1998, Ciro Gomes avait obtenu 10,97 % des voix (derrière Lula 31,71 % et FHC 53,06 %).

[5Le Parti des forces libérales (PFL), a été fondé en 1984 par des politiciens issus de la dictature militaire (1964-1979), avec un lourd passé de corruption dans l’État de S‹o Paulo notamment. Son dirigeant historique dans cet État, Paulo Maluf, un ancien gouverneur, a la réputation d’être lié à la mafia.

[6Du nom du président argentin destitué, dont la politique a provoquée la crise financière, économique et sociale.

[7Le Parti du mouvement de la démocratie brésilienne (PMDB) a ses origines dans le MDB, le parti de l’opposition légale durant la dictature militaire. A la fin de la dictature ce fut le principal parti parlementaire, mais il a souffert d’une érosion des ses forces à la suite des affaires de corruption de ses dirigeants les plus en vue (en particulier les ex-gouverneurs de Sao Paulo, Orestes Quércia et Luiz Antonio Fleury). Des secteurs se réclamant de la droite, du centre et du centre-gauche cohabitent en son sein. Il a soutenu Fernando Henrique Cardoso (président sortant) lors de l’élection de 1999 et a fait partie de son gouvernement.

[8Antônio Carlos Magalh‹es est un ancien gouverneur de l’État de Minas Gerais, membre du PMDB et politicien notoirement corrompu.

[9Fernando Collor, ancien président de la République. Élu en 1989 il a été destitué, après de grandes mobilisations, pour corruption (il aurait reçu 6,5 millions de dollars de pots-de-vin entre 1989 et 1992) en septembre 1992 par l’Assemblée nationale par 441 voix contre 48.

[10Article 54 du texte « Conception et lignes directrices du programme de gouvernement du PT pour le Brésil » adopté par la XIIe rencontre tenue à Recife.

[11Le sénateur José Alencar, le chef de file du PL, est un grand entrepreneur du textile.

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