" Union leaders sold out " (Les chefs syndicaux nous ont vendu) et " Screwed by our Union leaders " (Crossés par nos chefs syndicaux) pouvaient-on lire sur les pancartes de piqueteuses et piqueteurs en ce lundi matin, 3 mai. À Victoria et à Burnaby, banlieue de Vancouver, des groupes de grévistes allèrent jusqu’à dresser des lignes de piquetage devant les bureaux du principal syndicat en grève, le Hospital Employees Union (HEU), affilié au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), pourtant réputé être un des plus combatifs de la Colombie britannique.
La veille au soir, les dirigeants du HEU avait signé avec le gouvernement Campbell une entente entérinant une baisse salariale de 10%, un allongement de la semaine de travail de 90 minutes par semaine et une privatisation de 600 postes de travail sur les prochains deux ans, qui s’ajouteront aux plus de 2 000 postes déjà privatisés. Confronté à la colère de sa base, le président du HEU donna comme excuse qu’il avait évité le pire puisque l’employeur ne voulait aucune limite à la privatisation en plus d’imposer les coupures salariales à partir du début avril et non du début mai.
Certes, le gouvernement Campbell avait joué très dur. À peine quatre jours après le début de la grève, le 22 avril, il fit voter sa loi spéciale 37 imposant le recul salarial et ordonnant le retour immédiat au travail. En comparaison, le gouvernement terre-neuvien avait au moins attendu un mois avant de légiférer et s’était contenté d’imposer un gel salarial ! Pourtant le gouvernement britano-colombien est très peu endetté et a un très faible déficit en comparaison du celui de la plus pauvre province du Canada. Comme quoi l’état des finances publiques est pur prétexte sans compter qu’il est aussi une pure fabrication politique.
Devant le refus d’obtempérer du HEU, appuyé par tout le mouvement syndical - y compris la plus importante et très affairiste fédération du secteur privé, la IWA (forêt et pâtes et papier), dont le dirigeant sera candidat libéral aux prochaines élections fédérales - et même par certains débrayages dans le secteur public, un juge de la Cour suprême de la CB, à trois jours d’avis, condamna le syndicat, ouvrant ainsi la porte à des pénalités monétaires considérables. Finalement la Sainte Trinité du premier ministre, du juge et du chef syndical - d’un syndicat à 85% féminin et comportant une forte minorité de travailleuses d’Asie du Sud et du Sud-Est - imposa sa volonté sans que la base syndicale ne puisse nullement en délibérer et encore moins se prononcer. Démocratie syndicale ? Connais pas !
Un début de grève générale tué dans l’œuf
Pourtant se dessinait un mouvement de grève générale déjà amorcé la veille de la capitulation syndicale par les syndicats du rail-traversiers et de l’hydro-électricité, et qui promettait être de grande ampleur dès le lendemain le 3 mai. Non seulement les syndicats de l’éducation, des municipalités et du transport public allaient-ils débrayer mais allaient tout probablement suivre le lendemain ceux des fonctionnaires provinciaux et fédéraux et d’au moins une usine de pâte et papier, et puis le surlendemain d’autres syndicats de l’hôtellerie, de navires de croisière et du commerce de détail. Il faut comprendre qu’après trois ans de pouvoir, l’impopularité du gouvernement Campbell est à son comble. En mars, presque les deux tiers des gens sondés le désapprouvaient et ce fortement pour presque la moitié.
Bien sûr, rien n’était gagné d’avance. Les syndicats du secteur public auraient-il été prêts à prolonger une grève illégale de solidarité ? Il faut dire qu’ils y avaient quelque peu intérêt puisque leur tour de renégocier leurs conventions viendra d’ici peu. Il est facile de comprendre qu’il ne sert à rien d’aller à l’abattoir l’un derrière l’autre. Les syndicats du privé auraient-ils débrayés en grand nombre ? Eux et elles aussi y avaient intérêt puisque les coupures drastiques dans les services publics frappent toute la population.
Il faut aussi compter sur une tradition de solidarité dans cette province historiquement polarisée entre droite et gauche. Il y a 20 ans, le mouvement " Solidarity " parvint à regrouper l’ensemble des syndicats et groupes populaires contre le gouvernement créditiste d’alors... avant que les hautes directions syndicales ne le bousillent en consentant une entente à rabais et à la hâte. Comme disait Karl Marx, " l’histoire se répète, la première fois comme une tragédie, ensuite comme une farce. "
La farce actuelle était d’autant plus mauvaise que la direction du HEU avait déjà accepté la baisse salariale il y un an, ce que la base avait refusé de ratifier, que l’IWA maraude le HEU en syndiquant ses membres privatisés tout en acceptant la baisse de 50% de leurs salaires et que le SCFP n’avait comme seul plan de riposte qu’une journée de grève à un temps indéterminé. Malgré l’attitude capitularde et la totale incurie des directions syndicales, le lundi 3 mai allait être une journée de grève quasi générale qui aurait pu être reconductible.
Quel plan de lutte, quelle alternative ?
Quelle peut bien être alors la stratégie des hautes directions syndicales ? Comme perspective, le président du HEU invite ses membres à la bataille électorale de l’an prochain. Pourtant, l’électorat avait été tellement déçu du dernier gouvernement NPD que le parti Libéral de Campbell avait gagné tous le sièges parlementaires sauf quatre. On devine la nature des politiques du NPD britano-colombien quand on sait que son dernier chef est maintenant candidat libéral, que l’avant-dernier est conseiller libéral et que son prédécesseur, un ancien dirigeant syndical, avait dû démissionner pour cause de trafic d’influence.
Pas de plan de bataille, pas de revendications unificatrices, par d’organisation à la base, par d’alternative politique alors qu’une grève générale en pose toujours la possibilité. Voilà la recette infaillible de la défaite quelque soit la spontanéité combative de la base que les chefs syndicaux, en habiles politiciens, se contentent de surfer avant de trahir.
Marc Bonhomme, 8 mai 2004