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La guerre et l’impérialisme

La voie canadienne

dimanche 11 mai 2003, par David McNally

Les mythes nationaux ont la vie dure. Et peu de mythes canadiens est plus enraciné que celui que ce pays est un gardien de la paix, libre du militarisme et de l’impérialisme que l’on retrouve aux États-Unis. Mais cette vue est un fantasme qui maquille des vérités repoussantes.

Prenons par exemple la participation canadienne à la guerre en Irak. Alors que plusieurs au Canada ont cru que les forces armées du pays n’avaient pas participé à la guerre, la réalité est tout autre. Vingt-cinq organisateurs militaires canadiens étaient des membres actifs du commandement de la centrale militaire américaine à Qatar, (CENTCOM), l’organisme qui a planifié et supervisé l’attaque contre l’Irak. Environ 1 300 membres de l’armée sur trois navires de guerre ont accordé une protection aux porte-avions américains à partir desquels nombre d’attaques aériennes ont été lancées. Le Canada avait aussi 31 soldats à l’intérieur de l’Irak collaborant avec les forces américaines et britanniques, y compris dix pilotes canadiens qui ont participé à des bombardements aériens de l’Irak. En plus de tout cela, le gouvernement canadien a permis aux avions américains en route vers les Golfe Persique de faire le plein et de changer leur équipage à Terre-Neuve.

Peu importent ses motivations, lorsque que l’ambassadeur américain Paul Cellucci affirme que le Canada a offert le plus important soutien à la guerre en Irak si ce n’est trois ou quatreautres nations, il a raison.

Outre, cet engagement militaire direct, les entreprises canadiennes sont un important producteur d’équipements pour la machine de guerre américaine. Les entreprises canadiennes exportent environ trois milliards de dollars d’équipements militaires aux États-Unis chaque année. Sont construits au Canada des simulateurs de vol , des systèmes de gestion des vols, des ordinateurs et des réseaux informatiques, des systèmes de guidage, des hélicoptères , des bombardiers, des chasseurs, des véhicules blindés et des navires utilisés dans les attaques en Irak. Il n’est pas surprenant que les milieux d’affaires canadiens se soient prononcés fortement en faveur de la guerre.

Ce n’est pas parce que la classe des affairistes canadiens est une simple marionnette des capitalistes américains comme l’ont prétendu certains commentateurs. Au contraire, la classe des affairistes canadiens représente une section puissante et bien organisée du capitalisme international et qui a ses propres entreprises impérialistes.

L’impérialisme canadien

Talisman Energy de Calgary est la compagnie canadienne qui a connu la plus grande notoriété ces années-ci (pour des liens avec un gouvernement qui tolérait l’esclavage et la terreur contre les civils), mais le cas de cette entreprise est loin d’être un cas isolé. Plus tôt cette année, par exemple, un colloque de l ’ONU a accusé huit compagnies minières canadiennes d’avoir violé les règles internationales dans leurs activités au Congo, alors que trois millions de personnes sont mortes durant des guerres civiles. Ces accusations s’ajoutaient aux indications que des entreprises minières canadiennes opérant en Tanzanie avaient autorisé des assassinats massifs de mineurs.

Toutes ces rapports ont rendu évident, que les entreprises minières canadiennes exploitent une main d’œuvre à bon marché, en collaborant avec des gouvernements corrompus et en fermant les yeux (lorsquelles n’y sont pas impliquées) sur la terreur contre des civils en Afrique - accusations qui sont faites contre les entreprises les plus cupides dans le monde. Et ces entreprises minières sont loin d’être les seules entreprises canadiennes qui exploitent les ressources abondantes, les travailleurs opprimés et ayant des rapports troubles avec les gouvernements du Tiers-monde.

Nous ne devrions pas être surpris que les critiques venant du Tiers-monde pointent du doigt les entreprises canadiennes car le Canada compte nombre d’entreprises multinationales dans les télécommunications, l’aluminium, l’exploitation forestière, l’énergie, les chaussures, le caoutchouc et d’autres encore. De plus, les banques canadiennes opèrent largement sur les marchés globaux, et particulièrement dans les Caraïbes où se retrouvent souvent les institutions financières étrangères dominantes. C’est particulièrement le cas de la Banque Royale du Canada dont les racines aux Indes occidentales remontent à 1882.

Plutôt, qu’une petite économie dépendante, le Canada est une composante du monde capitaliste développé et accueille les principales banques et entreprises. Comme l’a souligné une importante étude sur les firmes globales au Canada : « les multinationales canadiennes ne sont pas des imitateurs de troisième niveau, et elles sont souvent près des sommets dans leur secteur respectif ». Et toutes ces entreprises sont aussi exploiteuses et impérialistes qu’elles le peuvent.

Quelques nationalistes canadiens prétendent que le milieu des affaires de ce pays est menacé d’être complètement absorbé par le capital américain, mais les faits nous racontent une autre histoire. En fait, les capitalistes canadiens sont des joueurs de premier ordre dans le monde des investissements étrangers et des prises de contrôle globales. Ils sont même devenus des acteurs significatifs dans l’économie mondiale.

Entre 1994 et 2001, par exemple, les entreprises canadiennes ont acheté 384 entreprises américaines de plus que ces dernières l’ont fait pour les entreprises canadiennes. Voyons cela en dollars. Les capitalistes canadiens ont dépensé 46 milliards de plus pour l’achat d’entreprises américaines que ces dernières ont consacré à l’achat de firmes au pays.

Il en a résulté, que les entreprises canadiennes ont renforcé leur présence dans les premières lignes du milieu des affaires au niveau mondial. Au début des années 90, par exemple les actifs des entreprises canadiennes à l’étranger étaient égaux à 23% du Produit Intérieur Brut. En 2001, les actifs étrangers détenus par les entreprises canadiennes sont maintenant de 54% du Produit Intérieur Brut. Depuis 2000, le capitalisme canadien a connu « un surplus de dividendes - c’est-à-dire que le flux des dividendes découlant des investissements canadiens à l’étranger excède les dividendes sortant du Canada - et cela à une hauteur de 3,5 milliards de dollars.

L’opposition du tiers monde.

On ne devrait pas être surpris alors, que les entreprises d’origine canadienne aient souvent été les cibles de l’opposition dans le Tiers-Monde. Plus récemment, Talisman Energy a été la cible d’une campagne mondiale qui l’a conduit, au bout du compte, à vendre ses opérations au Soudan. Mais Talisman est loin d’être un cas isolé. Un des cas les plus célèbres de l’opposition du Tiers-Monde au Capital canadien s’est produit à Trinadad en 1970.

Les événements ont commencé en 1968-69 quand des étudiants Noirs de Sir George Williams à Montréal (maintenant l’Université Concordia) ont commencé à protester contre le racisme dans l’institution. Alors que les administrateurs de l’Université refusaient d’entendre leurs revendications, les étudiants ont occupé le centre informatique de l’Université. Plutôt que de négocier, l’administration a fait intervenir la police anti-émeute. Des 97 protestataires arrêtés, dix étaient des étudiants de Trinidad.

Alors que les procès des protestataires s’ouvraient à Montréal au début des années 1970, la protestation à Trinidad était dirigée contre la Commission canadienne et la principale succursale de la Banque Royale du Canada. Quand les étudiants de Montréal ont été arrêtés, d’autres manifestations ont été organisées. Un régiment de 700 personnes à Trinidad s’est mutiné plutôt que de réprimer le mouvement. Comme d’autres manifestantEs en Afrique aujourd’hui, ceux qui ont pris la rue à Trinidad en 1970 ont dénoncé directement le racisme et l’impérialisme sur lesquels le capitalisme canadien s’est érigé. Beaucoup de cet héritage découle de la colonisation des peuples indigènes et de la conquête du peuple de la Nouvelle-France (plus tard le Québec), et nous ne devrions jamais oublier les opérations impérialistes internationales des entreprises canadiennes.

Anti-impérialisme

En somme, le capital canadien est un important acteur au sein du capitalisme mondial. Il est vrai que le milieu des affaires canadien n’est pas de la même envergure que le pouvoir entrepreneurial américain (et de la machine de guerre sur laquelle il repose). Mais aucune autre classe capitaliste sur une base nationale ne peut se comparer aux entreprises américaines maintenant. Cela n’empêche pas les classes dirigeantes de France, de Grande-Bretagne, d’Allemagne, du Japon, de l’Italie, de la Belgique et du Canada, d’accueillir des entreprises multinationales et des banques qui forment une partie significative de l’impérialisme mondial et d’être complice du racisme et de le soutenir.

C’est pourquoi , quand les militantEs anti-guerre et d’autres deviennent anti-impérialistes, cela ne doit pas équivaloir à l’opposition à l’empire américain, aussi important cela soit-il. Un anti-impérialisme conséquent signifie l’opposition aux pratiques exploiteuses des entreprises et des banques multinationales et de leur gouvernement et à leur armée qui les protègent. Quand le Canada est impliqué, l’anti-impérialisme commence dans son propre pays.

David McNally est un membre du New Socialist Group.
newsoc@web.net
www.newsocialist.org

Traduction La Gauche