11 mars 2004
Double standards
La Maison blanche a remis en question la capacité du président haïtien Jean-Bertrand Aristide "à gouverner son pays". Selon un communiqué officiel de la Maison blanche émis un jour avant le départ d’Aristide pour la République dominicaine : "Son échec à adhérer aux principes démocratiques a contribué à la profonde polarisation et aux violentes émeutes auxquelles nous assistons aujourd’hui en Haïti. Ses propres actions remettent en question sa capacité à gouverner Haïti. Nous l’invitons à examiner sa position soigneusement, à accepter la responsabilité, et à agir dans l’intérêt du peuple d’Haïti."
Ne devrions-nous pas maintenant appliquer les mêmes standards au Président George W. Bush qui a menti au peuple américain, violé le droit international et mené une guerre criminelle sur base d’un faux prétexte ?
*****
Le présent article a été rédigé durant les derniers jours de février 2004 en réponse au barrage de désinformation dressé par les médias traditionnels. Il a été complété le 29 février 2004, le jour du départ pour l’exil du président Jean-Bertrand Aristide.
*****
L’insurrection armée qui a contribué à renverser le président Aristide le 29 février 2004 a été le résultat d’une opération de type militaire, combinée à des opérations de renseignements, minutieusement préparée.
L’armée paramilitaire des rebelles a traversé la frontière de la République dominicaine au début du mois de février. Il s’agit d’une unité paramilitaire bien armée, équipée et entraînée à laquelle se sont intégrés d’anciens membres du Front pour l’Avancement et le Progrès en Haïti (FRAPH), les escadrons de la mort en " vêtements civils " impliqués dans les massacres de civils et assassinats politiques perpétrés durant le coup d’Etat militaire de 1991, sponsorisé par la CIA, et qui avait débouché sur le renversement du gouvernement démocratiquement élu du président Jean-Bertrand Aristide.
Le Front autoproclamé pour la Libération et la Reconstruction nationale (FLRN) est dirigé par Guy Philippe, un ancien membre des Forces armées haïtiennes et par ailleurs chef de la police. Durant la période du coup d’Etat de 1991, Philippe avait subi un entraînement auprès des Forces spéciales américaines en Equateur, en même temps qu’une douzaine d’autres officiers de l’armée haïtienne (voir Juan Gonzalez, New York Daily News, 24 février 2004).
Les deux autres commandants rebelles et associés de Guy Philippe, qui ont dirigé les attaques contre Gonaïves et Cap-Haïtien, sont Emmanuel Constant, surnommé " Toto ", et Jodel Chamblain. Tous deux sont d’anciens Tontons Macoutes et sont des dirigeants du FRAPH.
En 1994, Emmanuel Constant dirigeait l’escadron de la mort du FRAPH dans le village de Raboteau, opération que l’on appela plus tard le " Massacre de Ramboteau " :
" L’un des derniers massacres infâmes eut lieu en avril 1994 à Raboteau, un bidonville côtier à quelque 150 km au nord de la capitale. Raboteau compte environ 6.000 habitants, la plupart sont pêcheurs ou sauniers, mais il a la réputation d’être un bastion de l’opposition où des dissidents politiques viennent souvent se cacher. (...) Le 18 avril [1994], une centaine de soldats et une trentaine de paramilitaires débarquèrent à Raboteau pour ce que les enquêteurs allaient appeler plus tard une ’répétition générale’. Ils allaient sortir des gens de chez eux, leur demandant où se cachait Amiot ’Cubain’ Metayer, un partisan bien connu d’Aristide. Ils tabassèrent de nombreuses personnes, dont une femme enceinte qui en fit une fausse couche, et ils forcèrent d’autres personne à boire à même les égouts à ciel ouvert. Des soldats torturèrent un vieil aveugle de 65 ans jusqu’à ce qu’il vomisse du sang. L’homme mourut le lendemain.
" Le 22 avril avant l’aube, les soldats réapparaissaient. Ils mirent des maisons à sac et abattèrent des gens en rue et lorsque les habitants s’enfuyèrentt vers l’eau, d’autres soldats leur tirèrent dessus depuis des embarcations qu’ils avaient réquisitionnées. La mer allait rejeter des corps durant plusieurs jours. D’autres ne furent jamais retrouvés. Le nombre des victimes a été estimé entre deux douzaines et une trentaine. Des centaines d’autres allaient fuir la ville, craignant de nouvelles représailles. " (St Petersburg Times, Floride, 1er septembre 2002)
Durant le pouvoir militaire (1991-1994), le FRAPH passa (non officiellement) sous la juridiction des forces armées, prenant ses ordres chez le commandant en chef, le général Raoul Cedras. Selon un rapport de la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies, daté de 1996, le FRAPH avait bénéficié du soutien de la CIA.
Sous la dictature militaire, le trafic de drogue fut protégé par la junte militaire qui, de son côté, était également soutenue par la CIA. Les dirigeants du coup d’Etat de 1991, y compris les commandants paramilitaires du FRAPH, figuraient sur les feuilles de paie de la CIA. (Voir Paul DeRienzo, http://globalresearch.ca/articles/RIE402A.html , Voir également Jim Lobe, IPS, 11 oct. 1996).
A ce propos, Emmanuel Constant, alias " Toto ", confirma, dans l’émission " 60 Minutes " de la CBS, en 1995, que la CIA le payait environ 700 dollars par mois et qu’il avait créé le FRAPH alors qu’il était sur les feuilles de paie de l’agence. (Voir Miami Herald, 1er août 2001). Selon Constant, le FRAPH avait été constitué " avec les encouragements et le soutien financier de la Defense Intelligence Agency [la DIA] américaine et de la CIA " (Miami New Times, 26 février 2004).
L’" opposition civile "
La prétendue " Convergence démocratique " (CD) est un groupe de quelque 200 organisations politiques dirigé par l’ancien maire de Port-au-Prince, Evans Paul. Cette CD, conjointement au " Groupe des 184 Organisations de la Société civile "(G-184) a constitué ce qu’elle appelle une " Plate-forme démocratique des Organisations de la Société civile et des Partis politiques de l’Opposition ".
Le G-184 est dirigé par André (Andy) Apaid, un citoyen américain né aux Etats-Unis de parents haïtiens (Haiti Progres, http://www.haiti-progres.com/eng11-12.html). Andy Apaid possède Alpha Industries, l’une des plus importantes lignes d’assemblage destiné à l’exportation et à main-d’œuvre bon marché, installées durant l’époque Duvalier. Ses bagnes produisent des produits textiles et des assemblages électroniques pour un certain nombre de firmes américaines, parmi lesquelles Sperry/Unisys, IBM, Remington et Honeywell. Apaid est le plus gros employeur industriel de Haïti avec une main-d’oeuvre de quelque 4.000 travailleurs. Les salaires payés dans les usines d’Andy Apaid ne dépassent pas 68 cents par jour (Miami Times, 26 février 2004). L’actuel salaire minimal à Haïti est de l’ordre de 1,50 dollars par jour :
" Le Comité national de l’Emploi, cantonné aux Etats-Unis, qui a été le premier à dénoncer le scandale Kathie Lee Gifford des mauvaises conditions de travail, a rapporté, voici plusieurs années déjà, que les usines d’Apaid situées dans la zone haïtienne de libre échange payaient souvent des salaires inférieurs au salaire minimal et que ses employées sont obligées de travailler 78 heures par semaine. " (Daily News, New York, 24 février 2004)
Apaid fut un fervent soutien du coup d’Etat militaire de 1991. Aussi bien la CD que le G-184 ont des liens avec le FLRN (anciennement les escadrons de la mort du FRAPH) dirigé par Guy Philippe. On sait également que le FLRN reçoit des fonds de la communauté haïtienne des affaires.
En d’autres termes, il n’y a pas de division bien tranchée entre l’opposition civile, qui se prétend non violente, et les paramilitaires du FLRN. Ce dernier collabore avec la prétendue " Plate-forme démocratique ".
Le rôle de la Fondation nationale pour la Démocratie (FND)
A Haïti, cette " opposition civile " est soutenue financièrement par la Fondation nationale pour la Démocratie qui travaille main dans la main avec la CIA. La Plate-forme démocratique est soutenue par l’Institut républicain international (IRI), l’une des composantes actives de la FND. Le sénateur John McCain est président du conseil de direction de l’IRI. (Voir Laura Flynn, Pierre Labossière et Robert Roth, Hidden from the Headlines : The U.S. War Against Haiti (Loin des gros titres : la guerre des Etats-Unis contre Haïti), California-based Haiti Action Committee (HAC), http://www.haitiprogres.com/eng11-12.html ).
Le dirigeant du G-184, Andy Apaid, était en relation avec le secrétaire d’Etat Colin Powell durant toute la période qui a précédé le départ du président Aristide pour la République dominicaine, le 29 février dernier. Son organisation parapluie des cercles d’affaires de l’élite et des ONG religieuses, également soutenue par l’IRI, reçoit des sommes d’argent considérables de l’Union européenne. ( http://haitisupport.gn.apc.org/184%20EC.htm ).
Il est utile de rappeler que si la FND (que supervise l’IRI) ne fait pas officiellement partie de la CIA, elle joue d’importantes fonctions sur le plan des renseignements dans l’arène des partis politiques civils et des ONG. Elle a été créée en 1983, à l’époque où la CIA était accusée de corrompre en secret les hommes politiques et de monter de fausses organisations de front de la société civile. Selon Allen Weinstein, l’homme qui avait mis la FND sur pied à l’époque de l’administration Reagan, " une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui l’était déjà, mais en secret, par la CIA, voici 25 ans ". (Washington Post, 21 septembre 1991).
La FND draine des fonds du Congrès vers quatre institutions : l’International Republican Institute (IRI), le National Democratic Institute for International Affairs (NDI), le Center for International Private Enterprise (CIPE), et l’American Center for International Labor Solidarity (ACILS. Il est dit que ces organisations ne sont " qualifiées que pour fournir de l’assistance technique aux démocrates en herbe du monde entier ". (Voir IRI, http://www.iri.org/history.asp)
Autrement dit, il existe une répartition des tâches entre la CIA et la FND. Alors que la CIA fournit son soutien secret à des groupes rebelles de paramilitaires armés et autres escadrons de la mort, la FND et ses quatre organisations constituantes financent des partis politiques " civils " et des ONG en vue d’installer la " démocratie " à l’américaine aux quatre coins du monde.
La FND constitue donc en quelque sorte le " bras civil " de la CIA. Les interventions combinées des deux organisations dans diverses parties du monde sont caractérisées par un modèle constant, utilisé dans de nombreux pays.
La FND fournit des fonds aux organisations de la " société civile " au Venezuela, fonds qui ont permis de mettre sur pied une tentative de coup d’Etat contre le président Hugo Chavez. Au Venezuela, ce fut la " Coordination démocratique " qui bénéficia du soutien de la FND ; à Haïti, il s’agit de la " Convergence démocratique " et du G-184.
De la même manière, dans l’ancienne Yougoslavie, depuis 1995, la CIA a fait parvenir son soutien à l’Armée de Libération du Kosovo (UCK), un groupe paramilitaire impliqué dans des attentats terroristes contre la police et l’armée yougoslaves. Dans le même temps, via le CEPI, la FND soutenait la coalition d’opposition du DOS en Serbie et au Monténégro. Plus spécifiquement, la FND finançait le G-17, un groupe d’opposition constitué d’économistes responsables de la formulation (en liaison avec le FMI) de la plate-forme de réformes d’" ouverture du marché " de la coalition du DOS, lors des élections présidentielles de 2000 qui conduisirent à la chute de Slobodan Milosevic.
Le douloureux " remède économique " du FMI
Le FMI et la Banque mondiale sont des acteurs de premier plan dans le processus de déstabilisation économique et politique. Tout en étant appliquées sous les auspices d’un corps intergouvernemental, les réformes du FMI tendent à soutenir les objectifs de la stratégie et de la politique étrangère des Etats-Unis.
Reposant sur le prétendu " consensus de Washington ", les mesures d’austérité et de restructuration du FMI contribuent souvent, via leurs effets terriblement dévastateurs, à déclencher des contestations sociales et ethniques. Les réformes du FMI ont souvent précipité la chute de gouvernements élus. Dans certains cas extrêmes de désorganisation économique et sociale, les mesures économiques pénibles du FMI ont contribué à la déstabilisation de pays tout entiers, comme ce fut le cas en Somalie, au Rwanda et en Yougoslavie. (Voir Michel Chossudovsky, The globalization of Poverty and the New World Order (La globalisation de la pauvreté et le Nouvel Ordre Mondial), 2e édition, 2003, http://globalresearch.ca/globaloutlook/GofP.html )
Le programme du FMI est en permanence un instrument de désorganisation économique. Les réformes du FMI contribuent à remodeler et à minimiser les institutions de l’Etat via des mesures draconiennes d’austérité. Ces dernières sont appliquées simultanément avec d’autres formes d’intervention et d’ingérence politique, y compris les activités sous le manteau de la CIA visant à soutenir des groupes paramilitaires rebelles et des partis politiques d’opposition.
En outre, des réformes qualifiées de " relance d’urgence " ou de " post-conflictuelles " sont souvent introduites sous la direction du FMI, dans le sillage d’une guerre civile, d’un changement de régime ou dans le cadre d’une " urgence au niveau national ".
A Haïti, le FMI a sponsorisé des réformes de " libéralisation du marché ", lesquelles ont été appliquées régulièrement depuis l’époque Duvalier. Elles ont également été appliquées à plusieurs niveaux depuis la première élection du président Aristide, en 1990.
Le coup d’Etat militaire de 1991, qui a eu lieu huit mois seulement après l’accession de Jean-Bertrand Aristide à la présidence, visait en partie à supprimer les réformes progressistes du gouvernement et à réinstaurer l’agenda politique néo-libéral de l’ère Duvalier.
En juin 1992, un ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, Monsieur Marc Bazin, fut désigné au poste de Premier ministre par la junte militaire. En fait, c’était le département d’Etat américain qui avait poussé à sa nomination.
Bazin avait la réputation d’avoir toujours travaillé pour le " consensus de Washington ". En 1983, il avait été désigné au poste de ministre des Finances sous le régime Duvalier. En fait il avait été recommandé à ce portefeuille par le FMI : " Le ’président à vie’ Jean-Claude Duvalier avait été d’accord avec la désignation d’un candidat du FMI, l’ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, Marc Bazin, comme ministre des Finances. " (Mining Annual Review, juin 1983). Plus tard, Bazin, qui était considéré comme le " favori " de Washington, se présenta contre Aristide lors des élections présidentielles de 1990.
Bazin fut donc désigné par la junte militaire, en 1992, pour former un prétendu " gouvernement de consensus ". Il est utile de faire remarquer que ce fut précisément durant la période où Bazin fut Premier ministre qu’eurent lieu les massacres politiques et les tueries extra-judiciaires perpétrés par les escadrons de la mort du FRAPH, soutenus par la CIA. Plus de 4.000 civils furent tués. Quelque 300.000 se muèrent en réfugiés internes, " des milliers d’autres s’enfuirent de l’autre côté de la frontière, en République dominicaine, et plus de 60.000 quittèrent le pays par la mer ". (Déclaration de Dina Paul Parks, directrice exécutive de la Coalition nationale des Droits des Haïtiens, Commission sénatoriale de la Justice, Sénat des Etats-Unis d’Amérique, Washington DC, 1er octobre 2002). Pendant ce temps, la CIA avait lancé une campagne de calomnies présentant Aristide comme un personnage " instable mentalement ". (Boston Globe, 21 septembre 1994).
L’intervention militaire américaine de 1994
Après trois années de pouvoir militaire, les Etats-Unis intervenaient en 1994, envoyant à Haïti des troupes d’occupation et des " gardiens de la paix " : 20.000 hommes en tout. Cette intervention ne prévoyait pas de restaurer la démocratie. Bien au contraire : elle fut menée pour empêcher une insurrection populaire contre la junte militaire et ses partisans néo-libéraux.
En d’autres termes, l’occupation militaire américaine visait surtout à assurer la continuité politique.
Alors que les membres de la junte militaire étaient envoyés en exil, le retour du gouvernement constitutionnel requérait l’obéissance aux dictats du FMI, excluant de la sorte toute possibilité d’une alternative " progressiste " au planning néo-libéral. De plus, les troupes américaines allaient rester dans le pays jusqu’en 1999. Les forces armées haïtiennes furent dissoutes et le département d’Etat américain loua les services d’une société de mercenariat, la Dyn Corp, pour fournir des " conseils techniques " à la restructuration de la Police nationale haïtienne (PNH).
" La DynCorp a toujours fonctionné en sous-traitance dans les opérations sous le manteau du Pentagone et de la CIA. " (Voir Jeffrey St.Clair et Alexander Cockburn, Counterpunch, 25 février 2002, http://www.corpwatch.org/issues/PID.jsp ?articleid=1988 ). Avec les conseils de la DynCorp à Haïti, les anciens Tontons Macoutes et les officiers de l’armée haïtienne impliqués dans le coup d’Etat de 1991 furent intégrés à la PNH. " (Voir Ken Silverstein, " Privatizing War " (La privatisation de la guerre), The Nation, 28 juillet 1997, http://www.mtholyoke.edu/acad/intrel/silver.htm).
En octobre 1994, Aristide revint d’exil et réintégra la présidence jusqu’à la fin de son mandat en 1996. Des réformateurs du " libre marché " furent introduits dans son cabinet. Une nouvelle fournée de mesures politiques macroéconomiques mortelles fut adoptée sous l’étiquette d’un prétendu Plan d’urgence de relance économique (PURE) " qui cherchait à réaliser une stabilisation macroéconomique rapide, à restaurer l’administration publique et à parer aux besoins les plus pressés ". (Voir : IMF Approves Three-Year ESAF Loan for Haiti (Le FMI approuve l’emprunt de trois ans de l’ESAF destiné à Haïti), Washington, 1996, http://www.imf.org/external/np/sec/pr/1996/pr9653.htm ).
La restauration du gouvernement constitutionnel avait été négociée en huis clos avec des créanciers extérieurs de Haïti. Avant la restauration d’Aristide au poste de président du pays, le nouveau gouvernement fut obligé d’apurer les arriérés de la dette du pays vis-à-vis de ses créanciers étrangers. En fait, les nouveaux prêts consentis par la Banque mondiale, la Banque inter-américaine de Développement (IDB) et le FMI furent utilisés pour honorer les obligations de Haïti vis-à-vis de ses créanciers internationaux. De l’argent frais fut utilisé pour rembourser d’anciennes dettes, ce qui provoqua une spirale de la dette extérieure.
Durant la période coïncidant en gros avec celle du gouvernement militaire, le Produit intérieur brut (PIB) déclina de 30% entre 1992 et 1994. Avec un revenu par tête de 250 dollars par an, Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental et l’un des plus pauvres de la planète. (Voir : Banque mondiale, Haïti : les défis de la réduction de la pauvreté, Washington, août 1998, http://lnweb18.worldbank.org/External/lac/lac.nsf/0/8479e9126e3537f0852567ea000fa239/$FILE/Haiti1.doc ).
La Banque mondiale estime le chômage de l’ordre de 60%. (Un rapport du Congrès américain datant de 2000 l’estime même à 80%. Voir : Chambre des Représentants des Etats-Unis, Justice criminelle, Sous-Commission de la politique en matière de drogue et des ressources humaines, FDHC Transcripts, 12 avril 2000).
Dans le sillage de trois années de pouvoir militaire et de déclin économique, il ne pouvait y avoir de " relance économique urgente " comme celle envisagée sous l’accord de prêt du FMI. En fait, ce fut tout le contraire qui se produisit : La " stabilisation " imposée par le FMI sous le programme de " relance " exigea davantage de restrictions budgétaires dans les programmes quasiment non existants du secteur social. Un programme de réforme des services civils fut lancé. Il consistait à réduire la taille de ces services et à licencier le " surplus " d’employés de l’Etat. Le train de mesures du FMI et de la Banque mondiale fut en partie à l’origine de la paralysie des services publics, ce qui déboucha sur la désintégration finale de la totalité du système étatique. Dans un pays où les services de santé et d’éducation étaient déjà pour ainsi dire inexistants, le FMI avait exigé le licenciement des enseignants et travailleurs médicaux " en surplus " et ce, dans l’intention d’atteindre son objectif à propos du déficit budgétaire.
Les initiatives de Washington en matière de politique étrangère ont été coordonnées à l’application de la " thérapie " économique particulièrement létale du FMI. Le pays a été littéralement poussé au bord du désastre économique et social.
Le sort de l’agriculture haïtienne
Plus de 75 pour-cent de la population haïtienne est engagée dans l’agriculture, produisant à la fois des plantes vivrières pour le marché intérieur ainsi qu’un certain nombre de plantes " de rapport " destinées à l’exportation. Déjà à l’époque de Duvalier, l’économie paysanne avait été torpillée. Avec l’adoption des réformes économiques sponsorisées par le FMI et la Banque mondiale, le système agricole qui, avant cela, produisait des denrées alimentaires pour le marché local, s’est retrouvé déstabilisé. La levée des barrières commerciales a ouvert le marché local à l’affluence des surplus agricoles américains, y compris le riz, le sucre et le maïs, entraînant ainsi la destruction de toute l’économie paysanne. Gonaïves, qui, avec ses vastes rizières, était la région par excellence de la production du riz à Haïti, s’est retrouvée plongé dans une faillite générale :
" A la fin des années 90, la production locale de riz, à Haïti, a été réduite de moitié et les importations de riz des Etats-Unis comptaient pour plus de la moitié des ventes locales de riz. La population paysanne locale était ruinée et le prix du riz augmenta dans des proportions phénoménales. " (Voir Rob Lyon, Haiti-There is no solution under Capitalism ! (Haïti : pas de solution sous le capitalisme), Socialist Appeal, 24 février 2004, http://cleveland.indymedia.org/news/2004/02/9095.php ).
En l’espace de quelques années, Haïti, un petit pays très pauvre des Caraïbes, était devenu le quatrième importateur mondial de riz américain, après le Japon, le Mexique et le Canada.
La seconde vague de réformes du FMI}
Les élection présidentielles furent fixées au 23 novembre 2000. L’administration Clinton avait mis l’embargo sur l’aide au développement à Haïti en 2000. A peine deux semaines avant les élections, l’administration sortante signait une lettre d’intentions pour le FMI. Avec son timing parfait, l’accord avec le FMI exclut virtuellement depuis le début toute déviance par rapport à l’agenda néo-libéral avant l’élection du nouveau président qui, depuis son retour d’exil en 1994, s’est montré très obéissant vis-à-vis des exigences du FMI.
Le ministre des Finances transmettait l’amendement budgétaire au Parlement le 14 décembre. Le soutien des donateurs dépendait du sceau probatoire de la législature. Alors qu’Aristide avait promis d’augmenter le salaire minimum, de se lancer dans la construction d’écoles et la mise sur pied de programmes d’alphabétisation, les mains du nouveau gouvernement étaient liées. Toutes les décisions majeures concernant le budget de l’Etat, le management du secteur public, les investissements publics, la privatisation, le commerce et la politique monétaire avaient déjà été prises. Elles faisaient partie de l’accord conclu avec le FMI le 6 novembre 2000.
En 2003, le FMI imposa l’application du prétendu " système flexible dans les prix des carburants ", lequel déclencha aussitôt une spirale inflationniste. La monnaie fut dévaluée. Les prix du pétrole augmentèrent d’environ 130 pour-cent en janvier et février 2003, ce qui contribua à alimenter le mécontentement populaire à l’égard du gouvernement Aristide, qui avait soutenu l’application des réformes économiques.
La montée en flèche des prix des carburants contribua à une hausse de 40 pour-cent des prix à la consommation en 2002-2003. (Voir Haïti - Lettre d’intention, Mémorandum de la politique économique et financière, et mémorandum technique d’explications, Port-au-Prince, Haïti, 10 juin 2003, http://www.imf.org/external/np/loi/2003/hti/01/index.htm ). A son tour, le FMI avait réclamé, en dépit de la hausse dramatique du coût de la vie, un gel des salaires comme moyen de " contrôler les pressions inflationnistes ". En fait, le FMI avait également enjoint au gouvernement de réduire les salaires du secteur public (y compris les traitements des enseignants et des travailleurs médicaux). Le FMI avait également réclamé que l’on assure le paiement d’un salaire statutaire minimum d’environ 25 cents de l’heure. " La flexibilité du marché de l’emploi ", ce qui signifiait que les salaires étaient versés sous le salaire minimum statutaire, allait contribuer, prétendait le FMI, à attirer les investisseurs étrangers. Le salaire journalier minimum était de 3 dollars en 1994, et il diminua jusque 1,50 à 1,75 dollars (selon le taux d’échange entre la gourde - la monnaie haïtienne - et le dollar) en 2004.
Dans une logique particulièrement tordue, les salaires effroyablement bas pratiqués à Haïti, qui avaient fait partie du cadre de la politique de la " main-d’œuvre bon marché " du FMI et de la Banque mondiale, étaient considérés comme un moyen d’améliorer le niveau de vie. En d’autres termes, les conditions inhumaines des industries d’assemblage (dans un environnement totalement dérégulé) et les conditions de travaux forcés dans les plantations agricoles haïtiennes sont considérées par le FMI comme la clé pour arriver à la prospérité économique, ; en raison de " l’attrait exercé sur les investisseurs étrangers ".
Le pays était coincé dans la spirale de sa dette extérieure. Par une ironie amère, des mesures d’austérité dans les secteurs sociaux, soutenues par le FMI et la Banque mondiale, furent imposées à un pays qui compte à peine 1,2 médecin pour 10.000 habitants et où la grande majorité de la population est illettrée. Les services sociaux de l’Etat, virtuellement inexistants durant la période Duvalier, se sont effondrés.
La conséquence des directives du FMI fut que le pouvoir d’achat poursuivit sa dégringolade, laquelle avait également affecté les groupes à revenus moyens. Dans un même temps, les taux d’intérêt avaient atteint des hauteurs astronomiques. Dans les parties Nord et Est du pays, les hausses brutales des prix du carburant s’étaient traduites par une paralysie virtuelle des transports et des services publics, y compris l’eau et l’électricité. Alors qu’une catastrophe humanitaire menace grandement, l’effondrement de l’économie supervisé par le FMI servit à accroître considérablement la popularité de la Plate-forme démocratique, qui accusa Aristide de " mauvaise gestion économique ". Inutile de dire que les dirigeants de la Plate-forme démocratique, y compris Andy Apaid, actuel propriétaire des usines aux conditions si déplorables, sont les principaux protagonistes de l’économie des bas salaires.
On ressort le modèle du Kosovo
En février 2003, Washington annonçait la désignation de James Foley au poste d’ambassadeur à Haïti. Foleyavaitétél’un des porte-parole du département d’Etat sous l’administration Clinton au moment dela guerre du Kosovo. Auparavant, il avait occupé un poste au quartier général de l’Otan à Bruxelles. De toute évidence, Foley était envoyé à Port-au-Prince en prévision de l’opération sponsorisée par la CIA. Il fut transféré à Port-au-Prince en septembre 2003, alors qu’il occupait un poste diplomatique de prestige à Genève, où il était chef de mission adjoint au bureau européen des Nations unies.
Il est utile de rappeler l’implication de l’ambassadeur Foley dans le soutien à l’Armée de Libération de Kosovo (UCK) en 1999.
Solidement renseignée, l’UCK était financée avec de l’argent de la drogue et soutenue par la CIA. Elle fut impliquée de la même façon dans des assassinats politiques ciblés et dans des massacres de civils, et ce, au cours des mois qui allaient précéder l’invasion de l’Otan, en 1999, ainsi qu’après. Après l’invasion et l’occupation du Kosovo orchestrées par l’Otan, l’UCK devint la Force de Protection du Kosovo (FPK), sous les auspices de l’Onu. Au lieu d’être désarmée afin d’empêcher les massacres de civils, voilà donc qu’une organisation terroristes liée au crime organisée et au trafic de drogue dans les Balkans se voit conférer un statut politique légal.
A l’époque de la guerre du Kosovo, l’actuel ambassadeur à Haïti, James Foley, s’occupait des communiqués du département d’Etat, travaillant en étroite collaboration avec son homologue de l’Otan à Bruxelles, Jamie Shea. A peine deux mois avant le déclenchement de la guerre de l’Otan, le 24 mars 1999, James Foley avait exigé que l’on " transformât " l’UCK en organisation politique respectable :
" Nous voulons développer de bonnes relations avec eux [l’UCK] puisqu’ils se muent en organisation à orientation politique (...) Nous croyons que nous avons un tas de conseils et d’aide à leur fournir s’ils deviennent précisément le genre d’acteurs politiques que nous aimerions les voir devenir. (...) Si nous pouvons les aider et s’ils veulent que nous les aidions dans cet effort de transformation, je pense que personne ne pourra y trouver à redire (...) " (cité dans le New York Times, 2 février 1999).
Dans le sillage de l’invasion, " une administration kosovare autoproclamée fut mise en place, composée par l’UCK et par le Mouvement d’Union démocratique (LDB), par une coalition de cinq partis d’opposition hostiles à la Ligue démocratique de Rugova (LDK). Outre le poste de Premier ministre, l’UCK contrôlait les ministères des Finances, de l’Ordre public et de la Défense ". (Michel Chossudovsky, La guerre d’agression de l’Otan contre la Yougoslavie, 1999, http://www.globalresearch.ca/articles/CHO309C.html )
La position du département d’Etat américain telle qu’elle est présentée dans la déclaration de Foley était que l’UCK " ne serait pas autorisée à poursuivre ses activités en tant que force militaire, mais qu’elle aurait l’occasion d’aller de l’avant dans sa quête d’un gouvernement autonome placé dans un ’contexte différent’ ", ce qui revenait à parler d’inauguration d’une " narco-démocratie " de fait sous la protection de l’Otan. (Ibid.)
En ce qui concerne le trafic de drogue, le Kosovo occupe une position similaire à celle de Haïti : c’est un lien crucial dans le transit des drogues depuis le Croissant d’Or, via l’Iran et la Turquie, vers l’Europe occidentale. Tout en étant soutenue par la CIA et l’Otan, l’UCK avait des liens avec la mafia albanaise et les syndicats du crime impliqués dans le trafic des narcotiques.
Est-ce le modèle d’Etat pour Haïti, tel que l’avait formulé l’actuel ambassadeur américain à Haïti, James Foley ?
Pour la CIA et le département d’Etat, le FLRN et Guy Philippe sont à Haïti ce que l’UCK et Hashim Thaci sont au Kosovo.
En d’autres termes, l’intention de Washington est de " changer de régime " : renverser l’administration Lavalas et installer un régime fantoche obéissant aux Etats-Unis, intégré par la Plate-forme démocratique et l’autoproclamé Front pour la libération et la reconstruction nationale (FLRN), dont les dirigeants sont d’anciens terroristes du FRAPH et autres tontons Macoutes. Ces derniers sont susceptibles d’intégrer un " gouvernement d’unité nationale " en compagnie des chefs de la Convergence démocratique et du Groupe des 184 organisations de la société civile dirigé par Andy Apaid. Plus spécifiquement, le FLRN dirigé par Guy Philippe est susceptible de reconstruire les forces armées haïtiennes, qui avaient été dissoutes en 1995.
En d’autres termes, quel est l’enjeu d’un éventuel arrangement de partage de pouvoir entre les divers groupes d’opposition et les rebelles soutenus par la CIA, lesquels sont liés au commerce de transit de la cocaïne de la Colombie à la Floride ? La protection de ce commerce a des incidences sur la formation d’un nouveau narco-gouvernement, lequel servira les intérêts américains.
Un désarmement simulé, plus symbolique que réel, des rebelles peut être envisagé sous supervision internationale, comme cela s’est produit avec l’UCK au Kosovo, en 2000. Les " anciens terroristes " peuventt alors être intégrés tant au sein de la police civile que dans la reconstitution, sous surveillance des Etats-Unis, des forces armées haïtiennes.
Ce que suggère ce scénario, c’est que les structures terroristes de l’époque Duvalier ont été restaurées. Un programme de massacres de civils et d’assassinats politiques dirigés contre les partisans de Lavalas est en fait déjà en cours.
En d’autres termes, si Washington était vraiment mû par des considérations humanitaires, pourquoi, dans ce cas, soutient-il et finance-t-il les escadrons de la mort du FRAPH ? Son objectif n’est pas d’empêcher le massacre des civils. Organisés sur le modèle des précédentes opérations dirigées par la CIA (par exemple, au Guatemala, en Indonésie, au Salvador), les escadrons de la mort du FLRN ont eu carte blanche et sont désormais impliqués dans des assassinats politiques ciblés contre les partisans d’Aristide.
Le commerce du transbordement des drogues
Alors que l’économie réelle a été poussée à la banqueroute sous le choc des réformes du FMI, le commerce du transbordement des narcotiques continue à être florissant. Selon la DEA (Drug Enforcement Administration) américaine, Haïti reste " le premier pays de transbordement de la drogue pour toute la région des Caraïbes, il achemine d’importants chargements de cocaïne depuis la Colombie jusqu’aux Etats-Unis. " (Voir Chambre américaine des Représentants, Justice criminelle, Sous-commission sur la politique en matière de drogues et sur les ressources humaines, Transcriptions FDHC, 12 avril 2000)
On estime que Haïti, actuellement, est responsable de 14 pour-cent de toutes les entrées de cocaïne aux Etats-Unis, ce qui représente des milliards de dollars de revenus pour le crime organisé et les institutions financières américaines qui blanchissent des quantités colossales d’argent sale. Le commerce mondial des narcotiques est estimé de l’ordre de 500 milliards de dollars.
Une grande partie de ces transbordements va directement à Miami, qui constitue également un centre de recyclage de l’argent sale en investissements " de bonne foi ", par exemple en propriétés immobilières et autres activités du même genre.
Les preuves confirment que la CIA a protégé ce commerce tout au long de la dictature militaire, de 1991 à 1994. En 1987, le sénateur John Kerry, en sa qualité de président de la sous-commission sénatoriale des Affaires étrangères sur les narcotiques, le terrorisme et les opérations internationales, se vit confier une enquête importante qui s’intéressa de près aux liens entre la CIA et le trafic de drogue, y compris le blanchiment de l’argent de la drogue aux fins de financer des insurrections armées. Le " Rapport Kerry ", publié en 1989 et concentrant son attention sur le financement des contras nicaraguayens, comprenait aussi toute une section concernant Haïti :
" Kerry a développé des informations détaillées sur le trafic de drogue dirigé par les dirigeants militaires de Haïti , trafic qui a débouché, en 1988 à Miami, sur la condamnation du lieutenant-colonel Jean Paul. La sentence embarrassa beaucoup les militaires haïtiens, et tout particulièrement parce que Paul, dans un geste de provocation, refusa de se rendre aux autorités américaines. En novembre 1989, le colonel Paul fut découvert mort après avoir consommé un cadeau d’amitié traditionnel haïtien - un bol de potage au potiron...
" En 1988, le sénat américain apprit également, par le biais d’un témoignage, que le ministre de l’Intérieur de l’époque, le général Williams Regala, et son officier de liaison de la DEA, protégeaient et supervisaient des livraisons de cocaïne. Le témoignage accusait également le commandant de l’armée haïtienne à l’époque, le général Henry Namphy, d’avoir accepté, au milieu des années 80, des pots-de-vin de la part des trafiquants colombiens en échange d’autorisations d’atterrissage.
" C’est en 1989 qu’un autre coup d’Etat militaire avait mis le lieutenant-général Prosper Avril au pouvoir (...)
Selon un témoin qui avait déposé devant la sous-commission du sénateur John Kerry, Avril est en fait un pion major dans le rôle de Haïti en tant que lieu de transit du trafic de la cocaïne. " ( Paul DeRienzo, Le cauchemar de Haïti : Le coup d’Etat de la cocaïne et la CIA Connection, printemps 1994, http://globalresearch.ca/articles/RIE402A.html )
Jack Blum, qui fut le conseiller particulier de Kerry, insiste sur la complicité de certains hauts fonctionnaires américains dans une déclaration faite en 1996 devant la Commission restreinte, désignée par le sénat américain, de renseignements sur le trafic de drogue et la guerre des contras :
" (...) A Haïti (...) nos ’sources’ de renseignements au sein de l’armée haïtienne ont consacré leurs facilités aux cartels de la drogue. Au lieu de mettre la pression sur la direction pourrie de l’armée, nous l’avons défendue. Nous nous sommes bouché le nez et avons fait semblant de rien chaque fois qu’eux et leurs amis criminels aux Etats-Unis ont distribué de la cocaïne à Miami, Philadelphie et New, York. " (http://www.totse.com/en/politics/central_intelligence_agency/ciacont2.html )
Haïti non seulement reste au centre du trafic du transbordement de cocaïne, mais ce dernier s’est accru de façon considérable depuis les années 80. L’actuelle crise est liée entre autres au rôle de Haïti dans le trafic de la drogue. Washington veut un gouvernement haïtien qui lui soit servile et qui protégera les voies d’acheminement de la drogue, lesquelles vont de la Colombie, passent par Haïti avant d’aboutir en Floride.
L’afflux de narcodollars, qui reste la principale source des rentrées d’échange du pays, est utilisé pour " honorer " la spirale de la dette extérieure de Haïti et, de cette façon, sert également les intérêts des créanciers étrangers.
Sur ce plan, la libéralisation du marché des échanges avec l’étranger telle qu ’elle a été imposée par le FMI, et malgré l’implication pour la forme des autorités dans le combat comme le trafic de drogue, a fourni une voie bien pratique pour le blanchiment des narcodollars au sein du système bancaire domestique. Ces narcodollars, en même temps que les " envois de bonne foi " des Haïtiens vivant à l’étranger, peuvent être recyclés vers le trésor où ils sont utilisés pour honorer les obligations de remboursement de la dette.
Haïti, toutefois, ne ramasse qu’un infime pourcentage des échanges totaux avec l’étranger concernant cette contrebande lucrative. La plupart des revenus résultant du commerce d’acheminement de la coke reviennent aux intermédiaires criminels du commerce de gros et de détail de la drogue, aux services de renseignements qui protègent le trafic de drogue ainsi qu’aux institutions financières et bancaires où les rentrées de ces activités criminelles sont blanchies.
Les narcodollars sont également versés sur des comptes " bancaires privés " dans de nombreux havres bancaires offshore. (Ces havres sont contrôlés par les importantes banques et institutions bancaires occidentales). L’argent de la drogue est également investi dans un certain nombre d’instruments financiers, comprenant les valeurs refuges et les transactions boursières. Les principales banques de Wall Street et d’Europe et les firmes de courtage boursier blanchissent des milliards de dollars en provenance du trafic des narcotiques.
Qui plus est, l’expansion des livraisons d’argent en dollars par le Système de la Réserve fédérale, y compris l’impression de milliards de dollars papier aux fins de nouer les narco-transactions, constitue un bénéfice pour la Réserve fédérale et les institutions bancaires privées qui la constituent et dont la partie la plus importante est la New York Federal Reserve Bank. (Voir Jeffrey Steinberg, Les revenus de la came atteignent 600 milliards de dollars et ne cessent de croître, Executive Intelligence Review, 14 déc. 2001, http://www.larouchepub.com/other/2001/2848dope_money.html)
En d’autres termes, l’establishment financier de Wall Street, qui joue un rôle en coulisse dans la formulation de la politique étrangère américaine, a un intérêt certain dans la poursuite du commerce haïtien de transbordement, tout en mettant en place une " narco-démocratie " fiable à Port-au-Prince, laquelle protégera efficacement les voies d’acheminement.
La manipulation médiatique
Au cours des semaines qui ont précédé directement le coup d’Etat, les médias ont largement concentré leur attention sur les " gangs armés " et les " hommes de main " partisans d’Aristide, sans se soucier de fournir la moindre explication sur le rôle des rebelles du FLRN.
Un silence de mort, en fait : pas un mot ne fut dit, dans les déclarations officielles ou les résolutions de l’Onu, sur la nature du FLRN. Mais cela n’est pas du tout surprenant : l’ambassadeur américain aux Nations unies (l’homme qui siège au Conseil de sécurité), John Negroponte, a joué un rôle de tout premier plan dans les escadrons de la mort honduriens soutenus par la CIA, durant les années 80, alors qu’il était ambassadeur des Etats-Unis au Honduras. (Voir San Francisco Examiner, 20 oct. 2001 http://www.flora.org/mai/forum/31397)
Les rebelles du FLRN sont extrêmement bien équipés et entraînés. Le peuple haïtien sait qui ils sont. Ce sont les Tontons Macoutes de l’époque Duvalier et les assassins de l’ancien FRAPH.
Les médias occidentaux sont mués sur ce sujet, ils rejettent le blâme des violences sur le président Aristide. Quand ils apprennent la nouvelle que l’Armée de Libération est composée d’escadrons de la mort, ils se refusent à examiner les implications plus larges de leurs prises de position et s’abstiennent de dire que ces escadrons de la mort sont une création de la CIA et de la DIA (Defense Intelligence Agency).
Le New York Times a fait savoir que la société civile d’opposition, " non violente ", collaborait en fait avec les escadrons de la mort, " accusés d’avoir tué des milliers de personnes ", mais tout ceci est décrit comme des événements " accidentels ". Aucune explication historique n’est fournie. Qui sont les chefs de ces escadrons de la mort ? Tout ce qu’on nous dit aujourd’hui, c’est qu’ils ont scellé une " alliance " avec les braves types " non violents " qui appartiennent à l’opposition politique. Et tout ça, pour une bonne cause, digne et tout et tout , qui consiste à vouloir chasser le président élu :
" Au fur et à mesure que la crise haïtienne dégénère vers la guerre civile, un enchevêtrement d’alliances, dont certaines accidentelles, est apparu. Cela a lié les intérêts d’un mouvement d’opposition politique qui a adopté la non-violence à ceux d’un groupe de rebelles qui comprend un ancien chef des escadrons de la mort accusé d’avoir tué des milliers de personnes, un ancien chef de la police accusé d’avoir ourdi un coup d’Etat et d’un gang impitoyable jadis partisan de Monsieur Aristide et qui, maintenant, s’est retourné contre lui. Etant donné leurs origines diverses, ceux qui se sont déployés contre Monsieur Aristide se sont à peine unifiés, bien que tous partagent un ardent désir de le voir écarté du pouvoir. " (New York Times, 26 février 2004)
Il n’y a rien de spontané ou d’" accidentel " dans les attaques rebelles ou dans l’" alliance " entre le chef des escadrons de la mort Guy Philippe et Andy Apaid, propriétaire du plus important bagne industriel de Haïti et dirigeant du G-184.
La rébellion armée faisait partie d’une opération militaire et de renseignements soigneusement préparée. Les forces armées de la République dominicaine avaient détecté des camps d’entraînement de guérilla à l’intérieur de leur propre territoire, à la frontière nord-est entre les deux pays. (L’armée dominicaine informe Aristide sur les entraînements des rebelles à la frontière, El Caribe, 27 février 2004, http://www.elcaribe.com.do/articulo_multimedios.aspx ?id=2645&guid=AB38144D39B24C6FBA4213AC40DD3A01&Seccion=64)
Tant les forces armées que leurs contreparties civiles " non violentes " étaient impliquées dans le complot visant à renverser le président. Le dirigeant du G-184, André Apaid, était en rapport avec Colin Powell durant les semaines qui ont précédé le renversement d’Aristide. Guy Philippe et " Toto " Emmanuel Constant ont des liens avec la CIA. Il y a des signes permettant d’établir que le commandant rebelle Guy Philippe et le chef politique du Front révolutionnaire de Résistance artibonite, Etienne Winter, était en liaison avec des officiels américains. (Voir BBC, 27 février 2004, http://news.bbc.co.uk/2/hi/americas/3496690.stm ).
Alors que les Etats-Unis déclaraient à plusieurs reprises qu’ils allaient soutenir le gouvernement constitutionnel, le remplacement d’Aristide par un individu plus docile a toujours été à l’ordre du jour de l’administration Bush.
Le 20 février, l’ambassadeur américain James Foley désigna une équipe de quatre experts militaires émanant de l’U.S. Southern Command, cantonné à Miami. Officiellement, leur mandat consistait à " évaluer les menaces adressées à l’ambassade et à son personnel " (Seattle Times, 20 février 2004). Les Forces spéciales américaines sont déjà dans le pays. Washington avait annoncé que trois vaisseaux de guerre américains " ont été mis en stand-by pour se rendre à Haïti en guise de précaution ". Le Saipan est équipé d’avions de combat Harrier à décollage vertical et d’hélicoptères d’attaque. Les deux autres vaisseaux sont l’Oak Hill et le Trenton. Quelque 2.200 Marines du 24e Corps expéditionnaire des Marines de Camp Lejeune, NC, pourraient être déployés à Haïti dans des délais très brefs, selon Washington.
Toutefois, avec le départ du président Aristide, Washington n’a pas l’intention de désarmer son armée par procuration de rebelles paramilitaires qui, désormais, est appelée à jouer un rôle dans la " transition ". En d’autres termes, l’administration Bush n’agira pas pour empêcher les massacres et les assassinats politiques des partisans de Lavalas et d’Aristide, suite au départ du président.
Inutile de dire que les médias occidentaux n’ont pas le moins du monde analysé le contexte historique de la crise haïtienne. Le rôle joué par la CIA n’a même jamais été mentionné. La prétendue " communauté internationale ", qui se prétend tellement soucieuse d’un gouvernement légal et de la démocratie, a fermé les yeux sur les massacres de civils par une armée paramilitaire soutenue par les Etats-Unis. Les " chefs rebelles ", qui étaient les dirigeants des escadrons de la mort du FRAPH dans les années 90, sont actuellement soutenus par les médias américains comme étant des porte-parole de l’opposition dont la bonne foi ne peut être mise en doute. Dans le même temps, la légitimité de l’ancien président élu est remise en question parce qu’on prétend qu’il est responsable d’une " situation économique et sociale qui ne cesse d’empirer ".
Cette détérioration de la situation économique et sociale est en majeure partie imputable aux réformes économiques dévastatrices imposées par le FMI depuis les années 80. La restauration du gouvernement constitutionnel en 1994 fut soumis à la condition d’accepter la thérapie économique mortelle du FMI qui, à son tour, exclut la possibilité d’une démocratie digne de sens. De hauts fonctionnaires du gouvernement, respectivement au sein des gouvernements André Préval et Jean-Bertrand Aristide, obéirent naturellement aux diktats du FMI. En dépit de sa complaisance, Aristide fut mis sur liste noire et démonisé par Washington.
La militarisation du bassin caraïbe
Washington cherche à remodeler Haïti en tant que colonie à part entière des Etats-Unis, mais sous toutes les apparences d’une démocratie. L’objectif consiste à imposer un régime fantoche à Port-au-Prince et à établir une présence militaire permanente à Haïti.
L’administration américaine, au bout du compte, cherche à militariser la totalité du bassin caraïbe.
L’île d’Hispaniola [c’est-à-dire l’île constituée par Haïti et la République dominicaine] est la porte du bassin caraïbe, stratégiquement situé entre Cuba au Nord-Ouest et le Venezuela au Sud. La militarisation de l’île, avec l’installation de bases militaires américaines, vise non seulement à accroître la pression politique sur Cuba et le Venezuela, mais elle vise également la protection du trafic de stupéfiants, lourd de plusieurs milliards de dollars, qui transite par Haïti, en provenance des sites de production situés en Colombie, au Pérou et en Bolivie.
A certains égards, la militarisation du bassin caraïbe est semblable à celle imposée par Washington à la région andine de l’Amérique du Sud avec le " Plan Colombia ", rebaptisé " Initiative andine ". Cette dernière constitue la base de la militarisation des puits de pétrole et de gaz naturel, de même que les voies des pipelines et les couloirs de transport. Elle protège également le trafic des stupéfiants.
Traduction de l’anglais : Jean-Marie Flemal.
Source : Centre de recherche sur la mondialisation, 29-02-04.
© Copyright MICHEL CHOSSUDOVSKY 2004