L’impact du projet sioniste sur la Palestine et sur la région
RANCE Roland
1er février 2009
Contribution au séminaire international tenu à l’Institut international de Recherche et de Formation (IIRF, Amsterdam) sur la Palestine.
Sommaire
Depuis le début de la seconde Intifada en Palestine, nous avons assisté à l’effondrement du Plan B de l’impérialisme dans la région. Le plan A avait pour seul objectif de permettre à Israël de conserver les territoires occupés depuis 1967. À la suite de la première Intifada, il est devenu clair que cette approche n’était pas viable, ce qui a donné naissance au plan « B ». Le Plan B proposait l’établissement de quelque chose qui pouvait être présenté comme un état palestinien, à côté de l’état d’Israël. Nous savons qu’il n’en aurait rien été : l’état palestinien proposé n’aurait eu AUCUN contrôle de ses propres frontières, ni de son espace aérien, n’aurait possédé AUCNE force armée, n’aurait pas été en mesure d’absorber la masse des réfugiés palestiniens et, par-dessus tout, n’aurait disposé d’AUCUN contrôle des ses ressources en eau. Mais ce plan B représentait la position des impérialistes et a bénéficié de l’appui verbal de la plupart des régimes arabes et du gouvernement israélien tout au long des sept dernières années.
Maintenant que cette approche a échoué, il apparaît que l’impérialisme n’a aucun plan de secours, si ce n’est de revenir à une version révisée du Plan A qui donne carte blanche à Israël dans la région.
Antécédents et perspectives
Dans le passé, l’impérialisme a, dans son propre intérêt, divisé le monde arabe en états séparés sur la base d’aucun fondement historique, géographique, économique ou social. À la suite de l’effondrement de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne et la France se sont ruées sur le Moyen-Orient pour imposer leurs revendications. Après avoir encouragé les soulèvements nationalistes contre les Turcs, il était clair qu’elles n’avaient aucune intention d’honorer leurs promesses, ni même de respecter les célèbres « Dix-Neuf Principes » du président américain Woodrow Wilson. Ainsi l’impérialisme a-t-il choisi de dissocier les peuples de la région de leurs ressources naturelles et a encouragé le développement de pouvoirs locaux féodaux et militaires sans aucune légitimité locale et sans aucune motivation pour agir dans l’intérêt de leurs sujets
Certains de ces états ont été construits dans le seul but de limiter l’indépendance de voisins potentiellement puissants. C’est le cas du Koweït, créé uniquement pour barrer l’accès à l’Irak et à ses immenses réserves de pétrole. Dans le même temps, l’Arabie Saoudite était cernée par une couronne de monarchies féodales protégées par de puissants accords de défense avec la Grande-Bretagne. D’autres, notamment le Liban, ont été créés sur de pseudo bases religieuses et ethniques, dans le but d’ancrer plus profondément encore le confessionnalisme au Moyen-Orient et de saper l’aspiration à l’unité arabe.
Aucune solution aux problèmes du monde arabe, y compris ceux des nombreuses minorités nationales, ne peut voir le jour dans le cadre de ces divisions. L’exploitation des ressources de la région au bénéfice des peuples de la région et le développement libre des minorités nationales, ne peuvent naître que dans un Moyen-Orient uni. C’est pourquoi, en dehors de tout soutien romantique aux idées de nationalisme arabe, nous appelons à la création d’une Fédération Socialiste du Moyen-Orient. Cette aspiration n’a rien d’abstrait, il s’agit de la condition nécessaire à la libération des peuples de la région, y compris les minorités nationales.
Rôle du sionisme et Etat d’Israël
L’état d’Israël et le mouvement sioniste ont joué un rôle majeur dans cette division du Moyen-Orient. Ils ont été le fer de lance de la domination impérialiste dans la région. Contrairement à d’autres régimes, Israël n’a aucune autre option qu’une alliance stratégique avec l’impérialisme.
Cet impératif stratégique est admis par les deux partis. Théodore Herzl, le fondateur du mouvement sioniste organisé, écrivait en 1895 qu’il fallait former en Palestine « une portion d’un rempart de l’Europe contre l’Asie, un avant-poste de la civilisation contre la barbarie », tandis que le Gouverneur Militaire Britannique de Jérusalem, Sir Ronald Storrs, notait en 1917, que les sionistes pouvaient former pour l’Angleterre « un Ulster juif loyal dans une mer d’arabisme potentiellement hostile ».
Israël a introduit un facteur de complication dans le patchwork qu’est le Moyen-Orient. Non seulement Israël s’est-il révélé l’allié indéfectible de l’impérialisme, mais il apparaît comme une menace potentielle contre tout éventuel régime radical ou simplement populaire dans la région. L’existence même d’Israël, en tant qu’état juif, son appropriation des territoires palestiniens et son agression contre d’autres états ont contribué au détournement des ressources de la région et à la distorsion du développement économique et social du Moyen-Orient. Cependant les actions de l’état d’Israël ont aidé à la formation d’un « dessein national » qui s’affranchit des barrières de classes dans les états arabes et qui a encouragé (parfois délibérément) le développement des forces de l’islam politique.
La libération du Moyen-Orient nécessite donc l’intégration des juifs israéliens dans le monde arabe. Toute approche basée sur la connaissance et la légitimation du séparatisme sioniste n’est que la continuation de la tendance actuelle vers un apartheid de plus en plus affirmé. Cette intégration ne sera pas chose facile et sa réalisation nécessite l’élaboration préalable d’une stratégie.
Réalité du sionisme
Le sionisme n’est pas seulement un mot, et c’est plus qu’une idéologie. C’est un mouvement politique organisé très concret, avec un impact tangible sur le développement et la réalité quotidienne du Moyen-Orient. De manière significative, comme je l’explique plus loin, cela veut dire qu’Israël est un état sans équivalent dans le monde.
Dès le départ, le mouvement sioniste s’est assigné trois tâches : la colonisation de la Palestine, le recrutement des Juifs pour soutenir cette colonisation et l’attraction d’un sponsor impérialiste. Le succès a été remarquable dans ces trois domaines.
Le sionisme est né en tant que réponse erronée à l’antisémitisme européen, lui-même vécu comme une réaction rationnelle et légitime à ce qui était vécu comme l’existence anormale de Juifs en Europe. Les sionistes ont conclu de cette situation que la lutte antiraciste était futile et que la seule réponse possible était pour les Juifs, de s’extraire eux-mêmes de la société européenne et d’établir leur propre état en Palestine. En cela, il s’est avéré que leurs alliés les plus résolus étaient les mêmes racistes qui partageaient l’objectif d’éradiquer la présence des Juifs en Europe.
Le politicien conservateur britannique Arthur Balfour qui donna son nom à la célèbre Déclaration Balfour en 1917, est un exemple emblématique de ce phénomène. Dans cette déclaration le gouvernement britannique affirme son soutien à l’établissement d’un « foyer national » juif en Palestine. Cette déclaration n’était pas dictée par un quelconque amour des Juifs. Quelques années auparavant, le même Balfour avait été à l’origine du premier Aliens Act en Grande Bretagne, conçu pour empêcher l’immigration des Juifs qui fuyaient les pogroms et l’oppression tsariste. Le discours de Balfour devant la Chambre des Communes était tout imprégné de mépris pour les Juifs « inassimilables » avec leur propre langue, leur propre religion, et leurs liens douteux avec des terroristes étrangers.
Au début, le mouvement sioniste n’eut que peu d’écho. Dans la période entre 1881 et 1914, quelque deux millions de Juifs ont fui la Russie tsariste. Parmi eux, 50 000 seulement rejoignirent la Palestine et la moitié de ceux-là en repartirent dans les cinq années qui suivirent. En fait, le soutien juif de masse au sionisme a plutôt suivi qu’impulsé la création de l’état d’Israël.
La politique de colonisation de la Palestine par les sionistes s’exprime dans les phrases « conquête de la terre » et « conquête du travail », c’est-à-dire, expropriation et dépossession des Palestiniens et leur exclusion de l’économie. Avant 1948, cette politique a été menée à petite échelle, largement par le biais d’achat de terre à des propriétaires absentéistes. Cependant, en contraste aigu avec les schémas traditionnels de la propriété, les sionistes n’achetaient pas la terre dans le but d’utiliser les fermiers en place qui la travaillaient jusque là, mais plutôt dans le but de les remplacer. On trouve donc dès le début du XXe siècle, des rapports faisant mention d’évictions et de confrontations.
Avec la création de l’Etat d’Israël...
Depuis les expulsions massives de Palestiniens et l’établissement de l’état d’Israël en 1948, ce processus s’est massivement accéléré. Des centaines de villages palestiniens ont perdu leur population et les terres ont été réquisitionnées. Ces terres ont été administrées par l’Organisation Sioniste Mondiale et le Fond National Juif, qui depuis 1952 ont officiellement partagé le pouvoir avec le gouvernement israélien.
Ces organisations, qui ne sont pas responsables, pas même en théorie, devant le peuple d’Israël, ni même devant les Juifs d’Israël, mais devant le mythe légal du « Peuple Juif », gèrent la quasi totalité des terres et déterminent la politique d’utilisation des terres en Israël et dans la plupart des territoires occupés en 1967. En effet, un élément majeur du pouvoir de l’état a été extra-territorialisé par la législation officielle. Comme ces organisations sionistes sont statutairement obligées de travailler au profit des seuls Juifs, cela signifie que plus de 90 % des terres en Israël sont de fait interdites aux non-juifs.
De plus, l’Organisation Sioniste Mondiale et le Fond National Juif ont la responsabilité de garantir l’essentiel des services sociaux en Israël, y compris l’éducation, la sécurité sociale et les infrastructures. Ainsi, la discrimination structurelle peut-elle être maintenue, sans qu’aucune législation explicitement raciste ne soit nécessaire.
Mais ces organismes sionistes sont également reconnus comme organisations caritatives dans de nombreux pays occidentaux qui ainsi, subventionnent cette discrimination. Un peu tardivement, le mouvement de solidarité réalise la nécessité de combattre cette situation.
e rôle actuel du sionisme dans la stratégie impérialiste au Moyen-Orient
C’est le contexte dans lequel le sionisme s’insère dans la stratégie impérialiste de division du Moyen-Orient. L’alliance entre Israël et l’impérialisme n’est pas accidentelle et n’est pas non plus le résultat de l’action d’un quelconque « lobby sioniste (ou juif) ». En fait, comme l’a démontré le politologue étasunien Abramo Organski, la croissance de ce lobby a suivi plus qu’elle n’a conduit aux augmentations massives des aides politiques, militaires et financières des États-Unis à Israël. En réalité, ce lobby est plus une fonction de la politique étrangère étasunienne qu’un instrument permettant d’influencer celle-ci.
Parce que le projet sioniste n’est pas synonyme du projet impérialiste, des différences et des tensions sont parfois apparues. Étant donné le résultat des récentes élections étasuniennes et israéliennes, il est probable que de telles tensions apparaîtront dans la période qui vient et il faut se préparer à y répondre de manière appropriée.
Les États-Unis, sont toujours, au moins formellement, engagés dans leur Plan B. Obama soutient ce plan avec probablement plus d’enthousiasme que n’en a jamais démontré Bush. Mais tout nouveau gouvernement israélien, sous la direction probable de Netanyahu, sera de toute manière sur une ligne plus à droite que celle d’Olmert. Même en cas d’exclusion de l’ultra nationaliste Lieberman, un tel nouveau gouvernement aura la capacité de refuser toute concession même minime. On peut s’attendre à ce que la pression des États-Unis sur Israël se concentre sur la création de deux états.
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Les problèmes de la solution des deux Etats
Il faut cependant reconnaître que toute pression internationale dans le sens d’une telle solution peut n’apporter aucune solution au conflit.
Est-il possible de garantir les droits à la fois des Arabes palestiniens et des Juifs israéliens et peut-on se diriger vers une transformation révolutionnaire au Moyen-Orient à travers l’établissement d’un état palestinien à côté de l’état d’Israël ? Nombreux sont ceux, à gauche, qui prétendent que cette solution est possible, voire nécessaire. En se référant aux décennies de conflits, à l’histoire du racisme européen et à l’holocauste nazi, ils avancent l’impossibilité de vivre dans un même état pour les Palestiniens et pour les Juifs. Ils soutiennent donc les revendications de la direction de l’OLP et de certains éléments du mouvement israélien pour la paix, visant à la création d’un état palestinien voisin d’Israël. Certains vont même plus loin, qui adoptent le slogan explicitement ségrégationniste « Deux états pour deux peuples », dont la logique implique l’expulsion des Palestiniens de l’état juif et des Juifs de l’état palestinien.
À cette hypothèse, nous répondons qu’une partition supplémentaire ne ferait que perpétuer le conflit entre Israéliens et Palestiniens, que renforcer le consensus national des deux communautés et qu’elle saperait toute possibilité de développement d’une unité de classe. Nous considérons que la prolongation de l’existence d’Israël en tant qu’état juif s’opposerait nécessairement à la transformation révolutionnaire de la région, pourtant il n’y a aucune logique à l’existence d’Israël sous une quelconque autre forme.
Une solution à deux états, même dans son application la plus généreuse, avec un état palestinien totalement indépendant et souverain, laisserait quand même des questions clés sans solution. Aucune chance de solution à long terme n’existe sans la reconnaissance du droit au retour de millions de réfugiés palestiniens et la mise en place de mécanismes permettant ce retour. Clairement, il n’existe aucune chance de réimplantation à grande échelle sur la rive orientale relativement aride et stérile.
D’autres problèmes, en particulier l’emploi des rares ressources en eau, peuvent uniquement être appréhendés sur la base de l’ensemble de la Palestine, voire de la région. De plus, toute exigence d’évacuation des implantations juives dans les territoires occupés se heurterait aux exigences de transfert de la part d’Israël, l’expulsion des citoyens palestiniens de l’état d’Israël. En fait, ce schéma semble être la logique de « Deux états pour deux peuples ».
http://www.europe-solidaire.org/spi...Stratégie pour le mouvement de solidarité avec la Palestine
Analytiquement, cela signifie que notre position, notre propagande, devrait insister sur la centralité du projet sioniste et sur le rôle clé du sionisme allié à l’impérialisme, dans la spoliation et la division du peuple palestinien au Moyen-Orient.
Pratiquement, pour ce qui concerne notre engagement dans le mouvement de solidarité, cette stratégie a des implications importantes. En particulier, en soutenant le développement de la campagne internationale pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions et pour exposer les crimes de guerre israéliens, nous devons militer pour que les mouvements de solidarité établissent des liens directs avec les Palestiniens et d’autres activistes et il faudrait se battre davantage dans ce sens plutôt que de faire pression sur le législateur, notre objectif primaire.
Roland Rance