L’écologie sans la justice n’est pas l’écologie
1) Sommes-nous tous-tes écolos ?
C’est si facile de se dire écolo ! Tous les politiciens, les entrepreneurs, les représentants-es de la société civile…on ne peut plus se soustraire à l’obligation de l’écologie. Le film de Desjardins (L’erreur boréale), l’extinction de la morue dans le St-Laurent, les catastrophes écologistes (comme la déforestation de l’Amazonie ou la fonte des glaciers dans l’Arctique), la dernière crise alimentaire mondiale, le smog sur Montréal, le film d’Al Gore…tous les jours l’actualité nous rappelle que la planète souffre des décisions humaines. Il devient donc gênant de ne pas s’en préoccuper…Ça paraît mal ! Surtout auprès d’un public jeune qui est désormais extrêmement conscient de vivre dans un monde fragile. C’est trop facile. J’ose prétendre qu’il n’est pas si simple de défendre un véritable discours écologiste. Et de proposer des gestes conséquents. Pourquoi ? Parce que les actions que nous devons poser impliquent des changements profonds, non seulement au niveau des mentalités, mais aussi à celui des décisions politiques et économiques. Être écologiste, signifie, à mes yeux, se préoccuper aussi bien de l’environnement que de la répartition des richesses. Cela implique de travailler à la prévention et à la résolution pacifique des conflits entre pays. Cela veut dire remettre en question le rôle et les pouvoirs de ceux qui ont les moyens financiers et industriels (et souvent militaires) de détruire la planète sous prétexte de croissance économique.
Tout un programme !
2) Commençons par le commencement
Hervé Kempf est journaliste en matière d’environnement au journal le Monde. Il est venu à l’école d’été de l’INM l’an dernier. Il a publié en 2007 « Comment les riches détruisent la planète » aux éditions du Seuil. Le livre est clair et accessible. Monsieur Kempf expose de façon éclairante le lien nécessaire entre vision écologiste et justice sociale. Voilà quelques données tirées de son livre :
– L’augmentation de la température moyenne prévue à la fin du XX1e siècle se situe entre 1,4 degré et 5.8 degrés. Si on allait vers le 5 ou 6 degrés additionnels, les conséquences seraient les suivantes : fonte des régions arctique et antarctique, donc élévation importante du niveau de la mer et inondations de plusieurs régions du monde, fonte du pergélisol (c’est déjà commencé dans le nord québécois et canadien), sécheresse accrue dans plusieurs pays…
– On vit déjà une crise de la biodiversité : sur 40,000 espèces étudiées par l’Union internationale pour la conservation de la nature, 16,000 sont menacées. -On observe une pollution généralisée : les océans se détériorent, il y a surexploitation des stocks de poisson, on retrouve des quantités de déchets dans les océans (dans le centre du Pacifique, 3 kilos de déchets pour 500 grammes de plancton). On sait que la pollution de l’air est importante, non seulement dans les pays occidentaux mais de plus en plus en Inde et en Chine, pour ne nommer que ces pays. Les conséquences de ces problèmes sont-elles les mêmes pour tous-tes les êtres humains ? Dans certains cas, probablement.
À cause des milliers de produits chimiques présents dans notre alimentation ou dans des produits nettoyants, une recherche allemande a démontré que l’on retrouvait 350 types de polluants dans le lait maternel des femmes de ce pays. On observe une montée des troubles de la reproduction. On discute de plus en plus des liens entre la pollution et l’augmentation des cancers. Lorsque des catastrophes dites « naturelles » se produisent (tremblements de terre, inondations, tsunamis, cyclones, crise du verglas), il est évident qu’elles auront des conséquences sur toutes les personnes qui habitent les lieux concernés. Si toute une ville est touchée par le smog, l’ensemble de la population en souffrira.
Si des espèces disparaissent (comme des poissons), personne ne peut plus en manger. Si une guerre éclate entre deux pays à cause d’une dispute à propos de la propriété d’un cours d’eau essentiel à la vie et à l’agriculture, tout le monde est touché. De même si un pays entier disparaît sous l’eau. Mais l’égalité s’arrête là. En fait, les peuples ne sont pas égaux devant les problèmes environnementaux et leurs conséquences, et, à l’intérieur d’une population donnée, les individus ne sont pas égaux non plus. Il y aurait de multiples exemples.
Contentons-nous de ceux-ci, un peu en vrac :
– lorsque l’on construit une autoroute, il est plutôt rare que ce soit dans les quartiers huppés des villes. La transformation de la rue Notre-Dame, à Mtl, en autoroute, se fait littéralement dans un des quartiers les plus pauvres de la ville. On voit déjà des problèmes d’asthme et de bronchite chez les enfants. Le projet d’autoroute est donc dénoncé par la Direction de la santé publique de Montréal.
– Qui a été le plus affecté par la crise du verglas ? On sait, par exemple, que ce sont souvent les personnes pauvres qui se sont retrouvées dans des lieux d’hébergement…
– Qui peut se payer l’alimentation biologique ? -Le smog et la chaleur accablante à Montréal : c’est bien pire dans les vieux quartiers pauvres qu’autour de la montagne (on observe différence de 8 degrés de chaleur) -Les journaux d’hier nous annoncent que 20,000 Canadiens seront tués par la pollution atmosphérique cette année. Ce seront surtout des personnes âgées. Lesquelles ?
– Ailleurs : qui a le plus souffert de l’ouragan Katrina ? Des tremblements de terre récents en Chine ? Qui meurt des épidémies et dans les pays pauvres, qui manque de soins médicaux ? Quelles personnes âgées (10,000) sont mortes au cours de la canicule à l’été 2003 en France ? Qui boit de l’eau polluée dans le monde et n’a pas les moyens de s’acheter des bouteilles d’eau ? Qui subit la déforestation ? Qui, à Naples, habite à côté des amoncellements d’ordures, sans compter les populations des pays pauvres qui survivent en fouillant dans les ordures… ? -Qui seront les réfugiés climatiques de demain ? Des paysans sans terre, de pauvres pêcheurs privés de leur subsistance, des populations privées d’eau, etc. Aussi : nous ne sommes pas égaux dans notre capacité à revendiquer un milieu de vie et de travail respectueux de l’environnement. Ceux et celles qui disposent d’outils scientifiques, de ressources financières, de contacts en haut lieu…sont mieux équipés…
3) Nous ne sommes pas égaux devant les problèmes environnementaux, et pas égaux du tout !
Pendant que nous débattons de tout cela, les inégalités augmentent au Québec, au Canada et dans le monde. Au Canada, entre 1997 et 2004, le 20% de familles les plus riches ont vu leur revenu annuel augmenter de 36,000. Pour les familles les plus pauvres, aucune augmentation ou presque (un peu au Québec grâce à hausse des allocations familiales). Les baisses d’impôt profitent aux mieux nantis. Par exemple, un couple canadien gagnant 175,000 $ voit ses impôts diminuer de 2000$ par année. Un couple qui gagne 60,000$ paie 110$ de moins en impôt. Et pendant ce temps, le salaire minimum augmente au compte goutte au Québec (8.50$ actuellement) et les prestations à l’aide sociale sont à demi-indexées pour les personnes dites aptes au travail (elles reçoivent en ce moment autour de 575$ par mois). On sait bien aussi que les tarifs montent : électricité, essence, téléphone, soins médicaux, dentiste, loyers…et voilà pourquoi il y a tant d’inégalités au Québec et au Canada.
Une minorité s’enrichit, une majorité s’appauvrit. La précarité du travail augmente, on ne sait plus combien de temps on va pouvoir travailler chez le même employeur. Sans parler des conditions de travail souvent difficiles, entre autres, pour les travailleuses et travailleurs non syndiqués.
Pendant ce temps, l’État s’appauvrit aussi en diminuant les impôts des particuliers bien nantis et des entreprises. À Ottawa, les surplus semblent fondre mais on augmente de façon indécente les dépenses militaires. Pendant ce temps, l’État canadien ne met plus un sou dans le logement social. Au Québec où monsieur Charest a diminué les impôts des particuliers et des entreprises à hauteur d’un milliard de dollars en 2006-07, on manque d’argent pour la santé, l’éducation, la lutte à la pauvreté…et l’environnement.
Dans le monde : Des chiffres un peu encourageants sur la diminution de la pauvreté absolue (les gens qui vivent avec moins de 1$ par jour) : on est passé de 28% de la population mondiale en 1990 à 21% aujourd’hui (2007). L’importance de la Chine et aussi de l’Inde pèse beaucoup sur cette évolution. Par ex : la part de la population vivant avec moins de 1$ par jour est tombée de 66% en Chine en 1980 à 17% en 2001. MAIS à l’échelle mondiale, des situations dramatiques perdurent. Selon le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) : un milliard de personnes survit dans la pauvreté absolue (surtout dans les zones rurales) et un autre milliard avec moins de 2$ par jour. 1.1 milliard d’humains ne disposent pas d’eau potable et d’équipements sanitaires adéquats et cela entraîne des maladies graves comme le paludisme, le choléra, la typhoïde, les maladies gastro-intestinales, etc. 800 millions de personnes ne mangent pas à leur faim et deux milliards souffrent de carences alimentaires. Attention : il y aurait à manger pour tout le monde. Mais la mauvaise répartition de la richesse, les inégalités observées dans le développement de l’agriculture et les ententes commerciales inéquitables entre pays, privent des milliards de personnes d’une alimentation suffisante et saine.
L’accroissement des inégalités est observable non seulement dans notre pays mais presque partout au monde, y inclus dans les pays pauvres. On sait, par exemple, qu’il y a maintenant des millionnaires en Chine et en Inde alors qu’une grande partie de ces populations sont pauvres. Entre pays, c’est la même chose : « En 1990, l’Américain moyen était 38 fois plus riche que le Tanzanien. Aujourd’hui, il est 61 fois plus riche ».
J’aimerais ajouter que la pauvreté ne se limite pas à l’insuffisance des revenus. Lorsque dans un pays d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie, des populations entières ne sont pas soignées, lorsque les enfants vont à l’école seulement quelques années, lorsqu’il n’y a pas de services d’enlèvement des déchets, lorsque les services sociaux sont inexistants, lorsqu’un large pourcentage de jeunes sont au chômage sans indemnité, lorsque l’on vit dans un bidonville où les égouts sont à ciel ouvert, peut-on vraiment parler de dignité humaine ? Je pourrais en dire beaucoup plus sur la situation des peuples du monde. Je n’ai pas parlé des guerres et des carences nombreuses dans les systèmes démocratiques. Je n’ai pas mentionné l’augmentation de la violence dans les quartiers pauvres des grandes villes, ni de ces nombreux jeunes qui tentent de fuir un sort misérable sur des radeaux de fortune de l’Afrique à l’Europe. J’en ai dit assez, je crois, pour que nous réalisions que nous sommes loin, très loin, d’un véritable « développement durable » pour toutes et pour tous.
4) Qu’est-ce que le développement durable ?
Pour en parler, retournons à un texte souvent cité : le rapport Brundtland, du nom d’une ancienne Première ministre de la Norvège qui a dirigé la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, un comité mis sur pied par les Nations Unies. Le rapport Bruntland a été rendu public en 1987 et a inspiré la conférence mondiale de Rio sur l’environnement en 1992. Ce qui est fascinant : ce rapport des Nations Unies ne prône pas une vision écologiste radicale. Cependant, il contient des affirmations puissantes qui devraient nous inspirer encore aujourd’hui. En voici quelques extraits : « Nombre d’entre nous vivons au-dessus des moyens écologiques de la planète, notamment en ce qui concerne notre consommation d’énergie ». (Ce texte est écrit en 1987 ! note de la rédactrice)
« Au strict minimum, le développement durable signifie ne pas mettre en danger les systèmes naturels qui nous font vivre : l’atmosphère, l’eau, les sols et les êtres vivants ».
« Même au sens le plus étroit du terme, le développement durable présuppose un souci d’équité sociale entre les générations, souci qui doit s’étendre, en toute logique, à l’intérieur d’une même génération ».
« Développement et croissance économique sont compatibles à condition que le contenu de celle-ci (la croissance, ndlr) respecte les principes que sont la durabilité et la non-exploitation d’autrui ».
« Il existe un fil conducteur dans cette stratégie du développement durable : la nécessité d’intégrer les préoccupations économiques et écologiques dans la prise de décision… Mais la compatibilité entre ces deux types de considérations se perd souvent dans la poursuite d’avantages individuels ou collectifs où l’on ne tient pas compte des conséquences et où l’on fait une confiance aveugle en la science… » Donc, si l’on veut parler sérieusement de développement durable, on doit se préoccuper de dignité humaine, de justice sociale, de prise en considération des besoins fondamentaux des humains et de la nature aujourd’hui et pour les générations futures.
Les professeurs François Blais et Marcel Filion, de l’université Laval, écrivent en 2001 : « Dans un monde (…) marqué par des menaces écologiques plus prégnantes que jamais, il est devenu impératif de considérer l’accès aux ressources de la terre de même que la sécurité environnementale comme relevant de la justice, au même titre que la redistribution des avantages économiques ».
À mon avis, cette vision à la fois écologiste et sociale du développement durable impose de prendre des décisions politiques et économiques courageuses, audacieuses, qui tranchent avec la conception actuelle de l’économie. Quelle est cette conception ? Celle qui domine en ce moment, (au-delà des discours de circonstance sur le respect de l’environnement) est celle d’une croissance économique soutenue comme préalable absolu pour rencontrer les besoins des consommateurs. Le citoyen, la citoyenne, sont des consommateurs avant tout, des gens qui achètent et font tourner la roue économique. Sans réflexion sur cette consommation frénétique qui pose des problèmes majeurs à la planète. Il faut dire que les très riches donnent l’exemple. Vous lirez Hervé Kempf ! Ils ont tellement d’argent, qu’ils ne savent plus quoi inventer pour le dépenser. Ces gens n’ont aucune conscience écologiste ou sociale. Mais ils ont une très haute opinion d’eux-mêmes et ne comprennent tout simplement pas que des gouvernements veuillent leur faire payer leur juste part d’impôt ou leur imposer des règles environnementales ou sociales. Ils ont d’ailleurs des amis bien placés dans les milieux gouvernementaux. Vous avez peut-être vu le documentaire sur Monsanto, une entreprise qui veut, paraît-il, du bien aux agriculteurs (!).
Un cas patent de collusion entre une multinationale et des dirigeants politiques qui vont jusqu’à congédier des scientifiques parce que ceux-ci expriment des réserves envers les OGM. Les dirigeants économiques, dans les mondes de la finance, de la spéculation, des services privés et de la production de biens, nous incitent donc à intégrer leur discours sur la croissance, à acheter inlassablement, à demander à nos gouvernements de payer le moins d’impôt possible, à nous adapter (comme ils disent…) à une mondialisation des échanges commerciaux censée nous apporter le bonheur et la prospérité.
Pourtant, cette vision comporte des effets pervers et des conséquences graves : Voyez les problèmes des Américains moyens qui n’ont plus les moyens d’habiter leur maison ! Sachez que 40% des habitants des États -Unis ne bénéficient d’aucune assurance-maladie, cela dans le pays le plus riche de la planète Voyez le développement rapide d’une médecine à deux vitesses, ici-même, au Québec ! Considérez l’endettement moyen des Québécois-es, un endettement qui rend beaucoup de personnes extrêmement anxieuses, qui provoque des faillites et du désespoir. Observez les délocalisations d’emplois vers des pays où l’on paie les travailleurs et les travailleuses une bouchée de pain, les pertes d’emploi dans une forêt dont on n’a pas pris soin, les suicides d’agriculteurs surendettés, ici au Québec !!! C’est ça le bonheur ? On nous a dit que la croissance sans limite allait générer des emplois, qui assureraient des revenus décents aux humains, qui leur permettraient de consommer librement et de satisfaire tous leurs besoins.
On sait maintenant, (rappelez-vous mes chiffres du début sur la situation des humains sur la planète) que c’est seulement en partie vrai. On ne crée pas assez d’emplois pour satisfaire les besoins de tous les demandeurs d’emploi ; les travailleuses et travailleurs sont très souvent mal payés et vivent à crédit ; des millions de paysans quittent les campagnes en raison surtout de l’impossibilité pour eux de vivre de l’agriculture. Enfin, cette croissance effrénée est la cause de nombreux désastres sociaux et environnementaux connus. Il faut donc changer radicalement de cap. Ce sera difficile et exigeant. Mais aussi mobilisant.
5) Changer de cap
Il y a plusieurs manières de changer le monde. Tous les gestes comptent y compris celui de recycler ses déchets et de composter. Mais vous comprenez qu’à l’échelle de la planète et des désastres environnementaux et sociaux présents et à venir, il faut bien plus que cela. Les réponses à l’arrogance des décideurs puissants et organisés, c’est la mobilisation des peuples aux échelles locales, nationales et internationales. Et c’est commencé !
Des exemples :
– Les nombreuses entreprises d’économie sociale, par exemple, les coopératives, au Québec et ailleurs qui remettent en question la finalité de l’économie (le profit), impliquent les travailleurs-euses dans la gestion et respectent l’environnement.
– Au Québec, l’agriculture soutenue par la communauté qui met en contact habitants-es des villes et producteurs-trices agricoles. Ces projets favorisent les achats locaux. Leurs buts : éliminer les transports polluants et soutenir des producteurs qui en arrachent. On travaille en parallèle des distributeurs alimentaires qui sont maintenant des monopoles (il en reste 2 au Québec). On fournit des aliments frais dont on connaît l’origine.
– Des groupes qui prônent la simplicité volontaire, une façon de remettre en question le modèle de consommation existant. À l’intérieur de ces groupes, on réfléchit sur la notion de besoins essentiels : a-t-on vraiment besoin de tout ce que l’on achète ?
– Des comités de citoyennes et citoyens, partout au Québec, qui se mobilisent contre des projets d’autoroute, d’agrandissement de dépotoirs, de vente de parcs nationaux, de mise en place de ports méthaniers. On ne gagne pas tout le temps mais les préoccupations écologistes gagnent du terrain. Les décideurs doivent en tenir compte.
– Des organismes sociaux et écologistes qui prônent le commerce équitable ; divers produits sont maintenant accessibles aux citoyennes et citoyens québécois : café, chocolat, bananes, vêtements, produits artisanaux, etc. On s’assure ainsi que ceux qui produisent des biens reçoivent leur juste part de rémunération. Un nouveau monde est donc déjà en marche grâce à des actions parfois modestes, parfois de grande envergure. Mais allons plus loin. Une réflexion s’impose sur le modèle de société dans lequel nous voulons vivre. Jusqu’ici, le capitalisme néolibéral tolère nos manifestations de mauvaise humeur et doit parfois s’incliner devant la mobilisation populaire. Il nous laisse commercialiser certains produits équitables car nous ne sommes pas très menaçants, pour l’instant. Pendant ce temps, il continue cependant d’imposer son pouvoir partout dans le monde.
Soyons clairs, si nous voulons changer les règles du jeu, si nous voulons maintenant et dans les générations futures, assurer le bien-être de toutes les populations, et ce, dans le respect de l’environnement, nous devons nous tourner vers un projet politique et démocratique mobilisant les peuples, solidairement, à l’échelle de la planète. Nous ne pourrons nous contenter de « verdir » l’économie, lui imposer quelques règles (que l’entreprise trouvera souvent le moyen de contourner) et chercher, par des moyens technologiques à effacer l’empreinte humaine sur la nature. Il y a des limites à ce que la terre, l’eau, l’air, peuvent supporter.
Verdir l’économie veut nous dispenser d’une réflexion plus profonde sur nos rapports entre humains et avec la nature. Par exemple, certains ont cru qu’en remplaçant l’essence, en tout ou en partie, par l’éthanol, on polluerait moins la planète. On sait maintenant que la production d’éthanol à partir du maïs a des conséquences effrayantes sur la sécurité alimentaire des peuples. Des agriculteurs sont subventionnés pour cultiver des champs de maïs sur d’immenses surfaces afin de produire de l’éthanol. Il y a donc moins de maïs pour nourrir les gens. C’est l’une des causes de la crise alimentaire du printemps dernier. Tout cela parce que l’on ne veut pas se poser la vraie question : pourrait-on se passer largement de l’automobile ? Ne devrait-on pas utiliser des fonds publics en quantité importante pour mettre en place des systèmes de transport collectifs efficaces et inciter vigoureusement les gens à s’en servir ? Voilà une vraie question qui interpelle le rôle des États et nos comportements citoyens.
En matière d’énergie, il y a comme ça, des questions à l’infini. Pourquoi ne pas nationaliser le nouveau développement de l’éolien ? René Lévesque l’avait fait avec l’hydro-électricité, pourquoi ne pas continuer en si bon chemin ? Pourquoi faire profiter des investisseurs étrangers des retombées économiques de l’éolien plutôt que de les redistribuer à toute la population québécoise, en commençant par les communautés locales concernées ? Pourquoi ne pas se donner le droit de devenir collectivement propriétaires d’outils économiques importants ? Pourquoi la construction d’un port méthanier à Lévis, alors que des agriculteurs, des groupes écologistes, de simples citoyennes et citoyens, des médecins, des scientifiques, s’y opposent ? A-t-on vraiment besoin d’un gaz naturel importé de Russie ? Est-ce que ce port vaut la destruction d’un paysage idyllique et de terres agricoles fertiles ainsi que la peur de l’accident, toujours présente ? Pourquoi ne pas développer des énergies plus vertes et offrir ainsi des emplois partout dans les régions du Québec ? Pourquoi continue-t-on de subventionner largement notre agriculture industrielle, négligeant le nécessaire soutien aux productrices et producteurs biologiques et du terroir ? Il s’agit de décisions politiques. Ces décisions sont prises par des gens qui sont les amis des grands investisseurs, au nom d’une théorie économique de moins en moins convaincante.
Comme le dit Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001 : »Le fondamentalisme néolibéral est une doctrine politique au service d’intérêts privés » C’est démocratiquement que nous arriverons à changer le « désordre des choses » (comme le dit souvent Lorraine Guay, grande militante du communautaire).
Voici quelques perspectives possibles, en plus des alternatives déjà mentionnées :
– Nous devons exiger des gouvernements des mesures fiscales et sociales poursuivant l’objectif atteignable de l’élimination de la pauvreté, ici et ailleurs. Il faut des plans globaux, à court et long terme. Mais j’insiste : c’est faisable. Moins de dépenses militaires au Canada et dans le monde, plus de moyens pour éradiquer la pauvreté !
– La poursuite du combat pour des services de santé accessibles également à tous et toutes s’impose. Non à la privatisation ! Nous devons en même temps exiger des mesures environnementales pour réduire la pollution atmosphérique, l’intoxication alimentaire, les cancers dus à des produits chimiques. Etc…
– Nous devons continuer de nous battre pour une éducation gratuite à tous les niveaux et de qualité. Pourquoi est-ce si important ? Non seulement pour acquérir des qualifications professionnelles, mais pour devenir des citoyennes et citoyens équipés et critiques face aux mensonges dont nous sommes abreuvés tous les jours. Pour avoir des outils qui nous permettent de mener des luttes efficaces et de marquer des points.
– Il nous faut développer des stratégies internationales de solidarité entre les peuples face aux problèmes sociaux et environnementaux. C’est déjà en marche dans les forums sociaux mondiaux et dans toutes sortes de réseaux qui se parlent grâce à internet, sur toute la planète.
– Et finalement, il est important d’élire des gouvernements libres de toute attache avec les lobbys économiques puissants. Élire des politiciennes et politiciens intègres, écologistes et de gauche. Les surveiller, agir en citoyennes et citoyens vigilants, participer aux débats publics, exiger d’être consultés. Contribuer au développement de partis politiques à la fois écologistes et de gauche. VOTER ! Nous pouvons changer le monde, pas à pas.
Faisons-le !