Jeudi 20 mars 2003, par Nico Hirtt
La situation géopolitique née du déclenchement de la guerre contre l’Irak place les enseignants devant une grave responsabilité.
En agressant l’Irak au mépris du droit international, en lançant la Guerre Sainte pour le Pétrole, en agissant contre la volonté exprimée par leurs propres populations, les gouvernements des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, d’Australie et d’Espagne ont définitivement jeté le masque de la démocratie. Ils dévoilent à la face du monde leur nature de puissances impérialistes cherchant à imposer une dictature sans partage au reste de l’humanité. La situation est-elle pour autant parfaite en France, en Belgique ou en Allemagne ? Malgré leur hostilité face au déclenchement de cette guerre, les dirigeants de ces pays continuent d’afficher leur solidarité avec les pays agresseurs et n’envisagent aucune mesure de rétorsion sérieuse à leur encontre. Ils les traitent en « amis », en « alliés » et disent « partager les mêmes valeurs fondamentales ». Pendant dix ans ils ont soutenu un embargo meurtrier. Et en forçant l’Irak à désarmer pour se conformer aux diktats de l’ONU, ils ont sans doute contribué à affaiblir la capacité de défense de son peuple face à l’agression actuelle. Tant que nos gouvernants n’auront pas rappelé leurs ambassadeurs aux USA et en Grande Bretagne, interdit le survol, le transit ou l’accès des eaux territoriales de nos pays aux troupes d’agression, expulsé les représentants militaires et agents secrets des pays agresseurs (y-compris ceux oeuvrant dans le cadre de l’OTAN), tant qu’ils n’auront pas soumis à l’ONU une résolution condamnant ces pays, exigeant leur retrait immédiat du territoire irakien en les menaçant d’un embargo économique international, nous vivrons dans des pays alliés, donc complices, des agresseurs.
Désormais nous sommes en guerre et, pour notre malheur, nous sommes du mauvais côté de la barrière. Du côté de ceux que l’histoire retiendra comme les agresseurs. Nous voilà comme les Espagnols sous Franco, les Français sous Pétain : complices, soumis ou Résistants. En ce qui nous concerne, le choix est fait. Il l’est sans doute aussi pour la plupart de nos lecteurs habituels. Ce que cela implique pour chacun d’entre nous, comme citoyen ou comme travailleur, nous ne le développerons pas ici. Nous vous renvoyons aux nombreux sites Internet qui organisent déjà la lutte et la résistance (par exemple, en Belgique, www.stopusa.be ou www.cnapd.be ).
Mais dans ce vaste mouvement, nous avons également une mission spécifique à remplir en tant qu’enseignants. Face à la formidable machine de propagande que sont les mass-médias, il nous appartient aujourd’hui d’investir et d’utiliser au mieux cet autre appareil idéologique qu’est le système scolaire. A l’heure où l’Etat tend à se désengager de l’école, à l’heure où les révisions dérégulatrices des structures et des programmes ouvrent la porte au développement inégal, profitons-en au moins pour y occuper le terrain et transmettre aux jeunes générations le message et les armes intellectuelles de la Résistance. Utilisons nos cours de géographie pour apprendre aux élèves et aux étudiants la nature de l’impérialisme et celle de l’impérialisme américain en particulier. Utilisons nos cours d’économie pour leur enseigner les mécanismes de l’exploitation et de la domination, pour leur faire comprendre la nature de ce système économique qui conduit tous les demi-siècles l’humanité à l’auto-destruction. Utilisons nos cours d’histoire pour leur expliquer les origines du sous-développement, pour leur faire découvrir les enjeux géostratégiques du pétrole, pour leur démontrer le rôle idéologique et la source historique du racisme. Utilisons nos cours de math et de sciences pour leur apprendre à réfléchir avec leur propre tête et non avec celle de CNN. Utilisons nos cours de langues pour diffuser les films de Mike Moore (Bowling for Columbine), pour faire lire les livres de l’opposition intellectuelle muselée aux Etats-Unis. Utilisons nos cours de philo, de morale ou de religion pour dénoncer les références à Dieu dans la propagande américaine. Utilisons le temps entre les cours pour mobiliser les élèves, pour les appeler à participer aux actions, aux manifestations, aux pétitions, pour diffuser et faire diffuser tracts, badges, autocollants et affiches. Utilisons notre autorité de maîtres pour contester la voix du Maître, pour démolir les discours de Bush, pour stigmatiser l’inconsistance des dirigeants européens.
Au delà de notre devoir de solidarité envers un peuple agressé, au delà de notre devoir de citoyens épris de paix, au delà de notre volonté de militants opposés au nouvel ordre capitaliste globalisé, il en va de notre légitimité comme éducateurs et comme enseignants. Comment pourrions-nous prétendre exercer une autorité pédagogique sur nos élèves si, dans une question aussi fondamentale, nous ne leur montrons pas que le savoir est porteur de compréhension du monde et de capacité d’action ?
Certains objecteront que ce serait là aller à l’encontre de notre devoir de neutralité. En effet. Dans les circonstances actuelles, on ne peut être neutre qu’en étant complice. Entre ces deux maux, il n’y a pas à hésiter.
(Tiré du site de l’APED)