L’article d’Alex Callinicos montre bien les changements opérés, ces derniers mois, dans la gauche radicale. Les caractéristiques de la situation et, en particulier, l’approfondissement de la crise du système capitaliste et l’évolution social-libérale de la social-démocratie, confirment un espace « à gauche de la gauche réformiste ».
Cet espace ouvre des possibilités pour la construction de nouvelles formations politiques ou pour des initiatives comme celle des conférences de la gauche anticapitaliste, construction qui nécessite des clarifications. Certaines expériences recouvrent une diversité de courants. Si les frontières politiques entre ces courants n’apparaissent pas toujours nettement, en revanche, pour avancer, la question du soutien ou de la participation à des gouvernements de centre-gauche ou sociaux-libéraux est un discriminant fondamental dans la politique d’alliances ou de rassemblement.
Il y a non seulement des « chemins divergents », mais des politiques différentes et des projets distincts. Lorsque Callinicos évoque des « expériences plus positives » à propos de Die Linke en Allemagne et du NPA et en France, il s’agit, en fait, de deux projets différents.
Dans le cas de Die Linke, nous avons affaire à un parti réformiste de gauche : un parti intégré dans les institutions de l’Etat allemand, un parti dont la grande majorité des membres est issue de l’ex-PDS – le parti de la bureaucratie de l’ex-RDA –, un parti qui se prononce en faveur d’un gouvernement commun avec la SPD, enfin un parti dont le projet de société se confond avec le « retour à l’Etat providence ». Certes, ce parti marque aussi, à l’ouest de l’Allemagne, un mouvement de radicalisation de certains secteurs du mouvement social, un pas en avant pour le mouvement ouvrier. Mais les révolutionnaires ne doivent pas confondre ces processus avec la direction de Die Linke, sa politique réformiste, sa subordination aux institutions capitalistes et ses objectifs de participation gouvernementale avec le SPD.
Le NPA se présente, lui, comme un parti anticapitaliste. Un parti dont le centre de gravité tourne autour des luttes, des mouvements sociaux et non des institutions, un parti dont la marque fondatrice est le rejet de toute alliance ou de toute participation gouvernementale avec le centre-gauche ou le social-libéralisme, un parti qui ne s’arrête pas à l’antilibéralisme mais dont toute la politique est orientée vers la rupture avec le capitalisme et le renversement du pouvoir des classes dominantes.
Dans tous ces cas, nous sommes confrontés à des formations politiques : il y a des délimitations, des programmes, des politiques – mais ce ne sont pas les mêmes.
Parti anticapitaliste ou front unique d’un type particulier
Aussi, nous ne pouvons partager l’approche de Callinicos sur la caractérisation des nouvelles formations de la gauche radicale comme « un front unique d’un type particulier ».
Les conceptions du SWP ont été formulées par John Rees, un de leurs dirigeants, de la manière suivante : « La meilleure manière de considérer la Socialist Alliance [le précurseur de Respect] est donc comme un front unique d’un type particulier appliqué au champ électoral. Il cherche à unir des militants réformistes de gauche et des révolutionnaires dans une campagne commune autour d’un programme minimum » [6]. Cette conception, à l’origine liée à l’expérience britannique, a été généralisée comme « la conception du SWP de la nature des nouvelles formation de la gauche radicale ». Nous sommes en désaccord avec cette conception.
Parler de « front unique » pour la construction d’un parti ou d’une formation politique est vraiment une innovation. Le front unique répond aux problèmes que pose l’unité d’action ou l’unification des travailleurs ou du mouvement social et de leurs organisations. Le front unique et la construction d’un parti sont deux choses distinctes. Un parti des travailleurs anticapitaliste et/ou révolutionnaire – au delà de ses définitions précises – est une formation politique délimitée, sur la base d’un programme et d’une stratégie globale de conquête du pouvoir par et pour les travailleurs. Un parti anticapitaliste ne peut être l’expression organique de « toute la classe ». Même s’il doit chercher à constituer « une nouvelle représentation des travailleurs », ou la convergence d’une série de courants politiques, il ne fera pas, pour autant, disparaître les autres courants du mouvement social ni même les organisations « réformistes ou d’origine réformiste » dirigées par des appareils bureaucratiques. La question du front unique reste posée.
Pourquoi ne pas concevoir les partis anticapitalistes comme des cadres de front unique ? Parce que si c’était le cas, cela reviendrait à considérer ces partis comme une simple alliance ou cadre unitaire – même d’un type particulier – et donc à relativiser leur caractère de médiation nécessaire à l’émergence des directions révolutionnaires de demain. Considérer le NPA comme un cadre de front unique reviendrait à « aplatir » ses positions politiques pour les rendre compatibles avec la réalisation de ce front unique. Encore une fois, si nous ne faisons pas de la question gouvernementale – refus de participer à un gouvernement de collaboration de classes – une condition pour la réalisation de l’unité d’action contre la droite et le patronat (le front unique), elle est une base essentielle de la constitution du NPA comme parti. Assimiler peu ou prou ce dernier à un « front unique » ne peut conduire qu’à relativiser les délimitations et les batailles nécessaires pour construire une alternative politique.
Cette conception d’un « front unique d’un type particulier sur un programme minimum » a conduit la direction du SWP à reprocher à la direction de la LCR « une attitude négative et parfois ultimatiste envers les collectifs » antilibéraux, lorsque celle-ci mettait au centre de sa bataille politique le refus de participer à un gouvernement avec la direction du PS. Avec le recul, la direction du SWP pense-t-elle, encore, que ces reproches étaient fondés ?
Et aujourd’hui, lorsque Jean-Luc Mélenchon, un des animateurs de la gauche socialiste, quitte le PS, tout en assumant la continuité de ses conceptions réformistes, de ses positions sur la participation ou le soutien aux gouvernements Mitterrand et Jospin, et en déclarant qu’il veut construire un « Die Linke à la française », quelle doit être l’attitude des révolutionnaires ? Le soutenir et rejoindre ses propositions et projets d’alliance avec le PCF, qui gardent comme perspective de gouverner demain… avec le PS ? Ou bien prendre en compte sa rupture avec le PS, avoir une approche positive de l’unité d’action avec son courant, mais ne pas confondre la construction d’une gauche anticapitaliste et celle d’un parti réformiste de gauche ?
Encore une fois, oui à l’unité d’action – comme nous l’avons fait lors de la campagne du Non au référendum sur le traité constitutionnel européen – et au débat, mais en sachant que les différences sur le rapport aux institutions et l’attitude vis-à-vis de la question gouvernementale sépare les alternatives électorales et les projets de construction du parti des uns et des autres. La construction d’un Die Linke à la française, au regard de l’histoire du mouvement révolutionnaire et de ce qui a été accumulé par le NPA, constituerait un recul pour la construction d’une alternative anticapitaliste. Alors que tout un secteur influencé par la gauche anticapitaliste a pris ses distances avec les directions de la gauche traditionnelle, constituer une nouvelle force réformiste de gauche serait un pas en arrière pour le mouvement ouvrier. On réintroduirait tout ce secteur dans les « mécanos réformistes ». Les conceptions relevant du « front unique d’un type particulier » pourraient, alors, nous désarmer dans la définition d’une politique claire face à ce type de courants.
Ce type de conception, qui sous-estime la portée stratégique des différences sur les questions gouvernementales et institutionnelles, éclaire certaines positions du courant international du SWP. Elle peut ainsi expliquer, dans la politique des camarades de l’IST en Allemagne, une relativisation de la critique de la politique de la direction de Die Linke sur les questions de participation gouvernementale avec le SPD. De même, on peut noter l’indulgence des camarades envers le nouveau bloc de direction de Refondation communiste d’Italie. Au dernier congrès de Refondation, une réaction « à gauche » de ses militants a mis en minorité les partisans de Bertinotti. Pour autant, la politique menée par la nouvelle direction s’inscrit dans la continuité des positions historiques de Refondation communiste, et continue à avaliser la politique d’alliances avec le Parti démocrate dans tous les exécutifs régionaux dirigés par le centre-gauche.
Enfin, cette conception de « front unique d’un type particulier sur un programme minimum » n’a-t-elle pas contribué à désarmer la direction du SWP face à Galloway, pour qui « Respect devait nouer des alliances avec les notables musulmans locaux qui pourraient faire gagner des voix » ? Considérer un parti anticapitaliste comme un cadre de front unique peut aussi entraîner des déviations sectaires. Si le front unique se réalise, même sous une forme particulière, ne peut-on être tenté de tout faire passer par le canal du parti en sous-estimant justement les vraies batailles d’unité d’action ? Car le parti anticapitaliste doit combiner ses activités de parti et une orientation d’intervention unitaire. Nous n’avons pas oublié, contrairement à ce que suggère Callinicos, que le réformisme continue à exister, que le mouvement des travailleurs connaît des divisions, des différenciations, et qu’il faut intervenir pour le rassembler, pour unifier les travailleurs et leurs organisations.
Encore une fois, le front unique, dans toutes ses variétés, est une chose. Autre chose est la construction d’une alternative politique, ce qui est le choix du NPA
Quel type de parti révolutionnaire ?
Alex Callinicos tente de nous prendre à revers en nous expliquant que, si le NPA est un parti anticapitaliste, « ce n’est pas un parti révolutionnaire au sens spécifique où on l’a entendu dans la tradition marxiste classique ». On peut discuter de la tradition marxiste classique, qui est des plus riches dans sa diversité. Selon l’histoire, le degré de clarification stratégique, les principes et les tactiques d’organisation, sans oublier les diverses interprétations de tel ou tel courant révolutionnaire, il y a plusieurs modèles. Il est vrai que le NPA n’est pas la réplique des organisations révolutionnaires de l’après Mai 68.
Les partis anticapitalistes, le NPA, ne partent pas de définitions historiques ou idéologiques générales. Leur point de départ est « une compréhension commune des événements et des tâches » sur les questions-clés de l’intervention dans la lutte de classes. Pas une somme de questions tactiques, mais des questions politiques clés comme celle d’un programme d’intervention politique sur une orientation d’unité et d’indépendance de classe. Dans ce mouvement, il y a place et même nécessité d’autres histoires, d’autres références issues des origines les plus diverses.
Cela en fait-il un parti sans histoire, sans programme et sans délimitations ? Non. Il a une histoire, une continuité : celle des luttes de classes, le meilleur des traditions socialiste, communiste, libertaire, marxiste révolutionnaire. Elle s’inscrit dans les traditions révolutionnaires du monde contemporain appuyées, plus précisément, sur la longue chaîne des révolutions françaises de 1793 à Mai 68, en passant par les journées de 1848, la Commune de Paris et la grève générale de 1936.
Le NPA est aussi un type de parti qui tente de répondre aux nécessités d’une nouvelle période historique – ouverte à la fin du 20e et début du 21e siècle – ainsi qu’aux besoins de refondation d’un programme socialise face à la crise historique combinée du capitalisme et de l’environnement de la planète. Face à de tels enjeux, le NPA s’affirme comme un parti révolutionnaire plutôt dans le sens donné par Ernest Mandel dans les lignes qui suivent.
« « Qu’est-ce qu’une révolution ? Une révolution, c’est le renversement radical, en peu de temps, des structures économiques et (ou) politiques de pouvoir, par l’action tumultueuse de larges masses. C’est aussi la transformation brusque de la masse du peuple d’objet plus ou moins passif en acteur décisif de la vie politique. Une révolution éclate lorsque ces masses décident d’en finir avec des conditions d’existence qui leur semblent insupportables. Elle exprime donc toujours une grave crise d’une société donnée. Cette crise plonge ses racines dans une crise des structures de domination. Mais elle traduit aussi une perte de légitimité des gouvernants, une perte de patience, de la part de larges secteurs populaires. Les révolutions sont, à la longue, inévitables – les véritables locomotives du progrès historique – parce qu’une domination de classe ne peut justement pas être éliminée par voie de réformes. Celles-ci peuvent tout au plus l’adoucir, pas la supprimer. L’esclavage n’a pas été aboli par des réformes. La monarchie absolutiste de l’Ancien Régime n’a pas été abolie par des réformes. Il fallait des révolutions pour les éliminer. »
« Pourquoi sommes-nous révolutionnaires aujourd’hui ? »
Ernest Mandel, la Gauche du 10 janvier 1989. [7]
Il est vrai que cette définition est plus générale que les hypothèses stratégiques voire politico-militaires qui ont structuré les débats des années 1970, alors éclairés par les crises révolutionnaires du 20e siècle. Les partis anticapitalistes comme le NPA sont « révolutionnaires » dans le sens où ils veulent en finir avec le capitalisme – « le renversement radical des structures économiques et politiques (donc étatiques) du pouvoir » – et considèrent que la construction d’une société socialiste passe par des révolutions où ceux d’en bas chassent ceux d’en haut, et « prennent le pouvoir pour changer le monde ».
Ils ont un programme et des délimitations stratégiques, mais celles-ci ne sont pas achevées. Rappelons que Lénine, y compris contre une partie de la direction du parti bolchevique, a changé ou modifié substantiellement son cadre stratégique en Avril 1917, en pleine crise révolutionnaire. Il est passé de la « dictature démocratique des ouvriers et des paysans » à la nécessité d’une révolution socialiste et du pouvoir des conseils ouvriers. Certes, Lénine avait consolidé des années durant un parti sur l’objectif d’un renversement radical du tsarisme, sur le refus de toute alliance avec la bourgeoisie démocratique, sur l’indépendance des forces ouvrières alliées à la paysannerie. Et cette phase préparatoire a été décisive. Mais bien des questions ont été tranchées dans le cours même du processus révolutionnaire.
Beaucoup de choses ont changé par rapport à l’après Mai 68, et plus généralement par rapport à toute une période historique marquée par la force propulsive de la révolution russe.
Il y a plus de trente ans que les pays capitalistes avancés n’ont pas connu de situations pré-révolutionnaires ou révolutionnaires. Les exemples sur lesquels nous nous appuyons sont basés sur les révolutions du passé. Mais, encore une fois, nous ne savons pas ce que seront les révolutions du 21e siècle. Les nouvelles générations apprendront beaucoup de l’expérience et nombre de questions restent ouvertes.
Ce que nous pouvons et devons faire, c’est ancrer les partis que nous construisons sur une série de références « fortes », puisées dans l’expérience et l’intervention de ces dernières années, qui constituent une base programmatique et stratégique pour nous orienter. Rappelons-les : un programme de transition anticapitaliste qui lie revendications immédiates et revendications transitoires, une nouvelle distribution des richesses, la remise en cause de la propriété capitaliste, l’appropriation sociale de l’économie, l’unité et l’indépendance de classe, la rupture avec l’économie et les institutions centrales de l’Etat capitaliste, le rejet de toute politique de collaboration de classes, la prise en compte de la perspective éco-socialiste, la transformation révolutionnaire de la société…
Des débats récents nous ont conduits à préciser nos conceptions de la violence. Nous y avons réaffirmé que « ce n’était pas les révolutions qui étaient violentes mais les contre-révolutions », comme en Espagne en 1936 ou au Chili en 1973, et que l’utilisation de la violence par les opprimés visait à protéger un processus révolutionnaire contre la violence des classes dominantes.
Alors, en quoi ce nouveau parti doit-il constituer un changement vis-à-vis de la LCR ? Ce doit être un parti plus large que la LCR. Un parti qui n’assume pas toute l’histoire du trotskysme et qui ait l’ambition de permettre de nouvelles synthèses révolutionnaires. Un parti qui ne se réduise pas à l’unité des révolutionnaires. Un parti qui dialogue avec des millions de travailleurs et jeunes. Un parti qui traduise ses références programmatiques fondamentales dans des explications, une agitation et formules populaires. De ce point de vue, les campagnes d’Olivier Besancenot constituent un formidable point d’appui. Un parti qui soit en capacité de mener de larges débats sur les questions fondamentales qui travaillent la société : la crise du capitalisme, le réchauffement climatique, la bio-éthique, etc. Un parti de militants et d’adhérents qui permette d’intégrer des milliers de jeunes et de salariés avec leur expérience sociale et politique en préservant leurs liens avec leur milieu d’origine. Un parti pluraliste qui rassemble toute une série de courants anticapitalistes.
Nous ne voulons pas une LCR bis ou une LCR élargie. Pour réussir notre pari, ce parti doit représenter une nouvelle réalité politique, s’inscrire dans la tradition du mouvement révolutionnaire, et contribuer à inventer les révolutions et le socialisme du 21e siècle.
Pour écarter les tentations réformistes, construire vraiment un parti anticapitaliste !
Malgré ces délimitations, Callinicos reste sceptique : « la solution de la LCR à ce problème semble être d’installer une sorte de verrou programmatique – l’engagement sur l’anticapitalisme et l’opposition aux gouvernements de centre-gauche. Mais il est peu probable que cela fonctionne : plus le NPA connaîtra de succès, plus il sera probable qu’il subisse des pressions et des tentations réformistes ».
Pourquoi un tel fatalisme ? Pourquoi le développement du NPA entraînerait-il mécaniquement des tentations réformistes ? Il faut de ce point de vue faire la différence entre un « trade-unionisme spontané », pour reprendre une formule de Lénine, et le réformisme comme projet politique, comme organisation voire comme appareil. Ce « trade-unionisme spontané », s’il peut former un terreau favorable aux idées réformistes, peut aussi, confronté à l’alignement de plus en plus important des appareils réformistes sur la politique capitaliste, s’orienter vers des positions radicales, anticapitalistes, voire révolutionnaires, surtout lorsque le système capitaliste entre dans une phase où il atteint ses limites historiques. Il est logique, si nous construisons un parti populaire, pluraliste, large, ouvert, que ce parti subisse toute sorte de pressions. C’est le contraire qui serait anormal. Mais pourquoi ces pressions se traduiraient-elles en positions réformistes cristallisées ?
Il peut y avoir une tension entre le caractère anticapitaliste du nouveau parti et le fait que des salariés, des jeunes, voire une série de personnalités rejoignent le nouveau parti, tout simplement parce qu’ils recherchent un vrai parti de gauche, notamment à partir des interventions d’Olivier Besancenot. Ces nouveaux adhérents peuvent être, effectivement, combatifs mais pleins d’illusions. C’est le lot de tout parti de masse, même minoritaire. C’est là qu’il faudra discuter, former. Cela implique d’autant plus de donner des contenus « forts » aux réponses politiques du NPA et de veiller au caractère radical et à l’indépendance du parti.
De même, si ces partis veulent jouer un rôle dans la réorganisation des mouvements sociaux, ils doivent êtres pluralistes. Nombre de sensibilités doivent s’y retrouver, y compris des militants et des courants « réformistes conséquents », mais cela n’induit pas mécaniquement que le problème se pose en termes de lutte entre le courant révolutionnaire et des courants réformistes cristallisés qu’il faudrait combattre. La question-clé est que tous les courants et militants du NPA, au-delà de leurs positions sur « réforme et révolution », mettent au centre « la lutte de classes » et subordonnent leurs positions dans les institutions aux luttes et mouvements sociaux. Bien entendu, nous ne pouvons écarter l’hypothèse d’un affrontement entre réformistes et révolutionnaires. Mais il est peu probable, avec les délimitations politiques actuelles du NPA, que des courants réformistes bureaucratiques adhèrent ou se cristallisent.
Dans une première phase historique de construction du parti, le rôle des révolutionnaires est de tout faire pour que le processus de constitution du parti accouche vraiment d’une nouvelle réalité politique. Cela implique que les révolutionnaires évitent de projeter les débats de l’ancienne organisation révolutionnaire dans le nouveau parti. Sitôt que le NPA aura pris son envol, il y aura bien sûr des discussions, des différenciations, des courants. Certains débats recouperont peut-être des clivages entre perspective révolutionnaire et réformisme plus ou moins conséquent. Mais même dans ces cas-là, le débat ne se fera pas dans une bataille politique opposant un bloc réformiste bureaucratique aux révolutionnaires. Les choses seront plus mêlées en fonction de l’expérience propre du nouveau parti.
Faut-il, de manière séparée, organiser un courant révolutionnaire dans le NPA ?
Là encore, il n’y a pas de modèle. Dans nombre de partis anticapitalistes, il y un ou plusieurs courants révolutionnaires, lorsque ces partis sont en fait des fronts ou des fédérations de courants. C’est le cas des militants de la IVe Internationale au Brésil, dans le cadre du courant « Enlace ». Sans s’organiser en courants politiques liés à la vie politique nationale de ces partis, certaines sections de la IVe Internationale peuvent s’organiser en associations ou sensibilités idéologiques. C’est par exemple le cas de l’APSR au sein du Bloc de gauche au Portugal, du SAP au sein de l’Alliance rouge et verte au Danemark. On trouve aussi ce type de courants dans d’autres organisations ou partis plus larges.
Mais ce schéma ne fonctionne pas pour le NPA. D’abord pour des raisons fondamentales, à savoir le caractère anticapitaliste et révolutionnaire « au sens large » du NPA, et les identités de vue générales entre les positions de la LCR et celles du NPA. Il y a et il y aura bien sûr des différences politiques entre la LCR et le NPA, une plus grande hétérogénéité et une grande diversité de positions au sein du NPA, mais les bases politiques en discussion pour le congrès constituant du nouveau parti démontrent déjà les convergences entre l’ex-LCR et le futur NPA. Aussi, même si le NPA constitue déjà une autre réalité que la LCR, même si c’est le creuset possible d’un pluralisme anticapitaliste, il n’est pas justifié aujourd’hui de construire un courant révolutionnaire séparé dans le NPA.
Il y a aussi une relation spécifique entre l’ex-LCR et le NPA. L’ex-LCR représente la seule organisation nationale participant à la constitution du NPA. Il y a d’autres courants comme la fraction de LO, la GR, des militants communistes, des libertaires, mais il n’y a malheureusement pas, à cette étape, d’organisations au poids équivalent à la LCR. Si cela avait été le cas, le problème se poserait en d’autres termes. Dans les rapports de forces actuels, l’organisation séparée de l’ex-LCR dans le NPA bloquerait le processus de construction du nouveau parti. Elle instaurerait un système de poupées russes qui ne créerait que méfiance et dysfonctionnements.
Enfin, le NPA ne sort pas du néant. Il résulte de toute une expérience de militants de l’ex-LCR mais aussi de milliers d’autres qui se sont forgé une opinion dans une bataille pour défendre une ligne d’indépendance vis-à-vis du social libéralisme et du réformisme. Il y a donc une synergie militante au sein du NPA, où les positions révolutionnaires croisent d’autres positions politiques venues d’autres origines, d’autres histoires, d’autres expériences. Seuls les nouveaux tests politiques redistribueront les cartes au sein du NPA, pas les anciennes appartenances.
C’est un pari inédit dans l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire, mais le jeu en vaut la chandelle. Nous avancerons en marchant…
François Sabado
CALLINICOS Alex, SABADO François
Notes
[1] Cf. Mike Gonzalez La scission dans le Scottish Socialist Party,
http://quefaire.lautre.net/articles...,
et Chris Harman, La crise de Respect,
http://tintinrevolution.free.fr/fr/...
[2] Le Monde, 23 août 2008.
[3] J. Rees, « Anti-Capitalism, Reformism and Socialism », International Socialism, série 2, numéro 90 (2001), p. 32.
[4] F. Sabado, « Nouveau parti anticapitaliste et front unique », Que faire ?, numéro 8, mai-juin 2008, et sur ESSF : Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Front unique.
[5] « Pour un anticapitalisme et un socialisme du XXI° siècle », Contribution de la LCR à la réunion des 28 et 29 juin 2008,
http://www.lcr-rouge.org/spip.php?a...
Voir sur ESSF : Pour un anticapitalisme et un socialisme du XXI° siècle – La contribution de la LCR à la réunion des 28 et 29 juin pour le NPA .
[6] J. Rees, « Anti-Capitalism, Reformism and Socialism », International Socialism, série 2, numéro 90 (2001), p. 32.
[7] Voir : Ernest Mandel, Pourquoi sommes-nous révolutionnaires aujourd’hui ?
Mis en ligne le 20 novembre 2008