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Ecosocialisme et décroissance : un débat stimulant...

mardi 18 août 2009, par Jean Batou


Tiré du site Europe Solidaire Sans Frontières
Paru dans le quinzomadaire suisse « solidaritéS » n°151 (09/07/2009), p. 16-17.
9 juillet 2009


Le dernier congrès de solidaritéS [Suisse] insistait à juste titre sur l’importance d’un combat contre le capitalisme fondé sur un projet social en cohérence avec un projet environnemental. Ceci dit, nous ne défendons pas d’un côté la justice sociale et de l’autre la protection de l’environnement, mais une conception totalement intégrée des deux. Et ceci non seulement parce qu’il faudra bien garantir à long terme un environnement favorable à la vie humaine pour y développer un projet écosocialiste, mais aussi, et plus fondamentalement, parce que le dépassement du capitalisme n’impose pas seulement une redistribution des richesses, mais aussi d’autres modes et finalités de production, un autre rapport à la consommation, au temps, à la nature, à la société, à la culture, en somme à la vie dans toute sa richesse. Et cette révolution culturelle sans précédent depuis l’industrialisation du 19e siècle, il faut aussi commencer à la nourrir aujourd’hui !

Commençons donc par proscrire l’utilisation du terme «  pouvoir d’achat  » qui individualise le travailleur et le réduit au statut de consommateur aliéné. En lieu et place, nous défendons évidemment le «  pouvoir vivre  », dont parle Clémentine Autain dans une récente chronique radiophonique. [1] C’est pour cela que, sur le terrain revendicatif, nous luttons pour un salaire minimum, un revenu minimum et une retraite solidaire (garantissant véritablement un niveau de vie acceptable). En même temps, nous continuons – comme nous l’avons fait systématiquement jusqu’ici – à mettre en avant des objectifs collectifs : services publics gratuits et étendus à de nouveaux domaines, assurances sociales solidaires, impôts fortement progressifs (confiscatoires à partir d’un certain seuil pour garantir de fait un revenu maximum – très difficile, ceci dit, à imposer sous le capitalisme).

Une épidémie mortelle : l’«  affluenza  »

En revanche, la thèse de l’économiste et sociologue états-unien Thorstein Veblen (1857-1929), qui voyait dans la «  rivalité ostentatoire  » (imiter le train de vie des plus riches) le moteur du consumérisme, très à la mode parmi les «  décroissants de gauche  », me paraît insuffisante. Il faut surtout refuser de le suivre lorsqu’il l’érige en trait essentiel de la «  nature humaine  ». Pour autant, des études épidémiologiques valident cette perception en partant du raisonnement opposé : le creusement des inégalités sociales suscite en effet un sentiment de frustration qui se traduit par une augmentation des affections somatiques et psychiques.

Mais plus fondamentalement, je crois que le consumérisme s’enracine dans la nécessité ressentie par une humanité dépossédée par le capitalisme du contrôle de ses conditions d’existence (accès aux ressources naturelles, usage de son propre corps, mise en œuvre de sa capacité de travail, organisation de son temps, etc.) de compenser la souffrance insupportable qui en découle. C’est un aspect essentiel du «  fétichisme de la marchandise  » décrit par Marx, qui a été bien rendu récemment par le néologisme anglo-saxon «  affluenza  » («  épidémie du toujours plus  »), popularisé aux Etats-Unis par un documentaire de John de Graaf (1997). D’accord donc pour plafonner fortement les revenus et la consommation des plus riches  !

Quelle décroissance  ?

Ceci dit, je continue à penser qu’il faut éviter le terme de «  décroissance  » (je préfère certes le terme «  objection de croissance  », même s’il n’est pas non plus parfait). D’abord parce qu’il n’est que l’image renversée du terme «  croissance  », dont il partage sans s’en rendre compte le même fétichisme quantitatif, mesuré dans les termes d’une économie marchande généralisée (le PIB). Je suis certes pour une décroissance importante de la consommation d’énergies non renouvelables et de matières premières, mais aussi pour une décroissance du temps de travail contraint, ceci en tenant compte de la nécessité de satisfaire les besoins fondamentaux des «  pays pauvres  » et des couches sociales les plus démunies des «  pays riches  ».

Sur un plan local, je suis donc pour défendre des revendications fortes contre l’automobile, pour une diminution drastique du recours aux énergies fossiles, pour la réduction des gaspillages par une isolation accrue des bâtiments, etc. Mais je suis en même temps en faveur d’une forte croissance des efforts consentis pour le logement, l’aménagement du territoire, l’éducation (de la petite enfance aux études supérieures), la formation continue, la santé publique, la recherche scientifique, la création artistique, etc. Des domaines aujourd’hui frappés par une «  décroissance  » programmée... Dès 1958, dans L’Ere de l’opulence, John K. Galbraith avait ainsi remarqué, qu’à l’essor du marché des biens de consommation durables aux Etats-Unis, correspondait un déclin rapide des infrastructures collectives. Avec le capitalisme actuel, ces tendances régressives se sont encore massivement aggravées.

Syndicalisme et changement social

Par ailleurs, je considère que le syndicalisme au sens noble du terme, dont les revendications et les modes d’organisation doivent être radicalement repensés en fonction du bouleversement en cours de l’organisation du travail (montée de la précarité sous toutes ses formes) doit redevenir un élément clé de la lutte pour sortir du capitalisme, une école de formation à la solidarité pour les salarié·e·s, de même qu’un foyer d’expériences, de réflexions et de débats sur les lignes de forces d’une autre société. Il dispose d’une riche expérience historique dans ces domaines, sans parler des mouvements coopératifs, mutualistes, etc.

Dans ce sens, il ne faut pas opposer, comme le font souvent les «  décroissants de gauche  », un syndicalisme centré sur des questions sociales à une lutte pour la défense d’un autre projet de société. Ils doivent au contraire être étroitement associés. Sinon, le risque est grand de réserver cette lutte à une petite couche de privilégiés, la privant par-là même de toute chance de succès. A ce propos, la contribution de Daniel Tanuro à la journée de réflexion de l’interrégionale wallonne de la Fédération Générale du Travail de Belgique (FGTB) du 11 décembre 2008 formule des propositions concrètes intéressantes (voir encart ci-dessous).

L’acteur social du changement

Sans un combat résolu contre la montée des inégalités sociales face à la crise, il est probable que les solutions les plus réactionnaires progressent encore dans l’opinion publique. Il y a une raison essentielle à cela : le fonctionnement quotidien de l’économie marchande nourrit le chacun pour soi et tend à opposer entre eux les plus faibles. Par ailleurs, notre société est formée de classes aux intérêts divergents et la destruction du climat n’inquiète pas outre mesure ceux qui pensent pouvoir se payer un environnement protégé (comme la faim dans le monde n’a jamais empêché de dormir ceux qui peuvent largement remplir leur assiette)... De telles menaces ne les intéressent que dans la mesure où ils peuvent les instrumentaliser pour obtenir le financement de juteux marchés publics tout en justifiant, «  pour la bonne cause  », l’austérité... des classes populaires seulement.

Si nous laissons faire les classes dominants, les masses défavorisées des «  pays riches  » (qui vont voir leur sort s’aggraver encore sensiblement durant la crise en cours) risquent bien de tourner le dos au combat écologiste pour défendre leur droit à consommer et à polluer, voire d’être amenées à soutenir les guerres impérialistes à venir pour le contrôle des ressources naturelles (une nouvelle version de la lutte pour «  l’espace vital  »). [2]

Mais il y a plus  : si le sauvetage du climat et de l’environnement doit être lié plus que jamais à une exigence de justice sociale sans concession, c’est aussi que la sortie du capitalisme n’est pas concevable sans une rupture révolutionnaire. Pour vaincre des résistances très concentrées et se développer dans un cadre démocratique participatif, cette rupture n’est pas concevable sans la mobilisation d’un acteur social collectif extrêmement puissant. C’est pourquoi, l’émancipation de l’humanité, comme le sauvetage de la planète, ne pourront être que l’œuvre de la grande masse des travailleurs-euses, des précaires et des pauvres – le prolétariat, au sens originel du terme –, soit de l’écrasante majorité des sociétés du Nord comme du Sud.

Jean Batou


Un programme d’action syndical écologiste…*

1. Favoriser une démarche spécifique en matière de conscientisation et d’éducation des militant·e·s. Il est essentiel de mettre en lumière les causes structurelles du changement climatique et le lien entre crise climatique et crise capitaliste.

2. Impliquer la masse des travail-leurs·-euses dans la lutte contre le changement climatique par des pratiques démocratiques de contrôle des salarié-e-s, qui sont les mieux placés pour dénoncer les multiples gaspillages inhérents à la production capitaliste.

3. Revendiquer la création d’une entreprise publique dans le domaine de l’isolation et de la rénovation énergétique des bâtiments. Le parc immobilier est mal isolé et le restera longtemps dans la mesure où la demande solvable pour isoler les maisons existantes fait défaut.

4. Revendiquer une politique cohérente de développement et de gratuité des transports publics.

5. Miser sur l’action internationale des travailleurs-euses pour imposer aux entreprises multinationales des engagements de réduction des émissions à l’échelle mondiale et des investissements dans la recherche technologique.

6. Défendre la formation/reconversion collective des travailleurs des secteurs menacés dans le cadre de la transition vers une société sans carbone fossile, avec maintien du salaire et des droits. La transition vers une société sans carbone fossile impliquera inévitablement des réductions d’emplois dans certains secteurs polluants. Ces travailleurs ont droit à un emploi et leur reconversion ne peut être laissée aux bons soins des stratégies néolibérales. Le mouvement syndical pourrait revendiquer une formation et une reconversion collective sous contrôle des intéressés, avec maintien des salaires et des droits jusqu’à l’obtention d’un emploi.

7. Populariser l’idée que l’énergie est un bien commun de l’humanité, comme l’eau, et ne peut donc être laissée aux mains du privé.

Daniel Tanuro

* Il ne s’agit là que de très brefs extraits. Le document complet est disponible à l’adresse : www.europe-solidaire.org/spi... : Alternative sociale et contrainte écologique

[1] http://clementineautain.fr/2009/02/...

[2] Voir à ce propos le débat organisé par Radio-Fribourg,le 10 juin dernier, et en particulier les interventions de notre camarade Thibault Schneeberger  : www.radiofr.ch/fileadmin/pod... glement%20climatique.mp3

* Paru dans le quinzomadaire suisse « solidaritéS » n°151 (09/07/2009), p. 16-17.