Brandon Hughey a 19 ans et vient du Texas. David Sanders a 20 ans, il est originaire d’Arizona. Ce sont deux déserteurs étatsuniens qui ont refusé de partir se battre en Irak. Ils se sont réfugiés au Canada où ils demandent à bénéficier d’un statut de réfugié politique. Aux États-Unis, la peine qu’ils encourent peut aller de la prison à la peine de mort. La campagne de soutien est soutenue par des personnalités telles que Naomi Klein, David Cronenberg, Françoise David, les syndicats des travailleurs de l’automobile, des métallos et de la fonction publique, les quakers, la communauté musulmane, les vétérans du Viêt-nam, la coalition contre la guerre de Toronto, l’Alliance canadienne pour la paix et des partis politiques comme le NPD, l’Union des forces progressistes du Québec et Socialisme international-Canada.
Pourquoi vous êtes-vous engagés ? Brandon Hughey - J’ai rejoint l’armée américaine en 2002. C’était juste avant ma dernière année d’études. Cela me permettait de finir mes études en étant payé. Si je ne m’étais pas engagé, je n’aurais pas eu assez d’argent pour aller jusqu’à mon diplôme.
David Sanders - Je me suis engagé pour les mêmes raisons, comme la majorité des soldats aujourd’hui. Depuis la guerre du Viêt-nam, la conscription a été supprimée, mais il y a une énorme pression économique, en particulier avec le coût trop important des études, l’armée fait tout pour recruter, surtout dans les milieux les moins riches.
En signant, aviez-vous pensé que vous pourriez être obligés de faire la guerre ? B. Hughey - Oui, mais je pensais que j’étais du bon côté. Je faisais partie des bons et j’étais là pour défendre la liberté. Mais je me suis rendu compte que les armes de destruction massives n’existaient pas, que c’était des mensonges. La guerre contre l’Irak était illégale.
À quel moment avez-vous voulu quitter l’armée ? B. Hughey - J’ai eu mon diplôme en novembre 2003. Ensuite, j’ai suivi quinze semaines d’entraînement. Normalement, j’aurais dû partir en Irak, mais j’ai demandé à ne pas y aller. Je pensais que je pouvais être objecteur de conscience si je trouvais la guerre injuste. J’ai essayé de quitter l’armée, mais c’était impossible. C’est pour ça que je suis parti au Canada.
D. Sanders - J’ai été incorporé dans la marine en janvier 2003. J’ai eu mon diplôme juste deux jours avant l’occupation de l’Irak. Je ne comprends pas pourquoi ils ont attaqué l’Irak. Je pense que mon choix est juste de ne pas prendre part à une guerre injuste. Cette guerre est illégale, les armes n’existent pas et Bush a menti. Je n’avais pas le choix. C’était l’Irak ou la prison. Je suis parti.
D’après vous, que pensent les autres soldats ? B. Hughey - Franchement, je ne peux pas savoir. C’est un choix individuel. En ce qui me concerne, si je vais faire la guerre, je veux savoir pourquoi.
Comment la guerre en Irak est-elle perçue par la population aux États-Unis ? B. Hughey - Au début, 80 % des gens soutenaient la guerre. Aujourd’hui, c’est très partagé. Environ la moitié des Américains sont contre et cela va augmenter car de plus en plus de gens se rendent compte que ce que nous faisons est injuste.
Comment s’est passé votre arrivée au Canada ? B. Hughey - Ça a été très facile de quitter les États-Unis. Quand je suis arrivé au Canada, j’ai tout de suite pris contact avec le comité de soutien aux soldats américains. Ma famille a compris ma décision et ils continuent à me soutenir.
D. Sanders - Quand je suis venu, je ne connaissais pas l’existence du comité de soutien. J’ai d’abord vécu dans un foyer pour les jeunes sans abri. Un jour, j’ai lu un article sur Jeffrey House qui est l’avocat de Jeremy Hinzman [premier soldat à avoir demandé l’asile au Canada, NDLR]. Je me suis alors rendu compte que je n’étais pas le seul déserteur. J’ai dit aux gens avec qui je vivais que j’étais moi aussi dans ce cas. Ils ont alors contacté Jeffrey House et j’ai rencontré le comité de soutien. Le syndicat canadien des routiers me soutient actuellement.
Pensez-vous retourner un jour aux États-Unis ? B. Hughey - Non. Je ne pense pas qu’on pourra rentrer aux États-Unis. Il n’y a pas de loi d’amnistie. Mais aujourd’hui, je ne regarde pas en arrière, ce que je laisse derrière moi. Je préfère me concentrer sur ce que je veux construire au Canada.
Voyez-vous des similitudes et des différences avec la guerre du Viêt-nam ? B. Hughey - La principale différence est l’absence de service militaire. Au moment du Viêt-nam, la majorité des déserteurs étaient des appelés. À l’époque, 50 000 jeunes en âge de faire leur service militaire s’étaient réfugiés au Canada. Le Premier ministre avait alors déclaré que " ceux qui jugent en conscience qu’ils ne doivent pas faire cette guerre... [avaient sa] totale sympathie et [leur] approche [devait] être de leur laisser l’accès au Canada. Le Canada [devait] être un refuge contre le militarisme ". Aujourd’hui, comme les soldats sont tous des engagés, les lois sont beaucoup plus dures et il est plus difficile d’obtenir un statut de réfugié.
D. Sanders - Avec le comité de soutien, on a rencontré des vétérans du Viêt-nam.
B. Hughey - C’était bien, car même s’il y avait un fossé de générations, la situation était la même. Les résistants à la guerre du Viêt-nam ont été très présents et cela a permis qu’on ne se sente pas isolés. Trente mille d’entre eux vivent toujours ici, au Canada.
Que pensez-vous de la résistance irakienne, des attentats notamment ? B. Hughey - Je ne partage évidemment pas leurs méthodes. Mais je peux les comprendre. Si on envahissait mon pays, ma maison, je résisterais. Les Américains doivent quitter l’Irak, il n’y a pas d’autres solutions. La majorité des Irakiens n’acceptera jamais l’occupation. Il faut un retrait graduel. D. Sanders - L’occupation ne peut pas réussir car elle est fondée sur le mensonge. La résistance des Irakiens ne s’arrêtera pas.
Propos recueillis par Dominique Angelini et Antoine Boulangé
• Il est possible de soutenir les soldats réfugiés en envoyant des messages à et de trouver des informations sur le site : <http://www.resisters@sympatico.ca> .
(tiré du site de Rouge)