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IRAK

Des syndicalistes résistent

dimanche 5 décembre 2004

À l’occasion de son passage à Paris, Amjad Al Jawhari, représentant la Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak (FWCUI), a accordé un entretien à " Rouge "

Après dix-huit mois d’occupation, l’Irak semble en proie au chaos... Amjad Al Jawhari - Près de 70% de la population irakienne est au chômage ; l’économie a été quasiment achevée par l’occupation et les violences en cours. Les services sociaux ont disparu et il n’y a plus aucune protection, plus de loi, plus de sécurité. C’est la population qui en paie le prix. Avec d’un côté, les crimes monstrueux des forces d’occupation, comme on a pu le voire à Falluja et dans de nombreuses villes et, de l’autre, ceux de l’islam politique, que ce soit son aile chiite ou sunnite, qui foit tout pour allumer une guerre ethnique. Nous sommes face à une " miliciarisation " de l’Irak avec, en outre, cette prétendue résistance qui tue des dizaines de fois plus de civils que de soldats américains. Les femmes sont systématiquement prises à partie par ces groupes dont le projet est de ramener l’Irak à l’âge de pierre. La population est écœurée par l’occupation et par les milices de diverses obédiences qui pallient à l’hostilité croissante des Irakiens à leur égard par un renforcement de la terreur et de la domination par les armes.

Y a-t-il des résistances sociales ? A. Al Jawhari - Bien sûr, elles ont démarré dès la chute du régime. Avec des luttes pour expulser l’ancien encadrement baasiste, recyclé par les forces d’occupation. De nombreuses luttes ont également eu lieu dans les secteurs de l’électricité ou des industries mécaniques, visant à l’amélioration des conditions de travail et des salaires, vu que plus aucune règle sociale n’est appliquée. D’un autre côté, des travailleurs ont organisé des groupes d’autodéfense armés pour expulser les gangs de Moqtada Al Sadr, se servant de leurs lieux de travail comme base de leurs actions, à Nassyria par exemple. Nous avons renouvelé cette expérience avec succès dans deux quartiers de Bagdad. C’est d’ailleurs l’une des clés pour faire face à la situation : l’organisation des populations pour interdire l’entrée des milices et forces occupantes dans les villes. Autre lutte significative, celle des chômeurs. Nous avons organisé des dizaines de manifestations, certaines réprimées par les forces d’occupation. Nous imposons des embauches et prenons à charge une aide humanitaire à destinations des populations déplacées et sans abri.

Peux-tu nous présenter votre organisation ? A. Al Jawhari - La Fédération des conseils ouvriers et syndicats d’Irak a été fondée en décembre 2003. Elle fédère des syndicats et des conseils ouvriers sur la base de l’autoorganisation. Nous nous appuyons sur quelque 500 délégués élus par leurs syndicats et conseils, implantés dans nombre de secteurs professionnels. Nous sommes bien implantés dans le Sud du pays, où nous comptons environ 10 000 membres et où nous continuons à nous développer. Nous venons d’ailleurs d’organiser ces jours-ci une conférence regroupant des dizaines de syndicats et conseils de la région de Bassora représentant les secteurs de l’énergie, du pétrole et du transport maritime principalement et c’est une femme, Kifah Hasn, qui vient d’être élue porte-parole. C’est un pas important dans la structuration, la progression de notre force et la défense des droits des travailleurs. Nous nous heurtons évidemment aux forces d’occupation et à leur gouvernement fantoche, qui cherchent à nous faire taire. Ils ne veulent reconnaître, par exemple, qu’une seule fédération syndicale à leur botte et interdire toute autre expression. Du syndicalisme à la farce électorale de janvier prochain, ceci s’inscrit dans une volonté globale d’interdire toute liberté d’expression et d’organisation et de réduire le champ politique aux seules milices religieuses et tribales soutenant l’occupation et le gouvernement provisoire.

Justement, quelle alternative construire face à l’occupation et aux milices ? A. Al Jawhari - Notre objectif est de regrouper les travailleurs pour défendre leurs droits, quelle que soit leur origine religieuse et ethnique. Nous voulons construire et réaliser leur unité en nous inscrivons, aux côtés de nos camardes luttant pour la liberté des femmes notamment, dans une perspective plus globale, celle d’une alternative progressiste, laïque et sociale à l’occupation américaine et à l’oppression islamiste. Face à cette guerre menée contre la population par ses deux fronts, tous deux un poison mortel pour les travailleurs et le peuple irakien, nous devons construire et renforcer ce troisième front, social et démocratique, le seul à même de ramener la liberté pour toutes les femmes et hommes d’Irak. La seule résistance victorieuse sera sociale.

Propos recueillis par Madjid Picat